Michel Siebert, un homme de la terre
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Transcript Michel Siebert, un homme de la terre
ECONOMIE
MARDI8AVRIL2014 P
DÉVELOPPEMENT Soixante entrepreneurs qui font la région
WISCHES Steelcase
Inquiétude
sur l’emploi
La CGT de Steelcase, fabricant de
fournitures de bureau, s’est dite
« très inquiète », hier, dans un
communiqué, quant à l’avenir
du site de Wisches (67) en particulier. L’usine emploie environ
300 personnes. Le syndicat
pointe du doigt des « externalisations à Madrid, en Lituanie,
en Allemagne, des produits
développés auparavant à Wisches, qui le sont maintenant en
externe », et craint que l’entreprise locale ne ferme ses portes.
Les salariés sont appelés à se
réunir en milieu de journée, par
la CGT, afin de débattre de la
situation. Une autre réunion est
prévue vendredi, avec des élus
locaux.
La direction de Steelcase, par la
voix de Karin Vidic, directrice
des ressources humaines pour la
partie Europe, Moyen-Orient et
Afrique, expliquait hier que les
résultats présentés au comité
central d’entreprise, la semaine
dernière, n’étaient effectivement
pas bons (30 millions de dollars
de perte sur l’exercice, pour la
partie Europe).
La situation pour l’entreprise
« est inquiétante, mais pas à
Wisches plus qu’ailleurs ».
Steelcase est confronté à « une
baisse des volumes » de ses
ventes et « à des difficultés au
niveau des marges ». La direction « comprend l’inquiétude de
ses salariés ». La réunion trimestrielle aujourd’hui, à Schiltigheim, « permettra d’informer
tout le monde ».
JSA
GEISPOLSHEIM
Datamailing : la
la lutte continue
Les 132 salariés de Datamailing
s’organisent. Une semaine après
avoir appris que leur entreprise
allait fermer et que son activité
sera transférée à Noyelles-sousLens, dans le Pas-de-Calais, (DNA
du 1er avril 2014), ils se sont
réunis hier en assemblée générale à Ostwald à l’initiative de leurs
représentants syndicaux CGT et
CFDT et de leurs avocats, Mes
Ralph Blindauer et Luc Dörr.
Objectif : définir une position
commune et bâtir une stratégie
de défense face à la décision de
leur actionnaire, le groupe allemand Bertelsmann.
Pas question en effet pour eux
d’accepter l’accord de méthode
que la direction souhaiterait
conclure le plus rapidement afin
de mettre en œuvre le processus
de transfert du personnel ou,
pour ceux qui refuseront les
mutations, de licenciement.
Invités à donner leur avis, les
salariés ont voté hier majoritairement contre (106 voix contre 7).
« Nous n’allons pas nous contenter d’un chèque qui sera forcément dérisoire. Nous allons nous
battre pour le maintien de l’emploi », explique Hassan Amrouh,
secrétaire du CHSCT. Leur premier combat, confirme Me Blindauer, consistera à pousser
Bertelsmann à « trouver des
solutions de remplacement »
comme par exemple « un repreneur pour le site », même si c’est
dans une autre activité que le
routage et le marketing direct.
« Nous prendrons tout notre
temps pour discuter », prévient
l’avocat.
Pour les salariés, tous les
moyens seront bons pour infléchir la position du géant des
médias. Pour commencer, annonce M. Amrouh, « nous allons
affréter des cars pour aller manifester devant le siège de Bertelsmann à Gütersloh (en Rhénaniedu-Nord-Westphalie), prendre
contact avec les syndicats allemands, poursuivre notre campagne d’affichage et aller au Parlement européen ». Pour eux, « la
lutte ne fait que commencer ».
O.W.
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Michel Siebert,
un homme de la terre
Comment le fils d’un mineur et paysan mosellan est devenu l’un des grands patrons les plus respectés
d’Alsace. Michel Siebert quitte le groupe Kuhn au sommet de son art. Témoignage d’un homme de la terre
et défenseur d’une mondialisation raisonnée, quarante-cinquième volet de notre série.
P
as question, à l’approche
de sa retraite annoncée
pour fin septembre, de
faire de Michel Siebert un
héros médiatique régional.
D’ailleurs le personnage, qui cultive modestie et pragmatisme, ne
se présente pas ainsi. Mais quand
un homme a su entraîner son
équipe, salariés et actionnaires,
pour faire entrer l’auguste société créée en 1827 dans le XXIe siècle, bâtissant un véritable empire
mondial de la machine agricole
tout en continuant à investir à
Saverne. Quand c’est toute une
ville et toute une région qui dépendent aujourd’hui de ses 1600
emplois locaux (et 4700 dans le
monde) – au point que Saverne
est parfois appelée Kuhn city – et
que la société reste fidèle à cette
responsabilité. Alors on comprend pourquoi certains peuvent
regretter que le temps soit venu
pour cet homme de se retirer.
« Je crois à l’industrie
et je crois en
l’industrie française »
En entretien, Michel Siebert parle
bien moins de lui que de la société qu’il dirige, une véritable passion qui dure depuis 35 ans. Affable, carré, le regard et le parler
francs, l’homme a gardé quelque
chose du bon sens paysan, doublé d’une intelligence formée à
l’école normale. Qui l’a conduit à
son premier métier, celui d’enseignant, exercé pendant quatre ans
jusqu’en 1974. Il en a gardé un
goût certain pour la pédagogie.
« Je n’en avais pas pris conscience, dit-il après réflexion. Mais
c’est vrai que je passe beaucoup
de temps à expliquer les décisions, à donner du sens au travail
des gens. »
Pédagogue, il l’est aussi quand il
se met en tête d’expliquer les
impératifs du monde de l’entreprise, qu’il juge injustement considérés en France par la population et les pouvoirs publics, et les
ficelles d’une mondialisation
qu’il revendique comme nécessaire. « Il n’y a pas un outil chez
nous qui soit made in France à
100 %, même s’il est fabriqué à
Saverne. L’un ou l’autre composant peut par exemple venir du
voisin allemand. Ce que je préconise, c’est plutôt le made by Kuhn, un critère de qualité. » Avec
l’objectif de « faire en sorte que
Kuhn soit considérée comme brésilienne au Brésil, canadienne au
Canada et française en France ».
Et de rappeler que « si Kuhn peut
autant faire en France aujourd’hui, c’est parce qu’on exporte
75 % de nos produits ! » Une conviction qu’il s’est employé à faire
accepter ces dernières années
aux salariés et décideurs locaux,
désormais convaincus que l’expansion mondiale n’a pas empêché Kuhn d’investir localement –
encore 15 millions d’euros l’an
Le PDG de Kuhn Michel Siebert quitte une entreprise qui, sous sa gouverne, est devenue un groupe mondial.
dernier à Monswiller-Steinbourg.
C’est en 1979 que Michel Siebert
entre chez Kuhn comme responsable commercial, après des études de droit et de gestion et un
passage comme ingénieur commercial aux Charbonnages de
France. Avec un père mineur et
paysan, passer du charbon aux
machines agricoles, c’est en quelque sorte boucler la boucle.
Pendant les dix ans qui ont suivi,
il défend à Saverne « la place du
commercial » : dans une entreprise qui s’est « construite
d’abord autour de la qualité du
produit », il veut élargir l’offre et
créer un réseau de revendeurs.
« Le produit, c’est très bien, mais
aujourd’hui c’est le service qui
fait la différence. » Ce qui lui
vaut d’être promu, en 1989, responsable marketing et commercial.
C’est l’époque des premiers rachats de sociétés en difficulté,
d’abord françaises. Il s’agit de
« gagner du temps » en termes de
savoir-faire et de parts de marché, tout en privilégiant la complémentarité. Kuhn connaît alors
une belle expansion, car malgré
la baisse régulière du nombre
d’agriculteurs, la chute du Mur
de Berlin permet d’accéder à de
nouveaux marchés. Ce sont les
débuts d’une entreprise mondialisée – « non pas une opération
de survie, mais le seul relais de
croissance possible », précise-til.
Devenu PDG en 1999, il constate
PHOTO ARCHIVES DNA
en effet que « toutes les perspec- 1er février).
1994. Michel Siebert assure
tives étaient négatives, si on rai- Reste néanmoins une « insatis- qu’ils partagent le même état
sonnait à partir de l’existant ». Il faction », celle d’« avoir dû fer- d’esprit, et que par ailleurs « l’acidentifie alors « une limite à no- mer un site qui ne répondait pas tionnaire a toujours respecté les
tre développement : on ne pou- aux critères de rentabilité », ce- choix d’investissement que nous
vait pas fournir un territoire de lui de Kuhn Nodet situé en Seine- lui avons proposés ». Et puis,
plus en plus grand à partir de et-Marne, dont une partie de l’ac- comme une garantie pour les haquelques sites ». Conclusion : « Il tivité ainsi que quelques salariés bitants de la région de Saverne, il
nous fallait nous localiser en ont été transférés à Saverne en gardera un œil sur les projets :
nous rapprochant des marchés 2006.
« Je pourrais rester dans certains
importants ». Ce qui signifie à la Considérant qu’« aujourd’hui, postes non opérationnels ».
fois investir dans la construction nous avons atteint la taille criti- Ce qui lui laissera le loisir de
d e g r a n d e s m a c h i n e s à que aux USA, au Brésil et en consacrer plus de temps à sa faMonswiller et acheter la société Europe occidentale », le leader mille, aux activités sportives et
Knight aux États-Unis
mondial du machinisme agricole aux voyages. « J’ai beaucoup
Pédagogue encore, il veut expli- vise désormais « la Chine, l’In- voyagé, sans jamais visiter. Je
quer ce tourvoudrais partanant aux salager cela avec
riés. Pour
ma famille et
cela, « il fal- « Le conseil que je donnerais à un jeune :
l’un ou l’autre
lait un projet le potentiel des hommes et d’un marché est
ami. » Mais on
d’entreprise
le voit mal requi clarifie les toujours supérieur à ce que vous imaginiez,
garder trandécisions ». Et à condition que vous puissiez fédérer autour
quillement
il a été suivi, de cette idée »
passer les saiencore une
sons sur les
fois. L’occahauteurs des
sion pour le MICHEL SIEBERT, PDG DE KUHN
montagnes saMosellan,
vernoises. Et en
dont la langue maternelle est le de ». Soit un gros « potentiel de effet, il a été « sollicité pour
platt, d’apprécier à nouveau le développement, à condition de d’autres activités qui ne m’éloitravail « des Alsaciens, leur garder une certaine avance qu’on gnent pas trop de la vie économiloyauté, leur sens de l’effort, leur a prise sur nos concurrents, et de que ». Activités qui ont à voir,
engagement, pour peu qu’on res- maintenir ce qui a fait la force de encore une fois, avec un certain
pecte leur identité ».
Kuhn, la qualité, l’innovation et sens de la pédagogie : « Je crois à
L’ambition de doubler le chiffre une organisation adaptée pour l’industrie et je crois en l’indusd’affaires en dix ans a été surpas- assurer le service ».
trie française. Pas pour la défensée, jusqu’à atteindre 1,047 mil- À la veille de son départ, à l’âge dre de manière cocardière ni par
liard d’euros en 2013, en hausse de 65 ans, Michel Siebert se dit idéalisme ». Mais, comme toude 3,3 % par rapport à l’année « confiant pour l’avenir de Ku- jours, avec force, pragmatisme et
précédente, déjà la meilleure de hn ». « J’ai conscience d’avoir vé- modestie. À l’image d’un homme
l’histoire de la société. Effaçant cu une très belle aventure, dans qui, lors de cet entretien, a même
par la même occasion les effets une belle affaire. Et j’ai la satis- omis de nous faire part de sa
de la crise économique et les an- faction de pouvoir y mettre un toute récente promotion en tant
nées difficiles de 2009 et 2010, terme à un moment choisi, d’un que commandeur dans l’Ordre
où la société a présenté un chif- commun accord avec notre ac- du Mérite agricole.
fre d’affaires en baisse – « mais tionnaire, avec une continuité
EMMANUEL VIAU
on a pu maintenir notre rentabi- préparée au niveau du groupe. »
lité ». Par la suite, « notre bonne Son successeur Thierry Krier,
santé nous a permis d’acheter passé par le siège savernois en Q Dernière parution dans cette série
des sociétés en difficulté », la 1992, revient des États-Unis où il créée à l’occasion des soixante ans
dernière étant une nouvelle ac- dirigeait les opérations du grou- de l’Adira, Johannes Tryba, le
quisition au Brésil (DNA du pe en Amérique du Nord depuis 15 février.
R
RTE 07