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IntRODUctIOn et méDIAtIOn D’œUVRes D’ARt en seRVIce géRIAtRIe

Un projet culturel par l’Hôpital de l’Arbresle et l’association VIDRIO

// 2013

Regard de l’artiste Régis FlAnDRIn sur une séance de médiation dans les couloirs du service gériatrie

éDItO

Les résidents du service gériatrie de l’Hôpital de l’Arbresle ont côtoyé pendant trois mois, dans leurs espaces de vie communs, une sélection d’œuvres d’art de l’artothèque de Villeurbanne. Photographies, peintures, gravures et dessins, ont constitué la matière première pour révéler progressivement les qualités humaines des personnes hospitalisées.

Dans le cadre de séances d’échanges en petits groupes avec la médiatrice Claire DAuDin, les résidents ont pu partager leurs histoires et dévoiler leurs émotions, les animant encore aujourd’hui. « L’art à quoi bon », « ce n’est pas pour nous », à ces intérêt).

a priori

se sont substituées au fil des séances des attitudes engagées et réflexives. Parallèlement, le photographe Kevin Buy travaillait à rendre compte, par l’image, des multiples relations entretenues par les résidents avec les œuvres et parfois directement avec l’appareil photographique (objet suscitant un vif Ce livret est une sélection de témoignages et de portraits recueillis en séances. Si les résidents semblent s’être arrêtés sur un petit nombre d’oeuvres, toutes ont bel et bien trouvé leur public (résidents au quotidien, familles, personnel soignant).

Les photographies de Kevin Buy seront exposées dans le hall d’accueil de l’hôpital du 17 juin au 31 août et partiront ensuite en itinérance, du 19 au 28 septembre à la médiathèque de l’Arbresle, du 21 au 31 octobre à la mairie du 6 e arrondissement de Lyon, puis en janvier 2014 à la médiathèque de Saint-Priest.

À la suite de ce voyage, les photos reviendront à l’hôpital et prendront, à leur tour, la place des oeuvres de l’artothèque en s’insérant dans le quotidien des résidents et du personnel hospitalier.

sophie AUgAgneUR

/ Animatrice culturelle à l’Hôpital de l’Arbresle & art-thérapeute

clémentine HeRVAUlt

/ Chargée de projet pour l’association Vidrio

Lucienne FILAINE

au regard de l’œuvre d’ERNEST PIGNON ERNEST (Ernest PIGNON, dit) -

Pasolini

- série « Certaldo » (lithographie, collage de photographie) - 1994

Moi ce qui me marque le plus, c’est le bonhomme. [Son regard] a quelque chose d’énergique, de volontaire. On a l’impression que c’est un homme qui a souffert. Il a le visage marqué, les lèvres serrées.

Il a le visage marqué par la vie. C’est un bel homme. [...] Vous savez, les hommes qui travaillaient en usine, bien souvent, ils avaient le visage marqué, aussi.

Denis BRUN

au regard de l’œuvre d’ERNEST PIGNON ERNEST (Ernest PIGNON, dit) -

Pasolini

- série « Certaldo » (lithographie, collage de photographie) - 1994

Il vient des pays chauds. C’est un ingénieur ! J’en sais rien. Il travaille dans les explosions. Il a la tête un peu camouflée...

Alice VOYON

[Elle récite l’histoire de Toto, petit français brutalisé par les Prussiens]

Je l’ai apprise, j’avais une dizaine d’années. Tout ce qu’on apprend quand on est jeune, on y retient. [...] Ma maîtresse était sévère. [...] Elle était dure, mais c’était bien. Je l’aimais bien ma maîtresse.

Guy VENET

au regard de l’œuvre d’ERNEST PIGNON ERNEST (Ernest PIGNON, dit) -

Pasolini

- série « Certaldo » (lithographie, collage de photographie) - 1994

[C’est mon préféré] parce qu’il me rappelle le film... Comment il s’appelle... Ah, ça y est, je l’ai :

Lawrence d’Arabie

. C’était un dur. Le regard qu’il a... [...] L’histoire est très difficile. [...] C’était un Anglais qui s’est assimilé à la cause moyen-orientale. Il a été un fervent défenseur, parce qu’il a failli y laisser sa peau. Il s’est vraiment battu, lui. [...] Je suis un passionné d’Histoire. Je l’ai vu, le film, deux-trois fois...

Un autre jour :

- Ça vous avait plu, la balade qu’on avait faite ?

- Oui. J’en ai refait une partie, tout seul. [...] J’ai beaucoup aimé. J’ai vécu à nouveau Lawrence d’Arabie.

Thérèse VIAL

au regard de l’œuvre de COMBAS Robert -

On construit sa maison comme on chante une chanson

(gravure) - 1992

Moi je l’ai vu, l’animal ! [C’est] une biche !

Suzanne BOBILLON

Elle parlait succinctement de son ressenti face à une œuvre mais remarqua très rapidement, malgré une certaine distance, l’objectif de l’appareil braqué sur elle. interpellée par cette attention, elle proposa au photographe de prendre plutôt des clichés des jeunes femmes aux alentours. Puis, flattée par la persistance du photographe elle se laissa photographier et s’impliqua vivement dans le dispositif en introduisant le photographe auprès des autres résidents.

Roselyne BARRIER

au regard de l’œuvre de COMBAS Robert -

On construit sa maison comme on chante une chanson

(gravure) - 1992

René BARRAUD

C’est une femme géante : on voit sa poitrine, là.

- Je n’avais pas vu que c’était une femme.

- ... elle met son doigt dans son nez, regardez !

- [S’adressant au personnage] T’es une coquine !

On dirait une personne en train de vivre, d’éternuer.

Le photographe Kevin BUY arriva face à un groupe de résidents, installés dans la salle commune. Monsieur BARRAuD a capté son regard. il le regardait avec intensité, mêlé à l’effort d’avancer et de vouloir créer leur rencontre. Kevin lui a souri, a cadré et appuyé sur le déclencheur de l’appareil photographique. « Vous savez que vous avez affaire à un champion ! » lança un autre résident, « J’ai été champion de France d’haltérophilie ! » confirma Monsieur BARRAuD.

Yvonne GUIGONNAND

au regard de l’œuvre de CLAUDE Annick -

Odalisque

(estampe) - 1999

Roger BOUVARD

Ça fait une occasion de rediscuter ! Pourquoi avez-vous choisi cette image ?

- Parce que mes parents avaient des vaches. C’était leur travail.

- Vous les gardiez, les vaches ? Elles vous obéissaient ?

- Oui, oui oui. - [...] ... et est-ce que vous leur donniez des noms, aux vaches ?

- Oui : Marquise, Pâquerette, Blanchette, oui, oui, voilà...

Elle se rappelle le geste de la traite, qu’elle mime. Elle n’aimait pas le goût du lait chaud, autour duquel tournaient les chats.

André et Janine VILLAROS

au regard de l’œuvre LE NY Marie-Hélène -

Artichaut cru

- série « Mes petits morceaux de madeleine » (photographies contrecollées sur aluminium, verre sérigraphié) - 1999

Vous en mangiez souvent [des artichauts] ?

- Oh oui. Ses parents étaient agriculteurs. Ils avaient un champ d’artichauts magnifique. Aux Saintes-Maries-de-la-Mer. Dans le sable. [...] Anne-Marie, notre fille, quand elle était petite, elle se cachait dans des artichauts hauts comme ça ! Quand elle était jeune ; on ne la voyait pas, dans les artichauts. ...et vous avez rencontré Madame dans les artichauts ?

- Non, dans les espadrilles ! [Il raconte l’anecdote de sa rencontre avec sa future femme, alors vendeuse sur un stand d’espadrilles à Perpignan.] En plus des tableaux, vous avez appris une belle histoire d’amour.

- [Sa femme] On a été heureux.

- On a passé les épreuves. On était ensemble.

Louis RAYNARD Janine PERRAUD

au regard de l’œuvre d’ERNEST PIGNON ERNEST (Ernest PIGNON, dit) -

Pasolini

- série « Certaldo » (lithographie, collage de photographie) - 1994

Monsieur RAYNARD a régulièrement interpellé Kevin BUY, et réciproquement, et ce malgré le peu d’échanges. Le résident regardait le photographe, sans poser, se laissant photographier de lui-même. ils se sont salués depuis, puis à chaque fois qu’ils se sont recroisés.

Qu’est-ce qu’il exprime ? Ses yeux sont hagards, perdus... On ne peut pas dire si ses yeux sont bons ou mauvais... [...] Il a un regard dur, quand même.

Andrée CHERBLANC

Kevin BUY a voulu photographier Madame CHERBLANC à l’occasion de la séance de présentation du projet, les résidents étaient alors réunis autour de grandes tables sur lesquelles reposaient les œuvres. une autre résidente a alors informé le photographe qu’elle ne parlait pas. il parvint à créer la relation en prenant des clichés d’elle, puis en lui tendant le dos de son boitier pour lui montrer l’aperçu de son portrait. Son visage s’est alors éveillé, elle comprit ce qu’il faisait et il a ensuite eu droit à quelques esquisses de sourires et de clins d’œil.

Joseph CHERMET

au regard de l’œuvre de CLAUDE Annick -

Odalisque

(estampe) - 1999

Et vous, Monsieur CHERMET, vous avez travaillé avec les vaches ?

- Oui. J’étais paysan. À Savigny, c’est à côté de l’Arbresle. Y avait un peu de tout : des vaches, du lait, de la viande. J’avais une dizaine de vaches. [...] On ne nous demandait pas si ça nous plaisait, il fallait le faire. À l’époque, c’était pas comme maintenant.

- Vos frères et sœurs n’avaient pas souhaité reprendre la ferme parentale ?

- Ils étaient plus âgés que moi. Ils m’avaient laissé le gâteau... mais c’était un gâteau empoisonné (sic). Et c’était l’époque de la guerre. Ça n’a pas été l’époque la meilleure, pour les paysans.

Marie-Noëlle GAY, dite « Mimi » Eléonore GRAËL

au regard de l’œuvre d’ERNEST PIGNON ERNEST (Ernest PIGNON, dit) -

Pasolini

- série « Certaldo » (lithographie, collage de photographie) - 1994

Les clichés pris par Kevin étaient assez durs, alors que leurs conversations étaient particulièrement joyeuses. Déçu de ne pas trouver cette adéquation, le photographe lui propose plus tard de renouveler ses clichés. Ils échangèrent quelques histoires drôles et lorsque Kevin la remercia pour sa générosité elle répliqua : « Vous savez ... on rigole bien mais, ... je ne sais pas où je suis... Je me marre souvent mais je n’ai aucune idée où est ce qu’on est ici ».

[Le portrait lui évoque une image ancienne. Elle rappelle qu’autrefois, on n’avait pas autant de photos de soi que de nos jours.]

J’ai une grand-mère qui est morte à 90 ans. Elle n’avait jamais eu de photo, jamais. La première photo que j’ai eue, c’était une photo de mes parents, qui se sont mariés en 1918. Leur photo de mariage. J’avais deux grand-mères, qui étaient présentes au mariage. [...] C’était en 1918, tout de suite après la Grande Guerre. Alors, les cérémonies, c’était pas comme maintenant...

Evelyne GIL Marie LAURIOL

au regard de l’œuvre d’ERNEST PIGNON ERNEST (Ernest PIGNON, dit) -

Pasolini

- série « Certaldo » (lithographie, collage de photographie) - 1994

Elle observait le groupe, de loin, visiblement affairée, évitant soigneusement de prendre part aux échanges. Lorsque la médiatrice lui présenta un tableau, elle lui répliqua : « À quoi bon tout ça ? » Toujours dans les parages, mais jamais impliquée dans les échanges, elle apportait un regard critique sur les séances.

Celui-là me plaît pas mal. Parce qu’il est réaliste. Ça n’a pas l’air d’être quelqu’un de très commode. Il faut pas le bousculer dans les coins, hein ! [...] - Il vous rappelle quelqu’un que vous avez connu, peut-être ?

- Oh pas vraiment. J’ai eu de la chance, dans ma vie.

Suzanne RAYMOND

Cette résidente avait visiblement une certaine curiosité à l’égard des opérations menées par la médiatrice et le photographe dans les couloirs. Marquant de sa présence les quatre premières séances, réticente à y prendre part, elle a finalement choisi de participer à la dernière !

témoignages de l’équipe du projet

À travers l’évocation de personnes, de situations, d’objets familiers, les discussions prenaient la forme d’une construction d’un décor propre à chaque interlocuteur, dans lequel ses souvenirs allaient pouvoir se rejouer. J’ai participé à un voyage troublant dans la mémoire de ces personnes âgées, dont certaines m’ont transmis des émotions remontant à une époque qui m’était inaccessible autrement que par ces échanges...

claire DAUDIn

/ Médiatrice En m’immisçant dans la discussion, œil toujours dans le viseur, cela me permettait de faire accepter l’idée d’être photographié et d’avoir la chance d’en discuter. Ainsi, le reportage photographique a perdu de sa vocation d’origine de se concentrer exclusivement sur la réaction face aux œuvres. L’acte photographique est ainsi devenu le médium de notre rencontre et de nos échanges, ce qui renforce l’authenticité des images.

Kevin BUY

/ Photographe S’approprier une œuvre, se reconnaître et se raconter à travers ce que l’on contemple. Une improbable rencontre avec l’art qui rend visible l’émotion du cœur ; celle qui sommeille sans jamais s’éteindre, celle qui capte la lumière pour mieux percevoir les couleurs, celle qui restitue la conscience de soi. Celle, enfin, qui réactive l’expression singulière de tout être humain, sensible, vacillant mais vivant et qui offre un sens nouveau à l’éphémère et à l’éternité.

sophie AUgAgneUR

/ Animatrice culturelle à l’Hôpital de l’Arbresle & art-thérapeute Grâce à son équipe, au personnel hospitalier et aux résidents, ce projet a pris tout son sens. L’introduction de l’art dans le quotidien a une fois encore permis de révéler et de raviver la richesse des relations humaines.

typhaine gOnDRAnD DUlAc

/ Directrice de l’association Vidrio

clémentine HeRVAUlt

/ Chargée de projet pour l’association Vidrio

en guise de conclusion...

J’ai toujours la vision du bonhomme [le portrait de Pasolini]. Il m’avait fait penser à un travailleur, qui était fatigué, qui avait beaucoup souffert... La vie n’est pas toujours ce qu’on espère. Faut prendre les bons moments quand ils sont là.

- Vous n’avez pas eu envie de retourner le voir ?

- Non, j’ai la vision, toujours.

[Claire lui raconte ce qui a été fait en une semaine et les avis divergents concernant le portrait.] Y en a qui ont des autres idées... C’est suivant ce qu’on exprime en face de la figure.

- C’est souvent lié à sa propre histoire, non ?

- Oui, je pense.

- ...on met sur le visage des images des choses qu’on a déjà vécues.

-

Des choses qu’on a ressenties, oui. chacun a une vision différente. tout le monde n’a pas la même idée.

lucienne FIlAIne

/ Résidente

Regard de l’artiste Régis FlAnDRIn sur le projet au quotidien en service gériatrie

Les œuvres d’art mentionnées dans ce livret sont disponibles en consultation et en emprunt à l’artothèque de Villeurbanne, au 247 cours Emile Zola Villeurbanne.

Remerciements

>

Les résidents du service gériatrie

>

La fondation d’entreprise ADREA

>

Le dispositif

Culture et Santé

en Rhône-Alpes

>

L’animatrice culturelle et le personnel soignant de l’Hôpital de l’Arbresle

>

L’équipe de l’association Vidrio Avec la coopération de la Ville de l’Arbresle, de la Mairie du 6 e arrondissement de Lyon et de la médiathèque de Saint-Priest, pour l’itinérance de l’exposition.