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No 86 I Fr. 2.20
JA 1630 Bulle
www.lagruyere.ch I 133e année
Samedi 26 juillet 2014
Une région mobilisée
dans la Grande Guerre
ARCH - M. ROUILLER
Signal positif
du baromètre
ÉNERGIE. La consommation d’électricité en juin est en baisse de 3% par rapport à celle de la même période de l’année
dernière. C’est un début encourageant
pour la campagne OFF. page 9
Sommaire
Les Allemands
Le chapitre dédié aux voisins du Nord se clôt
par un détour dans une entreprise tant germanique que gruérienne: Liebherr. page 7
FONDS GLASSON - MUSÉE GRUÉRIEN
HISTOIRE. La Première Guerre mondiale a cent ans. Francophile, la Gruyère a vécu
au rythme du conflit: en accueillant les soldats mobilisés (ici réunis à la gare de
Bulle) et des internés. Chronique locale d’un événement mondial. pages 2, 3, 4 et 5
CHLOÉ LAMBERT
KATIA CASTELLA et TIMOTHÉE GOTHUEY
ne savent plus quoi vous annoncer.
Un léger mieux pour dimanche?
COMMENTAIRE
Plus qu’une grosse toux
MÉTÉO PAGE 17
SAMEDI de 14° à 20°
Nuageux à très nuageux, avec des averses
ou des orages. Accalmie en fin de journée.
DIMANCHE de 13° à 21°
Assez ensoleillé le matin. En montagne surtout,
risque d’averses ou d’orages l’après-midi.
MÉMOIRE. Il faut bien chercher pour trouver
trace de la Première Guerre mondiale dans la
région. Rien à voir avec la Seconde Guerre, dont
les fortins façonnent encore les Préalpes gruériennes et le Pays-d’Enhaut. Lors de la Grande
Guerre, les fortifications se concentrent au MontVully et dans le Hauenstein, au nord d’Olten. On
se contentera d’un arbre à Bulle, le tilleul du
général Pau, et de deux monuments aux morts,
à Châtel-Saint-Denis et à Bulle.
Au-delà de cette discrétion physique, un
constat s’impose. En 2014, il faut presque le
centième anniversaire de son déclenchement
pour se souvenir à quel point la Première Guerre
mondiale a mobilisé la Suisse. D’août 1914 à
janvier 1918, les hommes sont appelés à cinq
reprises pour défendre le pays et les chevaux,
réquisitionnés dès l’été 1914, ne sont pas en
reste. Finalement, tout l’arrière adapte son
rythme de vie au conflit.
Le regain d’intérêt des historiens est pourtant
récent. «En Suisse, la recherche a très vite
refermé le couvercle de la Grande Guerre pour
se focaliser sur la Seconde Guerre mondiale»,
résume le professeur Francis Python. Plus meurtrière sur le plan mondial, plus idéologique, la
Seconde Guerre a en effet plongé sa sœur aînée
dans l’ombre. Peut-être parce que l’esprit du
Réduit national de 1935-1945 s’est propagé
durablement dans notre pays, dans le contexte
de la guerre froide.
Autre phénomène qui participe à l’oubli de
la Grande Guerre: dans le souvenir populaire, les
ravages de la grippe espagnole – 25000 morts
en Suisse, de juillet 1918 à juin 1919,121 victimes
en Gruyère en 1918 et 51 de janvier à septembre 1919 – ont été beaucoup plus présents que
le conflit lui-même. Comme si la Grande Guerre
n’avait été qu’une très grosse toux. Réducteur.
THIBAUD GUISAN
Fusion en Glâne
Mézières, Billens-Hennens et Romont pourraient fusionner au 1er janvier 2017. La commune compterait 6600 habitants. page 8
Givisiez
Un pont va permettre
la suppression du passage à niveau et les
bouchons. page 9
Tennis
Engagés au Grand Prix de la
Gruyère, Vincent Berset (à g.)
et Bastien Kolly visent d’intégrer la catégorie N. page 11
1er Août
La Fête nationale dans le Sud. page 15
Concours estival
Vu du ciel, le village mystère. page 15
Série d’été
Des sept péchés capitaux, l’envie est
le seul qui ne procure aucun plaisir à celui
qui l’éprouve. page 20
SPORTS 11-13 I AVIS MORTUAIRES 14 I CINÉMAS 17 I TÉLÉ 19 I MAGAZINE 20
RÉDACTION: TÉL. 026 919 69 00 / FAX 026 919 69 01 / E-MAIL: [email protected] / RUE DE LA LÉCHÈRE 10 / 1630 BULLE ABONNEMENTS: TÉL. 026 919 69 03 / FAX 026 919 69 01 / E-MAIL: [email protected] ANNONCES: RÉGIE media f, FRIBOURG / TÉL. 026 426 42 42 / [email protected]
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2
La Gruyère / Samedi 26 juillet 2014 / www.lagruyere.ch
Première
De mi-octobre à début décembre 1914, les troupes fribourgeoises stationnent en masse dans la région de Bulle. Les soldats s’adonnent à plusieurs exercices militaires. PHOTOS FONDS GLASSON-MUSÉE GRUÉRIEN, BULLE
Bulle vit au rythme des déplacements des troupes. Le Régiment d’infanterie 7 défile dans la Grand-Rue (à gauche). La rue de Vevey voit passer les chars (au centre) et les soldats (à droite).
Le 3 mai 1916, la ville accueille ses premiers internés: une foule enthousiaste salue l’arrivée de 125 soldats prisonniers français et belges, qui défilent en cortège (à gauche). En juin 1918, ils sont 530 à stationner en Gruyère
(à droite, un rassemblement sur la place du Marché).
Le 12 juin 1917, le général Pau (avec la moustache) visite les camps d’internés de la Gruyère. Dans la voiture, il est accompagné du syndic Lucien Despond (tout à gauche) et du prêtre Eugène Devaud (avec les fleurs). Les grands
rapatriements des internés débutent à la fin de l’été 1918 (à droite).
3
Guerre mondiale
La Gruyère / Samedi 26 juillet 2014 / www.lagruyere.ch
Cette guerre qui a entendu
Bulle chanter «La Marseillaise»
HISTOIRE. La Première Guerre mondiale a cent ans:
elle éclatait le 28 juillet 1914.
FRANCOPHILIE. Bulle et la Gruyère ont vécu
au rythme du conflit, en manifestant un fort soutien
à la France.
CHRONIQUE. Retour sur quelques épisodes locaux
de cet événement mondial.
THIBAUD GUISAN
«Pour nous, Suisses, la guerre
actuelle n’est pas sans précieux
enseignements. On peut constater ce que valent les paroles
mielleuses de paix, de calme et
de travail. Pour la mentalité teutonne, le travail, c’est le fourbissement des armes, et la paix,
l’écrasement du petit et l’asservissement des faibles.» Dans
son édition du 1er août 1914,
La Gruyère commente à sa manière l’embrasement de l’Europe.
Quatre jours plus tôt, le
28 juillet, l’Autriche-Hongrie déclarait la guerre à la Serbie. Le
1er août, l’Allemagne en fera de
même avec la Russie, puis avec
la France le 3 août. Le RoyaumeUni s’en prendra à l’Allemagne
le 4 août. Jusqu’à l’armistice du
11 novembre 1918, Bulle et sa
région vivront au rythme du
conflit. Loin des lignes de bataille, retour sur quelques chapitres locaux de la Grande
Guerre.
gions jurassiennes, les troupes
stationnent massivement dans la
région. Alors que deux bataillons
sont localisés vers Fribourg et
Vuadens, Bulle en héberge trois
autres. «Ces troupes vont donner
à notre contrée un regain de vie
et d’animation», se réjouit La
Gruyère. Sur le terrain, les manœuvres se déroulent dans la
pluie, la neige et le froid. En ville,
le quotidien est marqué par les
allées et venues du matériel d’artillerie, des hommes en armes et
des chevaux.
La première phase de mobilisation prend fin au tout début
du mois de décembre 1914. Le
29 novembre 1914, une grande
parade des troupes a lieu pour
remercier la population de son
accueil. Quatre autres périodes
de mobilisation suivront: de
mars à juin 1915, de février à
septembre 1916, de janvier à
mai 1917 et d’octobre 1917 à janvier 1918.
● UN CENTRE D’ACCUEIL
● UNE VILLE GARNISON
Quand la guerre éclate, Bulle
compte un peu plus de 4000 habitants. En Suisse, la mobilisation générale est décrétée le
1er août 1914, avant l’élection du
général Wille le 3 août. Les soldats gruériens sont rassemblés
à Bulle. Le 4 août, la foule assiste
à leur départ en train.
Bulle retrouve ses soldats à la
mi-octobre 1914, au point même
de devenir une ville garnison.
D’abord engagées dans les ré-
Bulle trouve une nouvelle vocation dès le printemps 1916: la
ville se transforme en centre régional d’internement. Le secteur
gruérien, organisé depuis Bulle,
est dirigé par le major Ernest Allemann. Les 125 premiers prisonniers blessés belges et français débarquent à la gare le
3 mai 1916. Attendus par plus de
3000 personnes, ils défilent dans
une ville enthousiaste. Les écoliers attendent sur le quai avec
des bouquets de fleurs, à côté
le nombre d’internés qui,
en juin 1918, sont stationnés
à Bulle, à Châtel-Saint-Denis et dans
plusieurs localités de la Gruyère.
530
Le 11 novembre 1918, Bulle fête l’armistice, en rendant hommage aux Français et aux Alliés. Plus la guerre avance et plus la Gruyère affiche sa francophilie, notamment au contact de nombreux internés. MUSÉE GRUÉRIEN - CHARLES MOREL
du corps de musique de la ville.
Le syndic Lucien Despond – il a
remplacé Félix Glasson en mars
1915 – prononce un discours au
balcon de l’Hôtel de Ville, avant
une réception officielle.
Le même protocole se répétera jusqu’en mai 1918 et l’accueil des derniers convois. En
1916, près de 300 internés sont
répartis entre Charmey, Montbovon, Gruyères, Châtel-Saint-Denis, La Tour-de-Trême, Grandvillard, Neirivue et Bulle. En janvier
1917, ils sont 275, puis 530 en juin
1918 et 330 en novembre 1918.
Les grands rapatriements débutent à la fin de l’été 1918. Des internés travaillent dans des ateliers de menuiserie (Châtel-SaintDenis), des fabriques de jouets
(Montbovon) et de chaussons
(Charmey), mais aussi dans les
champs. Ils animent aussi la vie
culturelle de la région, en donnant des spectacles et concerts.
Un foyer, faisant office de lieu
de lecture et de détente, ouvre
à Bulle à l’automne 1917, avec
le soutien de l’ambassade de
France.
Un comité de dames – parmi
lesquelles Cécile Despond,
épouse du syndic – s’est formé
pour récolter des dons en faveur des soldats. Mais, plus que
d’argent, ce sont des habits et
de la lingerie dont les soldats
ont le plus besoin. En septembre 1918, La Gruyère souligne la
forte amitié née entre les Gruériens et leurs hôtes: «Ils ont su la
mériter et la fortifier par leur caractère, leur affabilité, leur jovialité, toutes les qualités qui font
aimer la race française.»
● UNE VISITE DE MARQUE
L’année 1917 voit l’entrée
en guerre des Etats-Unis, début
avril. La Gruyère évoque un
«superbe cadeau de Pâques»,
Des liens d’abord commerciaux
ÉCLAIRAGE. Derrière son armée et ses
soldats, la Gruyère – et le sud du canton en
général – n’en affirme pas moins sa francophilie dès le début de la guerre. «Les liens
avec la France sont anciens, rappelle l’historien et professeur de l’Université de Fribourg Francis Python. Ils sont dus au commerce du fromage, développé dès la fin du
XVIIe siècle. De nombreux fromagers ont
aussi émigré en Franche-Comté au XIXe siècle. Ils gardent beaucoup de liens avec leur
mère-patrie.»
Les affinités sont aussi politiques. «Le radicalisme gruérien se nourrit aux idéaux de
la Révolution française», souligne Francis Python. En Gruyère, le soutien à la France est
donc aussi une occasion de se démarquer
par rapport à Fribourg. «Les conservateurs
du régime officiel supportent moins cette
France républicaine anticléricale. Ensuite, le
sud du canton ressent une forte empreinte
germanique chez les patriciens fribourgeois.» Un symbole: durant la guerre, la francophilie est portée par les deux journaux
bullois, La Gruyère radicale et Le Fribourgeois conservateur, qui, d’habitude, ont tendance à s’entredéchirer.
Une loyauté multiple
Plus largement, cette francophilie est
propre à la Suisse romande, en opposition
à des Alémaniques accusés de «trop bien»
comprendre l’Allemagne. Le clivage culturel – les historiens parlent de «fossé moral» – s’est notamment creusé lors de la violation de la neutralité belge (3 août 1914).
«La Suisse romande est aussi solidaire de
l’Alsace-Lorraine. Elle vibre aux batailles
françaises. Mais il faut parler de loyauté
multiple. On peut être patriote et francophile. D’ailleurs, même si on lui a reproché
des affinités trop germaniques (n.d.l.r.: né
à Hambourg, il est apparenté par son mariage à la famille von Bismarck), le général Wille était respecté en Suisse romande.»
De nombreux Gruériens se rendent d’ailleurs à Fribourg le 20 juin 1915 pour saluer
le chef de l’armée suisse qui, selon La
Gruyère, est ce jour-là l’objet «d’une véritable ovation».
Plus la guerre avancera et plus la Gruyère
affichera son soutien à la France. «La présence des internés ravive les liens et en crée
de nouveaux, estime Francis Python. A ce titre, la visite du général Pau est un exutoire.»
Lors de l’annonce de l’armistice, les drapeaux français flottent à Bulle. Un cas particulier? «Non, on assiste à des scènes similaires ailleurs en Suisse romande, répond
l’historien. Dans le canton, c’est certainement le cas en Veveyse, en Glâne et dans la
Broye. Et à Fribourg, les francophones de la
ville vibrent aussi.» TG
La solidarité avec la France prend parfois des formes insolites. Ainsi, à la fin
1917, les syndicats agricoles de la
Gruyère envoient 80 chèvres aux agriculteurs des provinces occupées.
espéré décisif pour l’issue de la
guerre. Car une certaine lassitude gagne la population devant
le prolongement du conflit. Au
quotidien, l’heure est au rationnement des denrées, même si
les régions agricoles souffrent
moins que les villes. La solidarité avec la France reste forte et
prend parfois des formes insolites. Ainsi, à la fin 1917, les syndicats agricoles de la Gruyère
envoient 80 chèvres aux agriculteurs des provinces occupées.
C’est dans ce contexte un peu
morose que s’inscrit un grand
jour: la venue en Gruyère du général français Paul Pau, qui rend
visite aux internés français. Ce
militaire reconnu – il avait refusé
le poste de commandant suprême de l’armée en 1914 – arrive à Bulle le matin du 12 juin.
Le cortège d’accueil est impressionnant. Après la visite des campements de Gruyères, Grandvillard, Neirivue et Montbovon,
le général est reçu à midi dans la
grande salle de l’Hôtel de Ville de
Bulle. Le banquet est inauguré
par La Marseillaise. «Notre petit
pays est un grand ami du vôtre»,
s’exclame le syndic Lucien Despond. L’après-midi, la visite se
termine à Charmey et à la Valsainte, où le général retrouve le
révérend Père Barnabé, un ancien capitaine français. Paul Pau
deviendra membre d’honneur
de la section gruérienne de la
Croix-Rouge fribourgeoise, fondée en septembre 1917. Un arbre, planté au printemps 1918
aux abords de la place SaintDenis à Bulle, témoigne encore
aujourd’hui de sa visite. Il est
flanqué d’une plaque «Arbre du
général Pau - 12 juin 1917».
● LE 11 NOVEMBRE 1918
La nouvelle gagne Bulle vers
midi, le lundi 11 novembre 1918:
l’armistice est signé. Le Conseil
communal lève immédiatement
la séance dans laquelle il se trouvait. Le drapeau suisse et les
bannières des pays de l’Entente
sont disposés au travers de la
Grand-Rue. Les internés participent à la joie collective. Accompagnés d’enfants de la ville, ils
défilent avec drapeaux et entonnent La Marseillaise.
Vers 21 h, le syndic prend la
parole au balcon de l’Hôtel de
Ville, puis la foule chante l’hymne
fribourgeois Les bords de la libre
Sarine, puis… La Marseillaise. A
22 h, vingt-deux coups de canon
célèbrent solennellement l’armistice. «Cette date mémorable sera
gravée profondément dans le
souvenir de toute une génération
qui la conservera comme celle de
l’événement le plus saillant de
l’histoire», s’enflamme La Gruyère, loin d’imaginer un nouveau
conflit mondial, vingt et un an
plus tard. ■
Source principale: François
Murith, Bulle, la Grande Guerre et
le «fossé moral». Chronique d’une
francophilie affirmée, mémoire
de licence, Université de Fribourg,
2009
4
La Gruyère / Samedi 26 juillet 2014 / www.lagruyere.ch
Première
5
Guerre mondiale
La Gruyère / Samedi 26 juillet 2014 / www.lagruyere.ch
Un Brocois dans les tranchées
parmi les «poilus»
RÉCIT. Jules Barras
a combattu de 1914 à
1916 au sein de l’armée
française, avant d’être
condamné pour désertion. Retour sur un parcours rocambolesque.
FRANÇOIS PHARISA
«Mon Général, (…) il faut être
miséricordieux, à ceux qui se
sont comportés comme soldats
et qui, malgré tout, sous les drapeaux étrangers, suivant les
exemples de tout leurs anciens,
continuent, dans les tranchées,
l’épopée des Suisses qui au
cours des siècles, luttèrent sur
tous les champs de bataille de
l’Europe.»
Ces mots, rapportés ici en
version originale, le soldat Jules
Barras les adresse à Ulrich Wille,
général de l’armée suisse, depuis la prison militaire d’Orbe,
où il est incarcéré. La lettre manuscrite date du 11 janvier 1917.
Le prisonnier Barras y raconte
son parcours.
Le document est aujourd’hui
conservé à la Bibliothèque militaire fédérale à Berne. Philippe
Barras, petit-fils de Jules, en
garde précieusement une copie.
L’habitant de La Tour-de-Trême
nous l’a gentiment mise à disposition.
Pourquoi le soldat Barras a-til été réduit d’implorer la magnanimité du général de l’armée
suisse, en se plaçant sous le garant de la tradition séculaire du
mercenariat helvétique?
Jules Barras, originaire de
Chavannes-les-Forts en Glâne,
est né le 12 juin 1884. A la suite
du décès de son père, sa mère
l’a envoyé en pension chez sa
grand-mère, à Broc. Dans le village gruérien, le jeune Barras
fait ses classes et accomplit un
apprentissage de charron.
A 26 ans, en 1910, sur «un
coup de tête», cet artisan délaisse les bords de la Sarine
pour s’installer sur les rives de
la Seine, à Paris. Sans le sou, le
nouvel arrivant enchaîne les petits boulots pendant quatre ans.
A l’été 1914, il est employé dans
une entreprise de camionnage.
L’Autriche-Hongrie déclare la
guerre à la Serbie le 28 juillet.
L’engrenage des alliances est en
marche. Jules Barras apprend la
tragique nouvelle au détour
d’une page de journal. Il n’a
qu’une chose en tête: rentrer en
Suisse le plus rapidement possible dans le but de servir son
pays. Il emporte le peu d’affaires
qu’il possède et s’empresse de
rejoindre la Gare de Lyon.
Mais – «chose inouïe», selon
ses termes – ses compatriotes
de la légation de Suisse à Paris
lui refusent le droit de s’en aller
défendre les frontières de sa patrie d’origine. Il lui manque son
extrait de naissance. Trop peu
pour prouver son incorporation
dans l’armée suisse.
Blessé aux jambes
La menace sur la Suisse dissipée – les Allemands ayant attaqué via la Belgique – Jules Barras rejoint le corps des volontaires suisses au sein de la Légion étrangère, le 22 août 1914.
Suivent trois semaines d’instruction, puis son départ pour
le front. Il sert la France, aux côtés des fameux «poilus», pendant plus de deux ans, sur les
champs de bataille de la Marne
notamment. Il fait alors l’expérience traumatisante des tranchées: la boue, les poux, les rats,
le froid, la peur.
Il subit une blessure aux jambes, causée par des éclats de
balles, mais parvient à échapper
à la mort. Devant cette bravoure, on le fait caporal. Son nom
est même proposé pour la croix
de guerre.
Déserteur dans deux pays
A la mi-octobre 1916, Jules
Barras décide de profiter d’un
congé de six jours pour rendre
visite à ses proches en Gruyère.
Arrivé à Broc, un gendarme
vient l’arrêter. Son méfait? Avoir
fait l’impasse sur deux cours de
répétition, en 1910 et en 1911, et
ne pas avoir répondu à l’appel
au moment de la mobilisation.
Le Tribunal militaire de la 2e division, à Fribourg, le condamne
à cinq mois de prison sous déduction de 50 jours de préventive pour «insoumission et désertion».
Au dos de cette carte postale le représentant avec sa compagnie, Jules Barras (assis tout à droite, dans la 2e rangée depuis le bas, derrière l’homme
à la pipe) écrit à sa maman: «La famille des éclopés de Provins, Seine & Marne. Bon souvenir et Adieu.»
La situation tourne au cauchemar. Le malheureux Barras ne peut plus se rendre en
France. Il y est également frappé
du sceau de déserteur. Comble
de l’infortune, le secours militaire, sous forme d’une somme
d’argent allouée par l’armée
française à sa «vieille mère»,
souffrante, est supprimé. Dès
lors, il n’a d’autre choix que de
remettre son ultime espoir dans
la bonne grâce du général Wille.
Grâce à l’appui du chef de l’armée suisse ou, plus vraisemblablement, par sa bonne conduite,
le soldat Barras est libéré le
14 mars 1917 déjà, soit trois mois
seulement après son incarcération à la prison militaire d’Orbe.
Après la guerre, Jules Barras
revient s’installer à Broc. Engagé
par Nestlé, il s’emploie, jusqu’à
la retraite, à faire tourner les
chaudières de la chocolaterie. Il
se marie en 1920 et devient père
de quatre enfants, une fille et
trois garçons. Jules Barras meurt
en 1967, à l’âge de 83 ans. ■
Ces Suisses de la Légion
A l’instar du soldat Jules Barras, de nombreux
Suisses ont juré honneur et fidélité à la Légion
étrangère, ce corps de l’armée de terre française
réservé aux ressortissants étrangers, le temps de
la guerre. Leurs motivations variaient. «Certains,
établis en France, voulaient prouver leur intégration par le sang, commente Alexandre Elsig, doctorant à l’Université de Fribourg et spécialiste de
la Grande Guerre. D’autres étaient habités par un
idéal de justice, pensant lutter dans le camp de la
liberté contre la prétendue barbarie germanique.
D’autres encore étaient des aventuriers de la
guerre, des mercenaires allant de conflit en
conflit.»
Dès le 21 août 1914, les volontaires étrangers
pouvaient s’engager dans la Légion. A Paris, les intéressés devaient se rendre place des Invalides
pour présenter leurs papiers et passer une visite
médicale. Celle-ci réussie, ils devenaient officiellement légionnaires et se rendaient vers le dépôt auquel ils étaient astreints. Les Suisses étaient basés
au camp de Cercottes, non loin d’Orléans.
Combien étaient-ils au juste, ces Suisses prêts
à mourir pour la France? «Les estimations varient
du tout au tout, du millier à la dizaine de milliers»,
souligne Alexandre Elsig. Jérôme Christinaz, dans
un mémoire consacré au corps des volontaires
suisses (Université de Fribourg, 2010), rapporte,
avec la prudence qui s’impose, qu’environ 2000
Suisses ont contracté un engagement auprès de
la Légion, durant les mois d’août et septembre
1914 à Paris. D’après les chiffres avancés par
l’Œuvre en faveur des volontaires suisses, organisme de bienfaisance actif pendant le conflit, ils
auraient été 6000 à 6500 sur la durée totale de la
guerre.
Et combien d’entre eux ne sont-ils jamais revenus? La page internet du Ministère de la défense
intitulée «Mémoire des hommes» référence les soldats morts pour la France (www.memoiredeshommes.sga.gouv.defense.fr). D’après cette source,
1891 Suisses seraient tombés sur les champs de
bataille. Parmi ceux-ci, la trace de plusieurs Fribourgeois a été retrouvée, notamment celle d’un
Gruérien: Amédée Oscar Schenevey, né le 3 juin
1889, incorporé dans la Légion étrangère en août
1914 à Paris. A en croire sa fiche, ce Marsensois
aurait combattu pendant près de trois ans et demi
sur le front occidental, avant de mourir le 26 avril
1918, à Gentelles dans la Somme. FP
La Grande Guerre dans la pierre et le bois
A Châtel-Saint-Denis, le monument, en bois polychrome, est niché sous l’escalier
menant à l’Institut. CLAUDE HAYMOZ
MÉMOIRE. A Châtel-Saint-Denis et à
Bulle, deux monuments rendent hommage aux soldats fribourgeois morts en
service durant la Première Guerre mondiale. Mais ils renvoient surtout à une fin
de guerre mouvementée.
Dans la nuit du 8 au 9 novembre 1918,
le Régiment d’infanterie 7 (fribourgeois)
est mobilisé et envoyé en urgence à
Berne. Mission des 2000 soldats: veiller
au maintien de l’ordre dans la capitale
dans un contexte social tendu. Une
grève générale, lancée par le Comité
d’Olten, a en effet lieu du 11 au 14 novembre. Les soldats fribourgeois resteront
durant trois semaines à Berne, au plus
fort de la vague de grippe espagnole, arrivée en Suisse à partir de juillet 1918.
Quarante soldats décéderont de la maladie. La mémoire officielle en fera des
héros: des hommes qui, au péril de leur
vie, se sont opposés au danger bolchevique. Ces soldats étant aussi des victimes de la grève.
Des monuments et plaques commémoratives sont installés tous dans les
chefs-lieux de district, excepté à Morat.
Les deux premiers symboles sont posés
à Fribourg en novembre 1920: au bas du
grand escalier de l’Hôtel de Ville et sur la
façade sud de l’église Notre-Dame. A Romont, une plaquette en marbre est fixée
en novembre 1926 sur l’Hôtel de Ville.
Elle a disparu, en même temps que le bâtiment qui lui servait de support.
Le monument de Châtel-Saint-Denis,
une sculpture en bois polychrome nichée sous l’escalier menant à l’Institut
Saint-François de Sales, est inauguré
le 13 décembre 1931. La Société des artilleurs de la Veveyse avait formé un comité chargé de récolter des fonds auprès
de la population. L’œuvre a été réalisée
par Elisabeth Pattay-Python, fille du
conseiller d’Etat Georges Python. Elle
porte l’inscription: «Aux soldats de la Veveyse morts pour la patrie - 1914-1918».
Le monument bullois, du sculpteur
lausannois Milo Martin, est inauguré
le 13 novembre 1932 en contrebas de
l’église Saint-Pierre-aux-Liens avec l’inscription: «La Gruyère à ses soldats morts
au service de la patrie 1914-1919.» La Société des officiers de la Gruyère, en avait
pris l’initiative, en récoltant des fonds
auprès de la population. TG
Source: Laurent Andrey, La mémoire des
«sombres journées de novembre 1918»
à Fribourg. Monuments, rituels commémoratifs et perpétuation d’un mythe politicomilitaire, mémoire de licence, Université
de Fribourg, 2002