Transfert de militantisme et diffusion d’une expertise

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Transcript Transfert de militantisme et diffusion d’une expertise

Transfert de militantisme
et diffusion d’une
expertise profane sur le
VIH/sida
Le rôle des réseaux associatifs
Nord/Sud au Sénégal
Par Anthony Billaud
EHESS, Centre d’études africaines (Ceaf)
Contact : [email protected]
Foucault et / ou Baudrillard…
« Encore une fois, ce livre n’est pas écrit pour une médecine contre
une autre, ou contre la médecine pour une absence de
médecine. Ici, comme ailleurs, il s’agit d’une étude qui essaie de
dégager dans l’épaisseur du discours les conditions de son
histoire. »
M. Foucault, Naissance de la clinique, 1963
« Contre la vision fonctionnelle de Foucault en termes de relais et
de transmissions, il faut dire que le pouvoir est quelque chose
qui s’échange. Pas au sens économique, mais au sens que le
pouvoir s’accomplit selon un cycle reversible de séduction, de
défi et de ruse (ni axe, ni relais à l’infini : un cycle.”
J. Baudrillard, Oublier Foucault, 1977
A Billaud - Ceaf
3
SOMMAIRE
1.
2.
3.
L’internationalisation des associations de
lutte contre le sida et ses enjeux pratiques :
une épidémie qui touche le « Sud » et des
moyens (financiers, techniques, médicaux)
au « Nord »
La transformation des pratiques de santé et
de militantisme par les réseaux associatifs
transnationaux
Réactions locales à partir du cas
sénégalais : « Exit, Voice and loyalty »,
Rejet, appropriation / adaptation,
transformation
A Billaud - Ceaf
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INTRODUCTION
• Le Sénégal comme « Terrain de jeux des ONG » et
comme « laboratoire associatif » : le cas de la lutte
contre le VIH
• Cadre
théorique
:
socio
anthropologie
du
développement (Olivier de Sardan, 1995), sociologie de
la santé (Carricaburu et Ménoret, 2005) et sociologie
des mouvements sociaux (Neveu, 2005)
• « L’empirisme irréductible » (Schwartz, 1992) :
méthodes et terrain
• Postures du jeune chercheur : l’ambiguïté d’un
engagement : Travailler SUR les associations ou
travailler POUR les associations ? Récit d’une relation
complexe avec les acteurs associatifs français et
sénégalais engagés dans la lutte contre le sida
A Billaud - Ceaf
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1. L’internationalisation des associations de lutte contre le sida et
ses enjeux pratiques : une épidémie qui touche le « Sud » et des
moyens (financiers, techniques, médicaux) au « Nord »
1.1. Les causes de l’internationalisation
1.2. Les enjeux de l’internationalisation
1.3. Le cas de Aides et de son Programme
Afrique : le « Réseau Afrique 2000 » et la
diffusion des "tools that work" dans la
gestion du sida en Afrique
A Billaud - Ceaf
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1.1. Les causes de l’internationalisation
1. La « réalité géographique » du VIH/sida
2. Des associations à la recherche de nouveaux
terrains d’intervention
3. La variable « légitimité » (Boltanski, 2000)
4. Le plaidoyer international et ses implications
5. La variable financière (Siméant, 2005)
6. La mondialisation des échanges (Thévenot,
2000)
7. La variable nationale : les populations
immigrées en France touchées par le VIH
(Mbaye, 2009)
A Billaud - Ceaf
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Campagne de Aides sur le sida en Afrique
A Billaud - Ceaf
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1.2. Les effets de l’internationalisation
• Une mise en réseau constante
• « Circulation des acteurs et évolution des
pratiques »
• Un schéma Nord/Sud en évolution
• Dynamiques de transformation des pratiques
– Normalisation sanitaire : diffusion et transmission
du savoir médical ET du savoir profane ; les
experts d’expérience transnationaux
– Transfert de militantisme : la « bonne façon » de
s’organiser collectivement
A Billaud - Ceaf
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1.3. Un cas d’école : le Programme Afrique de Aides et les
« tools that work » dans la gestion du sida en Afrique
• Le programme Afrique de Aides
• Bref historique du « Réseau Afrique
2000 »
• Les objectifs affichés du réseau
• Les missions du réseau
• Les activités du réseau
• Réussites et échecs
• Le Sénégal : le « mauvais élève »
du réseau
A Billaud - Ceaf
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2. La transformation des pratiques de santé et de
militantisme par les réseaux associatifs transnationaux
2.1. Cadre des dynamiques de
transformation
2.2. Transfert de militantisme :
causes et impacts
2.3. Diffusion d’une expertise
profane : moyens et limites
A Billaud - Ceaf
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2.1. Cadre des dynamiques de transformation
• Mise en relation de mouvements sociaux
(Neveu, 2005) différents (historique,
capital social, financier, technique)
• Confrontation de répertoires de légitimité
différents
• Interactions et interrelations liées à un
schéma inégalitaire de domination entre
« Nord » et « Sud » : prendre en compte
ce modèle mais le dépasser (stratégies
des acteurs locaux : détournement,
manipulation) :
– Ne pas négliger « les ressources considérables dont
disposent les acteurs locaux » J.P. Olivier de Sardan
A Billaud - Ceaf
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2.1. Tableau récapitulatif des asymétries /
inégalités des formes d’action collective
Histoire
Répertoire de
légitimité
Capital social
Capital
technique
Capital
financier
Fonction pour
les membres
A Billaud - Ceaf
Aides
Bok Jef
1984
1999
Expert d’expérience Expert d’expérience
Fort
Faible
Fort
Faible
Fort : millions
d’euros
Faible : milliers de
FCFA
Auto support, entraide,
empowerment, pouvoir
médical
Auto support, entraide,
survie économique
(support matériel)
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2.1. Schéma simplifié et (simplificateur) du
processus de transfert
Réseau Afrique 2000 = mise en relation de modèles différents
Mise en relation inégalitaire / domination
Dynamiques de normalisation : corpus de valeurs et guide bonnes pratiques
Réunions, formations, évaluations
Transfert effectif
Transfert problématique
Relations normalisées
Relations conflictuelles
Poursuite des transferts
Suspension / exclusion
Nouveau processus de normalisation
Soutien pour la réintégration
Réhabilitation
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2.1. La méthodologie pratique du transfert
• La production de normes sur les formes de
militantisme et sur la gestion du sida
• Faire naître un consensus autour de valeurs
et de normes : réunions et « négociations »
• Mettre en place des barrières d’entrée
– Corpus de valeurs « Favoriser le transfert des savoir-faire
associatifs des membres tout en les adaptant aux réalités locales »
– Critères d’adhésion au réseau
• Mettre en place un suivi du transfert
– Atelier de "validation des normes et directives"
• Mettre en place des sanctions en cas de non
respect des valeurs
– Les évaluations sur le terrain
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2.2. Transfert de militantisme : causes et impacts
• Postulat : logiques d’engagement des acteurs
associatifs du Nord et du Sud différents
– Répertoires de légitimité différents (vécu, technique,
médical, militant)
– Relations avec l’Etat (contre pouvoir ou partenaire)
– Relations inter associatives (conflictuelles ou
consensuelles)
– Impacts de l’engagement : survie / mobilisation
– « Visibilisation » des PvVIH
– Vision réaliste (R.I.): une volonté « d’attirer » de
nouveaux donateurs ?
• Schéma Top/Down de transmission : « tools
that work »
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2.2. La « bonne façon » de se mobiliser
collectivement contre le sida
• Le modèle du malade comme
« réformateur social » (Defert, 1989)…
• … et ses limites dans le cas de
l’Afrique (Cornu, 1996)
– « Il est difficile de transposer la théorie du
réformateur social en Côte d’Ivoire : l’état
de la société rend complexe l’accès au
savoir et au pouvoir pour les associations,
tandis que la volonté de réformer a du mal
à être actualisée » (1996 : 146)
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2.3. Diffusion d’une expertise profane
• Qu’est-ce que l’expertise profane ?
• Double définition à partir des Travaux de
Epstein (1995) et V. Rabeharisoa (2009)
– Désenclavement du monde bio médical (Dodier,
2003)
– Capacités des non spécialistes à acquérir des
compétences spécifiques : discussions d’égal à
égal avec les experts de la santé - capacités
d’apprentissage
– Obliger les spécialistes à prendre en compte
l’expérience des malades : experts d’expérience
Expertise profane : central dans lutte contre
le sida (maladie chronique)
A Billaud - Ceaf
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L’expertise profane à travers les
travaux d’Epstein
« S. Esptein shows, how, faced with the multiple factors and pressures
which structure the conduct and meaning of a clinical researchers and
biostatisticians, the social construction of hype, the marketing
strategies of pharmaceutical companies and the incentives to which
they respond, the complicated role of practising physicians in
interpreting the data produced by clinical trials, etc.), certain activists
succeeded in being credible speakers about science. They did so, in
part, in the language of biomedicine to demand that molecules be
made accessible to them on the basis of their perceptions. In this way
they managed to obtain acceptance of the rate of CD4 as surrogate
markers of the disease, as well as the implementation of compassion
trials. S. Epstein shows the long process in which patients learn about
and appropriate science, from the reading of scientific articles to
participition in specialiszed conferences. At Act Up New-York this
process even led to temporary scission between « lay experts » and
« lay lay » patients within the organization, in which the latter accused
the former of losing sight of their identity as patients » (Esptein, 1995).
Cité par Rabeharisoa et al., 2008.
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2.3. Diffusion d’une expertise profane au sein
du Réseau Afrique 2000
Les fondements du réseau et ses rapports avec l’expertise
profane
•
Faire accepter la place de la société civile dans la lutte contre le sida
(prendre en compte les experts profanes)
•
Encourager la mobilisation communautaire pour préserver la dignité
des personnes touchées (mobilisation collective)
• Renforcer la collaboration entre personnes vivant avec le VIH et
professionnels de santé (discussion d’égal à égal)
• Créer des savoirs collectifs sur le VIH (production d’un savoir spécifique)
La formation des acteurs du Réseau Afrique 2000
Dimension centrale du travail du réseau : centre Donya au Mali
« Acteurs communautaires en prise avec les changements constants de
la réalité du terrain »
Quarantaine d’acteurs formés qui « diffusent activement les bonnes
pratiques de prise en charge du VIH/sida »
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2.3. Exemples d’isomorphisme discursif
sur la bonne gestion du sida au Sénégal
« Il faut renforcer les capacités des
PvVIH, améliorer leur dicibilité et leur
acceptation dans la société »
« Moi, j’ai beaucoup souffert à la suite
de ma découverte de ma
séropositivité. Toute ma famille m’a
tourné le dos, je suis seule avec ma
fille, mais j’ai maintenant la force de
me battre pour les autres »
« Impliquer les malades, c’est leur
permettre de prendre en charge euxmêmes leur maladie, de se construire
avec et malgré elle »
« Les associations doivent être
autonomes, car c’est une des
conditions pour que les malades
prennent en charge leur maladie, et
qu’ils l’acceptent aussi »
« Ce qu’il faut, c’est avoir nos propres
financements, sans dépendre de
personne. Comme ça on met en
place nos programmes, et on aide
encore plus de malades »
« Nous on travaille surtout avec les
malades, car moi j’y suis moi même,
et je sais ce que c’est…Il est clair qu’il
n’y a que nous qui pouvons trouver
des solutions »
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3. Réactions locales à partir du cas sénégalais: « Exit, Voice,
Loyalty » - Rejet, Adaptation, Intégration (assimilation)
3.1. Modélisation des réactions des
acteurs locaux
3.2. Historique des relations entre le
Réseau Afrique 2000 et le Sénégal :
intégration et exclusion, In / Out
3.3. Analyse à partir d’un critère
d’adhésion « ambigu » : l’indépendance
et l’autonomie des associations locales
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3.1. Modélisation des réactions des acteurs locaux
• Modèles théoriques :
– « L’espace des possibles face à un
mécontentement » (Hirschmann, 1970) : Exit
(défection), Voice (prise de parole) and Loyalty
(loyauté)
Agrégation avec Appropriation, transformation, rejet
 Modélisation simplificatrice : frontières
poreuses entre les différents modèles
 Difficultés d’analyse, in situ, de ces
modes d’appropriation
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3.2. Histoire des relations entre le Réseau Afrique
2000 et le Sénégal : intégration et exclusion, in / out
1997 : Création du Réseau Afrique 2000
1998 : Intégration de 3 associations sénégalaises : ANCS,
Enda Santé, ASSASFA
1999 : Création de l’association Bok Jef
2000 : Exclusion des 3 associations sénégalaises lors du
regroupement à Ouagadougou (Burkina - Faso)- Conflits
avec ONUSIDA autour du financement d’un centre communautaire
2003 : Décision sur l’intégration de Bok Jef
2004 : Première mission d’évaluation au Sénégal
2007 : Suspension de Bok Jef pour 6 mois - Conflits sur l’autonomie
de l’association et sur son engagement militant
2008 : Prolongation de la procédure de suspension- Conflits
autour du leadership de l’association
2009 : Nouvelle mission d’évaluation et tentatives de
réintégration de Bok Jef dans le Réseau Afrique 2000
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3.3. Analyse à partir d’un critère d’adhésion « ambigu » :
l’indépendance et l’autonomie des associations locales
• Critère inspiré de l’expérience de Aides en
France : a permis des programmes innovants
et illégaux
• Situation locale différente : « participation
décrétée » (Mbodj, 2007)
• Un cas d’école avec l’association Bok Jef
• Locaux dans CHUN, Service des maladies infectieuses,
Centre de Traitement Ambulatoire
• Efficacité locale : suivi des PvVIH, liens forts avec l’IRD
• Conflit avec le Réseau Afrique 2000 : injonction pour avoir
un local propre
• Suspension du réseau car délais dépassés
• Application du critère : locaux à Grand Yoff ; problèmes au
niveau local (perdus de vue, isolement…)
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3.3. Discours asymétriques des militants de Aides et de
Bok Jef à la suite de l’exclusion de Bok Jef
Aides
Bok Jef
1. « Il y a un leurre sur la communication
1. « Nous, cela fait plus de 8 ans que l’on
travaille avec les malades et nous
soutenons plus de 2000 personnes
chaque année, avec des activités de
sensibilisation, d’accompagnement et
de soutien » (Vice président)
2. « Quand on a su qu’on était exclu du
Réseau, on était un peu désespérés,
car on avait vraiment essayé de
trouver un nouveau local (…) Et
comment on va faire nous, si on est
exclut du réseau ? » (Trésorier)
3. « On aurait bien aimé leur montrer
notre travail, mais quand ils sont
venus, ça ressemblait vraiment à une
enquête, et c’est pas ce que l’on
attendait d’eux (…) Ils ne viennent
qu’une journée par an pour nous
évaluer, et leur évaluation
c’est…Enfin, ils ne peuvent pas se
rendre compte de notre travail »
qu’ils nous ont fait. L’association n’est
pas assez vivante et pas assez
impliquée dans la prise en charge
des malades » (Responsable Programme
internationaux)
2. « Il faut relativiser la suspension de Bok
Jef, car ils ont d’autres partenaires et
je ne pense pas que cela a été une
grosse perte pour eux. Le Réseau
Afrique 2000 n’était qu’une petite plus
value » (Chargée de mission internationale)
3. « On ne peut pas parler "d’évaluation »
comme ça, il ne s’agit pas
d’évaluation. Quand on va sur place,
c’est pour rencontrer les acteurs
locaux, discuter avec eux, voir ce qui
pourrait être fait ensemble pour les
personnes touchées » (Chargé de mission
Pays en Développement)
(président)
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Conclusion : pistes de recherche
• Repenser le concept de « réseau » : présence de
relations hiérarchiques. Cf travaux de Lazega ou Granevotter sur
l’analyse de réseaux
• Confrontation entre savoir médical, savoir profane des
experts d’expérience
• Difficulté méthodologique pour analyser, in situ, les
transferts
– Partie visible
– Partie immergée
• Ce qui se joue dans l’interaction Nord/Sud : approfondir
les travaux
• Place centrale des réseaux associatifs Nord/Sud dans
lutte contre le sida : les politiques publiques de
coopération s’en inspirent : cas du GIP Esther
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Références bibliographiques
•
•
•
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•
•
•
•
•
Akrich M., Méadel C., Rabeharisoa V., 2009, Se mobiliser pour la santé. Des
associations de patients témoignent, Paris, Presses Mines ParisTech
Billaud A., 2009, « Travailler sur les associations, travailler avec les associations
: l’ambiguïté d’un engagement dans la lutte contre le sida au Sénégal »,
A.N.R.S., Coll. Sciences Sociales.
Boltanski L., Thévenot L., 1991, De la justification : les économies de la
grandeur, Paris
Carricaburu M., Ménoret M.,2005, Sociologie de la santé, Paris
Cornu C., 1996, Les associations de PvVIH à Abidjan, Côte d’Ivoire : le malade
du sida, réformateur social en Afrique Sub Saharienne, Bordeaux, IEDS
Defert D., 1989, « Un nouveau réformateur social : le malade », Vème
conférence internationale sur le sida, Montréal.
Dodier N., 2003, Leçons politiques de l’épidémie du sida, Paris, EHESS
Hirschmann E., 1970, Défection, prise de parole et loyauté, Paris, Fayard
Neveu E., 2005, Sociologie des mouvements sociaux, Paris, PUF
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Remerciements
L’équipe de l’UMR 145 de l’IRD
Le Centre de recherche régional sur
les essais cliniques du CHUN de
Fann-Dakar
Les membres de l’association Aides
Les membres des associations
dakaroises avec qui j’ai collaboré,
notamment les associations
présentes au CHUN
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