Les politiques publiques de télécommunications modernes au Mali

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Les politiques publiques de télécommunications modernes au Mali : la téléphonie mobile en question

Naffet Keita

• L’hypothèse de travail: à l’indépendance, les communications internationales au Mali étaient sous l’emprise de l’ancienne puissance colonisatrice jusqu’à la réforme qu’a connu le secteur dans la décennie 80 ; l’arrivée de la téléphonie mobile a consacré davantage le retour de cette puissance à travers les oligopoles tels France Telecom, Vivendi et Monaco Telecom.

• Un tel contexte requiert une analyse fine des politiques publiques pour rendre compte des enjeux qui tournent autour des télécommunications modernes au-delà des embellis chantés ici et là. • Les débats sur les nouveaux instruments de politiques publiques requièrent l’articulation entre leurs différentes expressions sectorielles (sociales, industrielles, technologiques, agricoles, environnementales, etc.) et réinterrogent le rôle et les modalités de l’intervention de l’État et des autres catégories d’autorité publique. Aujourd’hui, les politiques publiques cherchent à atteindre des objectifs à la fois sectoriels et transversaux. C’est pourquoi la question doit être traitée simultanément dans ces deux optiques. • Les politiques publiques en matière de télécommunications sont au cœur de l’action des Etats africains en général et malien en particulier, parce qu’elles couvrent des domaines essentiels pour le développement (échanges interpersonnels, économie, sécurité, santé, etc.).

• • • L’histoire des télécommunications modernes au Mali remonte de la création de l’Office des Postes et Télécommunications (OPT), le 29 novembre 1960. L’OPT avait pour tâche de gérer les télécommunications nationales et les services postaux. En janvier 1965, le gouvernement du Mali et France Câble Radio (FCR) constituèrent les Télécommunications Internationales du Mali (TIM) avec 65% pour le Mali et 35% pour la FCR. Plus tard en 1989, un programme de réhabilitation pour les services publics des Postes et Télécommunications y compris les Chèques Postaux (CCP) et la Caisse Nationale d’Epargne (CNE) a été mis sur pied dans le cadre du programme de restructuration du secteur des entreprises publiques.

• l’Office des Postes et Télécommunications en trois (3) entités distinctes : • • • - la première regroupait les Services de Télécommunications de l’ex-OPT et la Société des Télécommunications Internationales du Mali (TIM) au sein d’une Société d’Etat dénommée Société des Télécommunications du Mali (SOTELMA) ; - la deuxième regroupait les Services Postaux au sein de l’Office National des Postes (ONP) ; - la troisième était constituée des Chèques Postaux et de la Caisse d’Epargne sous le nom de Société des Chèques Postaux et de la Caisse d’Epargne (SCPCE).

• • Avec la séparation des entités exploitant les services des Postes et celles exploitant les services de télécommunication, des sociétés d’Etat émergèrent dans l’exploitation des services de télécommunications ; c’est le cas de l’ONATEL au Burkina, de CITELCOM en Côte d’Ivoire, de la SOTELMA au Mali et de la SONATEL au Sénégal, entre autres. La SOTELMA, opérateur unique, possédait ainsi un quasi monopole sur les réseaux et services des télécommunications (les services télégraphique, téléphonique, télex et la transmission de données).

• • • En 1996, pour jouer son rôle d’opérateur historique monopolistique, la SOTELMA adopta l’implantation du système analogique AMPS (Advanced Mobil Phone Système). Mais ce système se révéla très vite obsolète et défaillant, à cause de sa vulnérabilité au piratage des appels et des interminables encombrements et en conséquence plus de la moitié des appels n’aboutissaient pas. Pour résoudre ces problèmes techniques, il a fallu recourir à un autre système plus moderne, le réseau mobile en lieu et place du système numérique : GSM (Globale System Mobil). C’est ainsi que fut créé en octobre 1999, Malitel S.A.

Pour la création de Malitel, la SOTELMA était l’actionnaire principale avec 56% tandis que la SOGETEL (Société Générale des Télécommunications) détenait 44% du capital. Après une négociation soutenue entre le gouvernement malien et la SOGETEL aboutissant à un accord qui permit la cession des actions des privés à Malitel S.A. et, par conséquent, sa filialisation à 100% à la SOTELMA.

Le réseau mobile GSM de type GSM-900 exploité par MALITEL (succursale de la SOTELMA) avait une capacité de 70 000 lignes dont 10 000 post-payées. Il couvrait Bamako et quatre (4) capitales régionales.

• • La particularité du Mali réside dans le fait que cet ordre n’a pas été respecté : le gouvernement a procédé à l’ouverture du marché avant de terminer la privatisation de la SOTELMA. Cela a eu des répercussions lourdes sur le processus de réforme du secteur. Il est utile à ce point de préciser la différence entre la libéralisation et la privatisation qui sont deux notions totalement distinctes mais prêtant à confusion. La libéralisation, qui peut être considérée comme synonyme d’ouverture à la concurrence, est une option de stratégie commerciale et de développement. Elle correspond à un concept économique supprimant l’exclusivité de l’exploitation des services de télécommunications à une seule entité quel que soit son statut juridique. Elle induit l’idée de concurrence entre plusieurs institutions ou entreprises étatiques, entre plusieurs sociétés privées ou entre des sociétés privées et des entreprises étatiques. La privatisation quant à elle consiste en un changement de statut juridique d’une entité préalablement étatique. Il peut donc y avoir privatisation sans introduction de la concurrence, ce qui pourrait avoir des conséquences négatives car on passe d’un monopole public à un monopole privé (cas de la SONATEL au Sénégal).

• • • • • • La dernière décennie a vu la vague de réforme du secteur des télécommunications toucher plusieurs pays de la sous-région, en deux étapes bien distinctes et dans l’ordre : première étape : la privatisation de l’opérateur historique au profit du monopole ; deuxième étape : la libéralisation du secteur. Cette étape a été franchie selon trois cas de figure principaux : 1. privatisation sans appel d’offre au profit des opérateurs historiques des anciennes colonies : ce sont les premières privatisations, par exemple au profit de Portugal Télécom en Guinée Bissau et de France Télécom en Centre Afrique ; 2. privatisation avec appel d’offres : c’est l’engouement vers les opérateurs plus prometteurs, comme ceux du Sénégal et de Côte d’Ivoire au profit de France Télécom, ceux du Ghana et d’Afrique du Sud au profit de Télécom Malaysia ; 3. essais de privatisation mais pas de repreneurs : après l’éclatement de la bulle financière et la fin de l’euphorie sur les télécommunications et les nouvelles technologies les opérateurs candidat au rachat n’ont plus beaucoup d’argent à investir ; c’est le cas du Cameroun et du Burkina Faso. La particularité du cas malien mérite qu’il soit traité à part.

• • Chacun de ces cas de figure a pu dans plus d’un pays se changer en un quatrième cas : celui des repreneurs qui ont failli à leurs engagements, comme par exemple Télécom Malaysia au Ghana ou ZTE au Niger. Sur le plan historique donc, le contexte régional des télécommunications a beaucoup évolué. Au sortir des indépendances, les services des télécommunications étaient des services administratifs des Etats. Par la suite, l’évolution technologique et les impératifs de compétitivité ont amené les Etats à concéder une certaine autonomie de gestion aux services des Postes et Télécommunications et ce fut l’époque des Office des Postes et Télécommunications qui sont des EPIC (Etablissement Public à Caractère Industriel et Commercial).

• • Le secteur naguère placé sous la tutelle exclusive du Ministère de la Communication connaîtra un changement. A cette année-là, une orientation vers la privatisation fut esquissée sous l’impulsion de la Banque mondiale et du FMI. L’État malien cédera alors une partie du capital de la SOTELMA aux salariés (10%) et le secteur privé (44%) et pour ne détenir que 46 %. En outre dans la même année, plus précisément en mars 2001, le secteur est ouvert à la concurrence sans la privatisation préalable de la société. En août 2002, la Sonatel, filiale du groupe français France Télécom, a investi avec ses fonds propres et l’aval de son actionnaire (42,33% des parts) pour répondre à l’appel d’offre lancé par l’État malien, la société Ikatel S.A., à un coût de 30 milliards de FCFA (47,7 millions d’euros). Avec un capital de 26 milliards FCFA (39,6 millions d’euros). Ikatel devient alors le deuxième opérateur de GSM au Mali; une société anonyme de droit malien inscrit au Registre de Commerce du Mali et du Crédit Immobilier de Bamako

• • • Le réseau mobile GSM d’Ikatel S.A., en devenant opérationnel depuis février 2003 dans le district de Bamako, couvrait 11 localités dont sept (7) capitales régionales en fin mars 2004. Le nombre de lignes en GSM annoncé par Ikatel S.A. était de 315 000 en septembre 2004, ayant dépassé de très loin le nombre de lignes de MALITEL en un an et demi d’activité.

Le réseau téléphonique de la SOTELMA était organisé, avant que Maroc Télécom, filiale de Vivendi, ne détienne 51% de son capital, autour de 32 centres téléphoniques (près de 180 milliards de FCFA).

C’est ainsi que le téléphone mobile qui, jadis, était un luxe au Mali et en particulier à Bamako, deviendra à un rythme vertigineux un outil de communication pour le citoyen lambda.

• Comme mentionné ci-dessus, l’espace de la téléphonie mobile était, depuis 2002, partagé par deux opérateurs que sont la SOTELMA-Malitel et Orange Mali (ex- Ikatel S.A.) jusqu’à l’octroie d’une troisième licence à Alpha Telecom et associés. • En fait, la concurrence entre les deux premiers opérateurs téléphoniques et les politiques étatiques ont consacré l’accès du téléphone portable à un plus grand nombre de Maliens. Ainsi la thèse stipulant que : « L’intensité concurrentielle est (…) le facteur

principal expliquant les degrés d’adoption des télécoms par la

population » est fortement corroborée par les faits à Bamako et dans les localités couvertes par les réseaux. Et aujourd’hui, le téléphone s’est immiscé dans tous les domaines socio-économiques en fondant la « Phone culture » au Mali.

• • En ce qui concerne les données récentes, le parc mobile est essentiellement composé de clients prépayés qui représentent 99,99% du parc mobile total à la fin 2011 et leur nombre n’a cessé de croître au cours des dernières années. Ainsi, en 2011, ORANGE Mali S.A. disposait de 59,6% du parc mobile au Mali et la SOTELMA S.A. ne servant que les 40,4% restants. Aujourd’hui, le nombre d’abonnés mobile a franchi la barre symbolique de 10 millions avec un nombre de clients identifiés de manière sommaire de plus de cinq (5) millions du parc prepaid total. A noter que l’identification de manière complète n’est réalisée que pour 10% des abonnés à la téléphonie mobile (AMRTP, 2011 : 14).

• • Dans le secteur des télécommunications, les unions se multiplient entre les opérateurs, pour faire face à une concurrence accrue et pour s’adapter aux mutations technologiques liées au mariage du téléphone fixe et du portable, de l’Internet et de la télévision.

La fin du mouvement de consolidation qui a suivi la grande phase de libéralisation des années 1990, les mutations technologiques et la convergence entre le monde des télécommunications, des medias et de l’Internet dans une industrie à forte intensité capitalistique, où les délais de retour sur investissement sont relativement longs, conduisent cependant à redouter le risque de voir se reconstituer un marché très concentré.

Conclusion

• Depuis plus d’une décennie, comme dans les autres pays de la sous région, le développement des télécommunications au Mali semble devoir passer par la réforme du secteur, encouragée par la Banque Mondiale. Certains y voient une façon d’enrichir l’offre de services et de faire entrer dans le pays les capitaux importants nécessaires pour la mise à jour technique des équipements et la desserte d’une plus grande partie du territoire ; d’autres y voient la fin du service public et donc le début d’une époque où les zones les plus développées jouiront de services de plus en plus performants, alors que les zones mal desservies aujourd’hui le seront encore plus dans le futur.

• • La communication à travers les télécommunications est apparue plus récemment dans le paysage des politiques publiques, en raison des réactions de repli face à la mondialisation et de l’essor considérable qu’a connu la téléphonie mobile, mais aussi en raison de leur potentiel économique. Les politiques publiques en matière de télécommunications sont significatives des tensions entre le local, le national et le global, mais aussi entre le politique, le territoire, le social et l’identitaire.

• A noter que ces diverses restructurations n’émanent pas fondamentalement des choix publics nationaux. Ceux-ci ont été influencés par plusieurs raisons historiques et géopolitiques (en ces jours, la Chine est à la recherche de pétrole et d’uranium et fait une percée remarquée en Afrique subsaharienne), économiques (le continent est un marché prometteur) et sécuritaires : la pauvreté et les inégalités sont désormais perçues comme un terreau sur lequel se forment de nouvelles menaces comme la montée du radicalisme politique ou religieux (le salafisme dans l’espace Saharo-sahélien entre autres).

• • A ces différentes considérations qui poussent, non plus des pays d’Occidentaux mais, les oligopoles à s’intéresser aux pays d’Afrique, se greffe une croissance démographique très forte qui a un impact direct sur la pauvreté et l’exclusion (sociale, éducative, professionnelle, sanitaire, etc.) qui, toutes deux, se sont accrues sous l’effet de la mondialisation. Dans ce contexte, les politiques publiques recouvrent progressivement, à la fois, un surcroît de légitimité et de « domination », car elles doivent aider à relever les enjeux sociaux et humains auxquels le continent est et sera confronté dans l’avenir tout en préservant les liens avec, non pas cette fois-ci avec les anciennes puissances colonisatrices, les oligopoles constituées dans ces pays.

Photo 1 : Siège de Malitel au Centre commercial de Bamako en commune III, nov. 2009 (cliché Seydou Magassa)

Siège d’Orange Mali en commune IV à Siège d’Hamadallaye ACI, nov. 2009 (cliché Seydou Magassa).

Une Malienne arborant les couleurs de la France avec deux téléphones en main, le 02 février 2013. © ERIC FEFERBERG / AFP