Marat assassiné

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Etude d’un tableau n°2
« Marat assassiné »
Jacques Louis David 1793
Jean Paul Marat était un des principaux animateurs de la gauche « montagnarde ». Il s ’est
rendu célèbre pendant la révolution par son activité journalistique et par son journal « L ’ami
du peuple » (qui deviendra par la suite son surnom personnel). Il mena un combat politique
contre le roi puis contre les girondins. Le 14 avril 1793, ces derniers l ’accusent mais Marat
est triomphalement acquitté par le tribunal.
Le 13 juillet 1793, alors qu ’il prenait un bain pour soigner son eczéma, il est assassiné par
Charlotte Corday (il finit par l ’accueillir tard dans la soirée alors que cette dernière avait
demandé dès le matin à être reçue), liée au milieu girondin.
Les historiens de l ’art ont parlé de « pietà républicaine » en évoquant ce tableau, en raison
de l ’intensité religieuse qu ’il dégage. Alors que la France traverse une période de
déchristianisation marquées par des actes forts de la part du pouvoir (calendrier
révolutionnaire, constitution civile du clergé, démantèlement de grands centres religieux
comme Cluny, Jumièges etc ...) , les codes picturaux demeurent : souffrance extatique,
stigmates, figure du martyre etc ...
A travers ce tableau, on ressent la douleur sincère et poignante du peintre. David est chargé
de la mise en scène des funérailles. Marat est exposé dans une baignoire en porphyre (roche
des empereurs), torse nu, montrant sa blessure mortelle. Cette oeuvre a été offerte le 14
novembre 1793 par David à la convention, mais sa force politique amène le régime de
réaction bourgeoise (Convention thermidorienne) à le déposer comme le modèle
d ’héroïsme que le tableau impose était beaucoup trop fort et culpabilisant.
« Marat assassiné » ou « La mort de Marat » est exposé au musée de Louvre
Ombre
Lumière
Mort
Vie
abandon
Travail
La lumière est orientée
de façon à mettre en
valeur la pâleur du
martyr, la mort au
travail. Cette lumière
focalise le regard du
spectateur.
1
Le bain est un moment
délicat et problématique,
de
la
Renaissance
jusqu’au
début
du
XIXème siècle. D’abord
on se baigne très peu car
les pores dilatés par l’eau
chaude sont les portes par
lesquelles entrent les
germes et les maladies.
Le
bain
est
essentiellement à des fins
thérapeutiques (Jean Paul
Marat souffre d’eczéma).
C’est une épreuve après
laquelle le corps est
affaibli, ce qui ajoute à la
lâcheté de l’acte.
Le drap dans lequel
Marat sera exposé lors de
la cérémonie funéraire, le
14 juillet 1793, permet à
David de faire la
démonstration de son
talent par un drapé
élégant et classique. Ici,
on peut véritablement
parler de linceul, taché de
sang,
ajoutant
à
l’atmosphère religieuse
qui se dégage du tableau.
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La couleur verte était peut être la véritable couleur de la couverture servant de
sous-main à Marat (même si les gravures et estampes de l’époque font état d’une
baignoire sabot sans véritable appareillage d’écriture) Toujours est-il que
l’historien Michel Pastoureau attribue au vert une symbolique liée à l’aléa, au
hasard, au destin. Couleur changeante, capricieuse et difficile à fabriquer, elle est
aussi la couleur du diable (et comme par hasard, celle de l’Islam puisque c’est au
Moyen âge que se met progressivement en place cette convention attribuant le
vert au diabolique). Elle est devenue par la suite la couleur de l’étrange : les
martiens et vénusiens sont verts comme chacun sait ! On retrouve encore de nos
jours l’idée de hasard et de destin associée au vert : tapis vert du casino, table de
ping-pong, terrain de tennis synthétique, le PMU etc …
Le drap est rapiécé : pièce discrète mais qui apparaît néanmoins assez nettement. Elle suggère l’austérité dans laquelle vivait
« L’ami du peuple », rappelant ainsi les héros de la Rome républicain dont on louait la vertu et l’austérité. C’est exactement
le sens aussi du défaut sur la caisse grossière en mauvais bois servant de chevet à Marat.
Le linceul est tâché de sang et l’eau est un véritable bain de sang.
Ces codes sont familiers pour n’importe quel spectateur chrétien
et / ou de culture occidentale : le christianisme est une religion de
la douleur, dans laquelle la souffrance est rédemptrice. La
violence du rouge s’oppose à la pâleur du visage.
Jean Paul Marat était un homme d’écriture puisqu’il
était journaliste (et médecin de formation). C’est en tout
cas ce qui se dégage à première vue du tableau
(l’encrier, la plume et les feuilles de papier). La lettre
qu’il tient en main émane de Charlotte Corday,
partisane des girondins originaire de Normandie. Cet
écrit, par lequel cette dernière annonce sa visite,
témoigne de sa duplicité et de la préméditation de
l’acte.
La lettre est tachée du sang de Marat : c’est de son sang
que Marat a payé son dévouement pour les autres !
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La plume est « debout » alors que l’arme du crime encore ensanglantée se trouve par terre,
symbolisant un crime non assumé. La juxtaposition de ces deux éléments permet d’illustrer la
locution latine selon laquelle « La plume est plus forte que l’épée ». Une autre plume figure sur le
chevet avec un encrier et une feuille noircie. La mort n’arrêtera pas le combat : la plume et
l’encrier pourront être repris pour que la lutte continue.
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La phrase se veut épitaphe et
transforme la caisse en bois en
pierre tombale. A côté, la version
initiale était un hommage du
peintre à son ami, dont la
simplicité avait sans doute plus de
force encore.
L’imaginaire pictural de
Jacques Louis David
La Pietà, 1499
Michel-Ange (1475-1564)
Saint Sérapion, 1628
Francisco de Zurbaran (1598-1664)
« Marat assassiné » répond comme en écho à deux œuvres qui présentent une douleur extatique, intense et pudique. La Pietà de Michel Ange
représente la douleur d’une mort face à la mort de son enfant. La position d’abandon dans laquelle se trouve le haut du corps et le bras est
reprise par David, ainsi que la minéralité du visage de Marat.
L’œuvre de David répond aussi au saint Sérapion de Zurbaran : fond noir, drapé blanc et élégant. La douleur est ici encore suggérée. Dans le
tableau de Zurbaran apparaît un « titulus », à la manière du Christ sur la croix (papier épinglé indiquent le nom du saint) auquel répond
l’épitaphe de David.
Ces deux références religieuses servent une cause laïque : c’est bien le martyre qui est au centre de ces trois œuvres.
Le destin contrasté de Charlotte Corday
L’Histoire républicaine aurait très certainement aimé faire apparaître Charlotte Corday parmi les régicides célèbres comme Ravaillac ou
même si Marat n’était pas roi mais seulement « L’ami du peuple ». Pourtant la postérité ne parviendra pas à condamner totalement
Charlotte Corday, comme en témoigne le sort qui lui est réservé par la peinture du XIXème siècle
Ce tableau a été peint pendant
le Second empire (1851-1870).
On sent à travers le titre du
tableau que le sujet principal a
changé. Il s’agit désormais de
Charlotte Corday, meurtrière
de Marat, dont l’allure fière et
hautaine ne semble rien
regretter.
Marat
n’est
visiblement pas le martyr que
l’on a dit : le désordre montre
qu’il y a eu lutte. Son visage
grimaçant de souffrance perd
de sa dignité. Le Second
empire ne se veut pas héritier
de la Révolution française et
ce tableau est caractéristique
de ce rejet des extrêmes :
Napoléon III aimait à rappeler
que « L’Empire, c’est la paix !
».
Charlotte Corday 1858 par Paul Baudry (1826-1886)
Le XIXème siècle va évoquer à maintes
reprises la figure de Jeanne d’Arc en
bergère, en jeune femme au milieu de la
nature, au moment où elle entend les
voix qui lui ordonnent d’intervenir en
faveur de la couronne de France contre
les anglais. Le XIXème siècle va utiliser
ce personnage à des fins aussi religieuses
que patriotiques après 1870 (défaite de la
France contre la Prusse). Le pendant
républicain à cette Jeanne d’Arc nous est
présenté sous la forme d’une Charlotte
Corday aussi au milieu de la nature
(« provinciale » car normande, comme
Jeanne d’Arc était lorraine) . Dans ce
tableau, Charlotte Corday lit. Certes, elle
est une lointaine descente de Corneille.
Mais cette lecture apporte la révélation
(des
crimes
de
la
Révolution
montagnarde) et le modération (par la
raison). Elle est ici un personnage
positif, plus ou moins réhabilitée par une
République modérée qui veut se garder
des extrémismes.
Jeanne d’Arc, 1879
Jules Bastien-Lepage (1848–1884)
Charlotte Corday à Caen en 1793
Robert-Fleury Tony (1838-1911)