Posture, apprentissage et attention

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Transcript Posture, apprentissage et attention

Cours 3
POSTURE, APPRENTISSAGE
et ATTENTION
I - INTRODUCTION
Chez les mammifères, l’ensemble des comportements
moteurs n’est pas présent au moment de la naissance.
Ceci est vrai pour la station debout de l’être humain
Contrairement à d’autres espèces, la posture de
référence qu’est la bipédie chez l’homme, nécessite une
certaine maturation des différents systèmes de
l’organisme.
Ces systèmes englobent le système nerveux central, les
systèmes musculo-squelettiques et les systèmes
sensori-moteurs.
Cependant, cette posture et son maintien dépendent
des expériences vécues donc de l’apprentissage.
Selon Schmidt (1982), l’apprentissage peut être conçu
comme un ensemble de processus associés à
l’expérience ou à l’exercice conduisant à des
modifications relativement permanentes du
comportement habile.
Le bon équilibre debout passe par conséquent par un
certain nombre d’expériences ou stades.
Station allongée, station assise, à quatre pattes, debout
avec appuis, debout sans appuis.
Une fois acquis, le contrôle postural persiste tout au long
de la vie.
On peut certes s’entraîner à rester debout de longs
moments et à devenir performant. Des transferts
d’habiletés sont néanmoins envisageables.
II – HABILETE ET TRANSFERT
Une habileté est une compétence développée à la suite
d’un apprentissage dans une famille restreinte de tâches
(Famose et Durand, 1988).
Ainsi, les postures debout sur un pied, deux pieds, ou
sur les mains constituent une famille restreinte de
tâches qui n’ont qu’un but: le maintien postural.
L’habileté se distingue des aptitudes par sa spécificité
familiale et par le fait qu’elle résulte d’un apprentissage.
Dans ce contexte, l’entraînement sportif n’est qu’un
apprentissage particulier où l’on apprend à maîtriser un
certain nombre d’habiletés motrices.
La performance est une actualisation de l’habileté qui
s’appuie sur les aptitudes du sujet.
Elle est donc soumise à des facteurs conjoncturels tels
que la motivation, l’état de santé, l’environnement…
La mesure de la performance dans la réalisation d’une
tâche permet donc d’estimer le niveau d’habileté acquis
par le sujet dans la tâche.
D’un point de vue psychologique, le transfert se définit
comme l’utilisation d’une habileté apprise dans une
tâche pour réaliser une performance dans une seconde
tâche.
Un transfert peut avoir différents effets sur la
performance de la seconde tâche: positif, négatif ou nul.
Il est positif quand la performance dans une tâche
facilite la performance dans une autre tâche.
Il est négatif si la performance dans une tâche inhibe ou
détériore la performance dans une autre tâche.
Il est nul si la performance dans une tâche n’a pas
d’influence sur la performance dans une autre tâche.
Cette absence de transfert est l’hypothèse de la
spécificité d’Henry (1968) qui considère la collection des
aptitudes humaines nécessaires à la réussite dans une
activité est entièrement différente de celle requise par
l’autre activité.
A l’opposé, la théorie d’Adams (1987) prétend que
toutes les habiletés acquises peuvent s’exprimer dans
n’importe quelle activité.
De façon intermédiaire, Massion (1990) suggère que
que le transfert d’habiletés ne peut se produire que
lorsque les tâches ont fait l’objet d’un entraînement.
Quelques travaux ont cherché à identifier quels
paramètres pouvaient favoriser ce type de transfert:
La similarité de la tâche: Plus grande est la similarité
entre 2 tâches en termes de stimulus et de réponses
nécessaires, meilleur est le transfert. Par ex, transfert
entre services au tennis et au VB.
Le transfert bilatéral: c’est le transfert d’une habileté
apprise avec un membre d’un côté du corps sur la
réalisation de la même habileté avec le membre
controlatéral.
Cela nécessite toutefois que l’apprenant ait déjà acquis
l’habileté motrice avec le membre préféré.
Le transfert bilatéral peut aussi se produire des mains
vers les pieds: Raibert (1977) a observé des similarités
temporelles dans les séquences de mouvements de
tâches d’écriture avec la main dominante, avec le bras
dominant, avec la main non dominante, avec le stylo
dans la bouche et avec le stylo attaché au pied.
Une autre façon de raisonner est de différencier les
transferts verticaux et latéraux (Gagné, 1970)
Un transfert vertical apparaît quand une habileté
contribue directement à la performance d’une tâche de
la même famille mais plus complexe ou plus difficile.
Par ex, quelqu’un qui sait multiplier et soustraire peut
résoudre des divisions plus rapidement que quelqu’un
qui ne connaît pas ces règles arithmétiques.
Par transfert latéral, on entend une sorte de
généralisation qui se propage dans une série de
situations ayant à peu près le même niveau de
complexité
Par ex, un enfant qui reconnaît que les fractions
apprises en classe peuvent lui permettre de résoudre
des problèmes de la vie courante (comme partager un
gâteau en plusieurs parts)
Ces questions, assez fondamentales, peuvent
naturellement être transposées au niveau du contrôle de
l’équilibre.
Les méthodes d’analyse du transfert:
Le suivi longitudinal consiste à faire suivre un
entraînement dans une situation donnée à un groupe de
sujets.
A la fin de l’entraînement, ces derniers sont testés et
comparés dans une autre situation à un autre groupe
n’ayant pas suivi le protocole.
Par ex, Robertson et al (1996) ont entraîné des sujets
novices à marcher sur une poutre les yeux ouverts ou
les yeux fermés (2 groupes)
Les 2 groupes ont ensuite été testés dans une condition
visuelle opposée à celle entraînée.
Les résultats montrent un transfert nul.
L’amélioration des performances n’a été uniquement
rapportée dans la condition sensorielle entraînée.
La comparaison inter-groupe consiste à comparer 2
ou plusieurs groupes de sujets représentatifs de
différentes populations dans une ou plusieurs tâches.
Par ex, en station debout non perturbée, comparer des
nageurs ou des danseurs.
L’inconvénient majeur est que le transfert est inféré par
les résultats. Dans la mesure où les danseurs sont plus
stables, on pourrait en conclure que la danse
développerait un meilleur contrôle de l’équilibre.
Cela ne valide pas pour autant le lien entre la pratique
sportive et la capacité d’équilibration. Une corrélation
entre le niveau de pratique dans l’activité et la
performance posturale peut être intéressante.
La comparaison intra-groupe consiste, pour un même
groupe de sujets, à comparer leurs performances entre
différentes tâches plus ou moins spécifiques de leur
activité.
Par ex, en gymnastique, la stabilité peut exprimer le
niveau d’habileté dans cette activité à un moment
donné. Il est donc possible de comparer ces niveaux de
stabilité à des situations peu ou pas entraînées. Ceci
permet d’estimer le transfert d’habileté.
Le travail mené par Asseman (2004) donne un éclairage
particulier sur ces questions.
Transfert du maintien postural entre différentes tâches:
5 tâches de Bipédie (B), Unipédie (U), Unipédie avec
jambe libre relevée (Y), appui sur les Mains (M) et Appui
tendu renversé (A).
Les sujets sont des gymnastes experts (n=7).
La performance posturale est objectivée par la mesure
des surfaces décrites par le CP (à gauche) et par la
vitesse (à droite).
Les résultats montrent globalement une absence de
transfert, qu’il s’agisse de performance (surface) ou de
contrôle (vitesse).
Une seconde question a été posée, celle d’un transfert
« sensoriel ».
Il s’agissait de comparer les performances et contrôles
posturaux de gymnastes experts au travers de postures
plus ou moins spécifiques et difficiles (B,U,M,A)
réalisées YO et YF.
Les résultats montrent un effet de la fermeture des yeux.
Les gymnastes sont perturbés par la fermeture des
yeux.
On peut donc parler d’un transfert d’habileté négatif
entre une condition visuelle entraînée et une condition
visuelle non entraînée.
Ceci pourrait s’expliquer par des facteurs tels que la
difficulté, la configuration segmentaire, l’environnement
visuel, le rôle des récepteurs cutanés…
Effets de l’expertise sportive:
L’expertise dans des postures spécifiques
s’accompagne t-elle de meilleures performances dans
des postures peu ou pas spécifiques (unipédie) par
rapport à des sportifs non-experts?
Indépendamment du niveau d’expertise, les sportifs
s’entraînaient exclusivement les yeux ouverts.
Les résultats montrent que pour la posture non
spécifique (station debout), les experts ne présentent
pas une meilleure performance (surface) ou un meilleur
contrôle postural (vitesse) par rapport à des gymnastes
non-experts.
La pratique d’activités sportives (danse, tir,
gymnastique), où le maintien de postures fait partie
intégrante de la performance dans l’activité,
n’améliorerait pas l’équilibre dans des postures nonentraînées.
Les différences observées en unipédie s’expliqueraient
par le niveau d’entraînement dans la tâche et/ou par la
différence de niveau sportif entre les 2 groupes
(international vs départemental).
Dans la posture non spécifique réalisée les yeux fermés
(unipédie), le contrôle de l’équilibre n’est pas différent de
celui des non-experts.
Le niveau d’expertise n’aurait donc pas d’effet dans une
condition visuelle différente de celle pour laquelle ils
sont habituellement entraînés.
En conclusion, l’effet de l’expertise en gymnastique sur
le maintien postural est retrouvé sous deux conditions:
une configuration segmentaire entraînée (même réduite)
et une condition visuelle entraînée.
III – POSTURE ET CHARGE
ATTENTIONNELLE
La station debout est une activité de la vie courante qui
est largement automatisée grâce à des activités souscorticales et spinales.
Bien que ce soit une tâche relativement simple, il est
admis qu’elle requière des ressources cognitives (Lajoie
et al., 1993).
Ces ressources, minimales chez le jeune adulte sur une
tâche non-perturbée, peuvent être nécessaires lors de
tâches plus complexes (support étroit) et/ou avec l’âge.
Une plus grande contribution des structures corticales
impliquées dans l’attention motrice (cortex pré-moteur)
et la représentation interne du corps sont alors
nécessaires.
D’autres conduites posturales, rencontrées dans la vie
courante, sont également associées à des performances
cognitives.
L’observation de personnes conversant tout en
marchant, ou écoutant de la musique tout en courant
illustre cette idée.
Dans ces situations, les ressources attentionnelles
doivent être partagées afin de permettre al réalisation
des deux tâches.
On peut donc se poser la question de savoir comment
un protocole de double tâche peut affecter le niveau de
performance postural.
La façon simple de répondre à cette question est de
comparer un comportement de base enregistré par le
biais d’une simple tâche posturale avec une condition de
double-tâche.
Le coût lié à la double tâche conduit généralement à des
diminutions des performances vis à vis de ce qui est
observé lors d’une simple tâche, ceci pour des raisons
de compétition au niveau des ressources centrales.
Plusieurs variables sont susceptibles d’altérer le niveau
de performance lors des protocoles de double-tâche.
Les facteurs extrinsèques intègrent la nature de la
tâche primaire (difficulté relative du contrôle postural), le
contexte environnemental de la tâche (risque) et la
nature de la seconde tâche (Woollacott & ShumwayCook, 2002)
Les facteurs intrinsèques dépendent des sujets euxmêmes. Cela inclut l’expertise sensori-motrice et donc
l’âge.
Quelques modèles pour expliquer la performance lors
de double-tâches:
Le modèle de compétition: Le postulat est que le
contrôle postural et l’activité cognitive entre en
compétition au niveau des ressources attentionnelles.
Il en résulte que la performance lors de la double-tâche
se retrouve altérée vis à vis de la performance en simple
tâche.
Cette idée est validée par l’observation de performances
détériorées avec l’âge avec une propension à s’accroître
lors de double-tâches (Maylor & Wing, 1996)
Cet effet négatif sur le contrôle postural est plus
important chez les personnes âgées et s’explique par
les capacités cognitives et attentionnelles réduites.
D’autres études, cependant, ne montrent pas de tels
effets et même une amélioration de la stabilité posturale
en condition de double-tâche.
Ceci peut s’expliquer par la difficulté de la tâche
posturale et/ou par le type et la complexité de la tâche
secondaire cognitive.
Ces données, prises ensemble, fragilisent ce modèle de
compétition dans la mesure où il ne permet pas
d’expliquer tous les résultats.
Le modèle d’interaction non-linéaire est apparu plus
récemment. Le postulat est que l’équilibre peut être
amélioré ou détérioré selon l’intensité de la demande de
la tâche cognitive.
Des sujets jeunes, debout sur une plate-forme de force,
diminuent leurs mouvements posturaux lorsqu’ils
répondent verbalement en réaction à des stimuli visuels
ou auditifs (Vuillerme et al., 2000).
La stabilité posturale a également été améliorée chez
des personnes âgées avec des stimuli cognitifs spatiaux
(Deviterne et al., 2005).
Ceci suggère que la stabilité peut être améliorée
indépendamment de l’âge dès lors que la difficulté est
réduite. Ceci s’expliquerait par un glissement vers un
contrôle plus automatique plus efficace.
Cette idée est renforcée par le fait que les sujets se
mettent à bouger davantage si on leur demande de se
focaliser sur le contrôle de l’équilibre (Vuillerme et
Nafati, 2005).
Le type de tâche cognitive (spatiale ou non-spatiale) et
le processus cognitif mis à contribution (traitement ou
mémorisation) peuvent aussi interagir (McNevin & Wulf,
2002).
En faisant varier la nature, et par suite la difficulté de la
tâche, Huxhold et al. (2006) ont montré que pour les
double-tâches « faciles », la stabilité était amélioré chez
les jeunes comme chez les séniors.
A l’inverse, des tâches cognitives plus difficiles
amélioraient les capacités d’équilibration des jeunes
mais détérioraient celles des séniors.
Quelques problèmes méthodologiques, tels que le choix
des paramètres stabilométriques, qui fragilisent la
validation du modèle, sont néanmoins à relever.
Le troisième modèle, celui de la tâche prioritaire, peut
être mis en lumière au travers des stratégies de contrôle
de l’équilibre utilisées.
On peut également retrouver cela avec l’exemple des
personnes âgées qui s’arrêtent pour parler. Parce que
faire deux choses en même temps est pour elles
problématique, il leur faut nécessairement faire un choix.
Un autre exemple est la priorité donnée par un grand
nombre de personnes âgées à leur équilibre, du fait de
sa précarité ou du risque, vis à vis de leur performance
cognitive (Brown et al., 2002).
Cette vision se retrouve au travers du principe du
« posture first », qui a été proposé pour expliquer, chez
les séniors, la détérioration des performances cognitives
du fait de la priorité donnée à l’équilibre lors de doubletâches.
Quelques données de la littérature contredisent toutefois
ce modèle en montrant une contribution accrue des
capacités cognitives pour contrôler l’équilibre (Maylor et
al., 2001; Shumway-Cook et al.,1997)
Le contexte environnemental, le type et la complexité
des tâches cognitives et posturales proposées
pourraient expliquer ces différences.
Plus que dues à un déclin des capacités cognitives, ces
comportements pourraient résulter de mécanismes de
plasticité cérébrale.
Le modèle physiologique:
L’anatomie des systèmes moteurs révèle que deux
structures sont susceptibles d’intervenir dans la
régulation des mouvements du corps
Le cortex cérébral, avec ses aires motrices et prémotrices, est principalement impliqué dans le contrôle
des mouvements fins et précis réalisés par nos muscles
distaux
Les noyaux du tronc cérébral (vestibulaire, zone
réticulée, tectum) sont quant à eux davantage impliqués
dans le contrôle des mouvements axiaux
Le faisceau cortico-spinal contrôle par des voies
collatérales les noyaux du tronc cérébral
Cahier des charges protocolaires
Choix de la tâche cognitive:
- Elle doit mobiliser des structures connues pour
largement influencer les systèmes moteurs
- Elle ne doit pas conduire à une verbalisation pendant
la mesure
- Elle doit pouvoir être réalisée selon des difficultés
absolues différentes selon les sujets
Les paramètres posturaux doivent quantifier la
performance posturale sur des durées d’enregistrement
différentes
La tâche cognitive : un déplacement virtuel
dans un espace à deux dimensions
Instruction : Avant
Instruction : Gauche
Instruction : Arrière
Les résultats
Le délai moyen entre deux instructions successives:
p < 0,01
1400
1200
Délai (ms)
1000
800
600
400
200
0
Jeunes
Séniors
Il augmente significativement (p<0,01) chez les séniors
Les positions moyennes :
Quelles que soient les conditions, les groupes ou les
axes (ML ou AP), aucune différence statistiquement
significative n’est décelée.
Les variances des positions successives du CP :
Axe ML
Axe AP
16
20
16
Variances (mm²)
Variances (mm²)
12
8
4
12
8
4
0
0
Séniors
Jeunes
Séniors
Jeunes
Aucun effet n’est décelé pour les séniors, quel que soit
l’axe
Par contre, une différence statistiquement significative
(p<0,05 sur ML et p<0,01 sur AP) caractérise les jeunes.
Conclusion
Selon l’âge, la perte d’attention n’induit pas les mêmes
effets sur le contrôle de l’équilibre
Les effets apparaissent légèrement plus importants sur
l’axe AP
Les performances posturales en « simple tâche » étant
comparables, le déficit observé chez les séniors
s’expliquerait par une moindre efficience des systèmes
automatiques de contrôle de l’équilibre