13_09_20_M1 CAPLP HDS Stats et probas
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Histoire des sciences – 2:
Les probabilités et statistiques:
leur histoire, leurs enjeux.
Alain Bernard, UPEC/ESPE, Centre A. Koyré.
[email protected]
M1 MEEF 2nd degré, parcours CAPLP
UE5, S2 20.9.2013
Plan de la séance
1. Introduction: la place des statistiques et probabilités
dans les nouveaux programmes de lycée
professionnel [•]
2. La place des statistiques et probabilités dans
l’histoire des mathématiques, des sciences et des
techniques. [•]
3. Pourquoi cette histoire est-elle importante pour
nous ? Les enjeux épistémologiques et didactiques.
a. Les statistiques et probabilités : un outil mathématique
pour voir et penser le monde. [•]
b. Statistiques ET probabilités : pourquoi les associer ? [•]
c. Enseigner les statistiques et probabilités aux 20ème et
21ème siècles: quels enjeux? [•]
Antiquité et Moyen-Age: les prémisses
d’une science de l’incertain
• Pas de science de l’incertain, ni de dénombrements à grande échelle, mais:
– Une science des causalités complexes dans les
phénomènes humains: l’astrologie.
– Une approche juridique des situations de choix dans
l’incertain.
• Au Moyen-Age, dans les arithmétiques pour
commerçants: discussion de problèmes de
répartition de gains en cas d’interruption d’un
contrat. Exemple (t1)
La Renaissance: le temps des réformes
et de l’invention en sciences.
• Les réformes religieuses: un temps de schisme
religieux et d’incertitude morale.
• Les réformes dans la vision du monde et de l’histoire
• Les réformes techniques: armes à feu, imprimerie,
outils de navigation.
• Les réformes dans la conception des sciences:
• Rapport nouveau de l’homme au savoir et à la politique
• Importance de l’invention en sciences et techniques.
• Un premier texte théorique sur les jeux de hasard: le
De Ludo Aleae de J. Cardan. Exemple (texte 2)
Le 17ème siècle: les premières
théorisations réussies de l’incertain.
• G. Galilée (1620): la résolution d’un paradoxe
dit « du duc de Toscane » lié à un jeu de dés
• B. Pascal: le problème des partis et la
fondation d’une « géométrie du hasard »
• C. Huygens (1657) De ratiociniis in ludo aleae:
introduction de la notion d’espérance
• Leibniz (1665): élaboration d’une théorie
générale des inférences juridiques probables
Le 17ème siècle politique: la
gouvernance des Etats modernes
• Nécessité d’outils de gouvernances, fondés sur
une connaissance des Etats (populations,
richesses..): « arithmétique politique », ancêtre
de la statistique.
• Développement du commerce (maritime
notamment), développement des assurances,
des opérations financières..
Le 18ème siècle
• De Moivre (1718): Doctrine of Chances
• Jacques Bernoulli (1713): Ars Conjectandi:
première approche rigoureuse de la « loi
faible des grands nombres » [qu’est-ce?]
• P.S. Laplace:
1812 Théorie analytique des probabilités,
1814 Essai philosophique sur les probabilités.
Le 18ème siècle politique,
industriel, commercial.
• Développement du commerce, des assurances,
de l’industrie naissante
• Campagnes d’inoculation contre la variole:
problème de gestion du risque
• Développement de « l’arithmétique politique »,
devenue fin 18ème statistique = science de l’Etat
• Premiers outils de visualisation statistique, par
exemple chez Playfair (1804) Exemple
Le premier 19ème siècle:
• Développement et prestige de la théorie des
probabilités (Laplace, Legendre, Gauss..):
développement de la théorie des erreurs de
mesure.
• L’idée d’appliquer le calcul des probabilités à
des questions sociales ou humaines, est
avancée (Laplace, Condorcet..) mais n’est pas
généralement acceptée.
• En général statistiques et probabilités restent
distinctes, on ne cherche pas à les combiner.
Le second 19ème siècle et la
‘naturalisation’ de concepts statistiques
• Développement d’enquêtes statistiques à
grande échelle, avec une méthodologie
appropriée.
• Le sens donnée aux statistiques à grande
échelle change avec A. Quételet: notion
d’homme moyen et d’une « science de
l’homme ».
• La démarche influence bientôt la biologie
(Mendel) ou la physique (Boltzmann).
Les transformations de l’industrie et
de la politique au 20ème siècle
• Poursuite de l’industrialisation, dans un
contexte de compétition internationale. >
développements d’outils de gouvernance à
grande échelle – dont les statistiques.
• Puis basculement vers l’industrie de
l’information (informatique, traitement
mécanisé des données..) > nouveaux
développements: théorie des jeux, contrôle
de qualité, théories des sondages..
Les spécificités du 20ème siècle
• Nouveaux champs d’application des
probabilités et statistiques:
– En sciences humaines: psychométrie, sociologie
quantitative..
– En sciences exactes: physique des quanta
– En mathématiques: basculement vers une théorie
axiomatique des probabilités (Kolmogorov)
• ‘Naturalisation’ générale des outils statistiques
et probabilistes
• Premier développement de leur enseignement
(à partir de l’entre deux guerres)
Conclusions de l’historique
• Une histoire récente (17-21è siècles), et très
récente pour leur enseignement (20-21è siècle)
• Les statistiques et probabilités, aujourd’hui
associées, ont des origines distinctes.
• Une histoire indissociable:
– De l’histoire économique, politique, industrielle du
monde moderne et contemporain
– Du développement des sciences (humaines et
exactes) et des techniques dans la même période
– Enfin de notre manière d’être au monde depuis le
19ème siècle.
Une devinette: d’où vient ce texte?
« L'aléatoire est présent dans de très nombreux domaines de la
vie courante, privée et publique : analyse médicale qui confronte
les résultats à des valeurs normales, bulletin météorologique qui
mentionne des écarts par rapport aux normales saisonnières et
dont les prévisions sont accompagnées d’un indice de confiance,
contrôle de qualité d’un objet technique, sondage d’opinion…
Or le domaine de l’aléatoire et les démarches d’observations sont
intimement liés à la pensée statistique. Il s’avère donc nécessaire
… de former les élèves à la pensée statistique dans le regard
scientifique qu’ils portent sur le monde, et de doter les élèves d'un
langage et de concepts communs pour traiter l'information
apportée dans chaque discipline. »
Introduction du programme de collège, 1er thème de convergence « importance
du mode de pensée statistique dans le regard scientifique sur le monde »
Statistiques et probabilités: un outil
mathématique pour penser le monde?
• Quelle conception des mathématiques en découle-til? Comme un « outil »? Ou comme un mode de
pensée en lien à l’expérience?
• Ce point de vue a été défendu par des
mathématiciens comme Borel ou Fréchet (texte 7).
• Une façon de concevoir le lien entre mathématique et
expérience : comme une activité de modélisation.
• Cela implique aussi de voir statistiques et probabilités
comme des théories en constante évolution. (texte 8)
Statistiques ET probabilités
• L’interprétation de la probabilité oscille entre
une approche ‘subjective’ ou ‘épistémique’ ou
bien ‘objective’ ou ‘inductive’
• Dans une approche inductive, la probabilité est
estimée par une fréquence: c’est « l’approche
fréquentiste » (texte 9)
• A partir du moment où les statistiques ne sont
pas seulement des relevés, mais des outils de
prévision théorique, elles se combinent aux
probabilités.
Quelques enjeux d’un enseignement
des statistiques et probabilités.
• C’est une nécessité première en terme de ‘citoyenneté’
ou ‘d’entrée au monde’ Cit. Borel
• C’est une des manières les plus directes d’entrer dans
les problèmes liés à la modélisation:
– Comment garder un sens vivant à l’activité ‘modélisante’?
– Qu’est-ce que le ‘réel’? Comment l’appréhendons nous?
Comment rendre compte de sa complexité?
– A quoi « servent » les mathématiques connues?
• C’est un moyen d’appréhender les sciences et
techniques comme un « tout ».
• … et les mathématiques en lien à l’expérimentation
Un problème de réparation des gains
chez Luca Pacioli (fin 15ème siècle)
…Une brigade joue à la paume : il faut 60 pour
gagner, chaque coup vaut 10. L'enjeu est de 10
ducats. Un incident survient qui force les soldats à
interrompre la partie commencée, alors que le
premier camp a gagné 50 et le second 20.
On demande quelle part de l'enjeu revient à
chaque camp…
Luca Pacioli, Summa de arithmetica, geometrica,
proportionii et proportionalita.
La solution de Pacioli
Source: E. Coumet, Le problème des partis avant Pascal.
Galilée: ‘recherches
concernant le jeu de dés’ (1620)
Le fait que dans un jeu de dés certains nombres sont plus avantageux que
d’autres a une raison évidente, à savoir le fait que les réalisations de ces
nombres sont plus aisées et plus fréquentes que d’autres car ils sont plus à
même d’être obtenus par une plus grande variété de nombres. (…) Néanmoins,
bien que 9 et 12, peuvent être obtenus par le même nombre de manières que
10 et 11, et qu’ils devraient donc être considérés comme de même utilité dans
ce jeu, on sait déjà par une longue observation que les joueurs considèrent 10
et 11 comme plus avantageux que 9 et 12. Et il est clair que 9 et 10 peuvent
être composés par une égale diversité de nombres (…) : car 9 est composé de
1,2,6 ou 1,3,5, ou 1,4,4 ou 2,2,5 ou 2,3,4 ou 3,3,3, qui sont six triplets, et 10 de
1,3,6 ou 1,4,5 ou 2,2,6 ou 2,3,5 ou 2,4,4 ou 3,3,4 et pas d’autres manières, et
ces dernières sont aussi six triplets.
Maintenant, afin d’obliger la personne qui m’a ordonné d’étudier le problème, je
vais exposer mes idées, dans l’espoir non seulement de résoudre ledit
problème, mais aussi d’ouvrir la voie à une compréhension précise des raisons
pour lesquelles tous les détails du jeu ont été arrangés et ajustés avec grand
soin.
Pascal: le problème des partis.
Pour bien entendre la règle des partis, la première
chose qu'il faut considérer est que l'argent que les
joueurs ont mis au jeu ne leur appartient plus, car
ils en ont quitté la propriété ; mais ils ont reçu en
revanche le droit d'attendre ce que le hasard leur
en peut donner, suivant les conditions dont ils
sont convenus d'abord. <s’ils rompent le jeu avant
son terme> le règlement de ce qui doit leur
appartenir doit être tellement proportionné à ce
qu’ils avaient droit d’espérer de la fortune, que
chacun d’eux trouve entièrement égal de prendre ce
qu’on lui assigne oui de continuer l’aventure du jeu:
et cette juste distribution s’appelle le parti. »
Traité du triangle arithmétique, 1654
Pascal: la « géométrie du hasard »
… Et puis un traité tout à fait nouveau, d'une matière absolument inexplorée
jusqu'ici, savoir : la répartition du hasard dans les jeux qui lui sont soumis, ce
qu'on appelle en français faire les partis des jeux; la fortune incertaine y est si
bien maîtrisée par l'équité du calcul qu'à chacun des joueurs on assigne toujours
exactement ce qui s'accorde avec la justice. Et c'est là certes ce qu'il faut
d'autant plus chercher par le raisonnement, qu'il est moins possible d'être
renseigné par l'expérience. En effet les résultats du sort ambigu sont justement
attribués à la contingence fortuite plutôt qu'à la nécessité naturelle. C'est
pourquoi la question a erré incertaine jusqu'à ce jour; mais maintenant,
demeurée rebelle à l'expérience, elle n'a pu échapper à l'empire de la raison. Et,
grâce à la géométrie, nous l'avons réduite avec tant de sûreté à un art exact,
qu'elle participe de sa certitude et déjà progresse audacieusement. Ainsi,
joignant la rigueur des démonstrations de la science à l'incertitude du hasard, et
conciliant ces choses en apparence contraires, elle peut, tirant son nom des
deux, s'arroger à bon droit ce titre stupéfiant : La Géométrie du hasard.
Adresse à l’académie parisienne (1654)
E. Borel, Le Hasard (1938), préface
« Mon but principal a été de mettre en
évidence le rôle du hasard dans les branches
diverses de la connaissance scientifique; ce
rôle a beaucoup grandi depuis un demi-siècle;
le moment est venu de nous demander si
nous n’avons pas assisté, presque sans nous
en apercevoir, à une veritable révolution
scientifique. »
Les commentaires des programmes
« Les motivations »
Un apprentissage précoce, puis régulier, des situations aléatoires
est une nécessité pour répondre à un besoin social et
professionnel de plus en plus prononcé dans ce domaine. De
plus, cet apprentissage de l’aléatoire favorise la comparaison de
notre enseignement avec celui d’autres pays de l’OCDE. L’enjeu
est d’importance. Il s’agit de donner un sens rationnel aux
notions de « risque », de « sondage », de « preuve statistique »,
de « différence significative »..., aidant à la compréhension de
situations généralement empruntes d’incertitude et à la prise de
décision en contexte aléatoire. Pour décrypter le monde
moderne, participer au débat démocratique, exercer son esprit
critique, optimiser ses activités professionnelles, « l’honnête
homme » du XXIe siècle doit être éduqué aux méthodes
statistiques et aux probabilités.
Les commentaires des programmes (2)
Les choix généraux
Les précédents programmes de baccalauréat professionnel ne
laissaient qu’une très faible place aux probabilités, … et avec une
approche fondée sur le dénombrement des cas possibles. Cette
approche a montré ses limites face aux enjeux décrits
précédemment. Les nouveaux programmes des sections
professionnelles s’inscrivent donc, dans ce domaine, dans la
continuité [de ceux du collège] (…). La notion de probabilité
s’approprie plus aisément par l’expérimentation et l’observation
des fréquences, en répétant indépendamment l’expérience
aléatoire. L’utilisation des T.I.C. … favorise cet apprentissage en
facilitant l’observation de la « loi des grands nombres ». Compte
tenu des enjeux qu’il présente en termes de formation de base,
le domaine statistique - probabilités fait partie du tronc commun
des différentes spécialités de baccalauréat professionnel.
En résumé..
• Des motivations liées à des enjeux très
généraux: citoyenneté, place dans le monde
(société et entreprise)
• Continuité explicite avec l’initiation aux
statistiques et probabilités en collège
• Une approche privilégiée: l’approche par
simulation, expérience et observation. La
probabilité doit apparaître, si possible, comme
la limite d’une fréquence empirique.
Cardan sur les jeux de dés
there is one general rule, namely, that we
should consider the whole circuit, and the
number of those casts which represent in how
many ways the favorable result can occur, and
compare to that number to the remainder of
the circuit, and according to that proportion
should the mutual wagers be laid so that one
may contend on equal terms.
• G. Cardano, Liber de ludo aleae (ca. 1525?)
La « loi des grands nombres »
• Enoncé intuitif en lycée (ancien programme de 1è S) :
Si on répète k fois, dans les mêmes conditions, une
expérience E, la fréquence d’une issue de E se
rapproche, lorsque k devient grand, de la probabilité
que cette issue se réalise lors d’une seule expérience.
• On peut le comprendre comme la description d’une
expérience possible (et observable), ou bien comme
un résultat théorique.
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Vers un énoncé rigoureux
du résultat théorique?
• On répète n expériences de Bernoulli, de même loi
(réussite p, échec 1-p), indépendantes entre elles.
• On définit X, la variable aléatoire égale au nombre de
réussites sur ces n expériences.
• On définit Fn, la fréquence de réussite sur les n
expériences: Fn = X/n , parfois appelée ‘fréquence
empirique’ (bien qu’elle n’ait rien d’empirique)
• Loi des grands nombres, portant sur la fréquence Fn :
Pour tout écart ε>0 aussi petit que l’on veut ,
P( p – ε < Fn < p + ε ) tend vers 1 quand n tend vers +∞
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Diagramme de Playfair, Elements
de Statistiques, 1802