IV- Sociolinguistique et didactique des langues

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Transcript IV- Sociolinguistique et didactique des langues

sociolinguistique et didactique
des langues
Apprentissage & enseignement des
langues en situation bi- ou
plurilingue
• L’objectifs de la séance :
  initiation à la didactique des langues et à la sociolinguistique
  appréhender certaines situations linguistiques complexes où le
plurilinguisme devient la règle, le monolinguisme une exception.
• Au commencement était le mythe  « La Tour de Babel » :
 Selon la Genèse, c’était une tour que souhaitaient construire les
hommes pour atteindre le ciel. 
 Descendants de Noé, ils représentaient donc l’humanité entière
et étaient censés tous parler la même et unique langue sur
Terre: une et une seule langue adamique. 
 Pour contrecarrer ce projet qu’il jugeait plein d’orgueil, Dieu
multiplia les langues pour que les hommes ne se comprennent plus 
 Ainsi, la construction ne put plus avancer; elle s’arrêta, et les
hommes se dispersèrent sur la terre.
• On peut aussi, plus simplement, voir cette histoire comme une
tentative de réponse des hommes au mystère apparent de
l’existence de plusieurs langues.
Le bi-plurilinguisme?
• C’est un fait naturel qui se développe lorsqu’il y
a « contacts entre les langues et besoins chez
l’individu de communiquer en plusieurs langues »
(Hamers et Blanc, 1983)
– Origines du phénomène:  mouvements migratoires
&/ou mobilité géographique
• La définition de J. Hamers et M. Blanc met en lien 3
champs disciplinaires: la linguistique, la
psycholinguistique et la sociologie qui interviennent
dans ce domaine aux multiples facettes.
• Voici quelques définitions du bi-plurilinguisme qui
montrent les changements opérés sur l’individu
bilingue dans les recherches de ces dernières
décennies : 
Qu’est-ce que être bilingue ou plurilingue ?
• Les 1ères définitions font état de jugements subjectifs évoquant soit les
avantages soit les inconvénients liés à ce phénomène:
 D’1 côté, le bilinguisme est présenté comme un avantage pour le
développement cognitif et intellectuel de l’individu.
 De l’autre, c’est inconvénient au niveau du retard scolaire et cognitif de
l’enfant, de la marginalisation de l’individu, etc.
 D’autres recherches continuent à présenter les enfants bilingues comme
des « handicapés intellectuels et linguistiques »:
  C’est le cas des Suédois T. Skuntnabb-Kangas et P. Toukomaa qui
utilisent le terme de « semi-lingue » pour désigner le développement
langagier du bilingue qui n’atteint le niveau du locuteur natif dans aucune
des deux langues correspondantes;
 cette notion de « semi-lingue » est critiquable à bien des égards: ici le
bilinguisme est mal défini et l’approche de l’individu bilingue erronée
puisqu’elle exclut le contexte social et les conditions socioculturelles qui le
caractérisent.
 Nb: Si ces conceptions subjectifs basées sur les inconvénients du
bilinguisme ne sont plus majoritaires dans l’imaginaire collectif, elles
continuent cependant à circuler chez certains enseignants de langues.
Ambiguïtés des définitions du bilinguisme
• Les définitions sur le bilinguisme présentent une
dimension et négligent d’autres :
 soit parce qu’elles n’abordent que certaines
dimensions du bilinguisme et sont, par conséquent,
trop restrictives pour décrire l’ensemble de ses
composantes ;
 soit parce qu’elles sont opératoires et envisagent, de
ce fait, le phénomène du bilinguisme sous ses
différents aspects.
• Etre bilingue, selon le sens commun (populaire),
c’est « parler parfaitement deux langues » ou avoir
« une maîtrise parfaite et équivalente dans deux
langues ».
• # En fait, cette croyance continue d’alimenter un des
nombreux mythes qui entoure le bilinguisme car une
personne de ce genre reste toujours une exception.
1. Définitions en termes de compétences linguistiques
• Les définitions basées essentiellement sur les compétences linguistiques
de l’individu (« maîtrise parfaite des 2 langues ») se sont longtemps
imposées comme la norme de référence.
• On peut citer, entre autres, les définitions des linguistes L. Bloomfield et
J. MacNamara:
 Bloomfield (1935) : « le bilinguisme c’est la possession d’une compétence
de locuteur natif dans deux langues ».
 MacNamara (1967) : « quelqu’un qui possède une compétence minimale
dans une des quatre habiletés linguistiques à savoir comprendre, parler,
lire et écrire dans une langue autre que sa langue maternelle ».
• # Les limites de ces définitions:
 La définition de Léonard Bloomfield envisage le bilingue exclusivement
par rapport au monolingue, posé comme norme d’évaluation et de
référence :  En fait, le bilingue devient la somme de 2 monolingues (1
bilingue = 1 monolingue + 1 monolingue) et le bilinguisme étant alors
l’addition de 2 langues.
 NB: La définition de John MacNamara tend à considérer tous les
apprenants d’une langue étrangère comme bilingues et ce, quel que soit
leur niveau de langue.
• À mi-chemin entre ces 2 positions, on trouve la définition de Renzo
Titone (1972, p. 11) qui envisage le bilinguisme comme étant :
• « la capacité d’un individu à s’exprimer dans une seconde langue en
respectant les concepts et les structures propres à cette langue, plutôt
qu’en paraphrasant la langue maternelle ».
• C/C: # Ces 3 définitions s’appuient sur une seule dimension du
bilinguisme, à savoir la compétence linguistique du bilingue =
autrement dit: elles s’inscrivent au niveau du « pré-requis ».
• Récapitulons les traits distinctifs des 3 définitions :
 une compétence native dans une langue (Bloomfield)
 une compétence minime dans cette langue (Macnamara)
 passage par une compétence spécifique dans l’autre langue (Titone).
• Mesurer la compétence linguistique du bilingue revient en réalité à
mesurer le degré de maîtrise dans une langue. Cela revient, selon
Josiane Hamers et Michèle Blanc, à :
évaluer certaines grandeurs par comparaison avec un étalon ; en
d’autres termes, il s’agit de quantifier les phénomènes observés dans le
but de les comparer. (1983, p. 33)
• Mais si l’on veut avoir une vision exacte du degré de
bilinguisme d’un individu, il est nécessaire de mesurer:
 tous les aspects de la compétence (compréhension et
expression de la forme orale et écrite),
et son aptitude selon des niveaux linguistiques
(phonologie, sémantique, vocabulaire, grammaire et
stylistique)
•  C’est une véritable gageure !
• Si l’étude du bilinguisme implique la notion de degré de
maîtrise (pré-requis), elle doit aussi intégrer le problème
de la fonction :
À quelles fins le bilingue utilise-t-il ses langues ?
Quels rôles jouent ses langues dans la structure de son
comportement ?
• Cette démarche dans la description du bilinguisme
consiste alors à comprendre les usages que le bilingue fait
de ses langues et des conditions dans lesquelles il les utilise.
2. Définitions en termes d’usages langagiers
• Fin des années 70 – début 80, cette vision du bilinguisme basée
principalement sur l’apprentissage d’une langue étrangère en
milieu institutionnel (compétences linguistiques requises à l’oral
et surtout à l’écrit) tend à se modifier avec la prise en compte
d’autres réalités sociales que celles vécues en contexte
institutionnel.
• Le bilinguisme doit alors s’étudier en contexte social par l’usage
que le locuteur fait des langues qui l’entourent.
• Ce changement d’orientation correspond, entre autres, aux
travaux du Conseil de l’Europe sur les mouvements migratoires et
à l’enseignement de la langue du pays d’accueil aux nouveaux
arrivants, comme moyen d’intégration.
•  De nouvelles définitions du bilinguisme apparaissent alors pour
décrire cette réalité sociale en termes d’usages langagiers.
• Retenons celle de F. Grosjean devenue une référence en matière de
bilinguisme :
Est bilingue la personne qui se sert régulièrement de deux langues dans la vie
de tous les jours et non qui possède une maîtrise semblable (et parfaite) des
deux langues. Elle devient bilingue parce qu’elle a besoin de communiquer
avec le monde environnant par l’intermédiaire de deux langues et le reste tant
que ce besoin se fait sentir » (1984, p. 16)
• L’idée de « maîtrise identique dans les deux langues » n’est
donc plus le critère principal.
• C’est la notion d’usage ou plus exactement « la capacité à
employer l’une ou l’autre en fonction des besoins
communicatifs du bilingue » qui devient centrale dans la
définition du bilinguisme.
• En réalité, la notion « d’usage » implique que le bilingue a la
possibilité d’employer l’une ou l’autre de ses langues, c’est-àdire qu’il doit posséder une compétence minimale dans l’une
et dans l’autre langue : 
L’individu bilingue est en mesure dans la plupart des situations de
passer sans difficulté majeure d’une langue à l’autre. (Lüdi et Py,
1986, p. 19).
• Il aura donc un comportement spécifique dans une situation
de contacts de langues qu’il fera varier suivant un certain
nombre de paramètres tels que:
 l’enjeu et le contenu de la communication,
 le rôle et statut des locuteurs,
 ses compétences linguistiques et celles de ses interlocuteurs dans
chacune des langue, etc.
Quelle conception du plurilinguisme à retenir en sociolinguistique
et didactique ?
• Les définitions du bilinguisme nous interroge sur la
formulation elle-même  sur le choix des termes
utilisés
• Partant de la représentation idéale du bilingue défini
comme « personne qui parle deux langues
couramment » :
 Ch. Deprez (1994) avance que cette conception doit
être élargie et précisée pour redonner au bilinguisme
toute la place qu’il occupe dans la réalité sociale:
1- Ainsi dans cette définition, le mot « langues » doit
comprendre toutes les langues même celles auxquelles on
refuse parfois ce statut, particulièrement le créole ou les
langues africaines que l’on désigne de « dialecte ».
Du coup, rien n’empêche de considérer comme bilingues
des personnes qui parlent français et nizard (patois de
Nice), français et espagnol ou encore français et arabe.
 2- Le verbe « parler » semble ici trop restrictif.
Il conviendrait d’inclure, selon Deprez, les personnes qui
comprennent une langue sans forcément la parler
couramment  appelées à tort : les « bilingues passifs ».
Le mot bilinguisme passif doit être relativisé dans la
mesure où l’activité de compréhension en langue est loin
de représenter une opération passive.
Il convient de parler de bilinguisme récepteur pour rendre
compte des compétences de compréhension développées
par le sujet dans une langue.
Il conviendrait donc de remplacer « parler » par le verbe
« utiliser » qui englobe à lui seul les activités de
production et de compréhension.
 3- Enfin, l’adverbe « couramment » doit intégrer un
sens plus large, celui de « souvent »,
« habituellement », voire « quotidiennement » et
celui de « sans difficulté ».
• Une telle conception élargie du bilinguisme laisse place à
une nouvelle définition que Deprez résume en ces
termes :
toute personne qui comprend et/ou parle quotidiennement sans
difficulté deux langues différentes. 1994 , p. 22
• On peut, toutefois, reprocher à cette définition la non
prise en compte du facteur situationnel qui devient une
notion centrale de la définition de M. Matthey et B. Py :
la faculté de recourir à deux ou plusieurs langues dans des
circonstances variables et selon des modalités diverses. 1995, p. 13
• Avec la définition de l’être bilingue, retenue ici,  est
bilingue, non seulement l’homme d’affaires qui maîtrise et
utilise 2 ou plusieurs langues, mais également le travailleur
migrant par exemple qui, lui, présente une maîtrise très
différenciée de la langue étrangère et de celle de son pays
d’origine mais qui se sert néanmoins de ses 2 langues dans
la vie de tous les jours pour répondre à des besoins
communicatifs.
• Dans une perspective didactique, la définition que nous
propose le Dictionnaire de didactique du français langue
étrangère et seconde (Cuq, 2003) est la suivante :
toute personne qui emploie deux langues (« variétés
linguistiques ») au cours de sa vie quotidienne, même si d’un
certain point de vue il y a une asymétrie entre ses compétences
dans les deux. Inévitablement, si l’on est habitué à parler une
langue dans une situation ou sur un thème donné, on acquerra
les savoirs linguistiques et communicatifs concernés dans cette
langue, qui dans ce cas dominera l’autre. Cela explique
pourquoi le bilingue n’est pas nécessairement un traducteur ou
un enseignant de langues né. (p. 36).
• C/C:  Comme on peut le constater, aussi bien en
sociolinguistique qu’en didactique, le bilingue n’est pas
défini par rapport à ses compétences linguistiques
développées dans les différentes langues composant son
répertoire verbal, mais dans l’usage qu’il fait de ses
langues dans les situations de communication.
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Bibliographie
L. Bloomfield (1935), Language, Londres, Allen and Unwin.
J. P. CUQ (dir.) (2003), Dictionnaire de didactique du français langue
étrangère et seconde, Paris, Clé International.
Ch. Deprez (1994), Les enfants bilingues : langues et familles, Paris, Didier.
F. Grosjean (1984), Communication exolingue et communication bilingue,
in Py, B. (éd.). Acquisition d'une Langue Etrangère III. Paris: PUP
(ParisVIII) and Encrages; Neuchâtel: Centre de Linguistique Appliquée.
J. Hamers et M. Blanc (1983), Bilingualité et bilinguisme, Bruxelles,
Mardaga.
G. Lüdi & B. Py (1986), Etre bilingue, Berne, Peter Lang.
J. MacNamara (1967), The Bilingual's Linguistic Performance : a
psychological overview, in Journal of Social Issues, vol. XXIII, n° 2, p. 6771.
T. Skutnabb-Kangas & P. Toukomaa (1976), Teaching migrant children
mother tongue and learning the language of the host country in the context
of the socio-cultural situation of the migrant family, Helsinki, The Finnish
National Commission for UNESCO.
R. Titone (1972), Le bilinguisme précoce, Bruxelles, Dessart.
Langue & didactique
• Retenons 2 aspects complémentaires du concept
« langue » :
un aspect abstrait et systématique : langue = idiome
un aspect social : langue = culture
• La didactique des langues intègre ces 2 aspects :
elle fait de la langue-idiome un objet d’enseignement et
d’apprentissage (phonétique, phonologique,
morphologique, syntaxique, lexical, sémantique,
diachronique, synchronique, etc.),
l’aspect culturel de la langue fait désormais partie
intégrante de la didactique (aujourd’hui érigée en
« didactique des langues et des cultures »).
• « Il y a donc bien, en didactique, nécessité
d’implication réciproque de la langue et de la culture,
la langue étant définie comme un objet
d’enseignement et d’apprentissage composé d’un
idiome et d’une culture. » (Cuq, 2003, p. 148)
• Il convient de tirer des conséquences didactiques de cette
dualité: la langue comme objet d’enseignement et
d’apprentissage.
• L’enseignement et l’appropriation d’une langue étrangère
en milieu institutionnel est souvent le résultat d’un contrat
passé entre l’enseignant et l’apprenant en vue d’un
transfert de compétences linguistiques et culturelles qui
constitue l’objectif de tout enseignement/apprentissage:
 Du point de vue de l’enseignant (c’est-à-dire l’institution), la
langue se matérialise par des programmes officiels, des
manuels, des progressions... établissant des objectifs et des
contenus linguistiques et culturels.
 Du point de vue de l’apprenant, la langue se matérialise par la
mise en place d’une interlangue, définie comme un système
individuel et évolutif de savoirs et savoir-faire.
• En France, par exemple, quand le français est
enseigné à des étrangers (contexte endolingue), on
peut observer une grande diversité d’approches en
fonction des institutions et de la demande des
apprenants (besoins langagiers).
La langue-culture (Cuq, 2003)
• Il s’agit de prendre en compte le plus grand nombre
possible de références culturelles sans lesquelles la
production langagière ne fait pas sens.
• À la culture savante (livresque), la didactique va
opposer la culture anthropologique (les pratiques
culturelles), celle qui règle toutes les façons de vivre
et de se conduire et qui constitue une partie
essentielle de l’identité de chaque individu: 
• « En langue maternelle (LM), c’est l’aspect identitaire qui est
fondamental parce que c’est l’appropriation, dès l’enfance, de
la langue et de la culture qui, par un double processus intra et
interpersonnel, construit l’essentiel de l’identité sociale.
• « En langue seconde (LS), l’aspect identitaire est d’autant plus
important que l’identité, dans les pays où le français occupe la
place et la fonction d’une langue seconde, se construit
généralement dans un contexte multilingue, éventuellement
conflictuel, comme ce peut être le cas dans les ex-colonies
françaises, notamment d’Afrique noire francophone.
• « Le problème se complique encore dans le cas où
l’appropriation du français LS ne se fait pas nécessairement
dès la plus tendre enfance, ce qui rapproche alors la LS d’une
langue étrangère.
• « Le problème identitaire se pose de façon moins aiguë en
langue étrangère puisque l’apprentissage de la langue-culture
étrangère relève généralement d’un choix librement consenti.
• « Même lorsqu’il n’y a pas réellement choix (par
exemple dans les pays qui imposent une ou deux
langues étrangères), le fait de s’approprier une langue
étrangère ne désarticule pas le capital culturel de
l’apprenant.
• « Il s’agit simplement pour l’apprenant de maîtriser
suffisamment le réseau symbolique qui constitue la
langue étrangère objet d’apprentissage pour être
capable de produire et de recevoir du sens dans cette
langue.
• « On dira donc que, du point de vue didactique, la
culture est le domaine de références qui permet à
l’idiome de devenir langue :  c’est la fonction
symbolique de ces références qui établit la langue
comme maternelle, seconde ou étrangère et qui, par
conséquent, conditionne la fonction communicative »
(Dictionnaire de didactique du français langue étrangère et
seconde, Cuq (dir.) (2003), p. 148-149).