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La bourgeoise
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Des symboles « typiquement » bourgeois: commerce interrégional et la ville, siège de leur pouvoir
Guy Lanoue, Université de Montréal, 2012-2015
Emil Benveniste (« Symbolisme social dans les cultes grécos-italiques », Revue de
l’histoire des religions 129, 1945), en parlant de la survivance de la structure de
l’idéologie indo-européenne tripartite en Europe (prêtres-rois, guerriers, producteurs,
popularisée par Georges Dumézil), cite le roi anglais Alfred (The Great): « ‘A populated
territory: that is the work with which a king concerns himself. He needs men of prayer,
men of war, and men of labor’. In the 14th century … one could read this in an English
sermon: ‘God made clerics, knights, and tillers of the soil, but the Demon made burghers
and usurers’. » Les bourgeois n’ont pas de fonction officiel dans l’ordre médiévale.
Monnaie du roi Alfred, 9e
siècle, Wessex
http://anglosaxondiscovery.ashmus.ox.ac.uk/discover_images/objects/coin_Alfred.jpg
La bourgeoisie est traditionnellement vue comme une catégorie parmi tant d’autres dans un système
de classe, mais ce n’était pas le cas dans l’ordre médiévale, l’époque quand elle émerge. Étant
urbain et pas attachée à la l’agriculture, ses activités commerciales s’échappent aux contrôles du
« prix juste » que les souverains imposent. Souvent vilipendée, car identifiée comme propriétaire
immorale de moyens de production et d’exploiteurs du prolétariat, elle trace ses origines à un
monde occidental qui a largement disparu, l’Ancien Régime, avec ses états qui fonctionnaient à
tous les effets comme des castes. Elle a donc conservé de traits qui ne sont pas entièrement
compatibles avec la dimension économique contemporaine, surtout le désire de faire impression.
Voilà pourquoi elle est tantôt décrite selon ses attributs culturels, tantôt par sa position dans une
hiérarchie politico-financière. Parfois, ses membres sont des investisseurs et capitalistes, mais
souvent de personnes tout à fait divorcées du système financier sont décrites (et se décrivent) par la
rubrique «bourgeoise».
À droite, image populaire du bourgeois au 17e siècle. En réalité, cette
époque dite «bourgeoise» devient iconique dans les manuels
d’histoires du 20e siècle parce que c’est le moment où les
bourgeoisies européennes commencent à saisir le contrôle politique et
à créer leurs propres mythes d’origine.
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«La leçon de piano», de Ludger Larose,
artiste montréalais, 1907
C’est cette combinaison
d’individualisme (donc, le désir
d’établir son autonomie et de la
distance entre le Moi et la
communauté) et de conformisme (donc,
le désir de s’identifier le Moi avec la
communauté) qui définit la culture
bourgeoise. Il n’est pas nécessaire que
la personne soit dans une position
particulière dans un système de
production (ou de finance) pour qu’elle
soit considérée bourgeoise. Il y a donc
plusieurs personnes, dont les
circonstances de vie les poussent à
s’identifier avec cette culture
d’autonomie et de conformisme, qui se
considèrent et sont considérées
bourgeoises par la communauté – les médecins et d’autres professionnels libres; les petits entrepreneurs
immigrants; les membres de la haute classe moyenne salariée tels que les professeurs universitaires, etc.
La bourgeoisie est, paradoxalement, étant donné ses origines mercantiles, l’unique classe qui se définit
par sa culture et non par sa position dans un système de production. Le fait que cette culture soit établie
depuis très longtemps a permis cette culture d’acquérir de métonymies qui sont tellement bien établies
(depuis le début du 17e siècle, en France) qu’elles sont synonymes de cette culture, sous la forme
collective connue comme la Belle Époque (voir La cousine Bette [1846] et d’autres exemples de La
Comédie humaine, de Balzac). Le cœur de cette entité, cependant, reste la fusion de l’indépendance
individuelle et du conformisme social.
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Ironiser l’embourgeoisement des Noirs
américains en 1829 à Philadelphie.
L’ambigüité de la bourgeoisie dans toute
sa splendeur: comment osent-«ils» devenir
bourgeois, quand «bourgeois» c’est
«notre» insulte!
Un médecin, un courtier de la bourse, une châtelaine, un
professeur d’université peuvent tous être qualifiés de
«bourgeois», même s’ils affichent de positions sociopolitiques
libérales, et même s’ils sont salariés. Quelques catégories ayant
un statut légèrement inférieur (ingénieur, enseignant de lycée,
comptable) peuvent également être étiquetées de bourgeois,
surtout s’ils assument des airs censés avancer leur position
sociale. «Bourgeois» est donc synonyme d’arriviste,
d’exploiteur, de borné, de l’«assis», de l’indifférence aux autres,
même de fasciste. Il y a peu de synonymes positifs, sauf peutêtre «personne aisée», et, là, cette dimension est plus apte à
susciter de l’envie plutôt que de l’admiration. Pourtant, c’est la
bourgeoisie qui a développé le mythe occidental de
l’individualité, ce qui sabote son statut privilégié près du
sommet de la pyramide sociale, car l’individualité souligne
implicitement la capacité de quiconque de changer son statut
moyennant un investissement dans le Soi: apprendre de bonnes
manières, maitriser une profession et la culture muséale;
s’acheter (c.-à-d., pas la recevoir en héritage) une résidence dans
un quartier huppé; envoyer ses enfants à une école privée (les
vraies élites du système médiéval ne croyaient pas trop en
l’éducation, car elles n’en avaient pas besoin pour affirmer leur
statut). Le mythe que l’individu peut se créer par ses propres
efforts est si primordial pour l’Occident qu’il est difficile
imaginer comment les systèmes politiques et les sociétés
typiques de la modernité (post-1450) auraient pu s’ériger sans ce
mythe. Bref: les bourgeois inventent l’individu comme
catégorie.
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Souvent ce sont les
monastères qui développent
et standardisent les recettes
pour la fabrication de la
bière avant le 13e siècle.
L’ajout du houblon (qui est
naturellement antiseptique) à
la bière commençant au 12e
siècle permet aux marchands
de l’exporter sans regard à la
question de la conservation.
Contrairement à plusieurs versions populaires (p.e., sur
Wikipedia), la bourgeoisie européenne n’émerge pas au 17e siècle,
mais avec le capitalisme embryonnaire du 13e siècle dans certaines
villes d’Europe et d’Italie septentrionale: Florence, Milan, Gênes,
Pise, Utrecht et d’autres villes du nord-ouest de l’Allemagne (le
Saint-Empire romain) et les villes de Flandre et du nord-est de la
France. Il est difficile de cerner de traces de cette classe à l’époque
médiévale en Grande-Bretagne, mais au 14e siècle des activités
bourgeoises se manifestent à Londres et probablement à d’autres
villes portuaires. Les bourgeois commencent à émerger quand
certains marchands de l’époque ont eu l’opportunité d’assurer la
qualité et la quantité de leur marchandise en achetant les ateliers
artisanaux qui fabriquaient leurs marchandises qu’ils échangeaient
d’une ville à l’autre, surtout les textiles et la bière. Par ses
activités, la bourgeoisie crée le prolétariat.
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ums/z80/Malvoisin_bucket/mediev
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Un métier à tisser vertical à deux poutres du 13e siècle;
notez que ceci est un développement technologique très
important, car il permet de fabriquer de morceaux de tissu
ininterrompu, et permet un certain degré de confort au
tisseur, qui comme conséquence peut augmenter sa
productivité.
http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/e/e1/Late_Medieval_Trade_Routes.jpg/800px-Late_Medieval_Trade_Routes.jpg
L’échange mercantile à l’époque médiévale, montrant les liens établis par la Ligue hanséatique (noir), par Gênes
(rouge), par les républiques de Venise (bleu) et Gênes et Venise (mauve). Le gris montre les voies terrestres et
fluviales. La création d’alliances mercantiles est signe d’un autre trait bourgeois: exclue de la politique, elle ne
s’identifie aucunement avec les frontières nationales. Ces alliances remontent au 13e siècle.
Cette activité mercantile est encadrée par quatre faits: a) les
villes en question, avec quelques exceptions, sont très
petites, parfois ne dépassant pas 5000 habitants; les activités
bourgeoisies ont donc un impact démesuré sur la ville; b)
dans une époque où les infrastructures de transport étaient
peu développées, l’activité économique de chaque ville est
guidée par la théorie de l’avantage comparatif; par exemple,
une ville au carrefour de deux fleuves qui coupent une
plaine où pousse l’orge se spécialise dans la production de
la bière; cette spécialisation favorise l’échange, qui se
concentre naturellement dans les mains des marchandsbourgeois; c) la vraie richesse et les moyens de production
http://www.costumes.org/history/medieval/13thcntknight.jpg
les plus importants, la terre et l’agriculture, étaient
solidement dans les mains de l’aristocratie; l’activité artisanale, mercantile et capitaliste ne constitue
qu’une partie infime de la richesse, et donc échappe à l’œil des nobles et des rois, qui souvent se
contentent de conférer de chartres aux villes pour les rendre semi-indépendantes à condition qu’elles
paient leurs taxes; ceci permet aux marchands et aux bourgeois de saisir le contrôle politique des villes
pour créer de conditions qui favorisent leurs activités de production, par exemple la fondation de
corporations (les collèges) qui assurent la qualité de la marchandise; d) le 13e siècle est une époque de
prospérité et d’expansion en Europe occidentale, mais ceci est brutalement interrompu au 14e par la
Grande Famine (1322) et par la peste (20 a 50 ans plus tard, selon le lieu), dont les effets, à longue
durée, favorisent la création d’un prolétariat composé de réfugiés de la campagne; ces désastres
encouragement les artisans à vendre leurs ateliers aux marchands-bourgeois et à se transformer en
simples employés. Il peut sembler incroyable, mais le capitalisme se développe dans les sociétés
agraires dominées par le chevalier (ci-haut), dont l’image est devenue iconique de l’époque. Cependant,
celui-ci fait partie du système féodal de la campagne et non de la ville.
Introduction et propagation de la
peste en Europe. Notez que les
parties moins urbanisées de
l’Europe, au nord et à l’est, ont été
relativement intouchées, ce qui a
encouragé les rois occidentaux
d’acheter du grain de ces zones,
créant de conditions de féodalisation
et de sous-développement industriel
qui marquent l’Europe orientale
jusqu’à nos jours. Ce déséquilibre
politico-économique favorise
l’échange entre les deux Europes, et
les néo-bourgeois occidentaux au
14e siècle sont prêts à saisir cette
opportunité pour projeter leur
pouvoir sur le secteur agricole. Une
partie devient les agents chargés par
les rois de trouver les impôts pour
financer leurs achats de grain;
d’autres commencent à acheter de
terres mises à l’enchère pour payer
les impôts imposés par ces mêmes
bourgeois agents du roi.
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La bourgeoisie est relativement imperméable aux
conditions locales. Elle possède plus ou moins les
mêmes qualités partout en Occident. On peut préciser
quelques traits qui soulignent sa position ambigüe: a)
dans l’Ancien Régime, elle était classée avec la classe
marchande et avec les paysans, le tiers état, une
catégorie largement composée de laboureurs ruraux,
mais elle est née dans un contexte urbain et non rural;
malgré sa catégorisation «officielle», elle ne s’identifie
aucunement avec les autres membres du tiers état et
donc ne forme aucun attachement aux autres classes; b)
elle appartient à l’état ayant le plus bas statut des trois,
mais elle domine néanmoins son environnement urbain;
autrement dit, son pouvoir considérable, dans le
contexte local, n’est pas lié à son statut; c) sa richesse
dépend de l’échange régional, qui est possible grâce à la
spécialisation économique (p.e., le tissu de Nîmes, la
bière bavaroise), mais son parcours historique se
converge vers un modèle culturel unique, car en
saisissant le contrôle de l’artisanat local pour garantir la
qualité et la quantité de la production, elle se réoriente
vers la dimension financière; d) étant assujettie à ces
paradoxes, elle est simultanément désireuse
d’augmenter son statut en copiant les mœurs des
aristocrates, mais elle est aussi orgueilleuse qu’elle s’est
créée par ses propres efforts.
http://www.wwnorton.com/college/history/ralph/ralimage/25third.jpg
«Un homme du troisième état et sa famille», anonyme.
La France postrévolutionnaire était bourrée de ces
allégories et surtout de parodies du tiers état, dont les
membres avaient, avant la révolution mené une lutte
acharnée pour la respectabilité noble. Ils ont été
néanmoins inclus dans le tiers état par les nobles et par
le clergé, car, selon le dicton renommé, ils avaient de
l’argent «sans statut».
La culture bourgeoise
La culture bourgeoise héberge un paradoxe,
la fusion de conservatisme culturel qui, pour
le discours populaire, la transforme en
synonyme de borné et de l’hypocrisie, et
d’avant-gardisme qui lutte pour mettre fin à
la notion médiévale de l’identité figée par
l’héritage. Ironiquement, le mariage de ces
deux traits a été responsable de l’émergence
de l’humanisme rationnel et du libéralisme
politique qui définissent la modernité
occidentale. La culture bourgeoise a toujours
favoriser la transformation de la culture de
l’individu: car c’est par la manipulation des
mots et des images que cette classe saisi le
pouvoir. En affichant la richesse, ils
convainquent les rois de leur fiabilité pour
devenir leurs fonctionnaires. Bref, la culture
bourgeoise est contradictoire: individualiste,
mais prête à s’intégrer dans le statuquo.
Ironiquement, les bourgeois peuvent se
critiquer précisément parce qu’ils ont adopté
les mœurs et les attitudes de catégories
«supérieures».
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/16/1654/8AJGD00Z/posters/cheguevera.jpg
Bourgeois et
révolutionnaire: inspiration
de nombreuses parodies.
Serait-ce le Rolex?
http://famewatcher.com/wp-co
ntent/uploads/2010/07/CheLrg.jpg.jpeg
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.com/pix/1/555183t.jpg
http://www.northernsun.com/images/imagela
rge/Viva-La-Evolucion-Small-Poster-(4272).jpg
Cette combinaison a inspiré David Brooks à proposer le
concept de Bobos, des bourgeois bohèmes (Bobos in
Paradise: The new upper class and how they got there,
New York, 2000). Descendants des yuppies égoïstes des
années 1980s (brillamment incarné par Gordon Gekko,
protagoniste du film Wall Street d’Oliver Stone, 1987),
les bobos fusionnent (selon eux) le libéralisme politique
à la dépersonnalisation technocratique («les jeunes
loups», ou «les petits normaliens») des décennies
antérieures: de l’humanisme sans humanité. Ils sont les
nouveaux capitalistes qui se distinguent par leur
engagement politique libéral et par la charité (voir Marc
Abélès, Les Nouveaux Riches. Un ethnologue dans la
Silicon Valley, 2002).
L’originale, de
Henri Rousseau; Le
rêve, 1910.
http://inculture.com/wp-content/uploads/2010/01/bobos.jpg
http://iloapp.thebobogalle
ry.com/blo/www?ShowFil
e&image=1244893777.jpg
Un bobo est un bourgeois recyclé qui fait du
recyclage; voir le PPT Branding, recyclage et
publicité.
Lady Gaga est une
postbobo parfaite,
car non seulement
incarne-t-elle
brillamment l’idée
du recyclage dans
son brand, elle a
brouillé la frontière
entre l’originale et
les versions
retravaillées et
reétiquetées.
http://www.zmemusic.com/wp-content/uploads/2009/08/lady-gaga-jet-1.jpg
Il y a deux-cents ans, les capitalistes
luttaient pour transformer le langage de
l’échange, pour la purger de la dimension
politique qui subordonnait l’ouvrier au
bourgeois. Ils établirent un langage
dépersonnalisé, rationnel, voire
institutionnalisé (voir Max Weber,
L’éthique protestante et l’esprit du
capitalisme; vers. or. en Allemand, 1904- http://aroundthesphere.files.wordpress
.com/2009/12/americangothic.jpg
5, où l’auteur décrit l’influence du
Puritanisme qui pousse les personnes à épargner et à
travailler de façon acharnée), où le rapport fut décrit
comme étant purement « économique » et
« naturel » et donc « incontournable » (comme Karl
Marx a souligné en Capital), car protégé et
reproduit par la loi du contrat. Cet engagement
envers une image rationnelle et « naturelle » cache
les lignes de force hégémoniques qui ont permis aux
bourgeois d’acquérir leurs privilèges.
À gauche, American Gothic de
Grant Wood (1930). Pour
plusieurs, ces personnages
incarnent la détermination, le
travail, et l’esprit austère du
protestantisme capitaliste.
Drôlement, les modèles pour le
fermier sérieux et sa fille nubile
(au début, on pensait qu’il
s’agissait de l’épouse) étaient la
sœur de l’artiste et son dentiste.
http://www.cartoonstock.com/newscartoons/cart
oonists/dsc/lowres/dscn13l.jpg
•
•
La culture bourgeoise n’est pas homogène, et les bourgeois ne sont pas solidaires; avec le poids accordé à
l’individualisme, ceci n’est pas surprenant. Par exemple, il y a neuf catégories “bourgeoises” à Rome:
1) les descendants, généralement de professionnels et de fonctionnaires aujourd’hui, des entrepreneurs
immobiliers arrivés à Rome de Turin et de Milan (il generone) après l’unification; leur héritage s’est construit
de deux boums immobiliers en 1880 et 1900; 2) les descendants, aussi professionnels ou fonctionnaires, de la
petite aristocratie qui a participé, grâce à leurs contactes avec le gouvernement, dans les boums immobiliers; 3)
les descendants des propriétaires d’entreprises agricoles situées dans l’Agro romano qui se sont enrichi grâce à
l’élevage de chevaux, dont la demande a augmenté avec le boum immobilier; 4) les descendants aujourd’hui
en commerce de marchand s ruraux qui alimentaient Rome; 5) les descendants d’intendants des grandes
entreprises agricoles (mezzadria) situées en dehors de l’Agro mais dans les confins des États pontificaux; 6)
les descendants, aujourd’hui politiciens et fonctionnaires, des fonctionnaires de l’ancien Royaume de Naples
qui ont été transféré à Rome par le nouveau gouvernement pour affaiblir leur impacte politique après la
conquête du Sud; 7) de nouvelles élites financières qui se sont enfichées grâce à leurs réseaux politiques qui
ont été formés avant 1992; 8) de nouvelles élites formées après les réformes de 1992, qui se sont enrichies
avec la politique de privatisation (p.e., la création de Telecom Italia en 1994); 9) les descendants, aujourd’hui
professionnels, de professionnels qui vivaient et travaillaient à Rome avant 1870.
Antonio Gramsci (1891-1937),
théoricien de l’hégémonie bourgeoise
en Occident
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« Bourgeois » est devenu péjoratif (évidemment, pour les sociétés qui en possèdent). Le mot est
symbole de complaisance, de collaboration avec le pouvoir, de l’exploitation de l’ouvrier, de
l’indifférence au social, et de l’individualisme philistin. « Petit bourgeois » est encore pire, car la
personne ciblée n’a même pas le statut et les prétentions grandioses d’un « vrai » bourgeois « capitaine
de l’industrie ». Ironiquement, cette dimension négative surgit parce que les bourgeois sont
complaisants avec le pouvoir, et parce qu’ils sont le pouvoir mais le cache sous un masque libéral. En
fait, ce sont leurs traits culturels plus que leur position d’autorité qui semble être visée, mais il s’agit de
la même chose, car les bourgeois, depuis quelques siècles ont mobilisé et politisé la culture pour établir
leur domination; bref, l’hégémonie, contre laquelle les autres classes ne peuvent monter une résistance,
car cet instrument de gouvernance les rend auto-censurants et complaisants. Ils ressentent de pressions
psychiques et non politiques, car l’hégémonie se déroule dans le cadre de liberté individuelle et de la loi
du contrat, où les parties sont en principe libre et sans contraintes identifiables. Bref, les autres haïssent
les bourgeois
parce qu’ils se haïssent eux même, sans
savoir ni où ni comment diriger leurs
ressentiments, qui ont été nourris par des
critiques littéraires et filmiques du système de
classe: Flaubert (Mme Bovary), Balzac (La
cousine Bette), Stendhal (Le rouge et le noir),
Bunuel (Le charme discret de la bourgeoisie;
L’Age d’Or) à gauche, Lenin; à droite, le
Bourgeois gentilhomme interprété par
Molière.
http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/th
umb/4/42/Le-bourgeois-gentilhomme.jpg/300pxLe-bourgeois-gentilhomme.jpg
http://houstoncommunistparty.com/wpcontent/uploads/2009/12/lenin.jpg
Puisque la bourgeoisie impose ses valeurs sur la culture nationale, l’idée de construire et
de produire le Soi par l’agir individuel s’enracine, se propage, et « inspire » tous les
secteurs de la société, dans le sens que l’agir et l’individualité deviennent des vecteurs de
l’hégémonie bourgeoise, et donc sont des valeurs naturalisées. L’inverse est aussi vrai:
des pays avec des secteurs bourgeois absents ou limités ont parfois de classes moyennes
plus influencées des valeurs venant du « bas » que du « haut ». Autrement dit, les classes
moyennes bloquées par une hiérarchie trop rigide conservent leurs valeurs du milieu
d’où elles sont issues, la paysannerie et le prolétariat. En contraste, les classes moyennes
« libres » copient les aristocrates.
http://trcs.wikispaces.com/file/vi
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À gauche, une vieille interprétation des différences séparant
trois classes: les aristocrates, la classe moyenne, et les ouvriers.
Notez les différences de taille; ils sont posés, mais il y avait des
différences importantes de taille jusqu’à la 2e Guerre mondiale.
En haut, une pose stéréotype de la classe moyenne.
http://www.onecybertech.com/blog/wp-content/uploads/2010/11/middle-class-strata.jpg
Par exemple, la classe moyenne italienne est de ce premier type. L’Italie est née d’un plan
politique mis en place par des élites septentrionales largement inspirées de modèles
romantiques. Parce que la culture nationale a été planifiée et créée par l’élite politique
(qui n’incluait pas les paysans dans leur vision; ces derniers constituaient 80% de la
population en 1870). Les bourgeois industrialisent une partie du nord, mais le sud est
dominé par la bureaucratisation, surtout pour absorber les ex-fonctionnaires du Royaume
de Naples. Le résultat est une classe moyenne inerte: selon le sociologue Giuseppe De
Rita (fondateur du CENSIS, l’équivalent de StatsCan au Canada et du Département de
commerce aux É-U) (L’éclisse de la borghesia, Rome, 2011) le ceto medio, qui n’est pas
exactement classe moyenne dans le sens nord-américain, mais « niveau du milieu ».
« Ce n’est pas un pays pour les jeunes »;
en fait, ce n’est pas un pays pour les
personnes qui n’ont pas de pistons
politiques.
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Avant les années 1960 (après le « miracle italien » des années 1950), la classe moyenne est
trop petite et faible pour que son travail et son impact économique soient la force motrice
pour le développement social; les investissements et la planification viennent « d’en haut »
(même aujourd’hui le gouvernement italien est actionnaire dans plusieurs grandes
entreprises). Le ceto medio est le bénéficiaire uniquement parce que les élites ont besoin de
la main-d'œuvre pour leurs usines, et transforment la paysannerie méridionale largement
illettrée en prolétariat urbain septentrional; lentement, cette catégorie se « moyenise » avec
l’embourgeoisement des valeurs. Autrement dit, la classe moyenne reçoit les bénéfices de
la croissance, mais ne la crée pas par ses efforts (travail, impôts) et donc n’a pas
d’investissement moral dans l’infrastructure sociale du pays. Bref, l’impacte limité de la
bourgeoisie mène à une classe moyenne complaisante, soumise et surtout passive. C’est la
vraie différence qui sépare l’Italie de l’Allemagne, la France, la Grande-Bretagne, et
l’Amérique du Nord, avec des structures élites, oui, mais aussi avec des classes moyennes
énormes et socialement engagées à conserver le statu quo.
“Perché io, Pina, ho una caratteristica: loro non lo sanno, ma io sono indistruttibile,
e sai perché? Perché sono il più grande perditore di tutti i tempi. Ho perso sempre
tutto: due guerre mondiali, un impero coloniale, otto - dico otto! - campionati
mondiali di calcio consecutivi, capacità d'acquisto della lira, fiducia in chi mi
governa e la testa per un mostro, per una donna come te” – Le credo du ragg. Ugo
Fantozzi, 1980