Transcript La laïcité de nos jours

La laïcité
hors de France
Espace Saint Hilaire NIORT
Jeudi 5 février 2015
Christian BERNARD
l’ IESR Institut Européen en
Sciences des religions
Fondé en 2002 (Régis Debray) EPHE/Sorbonne1868,
Ve section 1886
• Centre d’expertise et de ressources sur le fait
religieux
• Institut pour la formation sur laïcité et faits
religieux
• Un observatoire européen du religieux et de la
laïcité
www.iesr.ephe.sorbonne.fr
Quelques préalables
1er préalable:
2e préalable :
* Les étrangers ne
peuvent pas nous
comprendre
* Le mot laïcité ne
peut pas se
traduire
• l’exception
française
3e préalable
• Qu’est-ce que la
laïcité?
3e préalable: qu’est-ce que la laïcité? Le mot et son champ lexical
•
•
L’adjectif/substantif laïc est plus
ancien (frère lai de laïcus)
Le substantif laïcité est d’usage
récent et bien formé.
(F.Buisson 1882)
Origine grecque : laos /demos
Laïkos ou la-ikos
dérive du mot laos (peuple)
et suffixe ikos (relatif à)
-> un laïque /cléricaux (qu’ils soient
clercs ou laïcs)
Le mot laïcité absent de tous les
textes législatifs (avant 2004)
Démocratie et laïcité sont deux
termes identiques. Jaurès 1904
• Expression d’une volonté de
soustraire l’État à toute
influence religieuse ou
cléricale
• Conception large de la laïcité
qui vise le peuple:
[émancipation]
-> arrachement [oubli des droits
naturels?]
-> une éthique de la libération
appuyée sur une morale de
responsabilité…vers un
monde où chacun dispose de
toutes ses chances
d’accomplissement.
Henri Peña-Ruiz
-> l’esprit laïque c’est l’ensemble
des aspirations du peuple, c’est
l’esprit démocratique et
populaire
Deux acceptions de la laïcité : philosophique et juridique
Comment définir la laïcité ?
Philosophie : Henri
Peña-Ruiz
• La laïcité se définit donc
par la conjonction de
trois principes :
1- la liberté de conscience,
2- l'égalité de droits des
citoyens, sans distinction
de conviction,
3- l'universalité de l'action
de la sphère publique,
dévolue au seul intérêt
général .
Histoire/Sociologie
Jean Baubérot
-> L’articulation de quatre
grands principes:
1- la garantie de la liberté de
conscience (croyant. majorité)
2- l’égalité et la non
discrimination (c.minorité)
3-la séparation du politique et
du religieux (laïciste)
4-la neutralité de l’État à
l’égard des diverses
croyances (exigence restrictive,
ne se mêle pas du religieux)
-> La laïcité comme principe régulateur de
la société
• La laïcité ne s’oppose pas aux religions,
• elle n’est pas une religion.
La laïcité n’est pas une option spirituelle parmi
d’autres, elle est ce qui rend possible leur
coexistence, car ce qui est commun en droit à
tous les hommes doit avoir le pas sur ce qui les
sépare en fait. Régis Debray
-> La laïcité est le mode de fonctionnement choisi par la
République pour assurer le vivre ensemble des citoyens:
- Divers quant à leurs opinions et croyances
- Diversement concernés par la sécularisation
Ne pas confondre finalités et moyens
• La définition populaire
de la laïcité :
séparation et neutralité.
-> « risque de transformer
la finalité de la liberté
de conscience pour tous
en une émancipation
à l’égard de la religion »
J. Baubérot
Risque de confondre:
Laïcisation et
Sécularisation
La laïcisation concerne
l’État, elle se décrète
La sécularisation
concerne la société,
elle résulte d’une
évolution de la société
civile
[dès le XVIIIe, autonomisation de
l’individu]
Mais subsiste toujours cette tension entre l’égalité
citoyenne et l’exercice des libertés
L’égalité :
chacun individu est citoyen,
et donc possède
- les mêmes droits
- obéit aux mêmes règles,
- aux mêmes lois
-> égalité de traitement
->l’un des principes de la laïcité
La liberté
Chacun est libre
d’exprimer ses
opinions politiques et
d’affirmer ses
croyances religieuses
-> Exprimer sa différence
-> art.1;10 Des Droits de l’Homme
-> Convention européenne 1950
Cette tension exprime celle entre le citoyen et la personne.
Elle oppose parfois
- les tenants d’une laïcité dure (au nom de l’égalité de traitement)
- les tenants des libertés (liberté d’expression religieuse)
Spécificité française : une laïcité tiraillée entre des tendances autoritaires
(jacobines) et des tendances libérales
1- En Europe
La France est-elle une
exception?
Les pays européens : des héritages culturels divers
* Une christianisation ancienne et
progressive
• guerres de religions, paix religieuses
-> des situations de pluralisme religieux
Cujus regio, ejus religio :
*
•
tel prince, telle religion
Selon les États, la religion est vécue:
Comme ciment de l’unité nationale
Comme un élément de déchirure
Des paysages de plus en plus multiculturels
-> plusieurs typologies sont possibles
* L’Europe est-elle laïque ?
3 critères de régulation du religieux
- Liberté de
conscience,
liberté de religion.
[art.9 Convention Européenne
des Droits de l’Homme]
- Non
discrimination
l’égalité de droits et de devoirs
des citoyens quelque soit leur
conviction
- une autonomie du
politique/religion
Une Europe juridiquement laïque
- Convention européenne de
sauvegarde des droits de
l’homme et des libertés
fondamentales (art.9)
- La charte des droits
fondamentaux de l’UE
(2000, Conseil Européen de Nice)
-> arrêt Kokkinakis 1993 de la
Cour européenne des droits de
l’homme
Une Europe aux mentalités
laïques->une culture laïcisée
(Edgar Morin, Régis Debray)
**Une mise en œuvre diversifiée:2 modèles dominants
**Système de confessionnalité
les pays protestants et orthodoxes
La régulation du religieux s’articule autour de 2 principes :
- principe de hiérarchisation
- Principe de tolérance
Exemple danois (1953,art.4)
l’église évangélique luthérienne est l’Église nationale,-> soutien de l’État:
- Au niveau symbolique (enseignement religieux, sacre du roi, gestion
de l’état-civil, des cimetières..)
- Au niveau financier: le clergé est fonctionnaire
Mais :
liberté de conscience , liberté religieuse [11 cultes reconnus]
pas de séparation: ->coopération institutionnelle avec les Églises
néanmoins démocratie –le pouvoir appartient au peuple, il est
autonome/ religion].
Raison:
-doctrinale : l’Église ne s’est jamais opposée à l’État
- sociale : une religion garante de l’identité nationale.
Exemple grec
•Constitution de 1975:
-Au nom de la Sainte Trinité, consubstantielle et indivisible »
-Art.3: « La religion dominante en Grèce est celle de l’ Eglise orthodoxe
orientale du Christ »
*L’Église orthodoxe grecque est autocéphale [un Saint Synode présidé
par l’archevêque d’Athènes
-Certains territoires dépendant de Constantinople
•Omniprésence de la religion [icônes dans les administrations publiques,
serments religieux, puissance du clergé, cours de religion à l’école
publique pour développer « une conscience nationale et religieuse »..]
•Pas d’impôt d’église mais l’État finance les popes et les employés laïcs
•Le personnel religieux nommé par le Ministère de l’Éducation et des
Affaires ecclésiastiques.
•* Raisons : rôle de l’Église lors des 4 siècles d’occupation ottomane.
Pays ayant une religion d’ Etat
**Une formule de séparation
les pays catholiques
Pour s’affirmer, L’État doit rejeter le religieux de la
sphère publique -> organisation selon 2 principes:
-> séparation
-> principe d’égalité confessionnelle
Sud :logique de la
laïcisation
-> séparation stricte
la religion fut à un
moment donné objet de
déchirure nationale
Italie fin XIXe, 1948,
Espagne 1931,1978.
Portugal 1910, 1976,
concordat de 2004
(Etat laïque)
France 1905 (1946-58)
Une zone intermédiaire
Des Pays-Bas à l’Autriche.
-> Une séparation plus souple
Exemple de l’Allemagne [pas d’Église d’État]
* bi confessionnalité historique
* Au rendez-vous de la sortie des 2
dictatures
-> reconnaissance comme corporations de
droit public (inclure l’islam dans cette mission
publique?)
Kirchensteuer (60% des contribuables)
–> partenariat État Églises
***Vers une harmonisation de la scène
européenne?
Transformation des
contextes:
Le droit s’adapte
- Internes aux États
* Religieux
* politique
- Au niveau de l’Union
Européenne
Transformations des
pratiques de régulation:
- En régime de confessionnalité
homogénéité remise en cause:
-> déconfessionnalisation: séparation
Suède 2002, Norvège 2012, projet en
Grèce, implicite en Angleterre…
venue d’en haut et d’en bas
- En régime de séparation
-> vers une laïcité de dialogue et de
reconnaissance, réassociation
Vers un paysage de convergence de régulation du religieux au-delà
de la diversité héritée de l’histoire. Vers une séparation coopérative
2- Aux États-unis
Omniprésence du religieux ou
laïcité ?
Cette laïcité s’est forgée pour protéger la liberté religieuse
Un cadre juridique laïque
* La constitution
- Article VI/3 de la Constitution fédérale de 1787
-1er Amendement [Bill of Rights 1789-91 James Madison : 10
amendements à la Constitution]
-> Pas de religion établie [séparation]
-> Liberté religieuse [liberté de conscience?]
-> Un « Mur de séparation » entre l’État et les Églises
(Roger Williams, Jefferson)
* Kennedy : « Je crois en une Amérique où la
séparation de l’Église et de l’État est absolue »
-> Un État laïque
(antécédent du Rhode Island avec Roger Williams)
Mais une omniprésence du religieux dans la vie privée
et publique
• Serment
d’investiture
présidentielle
L'Inauguration Day
• « in god we trust »
• Allégeance au
drapeau
• Thanksgiving Day
• National Day of
prayer
Une société peu sécularisée
-> une offre religieuse très
diversifiée
[Agnosticisme et athéisme possibles]
-> une « société religieuse »
où la morale compte plus que
le dogme
Alors que signifie ces références à Dieu?
• Déclaration d’Indépendance : Dieu
créateur de l’univers [Jefferson déiste]
• Déclaration des Droits 1776 : l’Être
Suprême
• C’est un Dieu abstrait, de l’ordre, de
la vocation morale de la nation
américaine, de la religion civile
(aconfessionnelle)
• Cette religion civile vise à unir le
peuple (calendrier, grand prêtre)
[Quelle perception par les individus singuliers?]
Il y a bien laïcité [différente de la nôtre]
• Certes:
- La liberté vient de
Dieu
- Une nation soumise
à Dieu
-> un Dieu « déiste »
source des droits
inaliénables des
individus
• Mais:
-c’est le peuple qui est souverain [We,
-
the people]
c’est à lui de mettre en place les
institutions qui garantissent ces
droits inaliénables.
Le pouvoir politique ne vient pas de
Dieu, mais du consentement des
gouvernés
[conception de souveraineté
populaire qui s’inspire de la théorie
du contrat de John Locke]
-> Les Églises et l’État sont
séparés
- Le religieux et le politique ne
le sont pas.
3- La laïcité peut-elle
exister dans un pays
musulman?
Islam, démocratie, laïcité ?
Syllogisme des croyances les
mieux établies
• L’islam est hostile à la
laïcité
• Or la laïcité est
indispensable à la
démocratie
• Donc l’islam est
incompatible avec la
démocratie
Idée d’une confusion entre le
politique et le religieux,
par essence
Grande diversité de lectures du
Coran et de la Tradition:
-sauf le hanbalisme
(Wahhabisme), il y a
acceptation de la
modernité
[Nahda, al Afghani]
-les islamistes et postislamistes-> dans le jeu
politique national.
- Une nouvelle théologie
(différente d’Ibn Taymiyya) irait de
pair avec une
démocratisation
- Différentes lectures
possibles : des charias
Exemple turc: Origines de la laïcité turque
Volonté de se moderniser = européaniser
1ere tentative sous les « jeunes Turcs » en 1908
Résulte de l’action volontariste de Mustafa Kemal
- 1922 : abolition du sultanat.
- 29 octobre 1923 : déclaration de la République
- 3 mars 1924 : abolition du califat et de l’enseignement religieux
[ mais la Constitution, approuvée par la Grande Assemblée Nationale le 20 avril 1924
note que « la religion de l’État Turc est l’Islam ».]
1924 et 1926 : mise en place du code civil.
Abolition des tribunaux religieux, le système judiciaire est réorganisé sur le modèle
français.
- 10 avril 1928 : changement de deuxième article de la Constitution et alors suppression
des références à l’islam.
- 1931 : introduction de principes kémalistes « nationalisme, progressisme, populisme,
étatisme et républicanisme».
-
-> La laïcité(laiklik) est introduite en 1937 dans la Constitution Turque
- Constitution de 1982/1995: ART 2 : La République de Turquie est un
État de droit démocratique, laïque et social, respectueux des
droits de l'homme dans un esprit de paix sociale, de solidarité
nationale et de justice, attaché au nationalisme d'Atatürk
- Art.24 « liberté de conscience »
Des caractéristiques différentes de la laïcité
française
La Turquie est constitutionnellement laïque et
sociologiquement musulmane
France : [1905 ]
- séparation, esprit
libéral
- Clergé non rémunéré,
libre
- Liberté de croyances,
l’État ne s’occupe pas
des croyances
- Le pluralisme est
accepté
Turquie: [1937]
- contrôle, conception
autoritaire
- Le clergé est contrôlé
(fonctionnaires)
- La Présidence des
affaires religieuses
contrôle tout
->On vise l’unité de la
nation turque
(seul le sunnisme est accepté,
les traditions populaires sont
écartées).
-> rôle du nationalisme
Évolution de la laïcité en Turquie
• Imposée et réimposée par la force (armée)
- elle ne résulte pas d’une sécularisation par le bas
->tentation de retour du religieux dans les couches
populaires.
• Depuis l’arrivée au pouvoir de l’AKP (2002)
- Révision (2010) de la constitution de 1982
-> craintes pour la laïcité
- Accrocs actuels et tensions
(école, université, voile..)
-
Abandon du projet d’une nouvelle constitution
-> la Turquie actuelle, modèle pour les révolutions
arabes ?
Espoir de la nouvelle constitution tunisienne
26 janvier 2014
Évolution du rôle d’ Ennahdha
Un contenu islamo démocratique riche d’avenir
- La Tunisie est un État civil, fondé sur la
citoyenneté, la volonté du peuple et la
primauté du droit (art.2)
- L’État est gardien de la religion. Il
garantit la liberté de croyance, de
conscience et le libre exercice des
cultes (6)
- Les citoyens et les citoyennes sont
égaux en droits et en devoirs (Art. 21 )
- Tension entre liberté de conscience et
protection du sacré
- -> la Tunisie va-t-elle sortir de
l’autoritarisme et de la théocratie?
- Va-t-elle être un modèle ?
Medina de Tunis été 2011
Conclusion : Laïcité(s)
l’exception française?
- Certains États étaient laïques bien avant la France (cf Briand
1905)
- Expression des années 90 comme élément d’identité
(la République sacralisée comme une sorte de religion civile française)
- Le terme laïcité est peu répandu à l’extérieur, mais la
réalité est présente, sous des formes différentes
->Apprendre à pensez laïcités
Diversité de formes de démocratie
Diversité de formes de laïcité
-> l’extension mondiale de la laïcité conditionnée par
celle de la démocratie