Comprendre l`alimentation et les comportements alimentaires dans

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Transcript Comprendre l`alimentation et les comportements alimentaires dans

Comprendre l’alimentation et les
comportements alimentaires dans
d’autres cultures
Pascale MOITY-MAIZI
Montpellier Supagro, UMR Innovation
Master 1 UM2/IAMM – Nov 2011
Aliment nourriture et culture
Règne animal : se nourrir, besoin primaire
organisme
Règne humain : vie en société, culture,
apprentissages, socialisation passant par des
normes : on ne mange pas tout et n’importe
quoi,
Normes et règles ? Culture ???
Aliment nourriture et culture
L’équilibre nutritionnel est un résultat d’une
combinaison de choix matériels (contraintes,
opportunités) et culturels (normes)
La culture et les milieux expliquent des
connaissances et des goûts/aversions,
contrastés : ici on rejette l’amertume, ailleurs on
la recherche (ex. Kumba Burkina)
Sociétés Omnivores
Les relations milieux/nutrition/état nutritionnel : elles
sont complexes
Car l’humain omnivore, avec sa culture, modifie le
milieu, sélectionne et transforme, pense et imagine,
essaie, prend des risques, interdit, cherche du plaisir.
Donc : Pas de déterminisme des ressources
L’humain joue avec son adaptabilité biologique dans
sa quête de plaisirs gustatifs, gastronomiques.
Aliment nourriture et culture
L’humain : animal social. Conséquences :
On consomme à plusieurs
pas d’action, de goût, solitaire
Consommer, s’alimenter c’est aussi
communiquer, échanger, partager
Cuisine des sens et de la nature
La cuisine : une transition entre nature et culture par
quelques actes techniques universels:
Cuire, bouillir, rôtir : actes techniques spécifiques aux
sociétés humaines
La cuisine : action de préparer un aliment en vue de sa
consommation
(Etymologie : coquere, cuire)
Voir C. Lévi Strauss (Le cru et le cuit)
Cuisine des sens et de la nature
La cuisine : c’est dans cet espace, ce moment,
ces actes, que la Nature est transformée,
maîtrisée
Ex : viandes séchées, gelées, faisandées, cuites
chez les Inuits sont Nature dominée, humanisée
qui s’opposent au Cru, Nature vivante avec qui
on échange/dialogue par l’ingestion du vivant
(foie).
Cuisiner : des savoirs complexes
Des savoirs anciens, inscrits dans la mémoire
génétique de l’humanité pour le traitement de
plantes toxiques (ex. : rouissage manioc) ou
l’optimisation de certaines (ex. décortiquage et
cuisson quinoa)
Des savoirs segmentés Hommes/femmes
Des savoirs liés à des représentations, normes
La cuisine : domaine
sexué/sacré/caché
Domaine de socialisation féminin : apprentissage de
techniques, de règles, de normes ; on y devient femme.
Domaine technique complexe de signes : compétences,
richesse, statut..
Domaine intime, réservé, secret
Domaine sacré, symbolique (envoûtements,
empoisonnements)
Exemples : foyer peul/techniques et étapes de la vie
mossi, la cuisine de la mère/de la sorcière..
Constantes alimentaires
L’existence de produits/aliments « de base » qui
fournissent l’essentiel de la valeur calorique du
régime : ce sont des hydrates de carbone
d’origine végétale, céréales ou tubercules (riz,
mil, sorgho, maïs, manioc, igname, plantain,
patate) …un ou plusieurs associés.
sauf chez les Inuits (renne/phoque) les
mélanésiens Nvelle Guinée (sagou) : protéines.
Choix alimentaires
Manger = « Vivre » (Massa Cameroun),
« pouvoir/roi » (Mossi)…
La Valeur nutritionnelle (ou économique) n’exclut
pas des valeurs associées : hédoniques,
émotionnelles, symboliques.
C’est pourquoi
Des aliments de base / des aliments
rituels (riz rouge Casamance)
Des aliments sexués (gombo)/des
aliments divins, mythiques (sorgho
rouge)
Des aliments familiers/cosmiques,
Exemples
Le pain de froment « corps du Christ »
Les aliments chauds/secs/ensoleillés versus froids/
humides/sombres en Chine (les aliments sont soit
yin soit yang)
Le mil envoyé par Dieu pour sauver les hommes
(Serer Sénégal)
Les légumes type gombo : féminins …
Ce qu’il faut retenir
Les aliments ne sont ni neutres ni strictement utiles
(physiologiquement)
Les aliments sont aussi de la culture, du sens, ingérés
par le corps humain, cœur de toute histoire sociale
Ils sont donc objets d’une attention particulière dans
toute société.
Lire FISCHLER C. 1990, L’homnivore : le goût, la cuisine et le
corps, éd. Odile Jacob, Paris : 414 pages.
Habitudes et styles alimentaires
L’alimentation est un fait biologique et social.
Les sociétés sont caractérisées par des
traditions, des habitudes et styles alimentaires
La tradition n’est pas synonyme de fixité ; la
tradition est en perpétuel évolution : il y a une
histoire de la l’alimentation pour toute société…
Exemple : Moyen âge Europe
Les aristocrates mangent sur un mode
symbolique et les pauvres sur un mode
économique…
Les pathologies et leurs guérisons sont donc
variables d’un groupe à l’autre…
Aristocrates/paysans
Pas d’aliments ras du sol
(pas de légumes)
Viandes grillées, rôties,
en pâtés
Volailles et volatiles (au
dessus du monde)
domestiques
Gras, fromages cuisinés
(Peu) de Fruits cuits
Légumes jardin
Viandes bouillies
Laitages frais ou vieux
Fruits de saison (mais
pas de fraises)
Gibiers chassés bouillis
Aristocrates/paysans
Le sucre : médicament
devenu aliment (XIVe)
Sucre omniprésent
Deux repas quotidiens
Obésité : signe de
maladie, signe de
Saturne (mauvaise
planète, froide, sèche,
pesante)
Sucre inconnu
Fruits rouges, baies,
herbes sauvages :
médecines
Trois repas quotidiens
(et collations)
Céréales en bouillie :
médicament et aliment
Obésité et alimentation dans
l’histoire
Monde occidental :
Obésité : négative
Soignée par régimes
agissant sur le corps
(amaigrir) et sur l’esprit
(changer les humeurs)
Fougères, exercice,
dépuratifs, plats froids,
Éviter épices (gingembre) qui
rendent hébété et mou…
Monde arabe
Obésité : positive pour
femmes
Régimes pour engraisser
Tendance identique du
XVIe à fin Xxe en
Europe..
Changements alimentaires
Facteurs de changement :
 Economiques : hausse prix céréales, viandes
 Migrations : le sucre arrivé en Europe, …
 Echanges commerciaux : le cube Maggi en Afrique
 Industrialisation (éloigne producteur du consommateur)
 Publicité articulant Alimentation et Santé…
 Changement climatique : sécheresses durables en
Afrique…
Exemple : le keccax de Dakar
Facteurs de changement : Economiques
Dévaluation FCFA et ajustement structurel :
hausse prix du poisson, de la viande
On mange du poisson séché plutôt que frais
Le keccax : aliment du pauvre ; aliment de tous
Effets : nouvelles recettes, hausse de l’artisanat,
nouvelles techniques de transformation…
Exemple : les céréales locales au
Sénégal
Contexte de crise économique ET climatique :
sécheresses successives provoquent
Hausse Importations de Riz
Baisse récoltes céréales locales
Le riz au menu de tous, habitude alimentaire
récente, aliment national
L’anthropologue sollicité explore :
A l’échelle des ménages :
histoire et styles alimentaires
normes, représentations autour des céréales
locales (sorgho, mil, fonio, maïs)
Recettes et repas, savoir-faire, division et
pénibilité des tâches de préparation
Approvisionnements, budgets ménages (avec
économiste)
L’anthropologue sollicité explore :
Qualités objectives (nutritives), qualités
subjectives des aliments les plus consommés
(avec nutritionniste)
Attentes des ménages en matière de qualité
Perceptions et jugements sur des changements
proposés. Ex : remplacer bouillie de riz par
bouillie de maïs.
Les acteurs sollicités
Ménages, femmes
Restauratrices établies
Vendeuses de rue
Fournisseurs (agriculteurs, entreprises de
transformation, artisanes de transformation)
Agents de santé, Ministères
Pour quelles actions
Enquêtes : ménages, restauration, fournisseurs
Animation de formations (sur hygiène, qualités)
Etablissement de contrats
Création et diffusion de messages
Appuis techniques (transformatrices,
restauratrices)
Suivi technique, alimentaire, nutritionnel
Impacts
Augmentation achats céréales locales
Augmentation et diversification plats à base de
céréales locales
Changement des représentations (ex. le fonio)
Contrats passés avec agriculteurs, entreprises
Créations de nouveaux métiers (sociétés
d’emballages, artisanes spécialisées,..)
Impacts globaux
Une réduction trop faible de la consommation de riz
Une consommation de céréales locales inégale
Des attentes nouvelles en matière d’hygiène, de
traçabilité
Le riz toujours aliment-roi, signe de richesse….
Faible soutient de l’Etat aux producteurs de céréales
locales (pas de restriction importation/pas d’aides aux
agriculteurs)
Conclusion du cas
L’attrait d’un aliment rapide à cuisiner (le riz)
domine ici l’intérêt (économique, nutritif, social..)
d’une nourriture connue, ancienne, élaborée.
Le cas de l’huile rouge à Yaoundé
Extraite des inflorescences femelles du palmier
Elais Guineensis (Eleis)
Espèce protégée des clairières forestières au
Cameroun
Exploitation très ancienne pour l’alimentation :
huile, vin, alcool, savons, pommades.
Le cas de l’huile rouge à Yaoundé
Obtenue par procédés de pressage des noix de
palme : pressage au pilon ou pieds (femmes),
presse mécanique (artisans).
Déchets repris par industries, pressés. Produit
vendu en vrac et exporté dans l’industrie
agroalimentaire et cosmétique.
Un substitut de la graisse de cacao.
Une ressource économique d’exportation…
L’huile rouge stratégique
L’exportation comme source de revenus a
engendré :
Plantations massives
Développement des entreprises artisanales de
pressage/ développement industries
Compétitions et Saturation foncière
Compétitions entre artisanat et industries
Le cas de l’huile rouge à Yaoundé
Condiment nécessaire
pour
Un goût spécifique
Dans plats
« traditionnels »
Un remède dans
certaines maladies et
rituels
Matière grasse de
substitution pour
Faire cuire et frire
aliments conventionnels
« urbains »
L’huile de palme en cuisine
Modèles alimentaires : forestier-sahélien
Adoption et généralisation du riz en aliment de
base (sur 40 ans): facilité de préparation
Adoption du blé (pain et pâtes) : résultat des
politiques d’aide alimentaire pays du Nord
(export excédents de blé)
Adoption Huile arachide importée : adoption d’un
condiment « européen », signe des migrants.
L’huile de palme en cuisine
Trois types de plats identifiés :
Plats traditionnels (ingrédients locaux : feuilles,
tubercules, huile rouge) – 2/3
Plats modernes (riz, sauce tomate, viande, frites,
salades)
Plats européens (spécialisés : ratatouille,
pâtisseries, viandes en sauce..)
Usages Huile rouge
Trois types : artisanale, domestique, industrielle
Plats traditionnels : base féculent, orangés, goût
spécifique. Huile non substituable
Plats tradit-substituables : mélange d’huiles
Plats modernes : huile rouge blanchie ou
arachide
Le cas de l’huile rouge à Yaoundé
Corps gras perçu de deux façons, avec des
usages différents.
Un double statut qui lui permet de « résister »
aux huiles importées et moins chères
Un condiment révélateur de l’attachement des
groupes à leur cuisine et à leurs cultures
La résistance de l’huile rouge
Une huile peu coûteuse
Une huile qu’il faut avoir chez soi : identité
Une huile que l’on peut mélanger : hybridation
gustative et culturelle alimentaire
Une huile favorisant l’artisanat : l’huile d’origine
artisanale est jugée ‘propre’, soignée ; par
opposition à l’huile industrielle…
Un aliment symbolique :
Thérapeutique : Remède dans certains cultes
(plaies, abcès, indigestions, dents, paludisme..)
Diététique : gage de Longévité et de croissance
(fort apport en Vit A attestée)
Rituel dans l’échange : mariage (dot), funérailles
(don) ; un lien vivants/ancêtres
Conclusion
Même menacé par d’autres corps gras, l’huile
rouge conserve sa place du fait de sa double
fonction et de son statut :
Condiment traditionnel irremplaçable
Corps gras substituable
Aliment symbolique
Les usages modernes n’altèrent pas les traditions.