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Laurens OEN
… en vie.
(Autofiction)
Journal d’un futur père.
Il est excitant d’entamer un nouvel ouvrage. Il l’est davantage lorsque sa vocation est une
quête. Je pars à ta recherche. Tandis que ta mère nourrira ton être, je te façonnerai au travers
de mes mots… maux. Ton esprit et ta chair couleront dans mon encre… à défaut de mes
veines. Je pourrai ainsi te palper bien avant l’heur[e]. Ironiquement, lors de la conception de
mes précédents manuscrits, je disais que j’accouchais d’un enfant puisqu’il me fallait le temps
d’une gestation pour les achever. L’expression n’a jamais été aussi juste qu’à présent. Elle
n’est pas galvaudée… prenant tout son sens… tous tes sens… ce journal étant une genèse.
A toi que je ne connais pas en corps,
ainsi qu’à ta mère.
2
A toi que je ne connais pas en corps…
Premier [é-]moi[s] :
Huit jours de retard. C’est quasiment officiel… Nathalie est enceinte. Elle se lève
péniblement, meurtrie par les virages de la veille… de la vieille… puisque nous nous sommes
rendus en Andorre… contrairement à toi qui semble t’y refuser. Elle est percluse de nausées
mais se plaint d’avoir le ventre vide… donc rien à dégorger pour apaiser son estomac. Le gas
ne semble pas vouloir se taire.1 Elle se prépare un thé. Je décide d’entamer ce journal… de me
nourrir également de cette grossesse… de la vivre au travers de mon regard de futur père et de
raconter mon chemin vers la paternité… Saint-Jacques de Compos’elle.
En gravidité, tu es là et bien las. Particule infime, tu n’en es pas pour autant insignifiante,
causant déjà quelques ravages. Chahuté(e) dans les lacets de la Principauté, tu t’es accroché(e)
à ce que tu pouvais. Les viscères de Nathalie en gémissent en corps. Nous nous préparons
pour un bref périple en Espagne. Ma princesse me réplique qu’elle agrée de venir, s’il n’est
point de courbe sur notre route. Aucun lui confirmé-je. J’abandonne ma plume pour prendre
un petit déjeuner opportun. L’écriture me creuse. Nathalie renonce au sien. Elle gagne la
banquette de notre location… péniblement… s’y affale… le visage empreint de dégoût. Elle
me lance que j’ai le beau rôle et lâche en direction des deux félines qu’elles ont de la chance
de ne pas connaître les affres de la maternité. Une martyre est née. La gestation n’est pas une
sinécure, lui apparaît-il. [Rien ne sert de vomir, il faut départir à point.].
La faim la tenaille. Or, son ventre se refuse à ingérer un quelconque aliment. Elle s’essaye
avec mon jus de fruits… vainement. Elle tente de battre une retraite circonstanciée sur une
tranche de pain rassis puis, sur une pastille du maréchal félon. Elle se recouche, écœurée par
l’une et par l’autre. Je pars dans mes songes, me disant que nous avons mis du cœur à
l’ouvrage… maintes fois remis l’ouvrage sur son métier, durant un mois pour que petit bout tu
te conçoives. Ce n’est pas l’extase qui étreint mon épouse. Le foie l’éteint. Je dois avouer que
les semailles ne sont pas l’acte le plus coercitif du mariage, au contraire… Mariés du mois
dernier, nous n’avons perdu de temps. Nathalie m’extrait de mes songes. Elle se relève, tente
une nouvelle attaque sur un yaourt. Elle ne veut pas se rendre… ou plutôt le ventre vide. Elle
le regarde et lui lance sans morne : « Tu vas laisser manger ta mère ! ». Elle m’avise et
poursuit : « Je ne comprends pas pourquoi je suis malade. Nos sangs sont compatibles. On est
malade seulement lorsqu’ils ne le sont pas. ». Je pars m’adonner à la toilette et laisse Marie en
sa conception. Sera-t-elle maculée lorsque je reviendrai ?
L’idée d’aller Outre-Pyrénées est avortée. Finalement, tu ne serais pas la cause de ses
douleurs… davantage l’œuvre d’un coup de froid au Pas de la Case. La pharmacienne me le
certifie. Les haut-le-cœur arriveront plus tard… vieux maux tard que jamais ! Par contre, un
test nous confirme la supputation. Mon épouse est effectivement en enceinte… pregnante
comme disent les anglophones. J’espère que ce n’est pas un faux-ami… que ni la prégnation,
ni la douleur n’accapareront son esprit et se feront prégnance. Quoi qu’il en soi[t], je suis
rassuré dans mes capacités de vert-galant.
Le doute m’habite. Vais-je être en capacité de tenir ce journal jusqu’à son terme ? Je vais m’y
atteler… non pas m’y contraindre… ça n’aurait plus de sens. Ainsi, pendant que ma femme
va nourrir notre enfant et le mener au monde, à son pendant, vais-je alimenter des pages de
mes réflexions. Peut-être pourrais-je alors prendre conscience de mon rôle de père avant
l’enfantement… l’enchantement. Je crois que tous les géniteurs devraient s’adonner à cet
exercice. Ma fille ou mon fils pourra plus tard, en me lisant, tisser les liens intimes absents
durant la gestation… ces rapports essentiels.
1
Gaster : n.m. estomac.
3
Journal d’un futur père.
Pendant que ma femme se livre à son exercice préféré depuis quelques jours en un repos
salvateur, j’allume la télévision et passe en revue les programmes pour enfants. Je suis
déconcerté… dépassé. Où sont mes classiques d’antan ? Vais-je devoir me réinitier à toutes
ces nouveautés… ces japon-niaiseries… d’être apte à donner un avis à mon/ma gosse… le
conseiller dans ses choix, sans le censurer ? Il me paraît important que tu puisses forger ta
propre opinion. Comment y parvenir sinon en s’essayant… en comparant… en analysant la
curée virtuelle ? Il faudra goûter pour savoir si tu aimes ou détestes… si tu brigues de
continuer à consommer ou non.
Tout à coup, cette pensée m’en appelle une autre… les rêves ont-ils un lien avec la réalité ? Si
oui, est-il étroit ? Cette nuit, j’étais à l’école avec mon épouse. Nous retournions user nos
fonds de culotte sur les bancs, main dans la main. L’avantage était d’être ensemble pour
affronter l’inconnu. Mais en approfondissant l’examen de ce songe, n’allions-nous pas de
concert, à celle de la vie ? La rentrée des classes s’est faite en ce début de semaine. Je me
délectais à l’idée d’être en congé durant cette période. Ironie du sort, elle me rappelle à son
mauvais souvenir. Ce n’est pas que je fusse mauvais élève. Elle m’a laissé une cicatrice
béante, en ce que je n’ai pu m’y exprimer. Le collectif m’a ingéré et l’uniformisation m’a
annihilé. Le stress du jugement permanent m’a défait. L’épée de Damoc laisse des traces
indélébiles. Je n’y ai rien appris sinon la soumission. J’ai le sentiment d’avoir été formaté…
devenant un outil productif… docile pour une société magistrale… où la relation seigneur/serf
a repris le pas sur maître/élève. Mon enfant ne sera pas cette chair aux canons… de la
mondialisation.
Ma dulcinée quitte la couche vêtue de sa chemise « souvenirs de Chine ». Bien que je n’y sois
point allé, en troussant le tissu, je m’aperçois qu’il m’est des lieux communs… familiers. Je
l’ai déjà parcourue… pour rester courtois. J’épuise mes derniers clichés. Nathalie n’est
vraiment pas en forme. Nous allons sûrement quitter Canet en ce jour dominical. Après trois
jours de nausées… allant… mal en… elle n’en peut plus. Elle le dit justement : « Il vaut
mieux être malade chez soi qu’ailleurs. On y est mieux quoique dans le pire. ». J’observe nos
deux chattes se réveiller laborieusement… errant de notre lit vers le balcon… où le soleil
déploie ses primes rayons. Je pense également que nous allons plier bagages, tandis que le
bonimenteur fait montre de ses talents. La journée promet d’être chaude contrairement à
Nancy (notre destination). Pourtant, j’agrée que nous partions. Je ne veux prendre aucun
risque te concernant. J’ai décommandé notre visite chez nos amis de Salon de Provence. Il
faut que Nathalie… Nath-au-lit… voie un docteur. Cependant, elle ne brigue n’importe
lequel… Elle exige le sien.
En bon vieux Ger, elle chouine « In the Mood »… elle y est réellement. Elle s’accroche au
pieu pour ne pas en tomber. Ses entrailles ont entamé un twist enfiévré. A son instar, le volet
en plastique débute sa complainte par quelques craquements. Le Phébus le pique de ses
ardeurs mâtinales. La corrida commence. Le pauvre vélin de P.V.C. a suffisamment d’ennuit… essuyant l’amour vache et coruscant de son taure-et-adore. Mais, l’Hélianthe me perd
et je frôle le galimatias…
Tes parents ont commercé hier soir. Toutefois, le déduit n’était pas à l’aune de nos espoirs.
Effrayé à l’idée d’aggraver son mal, je n’ai pas pu donner libre cours à mes désirs. Nathalie
l’a compris. Elle est restée avec quelques appétences. Pas de chance… ceinte d’un amant
incapable de la combler… enceinte d’un enfant l’empêchant de se sustenter… elle n’est pas
dans ses petits souliers. Je vais te quitter… délaisser ma plume pour – paradoxalement –
m’envoler. Nous regagnons notre Lorraine natale et d’adoption. Là-bas, nous attend notre
piaf… d’impatience… un mandarin prénommé Isidore. Nath vient aussi de s’envoler vers les
lieux d’aisance. Elle y dépose une gerbe qui ne fleure pas la rose. Son état de santé s’aggrave
4
A toi que je ne connais pas en corps…
et m’inquiète de plus en plus. Supportera-t-elle les huit heures de route ? Je n’ose l’étreindre,
la toucher craignant de lui faire plus de mal que de bien.
Il n’est nul endroit où l’on se sente mieux que chez soi. Je viens de comprendre la véritable
signification de la première phrase du poème : « Heureux qui comme Ulysse… ». L’homme
ne se réjouit point du voyage sui generis mais du retour de cestuy-là… d’en finir enfin. Nous
cherchons très souvent dans la distance, ce dont nous disposons à portée de la main. Le
bonheur n’est pas dans le pré… plus vert que le nôtre. Il est tout près… tout prêt. Y sommesnous seulement préparés ? Y suis-je ?
Nathalie a préféré dormir dans la banquette… une réminiscence de villégiature comme un
regret… de ne pas me déranger… de ne pas gêner mon sommeil. L’attention est noble même
si j’eusse souhaité qu’elle fût avec moi. J’ai profité de cette solitude nocturne,
inconsciemment, pour panser… penser mes blessures de guerre… de naguère. Pour moi
désormais, l’amour n’est plus un combat. Mon enfant, je veux venir à toi… en paix… nimbé
d’innocence. J’ai entrepris un long travail fondé sur la maxime de Juvénal… juvénile : « Un
esprit sain dans un corps sain. ». Aussi, mué-je ma chair en havre de peau, dans le dessein que
mon esprit y trouve enfin le repos. J’ai trouvé en ma femme, pour cela, une alliée. Je sais que
je puis me reposer sur elle. Certes, pas en ce moment…
On prétend à tort que les voyages forment la jeunesse. Plus je m’y livre et plus j’ai
l’impression de vieillir. Je m’en reviens d’un énième, plus lourd que le précédent... Non, il
n’est de meilleur lieu que chez soi. Je m’ennuie partout ailleurs, parce que déraciné. Jusqu’à
présent, j’avais la sensation qu’icelles (mes racines) étaient un handicap… un boulet… une
servitude. A la perspective de ta venue, je prends conscience de leur empire. Je ne fais pas
référence au passé qui m’indiffère (je me contrefous de savoir que je descends d’untel et
d’une telle inconnue… de gueux ou de nobliaux). Je me réfère aux vraies racines… à celles
que j’ai développées en une terre que j’ai choisie… que j’ai faite mienne. De cette place où je
me suis planté, au sein de laquelle je me suis enraciné et dont je me suis nourri. Il n’est de ce
substrat… de cette substance… de cette essence (aisance ?) hors de ma maison. Ainsi, ce n’est
pas le départ qui vous confère de la sève mais le retour. Le périple n’a de sens… d’essence
disais-je… que si l’on en revient. De ce tour dans le Roussillon, j’en suis revenu. [Pour la
petite histoire, mon épouse ne s’y est pas plue, non plus… trop aride… à ride.].
Il se peut que tu sois une fille. Les femmes de nos entours l’ont, soit rêvé de manière
prémonitoire, soit subodoré au malaise de ta mère. Seules les filles en procréation donneraient
de tels maux. Je ne suis guère étonné, ni déçu que tu puisses en être une. Le sexe féminin est
parfois pénible à ce point… et se fait désirer plus souvent qu’à son tour. Nul doute que tu
viendras à terme, point avant… pour ennuyer ta mère jusqu’au bout. Fille ou gars, cela m’est
égal pourvu que tu sois de ma chair et de mon sang… ce dont je ne doute pas. Qui que tu sois,
tu laisses déjà perplexe la doctoresse de ta génitrice. Elle ne sait pas d’où proviennent les
douleurs. Il ne s’agit pas d’une grippe intestinale… peut-être d’une intoxication alimentaire,
ou des hormones que tu déploies et confères à ta mère. Une pensée furtive : « Et si vous étiez
deux ? ». Ce pourrait être odieux… au-dieu… Je vais me sentir esseulé au sein de toutes ces
nanas… femme… chattes… fille. Dans cette gynécocratie, saurais-je trouver ma place ? M’en
ferez-vous une ? Celle d’un pacha ? Avec mon bout de peau entre les jambes, je me sens un
intrus… une anomalie.
Les discussions courent toujours concernant ton sexe. Tu n’es que microbe. Or, tu fais tant
parler de toi. Tu seras une fille à n’en point douter. Les femmes sont unanimes. Nous verrons
cela en temps voulu, lorsque tu sortiras des eaux. A l’instar de Moïse, écartant ta mère de ta
volonté, tu nous viendras en élu, au pendant du messager. Nous t’attendons d’ores. Notre vie
5
Journal d’un futur père.
commence à s’articuler autour de toi, Omphalos.2 A propos d’eau, lors de notre rentrée, nous
avons échappé à la pléiade. Dès que nous fûmes près d’Orange ou de Nîmes, des trombes se
sont abattues sur nous. A en croire la boîte de Pandore, les orages essuyés, auraient fait
d’énormes dégâts matériels… ainsi qu’une vingtaine de morts et neufs disparus. L’autoroute
que nous avons empruntée (pas rendu car Nathalie a serré les dents tout au long du chemin),
fut coupée par les flots. Après nous… le déluge. Il s’en est fallu de peu que nous soyons pris
au piège. A ton exemple, les avons-nous fendues ou n’était-ce pas notre heure ? C’eût été un
comble de périr, nous apprêtant à donner la vie… Ta mère donc est allée cet après-midi
consulter son gynéco… « sa » en l’espèce. Cette dernière a entamé l’examen en vérifiant que
tu étais viable. Les douleurs eussent pu provenir de ton décès prématuré. Tel n’est pas le cas.
Je respire. Tu es vivant(e), on ne peut plus. Ton cœur bat et il paraît que l’on perçoit
également ta vésicule. Le fait que tu rendes malade ta mater est, paradoxalement, un excellent
présage. Tel signifie que les hormones prennent. Ainsi, lorsque tu me liras, ne culpabilise pas
de l’avoir mise en cet état. Tu n’es pas responsable puisque inconscient(e) des maux que tu
engendres… plus tu la tortureras, mieux ce sera. Alors, ne te prive pas !
[Les deux félidés ne mangent plus. Est-ce par solidarité féminine, par mimétisme ou parce
que s’en revenant du bord de mer, à l’exemple de leurs consœurs humaines, elles ne rentrent
plus dans leur maillot ? Se sont-elles décidées à faire un léger régime pour appâter les
minets ?].
Au fait, tu n’es plus un microbe. Tu mesures cinq millimètres environ. Dans un mois, nous
connaîtrons peut-être ton sexe. Fille ou garçon ? Qui prend les paris ?
2
6
Omphalos : « nombril » en grec... pierre conique sacrée passant pour être le centre de la Terre, jadis.
A toi que je ne connais pas en corps…
Second moi[s] :
Le premier aura été très rapide… une semaine en tout et pour tout. Tel procède de deux
facteurs. D’une conception qui remonterait au 11 août. Nous sommes à l’entame du deuxième
mois. D’un choix… deux voies s’offraient… ou de compter en mois civils, à partir de
l’instant où nous avons appris ta présence… ou de compter en mois pseudo-calendaires, dès le
premier jour présumé de ta procréation. J’ai préféré user de cette seconde solution, afin
d’arriver à ton terme, c’est-à-dire neuf mois. Dans l’autre cas, il n’y en eût que huit.
Le premier aura été très rapide, disais-je. Il me faut te confier un secret. Tu n’es pas le
princeps. Dussé-je en faire souffrir ta mère à son évocation, j’ai connu d’autres femmes avant
elle. Il m’a fallu me construire préalablement, afin d’être apte à la rencontrer. Tel ne pouvait
se concevoir sans des immanences susceptibles de me grandir… de me mûrir. En fruit trop
jeune, elle n’eût guère daigné poser un œil sur moi. Aussi, au cours… ou plutôt à la cour de
l’une d’entre elles, soit deux ans auparavant... de cet apprentis-pas-sage, un semblant de vie
émergea. Contrairement à toi, il était exsangue. Le destin ne daigna pas lui donner une suite…
et de concert à cette relation. Mon fatum n’était pas en corps de me perpétuer.
Voici les raisons de ce titre abscons : « second moi[s] ». Second au lieu de « deuxième » car
tu es pour partie moi (à cinquante pour cent génétiquement parlant) et, car il n’en est
d’autre… Tu n’es pas le premier conceptuellement parlant, même si tu es le seul et l’unique à
pouvoir te muer en un être viable… Lors, le vocable deuxième sera usité pour ton frère ou ta
sœur, s’il en est un ultérieurement.
Essaierais-tu de me parler par les borborygmes émis par ta mère ? Est-ce toi qui engendres ces
gargouillements dans son bide ? Ou est-ce la faim qui la tenaille ? Ne s’agit-il de
borborythmes… de ta prime surprise partie… boum ou surboum ? Sont-ce les bulles de tes
paroles noyées dans le liquide amniotique ? Es-tu déjà en train de tuer le temps en mettant à
sac ta chambre… ton gynécée ? N’y mets pas trop le bazar. J’ai aussi besoin de ses entrailles
pour y rendre mon plaisir… Bref, je ne sais d’où provient l’étrange chanson. Toujours est-il
qu’enivrés par l’harmonie, nous nous sommes enlacés… et plus par affinité. Nos corps se sont
confondus, sans gêne aucune. Les nausées n’abondent plus. Est-ce de bon ou de mauvais
augure ?
Ta Téthys (te-tisse) m’a révélé qu’il serait bon pour toi que nous fassions souvent l’amour : tu
aurais besoin de tutoyer notre passion… de la palper. Si tel est pour ton bien-être, tu peux
croire en mon zèle. Je serai assidu. Promis… Ne pense pas que je ne puis déjà rien te
refuser… Et, le seul moyen d’y parvenir, serait par nos coïts. Elle l’a lu dans un petit ouvrage
mis à sa disposition dans le cabinet de celle qui a fait sa profession, l’étude de des organes
génitaux féminins. Ainsi, j’appréhende qu’il est deux chemins menant à toi… l’un avec une
« carte » (le fameux fascicule)… l’autre à l’instinct. C’est cette dernière voie que j’ai décidé
d’emprunter. Je ne veux rien savoir, pour avoir le désir et l’avantage de te découvrir au fur et
à mesure. Quel serait l’intérêt de saisir le contenu d’un paquet cadeau, avant même de l’avoir
complètement ouvert ? C’est pour cette raison que je ne veux pas connaître ton sexe… pas
avant que tu ne viennes à moi.
Ta maman me rétorque que je compare des êtres humains à des choses. Il ne s’agit pas de te
matérialiser (dans la seconde acception du terme… du germe, puisque la première est la
vocation même de ce journal), c’est-à-dire de te muer en objet mais, à contrario d’user de
métaphores afin de te rendre matériel, palpable. Elle refuse de comprendre n’ayant aucun
argument à m’opposer. Elle nie le principe de la comparaison pour ne pas avoir à me
répondre. Il faudra que tu y fasses attention… elle est maligne. Notre opposition vient de ta
conception proprement dite. En tant que porteuse de ta chair, elle sait le noème. En tant
qu’élément passif… extérieur… je touche la noèse. Je te pense en tant qu’intuition, réalité
7
Journal d’un futur père.
psychique. Elle a déjà mis un sens à ce qui l’habite (toi en l’occurrence). C’est pourquoi, nous
ne pouvons pas arrêter ta conception d’une manière pendante. Ce manuscrit n’en a que plus
de pertinence.
Par ta présence, bien qu’infime, je me remets en question, ainsi que ce monde dans sa
globalité… globalisation. Je ne crois plus en cette société, ni en ses politiques, ni en ses
institutions et organisations. Je m’étais tu, las d’enfanter des débats stériles et de ne pas être
entendu, mais tu réveilles ce que je croyais avoir tué. Tu n’es pas encore. Or, je crois en ta
venue… j’y vois un nouvel espoir. Elle engendre l’espérance d’un avenir meilleur voire d’un
changement radical. La crise que nous traversons, est sans précédent, me semble-t-il. Aucun
chef n’est apte… ni à susciter le rêve. Tous se contentent tour atours d’habiller leur[re]s
propos d’apparats, sans nous donner le goût de la fête. Ils gèrent ou digèrent des situations
délicates, les laissant pourrir parfois et collent les rustines nécessaires pour que nous
continuions à « avancer »… droit dans le mur. Ce monde tourne autour de lui-m’aime, de son
nombril… du profit… et non autour de l’Homme. L’humanité est esclave de ses moyens, de
ses marchandises telle l’économie. Ecce le règne de l’individu concentrant autour de lui, biens
et pouvoirs inhérents. Il fait en-vie… morts ou moribonds sont les métayers.
Ce monde est dénué de sens, qu’il aille de droite ou de gauche. Il faut tourner la page, la
déchirer sans violence… la réécrire. Je suis fatigué de combattre mes camarades brig[u]ant de
le devenir, aspirant à de grands chemins mais perdus faute de repères… éperdus de connaître
ce semblant d’omnipotence… de s’y pendre… exsangues depuis des lustres. Ils aspirent aux
éclats del’éther, à la lumière des paradis prometteurs pour être honnêtes… que d’être
contraints… contrits à demeure… dans l’ombre. Comment continuer à faire partie de cette
hystérie ? Je n’en ai plus la volonté. L’armure me pèse tant à rester sur place. Et me battre
contre des moulins à vent ou à paroles, n’est plus dans mes cordes. J’ai besoin d’action, de
m’essayer en de nouvelles lices. Je vais reprendre mon flambeau et continuer en paladin… ou
en baladin. Je vais reprendre mes chimères où je les ai laissées… les mener à leur finalité.
Mais quelles sont-elles ? Je sais la question te dévorer.
Imagine mon enfant, lorsque tu viendras au monde, que celui-ci te célèbre, heureux de ce que
tu es et non de l’outil que tu pourrais lui devenir. Imagine qu’au fil des ans, il mette à ta
disposition des précepteurs, que tu puisses choisir les matières par lesquelles tu souhaites
t’épanouir, dont tu désires recevoir la connaissance et ce, à ton rythme. Imagine cette école ne
te jugeant pas, parce que sa seule vocation est d’exister pour toi. Imagine que, te sentant prêt à
quitter le nid familial, le monde te pare de tout ce dont tu aurais besoin matériellement, ainsi
que d’une terre dans laquelle t’enraciner avec ton épouse. Parce que fondé sur le libre échange
et le partage, il n’attendrait rien de toi, hormis que tu fasses partie de lui… le fasses exister.
Imagine qu’il est une place pour chaque individu, qu’en polymorphe, il s’adapte à tous, à
chacun… et non l’inverse. Imagine que celui qui aime bâtir, cultiver, chanter, écrire, élever,
ou que sais-je… passe son temps à s’exécuter par plaisir, par passion, sans que nul n’attende
de lui en retour, pas plus que lui, hormis que le monde subvienne à ses besoins propres
comme le fruit de son labeur, mis en commun, subviendra à ceux d’un tiers. Imagine ces
fruits de même valeur, d’une valeur unique (car sans hiérarchisation productiviste) qu’ils
soient remis à la jouissance de tous non d’un seul. Imagine que le sport par exemple, devienne
une véritable nourriture, un spectacle, une exhibition sans enjeu et non plus une compétition
muée par le profit, l’individualisme glorifiant, qu’il ne soit plus cette sorte de combat de
gladiateurs modernes mettant à mort le « mauvais », le perdant. Imagine qu’il devienne une
pièce de théâtre, improvisée, à la fin de laquelle l’ensemble des acteurs (non pas un : le
vainqueur) salueraient la foule parce que la performance du jour n’aurait d’essence qu’à
travers tous. Imagine que les verbes : « liberté, égalité, fraternité » aient enfin un sens (non
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A toi que je ne connais pas en corps…
plus giratoire). Imagine ce monde au sein duquel chacun serait libre de penser, de croire et
d’agir. Imagine cette révolution intellectuelle, pacifique… ce changement de mentalité.
Il nous faut achever ce capitalisme assassin avant qu’il ne nous exécute, retrouver de
véritables valeurs. Les utopies d’antan ne sont-elles pas les réalités d’aujourd’hui ? Il nous
suffirait d’y croire pour leur donner un corps. Certes, l’ambition est inachevée à ton exemple.
Nous l’achèverons ensemble. Rome ne s’est pas faite en un jour. Pourquoi notre monde le
devrait-il ? Il se fera sur ces fondements, au fur et à nos mesures.
Ma voix est, à en croire Nathalie, l’organe le plus envoûtant de mon être. Mon timbre la fit
succomber avant de me rencontrer, il lui donna cette envie de me connaître davantage. Qu’en
penses-tu a priori ? Tu restes sans la tienne. Me faut-il te narrer notre aventure pour te
persuader ? Soit. Un jour, je discutais avec un ami dans la salle dévolue aux conseillers
prud’homaux. Tu le sais maintenant, j’ai été élu en 1997 pour accomplir cette mission. [Oui,
je suis un juge (quoique libertaire je sens ton ironie presque ton insolence) mais, je le suis au
point de pouvoir prendre des libertés avec ma liberté, un magistrat d’un type particulier. Je
suis là pour rééquilibrer la balance de la justice qui a tendance à disfonctionner. J’y suis pour
la cause ouvrière à laquelle je suis fier d’appartenir.]. Je discutais de mes relations
amoureuses avec un ami, disais-je, lorsqu’une femme conseiller à mon exemple… non pas un
employeur, un conseiller du collège salarié, du conseil de NANCY, siégeant dans ma section
et dans ma chambre, arriva à point nommé. Je te sens venir… la chambre est une subdivision
de la section… non pas ma piaule. Certes, je parlais de relations galantes mais en tout bien…
votre honneur… Cette femme percevant une bribe de notre conversation et mon dépit vis-àvis de son sexe, me déclara qu’elle connaissait quelqu’une susceptible de me réconcilier avec
le genre. Elle était prête à arranger un rendez-vous. Elle ne savait pas me l’expliquer. Elle
était certaine de l’issue favorable. Ne pouvant plus continuer à jouer les martyrs au risque de
ne plus être crédible, pris au dépourvu et à la gorge, je ne sus comment refuser l’invitation. Je
n’aime pas ces arrangements cavaliers, dont l’issue – contrairement à ce qu’elle subodorait –
finit très souvent en fiasco. Elle se rangea à mon avis et me communiqua les coordonnées de
la jeune femme en question, me lâchant de me débrouiller seul… d’en faire bon usage. Avant
de prendre congé, elle me glissa que je la connaissais, l’ayant eu comme partie demanderesse
dans une affaire que j’avais jugée quelques mois plus tôt.
Je tournais dans mon studio… un lion en cage… partagé entre la volonté de la contacter et le
désir de n’en rien faire par crainte du ridicule… de ne savoir que dire à cette inconnue.
Comment me souvenir d’elle ? J’avais eu à trancher tellement de litiges, vu tant de jeunes
femmes. Avais-je seulement rendu une ordonnance favorable ? Je me ruai sur le dossier dans
lequel je conservais une copie de mes décisions. Je retrouvai ma plaignante et mon prononcé.
Par heur, je n’avais pas à en rougir. Toutefois, je demeurai incapable de mettre un visage sur
son nom. Je me décidais à l’appeler. Le numéro de son portable était… ou obsolète… ou
faux. Dans tous les cas, il n’était plus attribué. Je vis un signe du destin m’incitant à ne pas
poursuivre en cette démarche. Ce que je fis… dans un premier temps. Mais rongé par un
sentiment de lâcheté voire de curiosité, je pris mon courage à deux mains… à deux doigts. Je
lui composais une invitation humoristique, dont j’avais le secret (non pas de l’invitation mais,
de l’humour).
Quelques semaines après, n’ayant aucune réponse, je m’interrogeais quant à ce silence. La
destinataire n’avait-elle pas été touchée ? Soit que l’adresse était également erronée, soit que
mes propos ne l’avaient pas convaincue. Etait-elle informée de la démarche ? Si oui, était-elle
consentante pour me revoir ? Intrigué, je décrochai mon téléphone fixe, consultai les appels
intervenus en mon absence. Il en était un, dont le numéro départemental m’était étranger.
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Journal d’un futur père.
L’espoir renaissait de ces cendres. Les jours passèrent sans itération. Jusqu’au jour de mon
anniversaire… Alors que je m’apprêtais à partir, mon téléphone daigna sonner. Il m’e héla au
seuil de mon appartement. Je me précipitai pour le décrocher avant qu’il ne se taise à
nouveau. C’est à cet instant que ma phonation produisit son effet… qu’elle fit chavirer mon
interlocutrice.
Après avoir échangé les banalités d’usage, nous convînmes d’un rendez-vous au cœur de la
plus belle place d’Europe… au pied du beau-père de Louis XV (l’ex-roi de Pologne)
immortalisé. Je fus le premier à fouler la place éponyme, scrutant l’alentour en me demandant
les raisons de ma présence. Maintes fois, je pris la décision de partir. La bienséance m’en
dissuada… me retint. J’observai chaque jeune femme brune, tentant du regard de trouver dans
la pléthore, un visage familier. Etant physionomiste, je me reposai sur cette propension pour
ne pas lui faire l’affront de ne point me souvenir d’elle. Je l’accrochais bientôt. Elle me
rappela à son bon souvenir. J’étais rassuré… elle était mignonne. Pour avoir connu ce genre
de situation par le biais… par le travers d’Internet… ce n’est pas chose courante. Bien
qu’avenante, je ne parvins pas à me libérer de mon féal compagnon… un stress irrésistible. Je
lui décrochai (sinon ma mâchoire) à grand peine trois mots, me privant de mes charmants
appas vocaux. Touchant l’absurdité de la conjoncture, je m’enfonçai un peu plus dans l’arrêt.
Après de longues secondes silencieuses… laborieuses… elle rompit le tabou… me coopta à
prendre un pot, dans ce bistrot où il n’est pas possible d’amasser mousse.
Nous restâmes des heures à nous effeuiller, comme je le fais devant toi. N’étant pas habitué à
me dénuder… de nature pudique… je dus lui faire une piètre impression. Fort heureusement,
mon organe fit son office (ce dont je n’avais pas conscience alors. Elle me le révélera plus
tard.). Je lui proposai de la raccompagner. Elle accepta volontiers. Je la quittai en lui faisant la
bise. Elle me déclara que, si je le désirais, nous eussions pu nous revoir sitôt. J’acquiesçai en
lui répliquant que je la contacterais et pris congé. Je rentrai chez moi, me changeai
rapidement, pris mon sac et me ruai plus léger vers la salle de sport. Une heure de saine
transpiration eût raison des résidus d’angoisse. Lorsque je franchis le seuil de ma résidence, je
sus qu’il me fallait consulter ma messagerie. Un message de Nathalie m’attendait. Il n’en était
pas un mais plusieurs… écrits… m’interrogeant. Ne m’avait-elle pas trop déçu ? Avais-je été
satisfait de mon après-midi ? Je l’appelai pour la rassurer, rasséréné qu’elle ne m’ait pas jugé
idiot. Nous prîmes rencard le surlendemain, en soirée, en ce même bar… On ne change pas
une équipe qui gagne. Ironie du sort, ce fut la nuit de son anniversaire.
Ayant tourné autour du second pot, je l’invitai en mon humble demeure et au futile prétexte
qu’elle vînt écouter ma musique. Avec un ami, nous avions composé un album d’électro
technoïde. Elle accepta l’invite, nullement dupe de ma réelle motivation… Elle se refusa à
moi… élégamment… me déclarant ne pas être cette sorte de femme. [En réalité, elle me dénia
ses faveurs – non pas qu’elle ne désirait pas être mienne – mais simienne… Elle n’était pas
épilée.]. Elle n’avait pas songé un instant que notre relation pût ainsi s’emballer. Nous fûmes
bousculés de concert, dans nos certitudes et dans nos habitudes… célibataires endurcis…
coutumiers des mauvais plans en la matière. Il devait y avoir une intrigue. D’un commun
accord, nous prîmes une distance circonstancielle. Ce recul nous permit de faire le point, de
poursuivre l’intrigue dans son autre acception, sans plus nous soucier quant à la suite que
nous daignerions lui donner… [Sincèrement, je pensais qu’elle n’eût été qu’une aventure…
ayant pris tant de coups… je ne me songeais pas prêt à me lancer à corps [é-]perdu dans une
liaison sérieuse. Le fatum en décida autrement. Elle est la femme de ma vie… de mes en-vies.
Ne lui répète pas… elle pourrait chopper la grosse tête… en sus du ventre. Il est une leçon à
en retirer. On n’est jamais sûr de rien en amour.].
10
A toi que je ne connais pas en corps…
J’ai la sensation au-delà du dénuement, de faire une thérapie… psychanalyse salvatrice. A me
raconter, je mets à jour mes plaies. Tu me les penses. A ce détail près… je ne suis pas affalé
dans un divan et mes propos sont écrits. Je n’aspire pas à te charmer. Aussi n’usé-je pas de la
parole. Pourquoi l’écriture ? Parce qu’elle m’est aisée. Elle est mon paravent, étant d’une
réserve… d’une timidité maladive. La plume me dissimule, me grime. Elle est un
exécutoire… l’instrument nécessaire à mon expression. Avec les filles, il en était de
m’aime… je dévoilais mes sentiments dans de longs billets enflammés. Je n’essuyais aucun
revers. La soupirante me répondait… la pimbêche m’ignorait. Un page se chargeait de porter
mon étincelle. Il s’en revenait avec une cendre… ou une braise. Nul n’était gêné… ni mon
ami puisque détaché… ni la fillette envisagée (avec la distance, elle se sentait libre de son
choix)… ni moi muet de passion… béat… incapable de prononcer un mot cohérent.
L’écriture est ma jouissance… ma libération… mon impunité… mon affranchissement… ma
désinvolture. Je peux adopter le ton qui me sied. Aujourd’hui, il est à la dent dure… Avec ta
mère, nous avons parlé de notre avenir commun (toi y compris). En effet, plusieurs portes
s’ouvrent et il nous faut choisir un seuil… le meilleur. J’ai trois opportunités… celle de la
facilité… celle de l’exil… celle du risque. Je peux… ou ne rien changer, rester syndicaliste et
libre de continuer à fermer ma gueule (ce que je fais depuis ma naissance) et prétendre à de
nouvelles responsabilités pépères… ou abandonner la voie militante, pourvoir un poste à
responsabilité(s), mieux rémunéré que l’actuel, dans une nouvelle région et prendre un
nouveau départ… ou choisir de tout « plaquer » pour privilégier l’écriture mais prendre le
risque de ne jamais être publié… donc de la vanité. Nathalie me conseille en ce troisième cas,
de participer à quelques concours, d’écrire à la demande et dans un genre commercial… de
me faire un nom – clé nécessaire – de tricher. Je me refuse à la moindre concession, à pisser
de la copie… faire de vulgaires rédactions dans lesquelles je n’excelle point… de me
prostituer. Elle me lâche de ne pas me plaindre de n’être guère édité mais surtout, de ne pas
pouvoir vivre de mes œuvres. Elle ajoute que mes livres sont trop abscons, hermétiques. Le
[é-]lectorat, celui qui fait l’écrivain n’adhèrera pas. Or, une maison d’édition souhaite vendre,
faire du profit… pas de l’altruisme.
Elle se trompe. La masse de lecteurs n’a qu’un pseudo-choix. A l’instar des gargotes, les
éditeurs proposent un menu édulcoré, composé de plats simples, pas chers. Il ne s’agit pas
d’art, il s’agit d’un commerce… un accouplement mercantile. Je n’aspire pas à servir cette
soupe insipide, aux resucées dialectiques. Je ne veux pas proposer un piètre hamburger quand
je me sais capable de préparer des ripailles. Mes ingrédients ne sont pas mesurés…
contrôlés… industrialisés. La plèbe-icite… lit comme elle bouffe. Car ce qu’elle ingère, a été
savamment trié. Son éventail est limité. Il est donc putassier, immoral de prétendre que
l’anagnoste n’aime que telle composition, lorsque son accès à l’ensemble de l’orgie lui est
impossible puisque interdite.
J’ouvrirai mon propre établissement, porterai mes pièces jusque dans son assiette. Mon
ambition est de réduire la chaîne à sa plus simple expression… de la rompre. Cela me prendra
le temps nécessaire, mais je parviendrai à l’anéantissement de ces chantres de la curée, ces
fast-reading. Je ne sais si je saurai en sustenter d’aucuns (je n’ai pas cette prétention) mais, il
en sera au moins quelques-uns pour me goûter. Le temps étant de l’argent, l’argent étant le
nerf de la guerre, le temps est le nerf de la guerre et je vais l’épuiser en sa source. Je ne suis
pas pressé. M’y aideras-tu ? Je ne sais l’issue de cet appétit. Son évocation me confère une
force incroyable. Je me sens capable d’abattre des montagnes. Tu me fais un bien fou. Oui,
j’ai cette folie recouvrée. N’est-ce pas un paradoxe ? Cette psychothérapie (psychopathie) me
ramène à la manie…
11
Journal d’un futur père.
Nous sommes allés dans la Pépinière – non pas des Dieux – mais de ce bon LESZCZYNSKI,
au sein de laquelle nul ne cultive plus de végétaux mais, la jeunesse « hominienne »… voire
canine. Le lieu est l’échappée privilégiée de la fleur nancéienne. Ta mère avait une envie de
sortir, de voir du monde (alors qu’elle déteste la foule) mais surtout de manger des « Pots de
Cornes » sucrés comme elle dit. Aussi, aspira-t-elle à ce que nous nous y rendîmes. A vrai
dire, je n’y ai vu que des plantes… point de cocus… ou alors anonymes. Voulait-elle parler
des daims ? Car, en l’endroit, on y élève également un autre genre de nature… en bocal cellelà… des animaux guère dans le formol (quoique avec les années) mais en chair et en os. Le
procédé permet à la marmaille turbulente, de consommer un semblant de faunes… de hardes
ou de hordes… au seuil de sa crèche. Aux pieds de l’enfant-roi se prosterne une bestialité
asservie… sur un plateau. La société de consommation anticipe les besoins de chacun, même
des plus petits. N’est-elle pas merveilleuse ? En quelques pas, tu tutoies un exotisme torride et
« vivace ». Le dépaysement juxtapose ta demeure. Tu peux rentrer chez toi et rendre un
ultime soupir dans une extase incommensurable.
Je ne comprends pas comment des parents peuvent se confondre à ce point, en menant leur
progéniture embrasser un spectacle aussi sordide. Auraient-ils l’idée d’emmener leur enfant
en promenade de santé, visiter une prison, si tel était possible ? « Oh, regarde mon chéri : un
violeur. Tu as vu ses grands yeux ? Tu as vu comment il regarde maman ? On dirait qu’il
bave. Jette-lui ce gant de toilette rempli de nouilles. Tu vois comme il est heureux ? Il est
marrant hein ? Observe comme il gigote… Viens contempler dans la cage à côté, il paraît
qu’il y a un serial killer. C’est assez rare... Mais non… ils ne sont pas malheureux. En plus,
toutes les taules ne sont pas comme celle-ci. La plupart pratique la semi-liberté tu sais. Les
prisonniers peuvent errer dans la journée, aller crever où ils veulent. Le soir, ils rentrent et
sont nourris gratuitement grâce aux impôts que papa et maman payent. Et puis, ce n’est pas si
terrible… s’ils sont bien sages, on les réintroduira dans la société…».
Semi-liberté, quel mot magique. Il permet de s’exonérer d’une réflexion profonde sur sa
légitimité… voire de se donner bonne conscience. Ce n’est pas la pleine jouissance d’un droit
fondamental mais, à contrario, ce n’est pas non plus l’enfermement total. « Semi », c’est
comme « simili »… quasiment la même chose. Avec « semi » on n’est pas malheureux… on
n’est pas heureux non plus. C’est mieux que rien… « Oh et puis, ne m’emmerde pas avec tes
idées à la con ! ». Il y a effectivement deux manières de percevoir cette moitié… du côté
plein… ou du côté vide. Suis-je pessimiste ? Je ne saisis toujours que le néant. Pour moi, la
semi-liberté, équivaut à une absence de liberté. Il m’insupporte qu’un être en soit privé…
animal ou humain. Je te sens venir avec tes gros sabots… je ne cautionne pas… ni ne fais
l’apologie du crime. Je fais celle de l’innocence.
Je ne supporte ni les zoos, ni les cirques. Il m’est déjà suffisamment douloureux de me
contraindre à gagner ma vie, par le louage de mes services. Oui, il te faut savoir que dans cette
société, la vie n’est pas un dû… un acquis. Il te faut la gagner en te pliant aux exigences
capitalistes. Contre l’abnégation tu reçois un droit d’exister. En clair, tu te tues au boulot
contre la faculté de perdurer. Le cercle est particulièrement vicieux, je te l’accorde… Je disais
donc que je ne supporte ni les zoos, ni les cirques au sein desquels d’aucuns exploitent la vie
pour gagner la leur. Ils reportent sur d’autres, leur échéance. N’est-ce pas sordide ? Je ne
t’emmènerai jamais dans de tels mouroirs aux alouettes. Ils déferaient tes printemps. Tu
verras avec ta mère… Il me semble que ses convictions soient similaires aux miennes… Nous
nous retrouvons sur nombre d’idées.
En la voyant se rendre au kiosque à confiseries, je compris ce qu’elle briguait. Elle avait faim
de « pop corn ». Son appétit fut tel, qu’elle ne me supplia pas de l’accompagner nourrir ces
serfs… cerfs. Nous errâmes… discutâmes longuement. Elle me fit part de son angoisse…
12
A toi que je ne connais pas en corps…
crainte qui était en partie responsable de ses maux de ventre. Elle paniquait à l’idée que ne pas
être maîtresse de ton développement, qu’un corps étranger puisse croître en elle sans aucune
main mise. Elle semble rasséré bien que tu sois loin d’être né(e). Elle a mûri sa réflexion, elle
a mûri…
[Je t’écris le cul dans son jus. Non pas que la saison soit belle et chaude… puisque laide et
froide. Non… le siège du bus est trempé, m’offrant un bain inopportun. Il me fait le coup
après chaque pluie abondante, n’étant plus étanche. Par capillarité, dont je n’ai plus la chance
d’être pourvu, mon froc baigne itou. Je suis saisi jusqu’au boxer.... transi. La mousse de
bourre se comporte en vieille éponge ivre et rend son trop plein sournoisement. Je crains de
puer le vomi de pochetron…].
Je suis monté dans le ventre de métal, avide de passager. J’allai non pas vers la vie – quoique
Capitale – mais vers la promesse d’une vie nouvelle. Je pensais tutoyer un peu de ta
condition, me rapprocher encorps de toi par cet autre… cet antre trémoussant. J’envisageai
– puisque plus proche – de te faire de profondes déclarations de principe, là dans la
confidentialité… de te confier mes secrets les plus intimes. Il n’en sera rien… mon voyage ne
fut pas en soli-taire… accompagné d’un copain impromptu. Ainsi, le train me mènera à bonne
gare… certes avec une demi-heure de retard… sans que je ne pusse t’étaler ma
grandiloquence.
Veni, vidi mais point de vici. A la limite j’en suis soulagé. J’étais empreint d’une
appréhension ambivalente… et par ce qui m’attendait… et par ce qui ne m’attendait pas.
J’avais la crainte d’avoir fondé trop d’espoirs sur un départ qui ne serait peut-être pas et sur
celui qui pourrait être. Les ruptures m’effraient. Je n’ai jamais été doué en cet exercice. Non
pas que je ne rompisse jamais… je m’y suis contraint maintes fois… las, d’un commun désaccorps. Je n’ai ni l’art, ni la matière, ni les gestes, ni les mots ad hoc. Rarement avec ce(ux) que
j’aime. Je suis un maladroit existentiel, un loup édenté.
Je me suis angoissé inutilement. Il n’est pas l’heure de partir. Ma reconversion suit son cours
paisiblement… pas de proposition indécente… à l’emporte-pièce… ni de « à prendre ou à
laisser… ». Rien de tel… une discussion simple permettant de fixer les règles d’un jeu au sein
duquel les adversaires d’antan aspirent à gagner concomitamment. Il n’y aura point de
perdant. Le discours me change… me perturbe, je l’avoue, habitué d’ordinaire aux coups
sinon physiques, de théâtre. Pas de tragédie… il s’agira d’une comédie de mœurs.
Dans le train qui me ramène vers ta mère et ses viscères guère arrondis, je repense à ma
conversation d’avec mon supérieur hiérarchique. Au cœur de ce tortillard bruyant, il me
revient en mémoire, mes propos : « …finalement, la collectivité se corrompt à cause du ver
qui veut la ronger, faisant fi ! de l’ensemble des individus qui forment sa chair(e). ». Certes,
sortie de son contexte, la phrase doit te laisser perplexe. Or, nous abordions le sujet de
l’utopie et convenions qu’il fallait le rester (utopiste) afin de conserver un quelconque espoir
d’un avenir meilleur, même si nous ne nous faisions aucune illusion quant à l’issue. L’homme
étant ce qu’il hait, toute conception d’un monde idéal est voué à l’échec. Il en sera toujours un
pour aspirer mieux qu’autrui. Et celui-ci est le ver. Parce qu’il sera assurément, la
communauté se pervertit. Elle prend les devants que de ne l’être par derrière. Le viol est
moins pénible. Qui prétendait que la démocratie est l’expression libre de la majorité ? Elle est
celle du plus fort… même unique. Lors la société perd sa légitimité, car sa vocation.
A ce propos, je ne t’ai pas fait ma démonstration concernant l’économie. Elle vaut ce qu’elle
vaut… Au pendant de la société, sa vertu n’est plus légitime… songe que ta voiture t’emmène
à l’opposé du lieu où tu désires te rendre par son biais. Inutile, tu aspires à t’en débarrasser.
13
Journal d’un futur père.
Pense à présent qu’un individu se porte acquéreur, ainsi que de toutes autres. Ne pouvant plus
aller nulle part, tu regrettes déjà de la lui avoir cédée. Pis, tu fais bientôt n’importe quoi pour
la récupérer. Tu trouves l’acheteur et lui promet ton patrimoine pour la posséder derechef. Ce
dernier refuse. Tu es prêt à lui donner ton âme. L’homme accepte mais, pour un temps
déterminé. Cet homme s’appelle « financier », ton véhicule se nomme « moyen » et son
accès, « économie ». En raréfiant ladite économie, le financier en augmente la valeur. Il
engendre un besoin plus grand. Car, son défaut crée un besoin incommensurable.
L’épargne raréfie l’économie. En sortant de l’économie, une partie d’elle-même (par exemple,
en cassant sciemment… savamment une partie du parc automobile sans la renouveler), elle se
concentre. Aux mains d’un seul homme, elle se mue en pouvoir puisqu’un monopôle… Non
seulement l’économie est inutile mais, elle asservit en inversant les schémas sociétaux. Elle
n’est plus au service de la communauté puisqu’en son cœur. La solution est dans le krach… la
bourse ou la vie… dans la renonciation. Qui acceptera le sevrage ? Qui de le pratiquer ? Il
faudrait reconnaître la maladie… l’avouer.
Ta mère est d’une jalousie maladive. Certes, je pourrais voir dans ce défaut, la qualité de
l’intérêt… de l’amour. Or, il recèle un manque de confiance envers l’autre… envers soi. Et, à
travers son propre manque de confiance, elle incrimine la gente féminine dans son intégralité.
Il n’est de plus grande gynophobe qu’une femme jalouse… en chacune, elle frôle une rivale
potentielle. J’ai beau m’évertuer à lui expliquer que mon regard se porte sur une créature par
esthétisme, pour embrasser la perfection physique de l’être, sans avoir envie de la posséder.
Elle m’invective, m’affuble de la panoplie du faux-cul. Elle n’entend que je puisse concevoir
ce quidam(e) en tant que sujet divinement ciselé par la nature, point en maîtresse. Car, une
femme n’est charmante que, lorsqu’elle laisse un défaut, sorte de maille, d’ouverture
permettant de la rendre accessible et aimable. La perfection chosifie. Je ne désire pas une
chose ou plutôt une seule… être avec Nathalie. Cependant, lorsqu’elle est jalouse, elle ne
m’incite pas à entrer. Elle me prie de sortir… voire de prendre la porte. L’ouverture se mute
en plaie béante. Elle se lézarde, se fragilise, se vide. Elle n’est plus cette vie, cette envie.
Elle me dit bien connaître ces ob-nubiles… Lolita ou nymphes dont le dessein est de
prendre… de ravir ce(ux) qui les fait… font briller… l’être dont les mires les consument…
ces miroirs sans tain qui leur confèrent un semblant d’existence. Elle sait combien l’arrogante
peut la toiser de sa morgue et lui faire sentir qu’elle serait en capacité de lui voler son mâle.
Mais, sait-elle qu’il est plus glorieux pour un homme de se refuser à ce genre d’hétaïre que de
lui céder ? Car elle l’envisage en faible créature… en serviteur traîné par les volontés de son
ithyphale… incapable de lui résister. Elle n’a aucun respect pour lui, ni pour son genre. Seule
la con-quête compte et les trophées. Elle appréhende l’amour – ou plutôt la baise – en conpétition, fait de son pudendum3 un plébiscite. Aussi, il n’est point de gloire à se répandre en
un tel ventre. Ce serait m’abais(s)er… me renier. [Ne suis-je pas en train de me défendre par
trop, pour lui paraître sincère ? Ou essaié-je de me convaincre moi-même ?] Elle prétend que
poser un œil sur une tierce, est une trahison morale… toucher d’un regard équivaudrait à
frôler de la main. Notre conception est définitivement… diamétralement opposée.
L’esthétisme d’une femme est pour moi, une réalité psychique… une simple intuition… une
subjectivité. Nathalie met un sens à ce qui ne m’habite pas. Elle a l’idée de l’objet, de
l’adultère. Cela proviendrait-il de son passé… de son vécu… du schéma de ses parents… ou
de son genre ? Elle t’en parlera peut-être. Le sujet semble pesant. Elle ne veut pas l’aborder.
Si elle y consent, la passion reprend promptement ses droits. Les larmes la taisent. Elle
prétend que lorgner revient à trahir. Me faudra-t-il inhiber mon champ visuel et ne pas aviser
3
Pudendum : n.m. parties génitales des deux sexes.
14
A toi que je ne connais pas en corps…
les autres enfants… les enfants des autres pour que tu ne sois pas, à son patron, dévoré par ce
sentiment inextricable ? Seras-tu aussi sclérosant(e), névrosé(e) ? Ta mère te lèguera-t-elle
cette tare ? Saura-t-elle t’en dispenser… t’épargner… ne pas te transmettre dans ton bagage
génétique, sa souffrance intestine ? Je ne suis pas un félon et sais ne pas aspirer à vous faire
de mal ou de tort. Elle sait se le prodiguer seule… à elle-m’aime puisqu’en son amour propre.
Ta nourrice craint le bonheur comme la peste. Dès qu’elle le sent poindre… prêt à
l’empreindre… elle fuit. Elle redoute plus que tout d’abandonner sa géhenne et d’y replonger
bientôt. A l’instar de l’ivresse, pour ne pas succomber à ces affres, il vaut mieux ne pas
dessaouler. L’accès au mieux est parfois plus douloureux que la station dans le pire. L’enfer
est moins pénible lorsque l’on n'a jamais goûté aux délices de l’Eden… Le pessimisme a cet
avantage sur l’optimisme… à penser sans cesse au pire, lorsque ce dernier se produit, nous y
sommes préparés. Le trauma est maîtrisé, limité car attendu. Et si un bienfait arrive, nous
avons une heureuse surprise. Tandis que l’optimisme écrête la liesse car présumée et rend le
pire vertigineux. Nous risquons d’être blasés ou laminés. Finalement, être pessimiste c’est
prendre le risque d’être heureux… Oui vraiment, ta mère est par trop optimiste. Ceci explique
sans doute cela.
Tu dois te demander qu’elle perception j’ai de toi lorsque je te conçois (non pas
physiquement… je n’ai pas mis un faciès à ce cœur et cette vésicule minuscules). Ta question
est pertinente… T’appréhendé-je en nourrisson… en adulte… ou virtuellement ? Je dois
t’avouer qu’il s’agit d’une panmixie des trois, fonction de ce que je veux te dire. Tu
m’apparais tour… atour… sous une forme l’autre suivant le message. Je n’ai pas d’approche
charnelle, ne te voyant pas. Je ne t’ai pas donné de traits miens ou conformes à ceux de ta
mère... voire un subtil mélange des deux. Je te parle comme à un être dans l’eau-delà… même
si ton eau est d’ici. Pour l’heure, je converse avec ton esprit plutôt qu’à l’individu que tu dois
incarner. La notion de l’être s’impose alors. Es-tu dès la rencontre du spermatozoïde et de
l’ovule, dès la division des cellules ou dès la formation du cerveau ? Spirituellement parlant,
es-tu lors de l’immixtion de l’âme ? Si oui, quand se produit-elle ? Qui ou quoi allume
l’étincelle vitale ? La perception de l’individu est-elle philosophique ou matérielle ? Quand
arrêter qu’un être est ? Qu’en seras-tu ? Qu’en sauras-tu ?
Il est une tierce approche, juridique celle-là, qui confère la personnalité civile dès la
naissance, à condition d’être viable. Ainsi, existes-tu avant la naissance ? L’individu et la vie
sont-ils sine qua non ? (On ne peut pas être et avoir été…). Dans ce cas, quand démarre-telle ? La comptabilité de l’âge serait-elle à revoir ? Si l’être et l’existence sont étroitement liés
et conférés à la mise au monde, la conception de l’individu est charnelle, elle signifierait que
l’esprit serait éternel… si l’existence entend la mort. Or, un homme est déclaré décédé lorsque
son cerveau ne répond plus. Pour être cohérent, la vie doit donc se concevoir dès que le cœur
cérébral fonctionne, jusqu’à ce qu’il s’épuise. Mais, quid de l’avant et de l’après… apprêt ? Si
tu n’es pas en vie… pas en corps un être… qu’es-tu donc en cet instant ? La conception
physique s’effacerait-elle devant celle spirituelle ? Lors, l’esprit se substituerait à l’être… idée
temporelle. Il serait par conséquent intemporel, donc infini. De ce fait, serait née la
carnation… la métempsycose… et l’ailleurs… Dans les limites de la science naissent et
vivent les religions. Leur terreau est l’ignorance (relative). Croire c’est ainsi ignorer.
La définition de l’être entraîne celle des droits afférents… des libertés fondamentales.
Néanmoins, leur articulation est périlleuse, puisque la liberté des uns, se heurte à celle(s) des
autres. La liberté d’un seul pèse-t-elle devant l’ensemble des libertés de la masse… et
réciproquement ? L’individu peut-il exister au sein du collectif et, le collectif peut-il vivre au
détriment de l’individu ? Ainsi, par exemple, pouvons-nous fumer sans empoisonner la
15
Journal d’un futur père.
pléthore ? Pouvons-nous collectivement interdire à quelqu’un de fumer ? Quelle(s) liberté(s)
prévaut… prévalent ? Par principe, c’est toujours – à tort ou à raison – le droit du ver affamé
qui l’emporte sur celui du fruit désirable n’aspirant pas à être dévoré. Historiquement, cela
s’explique… le judéo-christianisme s’est ancré dans le sacrifice (sacri-fils). Depuis, la
majorité s’immole devant la pseudo-souffrance d’un ou de quelques individus… la
souveraineté populaire s’est évanouie face à la souveraineté nationale... le peuple s’écrase
devant le lobby…
Trois jours en pays ch’ti, je m’en reviens épuisé mais, heureux de te recouvrer ainsi que ta
mère. Je ne suis sans mes racines, avais-je déclaré. Je ne suis davantage sans vous deux. Un
être n’est… naît par sa raison. En résumé, l’être tient de la vie et la vie tient de raison… ou
déraison si on la considère comme une folie. Vous êtes la mienne.
[Sans doute remarqueras-tu dans ta vie future, l’absence de solidarité entre femmes. Elle se
mesure lorsque l’une d’entre elle, enceinte, emprunte les transports en commun. Aucune ne
daigne lui céder sa place, paraissant lui dire tout en la toisant : « Tu vas en chier pétasse,
comme j’en ai chié moi-même. Pas de pitié. Non seulement tu vas accoucher dans la douleur,
mais ta parturition entière va être imprégner de cette géhenne… ». Seuls les hommes, en
général, quand ils ne regardent pas leurs godasses pour ne pas voir ce sein arrondi, la leur
cèdent compatissant… ou s’excusant de ce que l’un des leurs l’ai mise en tel état… Un vieux
con dirait que tout fout le camp. Un jeune con qu’il veut foutre le camp… Que j’aimerais
parfois vous emporter ailleurs…].
Hier, ta mère, ta future marraine et moi, nous sommes allés à cette manifestation nationale
dénommée : « livre sur la place ». Nous nous y sommes rendu les bras chargés de manuscrits,
espérant rencontrer quelques éditeurs. A la place du livre, trônaient certes des maisons
d’édition mais, maintes librairies également venues avec leurs auteurs. Il n’était pas possible
de déposer mes œuvres. Il n’était point de célébration des incunables… des elzévirs… ni du
récit… un souci permanent d’écouler les bouquins dont ils faisaient montre et de rentrer dans
leurs frais. Ce fut la prime fois que nous nous y rendions. Ce sera la dernière… il y avait trop
de monde pour la faible surface… trop de racolage… trop peu d’intérêts. Il ne s’agit que
d’une concentration d’ouvrages à acheter, à des écrivains se prostituant le long d’étals
immenses pour appâter le client. Quelques-uns s’emmerdaient à cent sous de l’heure. Je
pensais en mon for intérieur que telle était la sanction d’une gloire soudoyée. Nous nous
serions crus au zoo des plumitifs…
La légende veut que Stanislas montre du doigt les anciens bordels de Nancy. Or, son index
désignait également les calicots et les chapiteaux de ce rassemblement vulgaire. Le lieu puait
le fric et non la sueur du cogito. L’intelligentsia et la bourgeoisie bohème s’es-s’aimaient en
vains bourdonnements. Ni le maquillage, ni les fragrances ne parvenaient à dissimuler
l’humeur des nègres ayant planché en lieu et place. J’y ai reconnu ce gourou drapé des lotus
de l’égyptologie, dont les écrits ainsi grimés n’ont l’ambition que d’enrôler les momies
égarées. Attiré par les charmes de ta mère, il est sorti de sa réserve comme un diable hors de
sa boîte… de Pont-d’or. L’aspirait-il en sa matamore ? Il lui fit son numéro à la Ramsès. Elle
lui fit comprendre de cesser de ramer… il s’épuisait futilement. Bien que passionnée par
l’Egypte, elle exècre ses hiéroglyphes. Nous avons laissé place… la place à ses livres…
sterling.
16
A toi que je ne connais pas en corps…
En cette journée du patrimoine, nous nous sommes rendus avec tes futurs grands-parents
maternels à Liverdun. Il s’y tenait une fête dont le thème était les années « 1900 ». Elle
n’avait pas la notoriété de l’autre… ni la prétention. Une petite association avait reconstitué
les costumes, les métiers, les institutions d’antan. Par une agréable promenade au sein du
domaine des « Eaux Bleues », nous pûmes nous replonger un siècle en arrière. Les forgerons
forgèrent, les cordiers cordèrent, les lavandières lessivèrent, les peintres et artisans locaux
exposèrent (leurs propres créations), les maîtres enseignèrent... Nous visitâmes une maison au
cœur de laquelle se montraient jouets antiques, roses en glaise, broderies, dentelles, lampes de
l’école de Nancy… en chocolat… babioles, photographies et premiers standards
téléphoniques. Nous passâmes deux heures joyeuses à l’issue desquelles, nous prîmes une
collation avant de nous en retourner en nos demeures respectives. Pour le prix de trois
chocolats chauds consommés la veille en terrasse, nous pûmes boire et manger. A ce propos,
ta mère a toujours ses nausées. Elles vont et viennent en son abdomen. Ayant abusé de
pralines et d’une pomme au caramel, elle n’a plus faim. A moins que ce ne soit sa coursepoursuite avec une guêpe qui ne lui ait coupé l’appétit et ne l’ait fatiguée. Alléché par le
sucre, l’insecte n’a eu de cesse de la harceler, lui tournant autour, lui titillant l’ouie de ses
ailes et ce, jusqu’à ce que Nathalie lui cède le fruit tant convoité… lasse d’être la cible de ses
assauts. Effrayée d’être piquée, elle abandonna sa friandise en la jetant dans l’herbe. La vespa
vrombissante délaissa sa victime pour suivre ce repas inespéré. Elle ne se fit pas prier pour
s’en délecter. Nous nous amusâmes de l’infortune de ton hôtesse, nous moquant de sa manière
de fuir. Les petites choses procurent souvent les plus grands plaisirs.
Mû par les travers du plumitif, j’avais d’ores cousu… de fil… la fin de ce journal. Ainsi,
devait-il s’achever… « Ecce homo, te voici enfin. Je me jette à corps dans tes cris. ». Je
n’aspire guère à ce que le présent manuscrit soit beau (s’il l’est tant mieux.), mais réel.
Trouver la fin avant qu’elle ne soit, n’est pas la vocation de cet ouvrage. C’eût été ne pas te
respecter et mésentamer notre relation... c’eût été te mentir. Je ne sais pas. Je ne veux pas. A
quoi bon m’effeuiller, si je me présente à toi travesti. Je brigue de vivre les évènements en
aiguille… d’en tisser la trame… point de les repriser. J’ambitionne de te les présenter tels
qu’ils me sont apparus… point de les grimer. Certes, il se peut que ma subjectivité les
enjolive ou, au contraire, qu’elle les noircisse. En tous les cas, ils ne seront pas préfabriqués.
Je parle beaucoup de toi en mon entour, avec fierté, quoi que tu ne sois pas. J’espère ne pas te
faire supporter, inconsciemment, une pression trop pesante. Je n’attends rien de toi, sinon que
tu sois… toi-même… et que tu m’apportes un rayon de soleil salvateur. Je n’attends rien de
toi… hormis toi. Je t’attends déjà petit bout d’homme ou de femme. Je suis de nature
impatiente. Neuf mois, aurais-je la sagesse de te croquer marmot, de ne pas t’appréhender
comme l’un de mes personnages de roman puis, à l’instar du lecteur, d’être un peu déboussolé
de ne pas retrouver celui que j’avais envisagé ? Je suis étreint par l’envie de t’étreindre, de te
babiller des onomatopées, de converser avec toi « pour de faux », de t’amuser, de te prendre
dans mes bras, de te serrer contre moi, de t’embrasser. Ta nourrice me déclare avoir mangé ce
jour, comme trois. Se pourrait-il que vous soyez deux ? Nous le craignons peu… ou prou…
car de mon côté, ton futur grand-père avait un frère jumeau et du côté de ta mère, ton arrièregrand-mère (las décédée) avait aussi une sœur jumelle. Nous redoutons donc une gémellité.
Ce n’est guère exact… nous ne serions pas déçus que vous soyez plusieurs. Quel qu’en soit le
nombre, nous vous accueillerons à cœur ouvert (faute de bras, dans le cas où vous seriez
vraiment nombreux). Cependant, la grossesse serait plus risquée et les problèmes seraient
multipliés par autant d’individus. Un seul, pour l’heure, serait préconisé. Nous sommes des
17
Journal d’un futur père.
parents inexpérimentés, ne mandant qu’à apprendre doucement car sûrement. Nous sommes
pleins de bonne volonté… surtout Nathalie.
Tu vas traverser plusieurs saisons, bien à l’abri dans ton cocon d’eau et de chair. N’ayant pas
encore de vue sur le monde, je vais m’essayer à te les décrire. Nous sommes au deuxième jour
de la saison des vendanges. L’automne s’est substitué à l’été. Les arbres vont changer la
couleur de leurs oripeaux. La frondaison va virer du vert gorgé de chlorophylle au rouge de
l’aurore. Empreintes de l’indolence du Phébus, elles ne vont guère tarder à se laisser choir sur
le sol. Le souffle de la bise viendra les cueillir une à une et les porter en leur ultime demeure.
Ainsi dénudés, les feuillus vont lentement s’endormir. Exsangues, ils hiverneront. Seuls les
épineux plus frileux conserveront leur épais manteau.
Perséphone se prépare à nous quitter pour retrouver le foyer de son Hadès. Déméter attristée
par la déchirante séparation, la perte momentanée de sa fille, nous abreuve de ses larmes. Le
ciel se macule peu à peu de son chagrin. Dans le loin-tain, les alouettes abandonnent leur
miroir. Dans les mares fangeuses, elles n’avisent plus les doux traits de la belle saison. Aussi,
se regroupent-elles sur les câbles électriques disgracieux, s’apprêtent au départ vers les pays
chauds… à la migration. Les petits, s’ils ont bien appris… retenu la leçon… achèveront le
périple. Les autres mourront d’épuisement. Seuls quelques piafs bien gras, resteront en notre
pays durant la froide période, à l’instar des ours repus et autres marmottes. Les écureuils
sortent de leur réserve pour la remplir de noisettes, de glands et autres subsides nécessaires
qu’ils dévoreront à l’abri dans les troncs…
Les champignons poussent… comme des champignons. Ta mère et moi, nous irons peut-être
en cueillir, si les chasseurs nous y autorisent. Car, les Nemrod sont de sortie et se sont
approprié les bois. Ils sont les pires vers dont je t’ai parlé, ayant soif de sang et de tirer leurs
derniers coups. Ils adorent la [dé-]nature. Aussi, en tuent-ils les enfants. Cette pratique se
cultive chez les fauves. Tant que les femelles allaitent, elles ne sont plus en chasse. L’unique
moyen de leur rendre l’appétence du déduit, est de tuer sa marmaille. En bons gros mâles
sauvages, ils s’adonnent à l’exercice joyeusement. Ils avancent en elle, leur phallus assassin
entre les mains et arrosent de leur semonce tout ce qui bouge. N’aspirant pas à la mort-sure de
leur chien de fusil, je préfère rester à couvert. Je ne veux pas prendre le risque vain que ta
mère et toi à travers elle, vous soyez atteints.
La société judéo-chrétienne a arrêté que la gente animale n’était point pourvue d’une âme.
Aussi, d’aucuns – sûrement demeurés – s’autorisent-ils un droit de vie… de mort sur elle…
comme les maîtres d’antan sur les esclaves. Assurément, l’homme est la créature la plus
stupide de la création. Certes, tant que le débat en cette matière ne parviendra pas à se
dépassionner, tant que le niveau restera au degré zéro, nous ne pourrons pas avancer sur cette
question cruciale. L’argument imbécile est de déclarer que la chasse se légitime puisqu’une
tuerie vitale au pendant de l’abattoir. De plus, il s’agit d’une tradition séculaire. Or, le
raisonnement ne tient pas… la vocation d’une civilisation – de par sa définition – est de
mener un peuple d’un état primitif à un état supérieur d’évolution culturelle et matérielle. En
l’espèce, le matériel a bien évolué passant de la pierre à l’économie libérale... quoique...
L’état demeure archéen et il n’est point d’évolution culturelle. La tradition tombe devant
l’empire de la civilisation… Les améliorations dans les techniques d’abattage ne confèrent en
rien une autorité à la boucherie. L’argument de cette supériorité est idiot… et davantage
s’agissant du prétexte fallacieux que l’homme serait supérieur à la nature et que son action
meurtrière permettrait de l’équilibrer, en limitant les individus. La tuerie serait salutaire. Je
voudrais juste répliquer que l’être humain est le dernier (des cons) arrivé. Dame Nature ne l'a
point attendu. L'homme est le produit d'une grossesse nerveuse… indésirable… inachevée. Sa
18
A toi que je ne connais pas en corps…
venue a foutu un tel bordel (extermination des prédateurs naturels, tuerie à tout va, mauvais
recensement des espèces, etc.), qu’il est obligé de démêler cette situation inextricable au
risque d’achever des millions d’années d’interaction… l’écosystème tout entier. Au lieu de
perpétrer… perpé-tuer son forfait que ne répare-t-il ses erreurs sinon que par la voix du
massacre « programmé ». Faut-il une injustice en sus ? De quel droit s’arroge-t-il un droit de
vie et surtout de mort ? Se prendrait-il pour un logos ?
Tu pourrais m’opposer que, pour un athée, j’aborde assez souvent la théologie. Or, comme
tout être raisonnable… « doué » de raison, je ne prétends pas l’avoir… la posséder. Je
m’interroge dans les vides. Je ne sais pas le pourquoi ni le comment de la création. Je crois au
hasard, tout en pensant que tout pourrait avoir un dessein. Cette contradiction est
inconfortable. Par conséquent, je ne puis être un athée stricto sensu. Je suis un profane,
n’ayant aucune religion mais une philosophie de la vie… autre métaphysique. Au lieu de
chercher la vérité dans un ailleurs, je la cherche au sein de ce monde. Quelle est-elle ? En estil une seulement ? Or, il ne te servirait en rien de la connaître… elle m’est personnelle…
changeant au fur et à mesure… Elle me permet d’avancer hic et nunc. Elle pourrait te
détourner demain de ta voie. Elabore la tienne afin de combler tes néants. Je n’aspire
nullement à faire du prosélytisme.
J’étais un anarchiste pur et dur. Des évènements ont modifié ma perception. Il n’y a que les
imbéciles qui ne changent pas d’avis. Suffisamment ouvert, j’ai mûri mes réflexions. Des
rencontres m’ont également permis de les conforter voire d’évoluer intellectuellement par des
échanges d’idées, des débats... voire des ébats. Je sais à présent que nous sommes, parce
que… A toi de mettre un sens à ce « parce que »... tes axiomes. Ils peuvent être cartésiens ou
métaphysiques. Ils dépendront de ta raison. Saches qu’il n’est point de vérité… unique…
qu’en fonction de tes opinions, tu seras toujours la proie de critiques acerbes émanant
d’esprits « seize » (très étroits… treize et trois)... ta manière de penser sera toujours
condamnée. Il en sera un… ou plusieurs… aspirant à te rallier à sa… à leur cause… Elle n’est
pas plus juste… plus vraie que la tienne. Combats-la comme elle te combattra, arc-bouté(e)
sur tes certitudes... comme le firent jadis Galilée, Darwin, Gandhi, Geronimo, Martin Luther
King, Nelson Mandela et consorts. Seuls les pionniers, les aventuriers de la pensée font
avancer le monde. Le reste n’est qu’ouaille, moutons de Panurge.
Se pourrait-il que je me réveille un matin avec l’envie de quitter ta mère, exsangue d’amour
pour elle ? Se pourrait-il que je me lève avec le besoin de partir ? Que les sentiments de la
veille ne m’emplissent plus ? Se pourrait-il que la nuit me change radicalement ? Jusqu’alors,
je n’étais la proie d’aucune incertitude. Cependant, les expériences malheureuses de ta
nourrice, ont fini par m’assaillir à l’instar de mauvais démons et, ce qui était clair en mon
esprit, ne l’est plus. Sans doute suis-je fatigué d’être à ce point sollicité… affublé des
fardeaux d’autrui. J’ai besoin de paix, de calme, de solitude. Je ne supporte plus d’être
véritablement asphyxié, accaparé, pompé par les gens accablés. Je ne suis plus une bouée
étanche. Ma chambre est percée. Je m’évide… m’essouffle. Je me noie dans leurs ténèbres. Je
ne vois plus la lumière. N’ayant moi-même plus de repères, je succombe sous le poids de
leurs maux… en leur souffrance. Je patauge dans leur poisse. Je ne sais plus à quel sein me
vouer. Lequel saurait en corps me nourrir ? A la croisée de ma destinée, je ne sens pas quelle
voie emprunter. Je ne me perçois pas le courage du schisme, de prendre un nouveau départ.
Néanmoins, j’y aspire. Or, l’inconnu m’effraie. Je voudrais que le fatum me donne un coup de
pied aux fesses afin de me pousser, qu’il choisisse pour moi. Ce serait tellement plus
commode… confortable.
19
Journal d’un futur père.
Pendant deux jours, j’ai professé… enseigné mes connaissances en droit à des militants. J’ai
pris un plaisir immense à le faire. Quoique timide et réservé, sous les feux de la rampe, je me
suis senti à l’aise car à ma place, pour la première fois. En matière connue, je fus en terrain
conquis. J’étais fier de me sentir utile, transmettant ce que j’avais appris seul, en autodidacte.
J’étais… vivant… un personnage romanesque passant du papier à l’existence. Je n’étais plus
l’auteur mais le protagoniste. J’étais de l’autre côté du miroir. Un instant, je me suis cru sur
les planches. Je jouais avec mon auditoire. Le regard des stagiaires buvant mes paroles, rivé à
mes lèvres… leur expression mutant en fonction de mes déclarations, leur silence et leurs
rires, j’avais l’impression d’exister. A l’issue de mon intervention, j’eus le sentiment d’un
devoir accompli. Saurais-je itérer ce phénomène avec toi ? Soudain, j’ai peur de ne pas être à
la hauteur de tes espoirs, de ne pas savoir te combler. Tu vas me demander de t’apporter une
science dont je ne suis pas certain d’avoir la maîtrise. Saurais-je inspirer en tes yeux la même
flamme ?
Je suis perdu car ayant touché un nouveau chemin, je ne sais en quelle direction m’orienter.
Tout est devenu flou. Sans doute est-ce la raison de ma déraison. J’ai peur de ne plus me
retrouver. Je n’ai jamais tutoyé une telle crainte. Jusqu’à présent je me foutais de tout. Es-tu
déjà en train de produire ton effet… de me responsabiliser ? Ton innocence chasserait-elle la
mienne ? Est-ce la perte de mes jalons ? Est-ce la conjonction des deux phénomènes ? Je me
raccroche à ce journal comme un exécutoire… une thérapie. Il est ma dernière amarre,
m’empêchant de dériver ou de m’échouer sur de vils écueils. Il est mon phare. J’aime me
piquer à son feu. Il est cette bouteille d’oxygène dans l’amer. Mais, t’enfanté-je réellement ?
N’es-tu pas un prétexte ? J’ai honte. Je crains qu’à travers toi, je ne sois en train de
m’accoucher. Et si inconsciemment, je fomentais le désir que tu sois mon alter ego… un autre
moi… un clone. Ce journal n’est-il pas l’expression de ma vanité ?
Nathalie est allongée sur le canapé, baignant dans les volutes d’une fumée à couper au
couteau. Si je ne nous savais pas chez nous, à la voir ainsi, je pourrais la croire dans un claque
en train de fumer quelques substances illicites. Les lieux empestent l’encens. Je lui demande
si elle ne désire pas prendre un peu de thé. Elle s’interroge sur la pertinence du thé, ne
comprend pas mon interrogation. Je lui rétorque que l’on fait du thé d’encens… Elle hausse
les épaules… esquisse un sourire. Elle semble sereine… reposée. Les douleurs stomacales de
ce matin paraissent avoir disparu. Elle écoute la petite Enya… ces vers en solitaire la
consument. Elle adore cette interprète dont la musique est d’une telle douceur… d’une telle
lenteur… que son inertie me stresse. Malgré la musique, l’appartement est silencieux. Toutes
les femelles en la place sont étendues et somnolent. L’heure n’est pourtant guère à la sieste.
Les deux chattes dorment à poings fermés, sûrement exténuées d’avoir joué. Je viens
perturber leur calme.
Suis-je l’unique à avoir eu quelque activité ? Matinée aux prud’hommes… mâtinée de litiges
insondables… les parties mentant de manière éhontée, il est difficile de retrouver une trame
de vérité dans cet imbroglio factuel… juridique. Je cherche la faille dans leur défense… une
maille… à partir de laquelle… tirer, afin de retrouver le fil d’Ariane puis, la pelote tout
entière. Il n’en est rien. Les bougres ont du métier dans le forfait. Le délit se radicalise et se
professionnalise de concert. Avec du recul, la consultation des dossiers dans quelques jours,
j’aurai sans doute une vision plus large, plus pointue. Mon esprit est encore imprégné de leurs
mensonges respectifs… et la pluralité des affaires se superposent. Mes idées ne sont plus très
claires. Au cœur de ce brouillard londonien, comment le pourraient-elles ? Mon instinct me
conduira vers l’issue.
20
A toi que je ne connais pas en corps…
L’après-midi fut consacrée à l’organisation syndicale et aux problèmes de restructuration des
entreprises. Quelle politique mener face à leur fermeture et leur désindustrialisation ?
Comment lutter contre le pillage des bassins d’emploi ? Comment combattre l’ultra
libéralisme dont le seul souci est de sucer la substantifique moelle des salariés… de se remplir
les dents en vidant les leurs ? Les Lorrains ont tant souffert ces dernières années, ils n’ont pas
besoin de nouvelles saignées. Ils sont las. Ce soir, je suis empreint de leur lassitude. Aussi,
rentré-je chez moi avec un bouquet de trois roses… rose, rouge et bleue. Je les tends à mon
aimée dans le but d’apercevoir une lueur en ses yeux. Ta mère possède des châsses
magnifiques virant du vert émeraude au noisette. Et, lorsqu’un Phébus de liesse vient les
illuminer, ils sont d’une beauté céleste pour ne pas dire éthérée (par le reflet de la fleur
céruléenne.). Elle est mon rayon de soleil dans ces ténèbres poisseuses. Je me sens mieux par
son plaisir.
Neige, la chatte liliale vient de se réveiller. Elle commence son cirque, se faisant les griffes
sur les cartons contenant les tenues diverses… d’hiver de ta mère. Le temps a changé depuis
une semaine. La froidure perce. La blanchette (affectueusement dénommée) tente d’attirer
l’attention en éventrant les colis, pour que nous jouions avec elle. Une boulette de papier
d’aluminium fera l’affaire. Nathalie distrait la bestiole pendant que les légumes frémissent,
cuisent paisiblement. Ils finiront en soupe. Nous la mangerons en nous dévorant… nous
déflorant du regard. Puis, nous nous coucherons de bonne heure, afin de laisser parler nos
corps… débattre… s’ébattre. Mes mains se feront mes mots. Elle embrassera mes chimères.
D’un commun ac-corps nous te parlerons d’amour…
Contrairement à ce que prétend l’adage, ce n’est pas la nuit qui porte conseille puisque
absconse mais, la méditation. J’y parviens par l’activité physique… épuiser mon être, me
permet de l’apaiser. J’ai la sensation d’être un hyper actif. Sans doute le surplus de
testostérones coupable de ma calvitie, est-il également responsable de ce débordement
d’énergie. Une équipe médicale est parvenue à prouver qu’un excès de cette foutue hormone
serait à l’origine de la perte des cheveux. Ainsi, les chauves sont-ils de vrais mâles… des
mâles en puissance. Je saisis à présent la source de mon pouvoir fertilisant.
A consommer cette énergie, j’ai donc découvert une vertu psychique. Je peux maîtriser mon
esprit et ses délires. Le sport n’a pas qu’une idiocrase4 physique… il a une propension
mentale. Juvénal était-il en mon cas ? Ainsi, le corps et l’esprit sont-ils unis. En évidant ma
substance, j’ai réussi à assécher mes pensées. Et dans ce lit évidé… dans ce cours mis à nu…
je me suis mis à nu… j’ai mis à nu et saisi ce que je ne pouvais pas aviser d’ordinaire. Le
débit tari m’a permis de me parcourir… en mon subconscient. N’étant plus occupé à nager
pour ne pas sombrer… n’ayant plus la nécessité de me maintenir hors de l’eau… j’ai
embrassé l’insondable. J’ai compris que je m’éver-tuais à vouloir progresser à contre-courant.
Refusant de me laisser porter par ma destinée, je m’éreintais en vanité. Je niais l’aval au
risque de boire la tasse... je m’efforçais de ne pas dériver. Sans doute avais-je perdu de vue le
sens du destin… à moins que je ne redoutais les tourbillons… les chutes… ou les écueils. Je
demeurais sur place… futilement. Je me suis exténué.
Certes, il n’est pas aisé de s’abandonner. Mais à refuser, même d’une manière idéelle la voie
de son fatum, qu’il s’agisse d’un ruisseau, d’une rivière ou d’un torrent, on ne trouve jamais
son océan. On finit par se perdre de vue. Faire barrage ne fait qu’accroître la poussée du
courant. On finit emporté par une lame destructrice. Dans ce pseudo-calme mûrit la crue. On
ne peut échapper à soi… ou d’y rester. Il vaut mieux se laisser mener où l’on se doit d’être,
4
Idiocrase : n.f. disposition, tempérament propre d’une chose, d’une personne.
21
Journal d’un futur père.
que ne pas exister. J’ai donc décidé de me donner une chance de vivre enfin. J’ai tu mon
agitation. L’eau reprend son cours, non sans une appréhension. Je me lâche. Je verrai bien.
Qui verra, vivra ?
A bord de la Santa Nathalia, tu ne sais pas encorps que tu frôles ce père promis. Pourtant, il
est à ta portée… tout prêt… ou presque. Tu ne le vois pas mais peut-être le sens-tu. Une voix
impénétrable t’insuffle-t-elle son existence ? Perce-t-elle ta raison ? Te rassure-t-elle ? N’en
as-tu cure ? Ton instinct t’inspire-t-il qu’il est de l’autre côté de ta sphère ? Apposes-tu une
dextre contre la paroi de ton vaisseau charnel, afin de palper ce fantôme ? Brigues-tu sa main
créatrice dans la tienne ? Dans tes eaux calmes, au centre de ta mèr[e], touches-tu la
tourmente du néo… né-au monde ? Mets-tu parfois un « œil » curieux dans le nombril de ta
matrice, afin de voler par ce was-ist-das quelques ombres… quelques silhouettes… quelques
images… et de te faire une représentation plus ou moins fidèle… rassérénante de notre
univers ?
Quelle quête mènes-tu ? Viens-tu en paix ? Es-tu à la dérive ou sur la route envisagée ? Es-tu
déjà empli(e) de certitudes ? Qui ou qu’espères-tu ? Je te pense tournant en rond, comme un
Pygma-lion en cage, impatient d’achever ce long périple devant t’accoucher et de partir à la
découverte de ton sein Grêle... ton ab-domaine. Je te subodore en proue… ou preux… me
cherchant dans l’horizon… un repère… un modèle pour mener à terme ton voyage initiatique.
Je te devine cette âme hésitante à s’incarner ou non, sorte de psychostasie, à peser le bien et le
mal de l’existence. Et si tu te résignais ? Et si tu t’y refusais ? Je ne puis le croire.
L’eau ayant coulé – et sous les ponts – je t’imagine ouvrant ce journal… découvrant ma
cartographie. Je te la livre afin que tu puisses m’atteindre… enfin. Je n’aurais pas la
prétention de te déclarer que tu vas découvrir un véritable trésor... quoique… Tu marches sur
mes traces… sur mes pas. Est-ce de velours ou de loup ? A me lire, ligne après ligne, page
après page, touches-tu l’excitation de l’explorateur ? As-tu envie de la prospection… de
l’intro ? Comment m’envisages-tu ? Serai-je conforme à tes attentes ? L’esprit collera-t-il au
physique ? Quelle représentation avais-tu de moi… des mois ? Avances-tu serein(e), en
terrain conquis, faisant ta conquête… ou prudemment, ne reconnaissant pas le pay-sage
dépeint à l’instar de l’allégorie de la Caverne de Platon ? Me voici dans ta lumière, tu es le
premier… la première… à m’embrasser en cet emploi.
En janvier de cette année, nous avons subi un fait rare dans notre histoire. Notre monnaie
séculaire (le franc) a été remplacée par l’euro. Or, cette modification substantielle ne fut pas
sans conséquence. Son cours étant complètement aberrant (1 euro valant 6,55957 de nos
francs), nous fûmes perdus. Les industriels en ont profité pour augmenter le tarif de leurs
marchandises. L’augmentation fut imperceptible. Le simple arrondissement de centimes
d’euro (ou cents) sur maints produits diminua notre pouvoir d’achat d’une manière
considérable. Alors qu’au temps de l’inflation, les salaires progressaient d’autant voire
d’avantage que le coût de la vie (N.D.L.R. la vie coûte…), les financiers ont réussi le tour de
passe-passe d’annihiler ladite inflation, afin de maîtriser celui de la main-d’œuvre (principe de
l’offre et de la demande… maintien d’une forte demande et concomitamment d’une faible
offre d’emplois.). Or, dans le même temps, ils ont accru leur chiffre d’affaires de dix pourcent en moyenne ! Qui fut à l’origine de ce dumping ? Notre Communauté Economique
Européenne.
Il s’agit d’une duperie… supercherie menée de main de maître… afin d’asservir la plèbe de ce
vieux continent. Tu l’auras noté, son nom n’est pas anodin. L’adjectif économique est placé
22
A toi que je ne connais pas en corps…
avant l’européen. La volonté de cohésion, de fédéralisation n’est donc pas sociale. Elle est
économique. Mais pour qui ? Car le dessein de cette manipulation est de dépouiller le peuple
de ses dernières possessions et prérogatives, notamment en matière de choix sociétal... de
l’uniformiser, l’aseptiser. Des politiques privés, par les pouvoirs financiers, se raccrochent
aux ultimes branches de l’autorité. Ils rendent les a[r]mes mais, espèrent en retour obtenir un
semblant d’omnipotence… une patente pour exercer leur commerce. Sous couvert de
démocratie et d’annihilation des querelles ancestrales, ils servent impunément la soupe aux
marchés boursiers… aux diktats monétaires. Ils pondent la nourriture dont les ultra-libéraux
ont l’impérieuse nécessité. Des lois scélérates permettant l’exploitation de l’engeance. Ils
nous rendent veules… nous veulent corvéables à merci. Nous sommes loin, très loin de nos
aspirations de souveraineté populaire et des mandats impératifs. Ils auront bientôt tout. Nous
n’aurons bientôt plus rien. Voilà le monde dans lequel tu vas venir… inéquitable… bas…
abject… criminel. Réfléchis. Je ne te brigue pas en serf mais en être libre. J’entends par le
vocable « liberté », la jouissance de toi-même.
Ils auront tout. Ce n’est peut-être pas certain… Ils sont en train de crever de leur bombance.
Leur système reposant sur la confiance, ne fonctionne plus. Paradox-salement dans ce panier
de crabe, pour réussir, il faut dévorer l’autre. Or, à force de craindre de l’être, ils sont devenus
paranoïaques et redoutent le jeu. Plus souvent qu’à… ils passent leur tour. Les bourses
mondiales sont au bord du krach, malades de leurs excès. Je suis impie mais je me souhaite
toyable… et qu’il soit un dieu pour leur insuffler de continuer à se consommer… se consumer
de leur ferveur. J’ambitionne qu’à l’accès, ils deviennent incurables. Je désire qu’à l’issue de
ce poker menteur, ils finissent à poils… et à malheur… qu’ils lèchent leurs méfaits
savamment orchestrés. Emportés par le chaos, nous aurons la voie libre pour un nouveau Big
Bang. Vers parmi les vers, bouffant les pissenlits par la racine, j’irai déféquer en leur fosse
commune. [« Je vous emmerde » ne sera plus qu’une image… mais une syllepse prenant tout
son sens. Ne vois pas dans mes vains maux… mots… un blanc-seing pour agonir. J’écris sous
l’emprise de la passion… de l’ire. Que mes vitupérations n’entachent pas ton innocence. Cette
vulgarité m’est propre. J’ai déposé des droits dessus. Il n’y a guère de raison … d’aucuns
brevettent tout et rien. Ils ne se gênent pas pour déposer la découverte des nôtres (nos gènes).
Je me plie à cette mode imbécile exceptionnellement. La colère est mauvaise conseillère…].
A propos d’agonir ou plutôt d’agoniser (le lapsus est fréquent), en rentrant en notre humble
demeure, j’ai trouvé ta mère prostrée… gisante sur le canapé. Elle était en position fœtale. J’ai
cru à de l’empathie… un transfert. Il en fut tout autrement. Elle eut l’étrange envie de manger
une glace au cherry, au petit déjeuner. L’alcool torturait son estomac, déjà en proie à des
brûlures et des nausées quotidiennes. La cerise sur le glaçon paraissait se rebeller, ne pas se
résigner à être digérée. De toi à moi, tu ne serais peut-être pas la cause de sa géhenne. Je
soupçonne ta nourrice de s’adonner à la boisson en mon absence. Surveille-la et n’hésite pas à
la torturer afin de l’en dissuader. Si l’origine de ses douleurs est une cirrhose ou une crise, il
lui faudra qu’elle prenne un cachet… de la poste… il paraît qu’il ferait foie… Les yeux
larmoyants, elle m’a demandé si je ne voulais pas prendre sa place pendant une semaine, afin
de la soulager. Je lui ai répliqué que j’y consentais volontiers… qu’elle me cède la banquette
et je lui cèderai ma vieille chaise en bois. Elle n’a guère apprécié mon humour, du moins pas
à sa juste valeur. Vas comprendre…
A propos d’ivresse, Cupidon a parfois de curieuses ambitions… de curieux cheminements. Il
construit tantôt ses relations amoureuses sur une exécration… une antipathie viscérale. Tu me
rétorqueras que l’amour et la haine sont très proches (ayant en commun la passion). Pour
parvenir à un tel revirement de sentiment(s), cela tient du prodige. J’ai un parfait exemple, de
23
Journal d’un futur père.
deux conseillers prudes-aux-maux (un homme et une femme) se détestant cordialement (pour
rester poli). Ils s’échangeaient des « amabilités » dès qu’ils s’apercevaient, poussant le vice
par des courriers. Il et elle étaient mariés chacun de leur côté. Durant leur mandat
quinquennal, il a divorcé… et elle a perdu son mari (c’est ainsi lorsque l’on ne prend pas
grand soin de ses affaires.). Libres deve-nus… de corps et d’esprit… leur regard envers
l’autre s’est radicalement modifié. Aujourd’hui, ils sont ensemble, épris… au piège du
messager d’Aphrodite. Les sujets de leur rancœur d’antan sont devenus un terreau propice à
l’adoration. Les traits ont muté ou percé leur sein. « Je t’aime moi non plus. ». Les fleurs ont
remplacé les orties. Les prises de bec se sont muées en bécots. La construction d’un couple est
véritablement hors norme.
Je profite de ma lancée pour achever mes écrits du jour, par le délicat voire scabreux (pour les
parents) sujet de la sexualité. Ne l’étant pas encore (parent), je profite de l’instant… du répit
pour l’aborder. J’y serai sûrement plus à l’aise. Ainsi, lorsque tu viendras me trouver dans
quelques années, avec ta petite frimousse angélique, les yeux débordants de cette lumière obscène (car pleins d’appétence), je te renverrai en tes pénates… à la lecture du présent ouvrage.
Voici donc le secret de la procréation. Les petites abeilles vont de fleur en fleur et, dans leurs
petites pattes, elles emportent de petites graines. Lorsqu’une d’entre elles, tombe dans une
rose, ladite fleur donne naissance à une fille (telle est la raison de leurs propos et de leur
caractère épineux et fragiles). Lorsque le germe tombe dans un chou, ce dernier engendre un
garçon (telle est la raison des pets qu’ils lâchent à longueur de journée.). Non, je plaisante. En
fait, c’est un étrange oiseau (un échassier migrateur) nommé cigogne qui, dans son périple,
ramène les enfants conçus par le bon dieu en son antre… un lieu mystérieux. Il est le
messager du créateur et délivre suivant le dessein de l’auteur, le petit être frémis-sang à ses
parents. C’est pourquoi, à notre naissance, nous tombons de haut… D’en haut, il paraît si
beau… A terre, nous le sommes car sitôt atterrés par sa cruauté.
Faut-il réellement que je m’étale en cette matière ? Ne te moquerais-tu de moi pour me mettre
mal à l’aise… en porte à faux ? Tu me sembles bien taquin(e) pour ton âge. Je vais vite te
calmer, fais-moi confiance. En effet, depuis le début de ce journal, je n’ai de cesse de te parler
de ta conception. Tu dois donc savoir que tu es le fruit de notre amour (de ta mère et moi) et,
que tu vas mûrir pendant neuf mois dans son ventre. Tu n’es pas arrivé(e) en son sein par
hasard mais, suite à notre volonté délibérée de t’engendrer. Aussi, Nathalie a-t-elle cessé sa
contraception et moi, me suis-je appliqué à lui faire l’amour. Ainsi, tu ne me demanderas plus
comment on fait les bébés mais comment fait-on l’amour. Je te répondrai : « Tu es trop jeune
pour l’instant, petit(e) vicieux(e). ». Qui m’a refilé un(e) obsédé(e) pareil(le) ? Tu me diras les
chiens ne font pas des chats. Je reconnais là ma vivacité d’esprit…
A cette question de l’esprit, est étroitement liée celle du nourrissage de l’enfançon. La grandmesse fut en faveur du biberon et de sa féale tétine en caoutchouc. L’ersatz de lait et la
mamelle synthétique furent préférés car plus hygiéniques et pratiques. Paradoxalement, à
l’heure de la libération de la femme, la libation devint plus pudique. Les tétons cessèrent de
s’étaler au vu et au suce de tous. A moins qu’il n’eut s’agit pour la femme… émancipée…
militante… de rompre avec la routine ancestrale, de ne plus perpétuer les faits et gestes des
mères d’antan. Or, ces succès-damnés n’eussent pas été si bons pour nos chérubins. Moins
riches, ils n’apporteraient pas suffisamment d’éléments essentiels à leur santé. Le lait
maternel serait plus sain (sans mauvais jeu de mots), mieux adapté à son développement, ainsi
qu’à son système immunitaire. Il serait excellent pour l’essor intellectuel. [Il y a également de
fortes chances pour que tu sois allergique au latex, à mon pendant. Nous ne tenterons pas le
diable.]. Tu seras donc allaité au mamelon (« Viens nous servir à boire… »), non pas que ces
24
A toi que je ne connais pas en corps…
médicastres nous aient convaincus mais, parce que nous pensons que les voies naturelles sont
plus pures. De plus, il me plaît d’imaginer ta mère pudibonde… la poitrine à l’air… l’aréole
en folie… te criant goguenarde : « A table. ». Et de se battre violemment les « païens » (…
pour rattraper l’autre) en te déclarant : « Ne bouge pas. Je réchauffe ton repas. ».
La science est un art divinatoire alternatif. Tantôt au levant, tantôt au ponant. Ses revirements
sont spectaculaires, ses praticiens en perpétuel mouvement ou plutôt désaccord, ils révisent
cycliquement leurs positions. Un cycle varie suivant l’intérêt de la chose étudiée. Ce fut le cas
s’agissant de la mort subite du nourrisson. Ce trépas serait dû à l’oubli de respirer… un défaut
de l’innée… « des nôtres, il a bu ses glaires comme les autres… ». Afin de la neutraliser, les
médecins prônaient de coucher le nouveau-né sur le dos. Lors de ma naissance, ils
recommandaient de nous mettre sur le ventre… puis, derechef sur le dos. Demain, sera-ce de
te pendre par les pieds ? En attendant, nous t’étendrons sur le côté… à mi-chemin… le risque
sera moins extrême. A l’impassible, nul n’est tenu.
Au risque que ton ego n’enfle démesurément… que ta tête ne parvienne plus à sortir des
entrailles de ta matrice, il te faut savoir que tu es au cœur… le c[h]œur… de toutes les
convoitises… les enjeux… les énigmes de ce monde. Tu es une sorte de nombril de ce
macrocosme… son accès égotiste. Car la main qui se pose sur le berceau, conduit l’Humanité.
Par ton biais, grand est l’eugénisme (l’Eugénisme Grand est…), la tentation de jouer les
apprentis sorciers. Tu représentes l’aube. Te manipuler, te sculpter, t’engendrer permet à
quiconque de se déifier… de défier le créateur… puisque l’enfantement d’un jour nouveau.
Ta chair[e] est un domus dei. La grande aventure actuelle est la découverte de tes fondations,
de l’acide désoxyribonucléique (A.D.N.). La quête de tout cavalier d’industrie – digne de ce
nom – est un nouveau domaine, celui de l’infiniment petit… le nano… ou le constituant de
l’être vivant. Cette cartographie permettrait de toucher la chaîne de la création tout entière, de
l’appréhender. Cette infinité décimale mènerait à l’infiniment grand. Il serait un lieu où les
deux se joindraient. Ainsi, la mise… la main mise est de taille. La possession de ce secret
confère l’omnipotence. Elle ouvrirait l’univers tel un livre. La génétique se monnaie donc à
prix d’or. L’appréhension d’un gène et de sa propension voire de ses interactions vaut une
fortune… un espoir. Elle promet au détrousseur patrimonial, les fastes de la gloire, de
l’opulence. Notre société reposant sur la perpétuation de l’espèce, qui maîtrise la
reproduction, maîtrise le genre.
Or, ce monde est une jungle. La raison du plus fort est celle qui le domine. Imagine l’ambition
démente de géniteurs aspirant à la postérité. Pour que leur conception soit maculée de cette
force, voire immaculée de perfection, ils seront prêts à débourser des trésors. A travers leur
descendance, ils réaliseront leurs fantasmes d’absoluité… leur hoirie étant seule souveraine.
Le clerc capable de donner corps à leur rêve, sera grassement récompensé… adulé… même
s’il a vendu son âme au diable simultanément. Comme à l’accoutumée, le mouvement partira
d’un bon sentiment, d’une façon anodine ou salutaire, afin de soigner les carences naturelles,
les souffrances des maladies incurables. Puis, très vite, il se pervertira. Le ver entrant dans la
chair. L’on pourra choisir le sexe de son enfant, sa couleur de peau, de cheveux et/ou de ses
yeux. Viendra le choix de la race, de l’intellect, des aptitudes, des facultés…
Je me demande si je ne vais pas implorer Nathalie d’avorter. Tu sembles une menace trop
importante. Je crains de « mourir » à te donner la vie. L’unique dessein de notre espèce réside
dans sa perpétuation. L’enfant est par conséquent son sein. L’adulte n’existe plus. Quelle est
la légitimité d’une communauté focalisée sur l’enfantement de son genre ? Quelle est son
existence ? Quelle est son ambition, sa vocation ? Je n’aspire pas encore au trépas. Enfin il te
faut savoir que notre gouvernement est en train de pondre des lois scélérates criminalisant les
25
Journal d’un futur père.
parents d’enfants turbulents. Lesdites lois rendent les agnats dépendants de leur progéniture.
Ainsi, tu pourrais me faire l’odieux chantage de céder à tes caprices ou de finir au violon. Je
subodore trop bien la musique et ton air d’y toucher, pour tomber dans le piège… Ne prends
pas tous mes écrits pour argent comptant. Je plaisante. Il est hors de question d’arrêter ta
conception. Nous nous languissons de ta naissance et, il n’a jamais été dans mes attributs de
renoncer, de baisser les bras. La perspective du combat me donne vie, m’octroie une existence
même si parfois il me pèse. L’armure me redevient légère. Je ferai plier ces saigneurs un par
un, ou périrai pour mes idées que de vivre en servilité.
En me garant sur le parking de la Cité Judiciaire, j’ai croisé une voiture de sport, dont seuls
les nantis ont la possession. Je ne suis pas jaloux de son propriétaire. La chose est certes
magnifique. Cependant, j’ai appris à me contenter de ce que j’ai… à en retirer une joie… une
fierté. Que je te confie cela, a son importance, car tu pourrais prétendre que j’écris sous le
joug de la convoitise. Ce n’est point le cas… du tout. Au contraire... Me toisant du regard, j’ai
senti sa morgue, sa hauteur. Il me faut te révéler qu’en tant que quart de juge du premier
degré, nous ne sommes pas appréciés des magistrats professionnels. Fardés de diplômes, les
viguiers se croient au-dessus de la masse. Or, nous sommes des héliastes. Nous avons cet
avantage qu’ils nous briguent sans oser se l’avouer… ou d’être désavoués… sanctionnés pour
leurs errements… être jugés à leur tour par la voie des élections. Nous sommes l’émanation
du peuple… élus par lui. Nous tirons notre légitimité des urnes… pas eux. Ainsi, comment
peuvent-ils rendre la probité au nom dudit peuple ? Le chapeau de toute minute, de toute
grosse comportant cette mention : « République Française », « Au nom du peuple français. ».
Ils ne connaissent pas ce peuple dont ils tirent leur pouvoir judiciaire. Ils le condamnent. La
justice ne peut pas être rendue par ces individus… ces bourgeois attifés comme des tauliers
dédaignant la plèbe, n’en connaissant ni leur vie, ni ses dures réalités. Il faudrait donner un
grand coup de balai dans cette institution, la réformer intégralement. Ne devraient avoir accès
à cette fonction que les français « d’en bas », ayant souffert… ayant vécu. Ils sauraient
trancher les litiges, à l’appui de leur empirisme… et non en se fondant sur des a priori
exégétiques. Aucun droit ne devrait être codifié, le bon sens réglant… réglementant les
rapports de la communauté.
Le malheur des uns, fait le bonheur des autres... Le prime se nomme exploitation... le second,
convoitise. Or, l’exploitation de la misère, paradoxalement est très fructueuse. En notre
système capitaliste, il s’agit d’une source de revenu comme une autre… d’un marché. Il n’est
pas encore coté en bourse… quoique ne saurait tarder. Il n’est qu’à observer la rue, pour
embrasser les hordes dont le raz croissant et pitoyable. A les examiner des pieds à la tête, on
les penserait sortis des mêmes moules, signifiant qu’il pourrait s’agir d’une industrie… une
confection parfaitement rôdée (avec ses contrefaçons… les faux invalides) et non plus de
véritables tares. L’un des systèmes les plus aboutis, est celui des roumains aux genoux
inversés. Sont-ce les échecs de manipulations génétiques déversés dans nos caniveaux, ou un
produit maîtrisé, vendu « plaie en main » ? Car ces pauvres hères souffrent de maux
identiques. Sont-ce des clones, d’horribles pantins savamment désarticulés ? Un produit de
consommation étudié aux fins de nous émouvoir irré-mais-diablement ? Qui tire les ficelles
de cet odieux trafic ? Car en est-ce un. Ils me font penser aux jouets mécaniques qui
s’étalaient jadis en nos foires et dont le maître d’orchestre (le bonimenteur) n’avait de cesse
de remonter, afin de nous tourner la tête et de nous ravir… Ils me rappellent ces « monstres »
plus vrais que de nature, qu’un monsieur [dé-]loyal nous invitait à découvrir sous un
chapiteau. Le spectacle n’est plus dissimulé. Il vient à nous dans toute son horreur… toute son
26
A toi que je ne connais pas en corps…
agressivité, pour nous faire tourner la tête, nous arracher des sentiments de honte… de
culpabilité d’être en bonne santé. Ledit monsieur manipulateur se cache à présent et lâche ses
arti-fils dans une nature qui ne sait plus qu’en faire. Puis il récolte… moissonne le blé
récolté… ne sachant comment soulager notre conscience et les douleurs de ces phénomènes,
nous leur accordons l’aumône demandée, en nous disant que ce n’est pas chèrement…
chairment payé tout compte fait.
La détresse sexuelle est aussi un créneau très juteux (sans jeu de mots). Les marchands de cul
sont partout, jusque dans la télévise, par des documentaires-débats… documentaires-ébats.
Cette misère-là est plus pernicieuse que la précédente car chassée de la venelle, elle entre chez
nous par la fenêtre, la petite lucarne. Faudra-t-il bientôt se barricader, ne plus sortir de chez
soi, afin de ne plus être confrontés au malheur ? Pour vivre heureux, nous faut-il vivre
cachés ? [Sois en liesse (non en laisse) mon enfant et prodigue le bonheur en ton entour… au
risque d’être dilapidé(e)… exploité(e) par des individus sans scrupule.]. Les naufragés de la
société se raccrochent à d’autres amarrages… à d’autres bittes. Le plus vieux métier fait continûment recette. En notre société de cons-sont-mation, il mute et s’organise tout autant…
s’industrialise… un commerce à la chaîne… à l’enchaîne. Les proxénètes regroupés en
coopérative vont arracher leur matière première dans le sein de l’indolence. Puis, ils étalent
leur crime sur nos trottoirs, font de la vertu… une hétaïre. Le client n’est-il pas roi ? S’il l’est,
il doit s’agir du souverain de la pire espèce car il cautionne… il alimente ce trafic charnel. Il
est coupable au pendant du proxénète mais en sus, de non-assistance à personne en danger,
coupable de recel… de violences physiques et morales. Il ne peut prétendre comme en
d’autres temps horribles, qu’il ne savait pas.
[Ta mère est montée dans le métro, toi dans le dos. La rame était bondée. Elle n’a pu se
faufiler parmi les usagers. Elle est demeurée au ras des portes. La tête en arrière, tu
regardais… observais le monde autour de toi. Après la sonnerie avertissant du départ
imminent, les portes se sont violemment refermées… comme un couperet. Ta tête est tombée
en fruit cueilli ou trop mur. Elle a roulé aux pieds des badauds ne la voyant pas. A l’intérieur,
nul ne frémit… ne bougea accaparé par un clodo affalé sur un strapontin, le pied au double,
suintant, pustuleux, bandé par une Velpeau d’un autre temps, d’une saleté à lui filer une
péritonite. Le gueux semblait un roi, sa cour autour de lui, repoussant ses sujets par
l’importance de sa crasse et son odeur nauséabonde… Foutu cauchemar. Je me suis éveillé
presqu’en larmes.].
Nous avons passé ta mère et moi, notre repos dominical chez un ami (probablement ton futur
parrain), en compagnie de ta future marraine... bref presque en famille. Nous y sommes restés
jusque tard dans la soirée, à converser autour d’un fameux couscous… leitmotiv de notre
journée. Nous fûmes très bien reçus… et par le maître des lieux… et par son Cerbère… un
mâtin… une mâchoire sur pattes… une bête de somme. Il s’agit d’un monstre issu d’une
panmixie destinée à engendrer des tueurs de taures. Imagine ce diable enfermé dans un
appartement, tournant comme un fauve en cage, arrachant les linoléums, creusant les murs de
ses griffes, sautant sur tout ce qui bouge. Son maître n’a d’autres voies que de le dresser au
doigt (ou plutôt au poing), de l’avoir à l’œil. Ainsi, leurs rapports sont-ils uniquement fondés
sur la force… dominant… dominé… le jeu du dominé (le chien) étant de chercher à devenir le
dominant… et l’enjeu de ce dernier, de le demeurer. A les observer, la partie semble rôdée et
la violence, leur seule rencontre. A l’aide d’un livre « éclairé » en matière de dressage, le
maître dispense… prodigue une éducation ciselée (sur le fil du rasoir)… l’erreur n’étant pas
permise. L’ouvrage décrit le canidé comme étant très intelligent. Ce dont il n’est à douter. Le
27
Journal d’un futur père.
pitbull n’est effectivement pas qu’une paire de mandibules, acéré qu’en ses crocs. Il est
pervers, sachant apitoyer, pleurnicher, simuler pour parvenir à ses fins. Il épuise tous les
moyens dont il jouit.
A les tutoyer une journée, je fus une sorte de grain de sable dans leur mécanique de la
domination. A force de caresses – et non de coup –, je parvenais à muer le loup en agneau. Au
lieu d’aboiements rauques, il se mit à japper. Ces morsures se changèrent en tétées. De l’aveu
de son belluaire, il se comportait différemment… radicalement. Où il n’était que puissance, il
devint douceur. Deux réflexions m’emplirent lors. Il est possible de sortir du séculaire et
bestial rapport de force éculé… pour peu que l’on daigne trouver la voie… voix permettant de
supplanter ce bras de fer – il est des relations à inventer hors dominant-dominé mais
raisonnable-raisonné –. Comme je le prétendais, l’idée juste s’impose comme un axiome, sans
qu’il soit nécessaire de recourir à la violence, ni physique, ni morale. Dès lors, si nous
parvenions à obvier ce rapport dans lequel nous entraînent les employeurs et autres donneurs
d’ordre, il serait concevable de leur faire trouver raison, par l’échange, le débat d’idées.
Secundo, les bouquins n’étalent point que la sapience. Ils peuvent être un écueil, si les
informations, les doctrines et/ou les idéologies exposées, ne sont pas contredites ou soumises
à l’autocritique. Il ne s’agit pas que de pain béni… La main qui rédige, domine également le
monde. Je me découvre un appétit totalitaire... tota-littéraire.
Il me faudrait endosser la panoplie… et du démagogue… et du politique… pour accéder au
pouvoir légitimement avant de me l’arroger… puisque déposé à mes pieds. Les affaires
publiques ne me siéent guère, n’ayant aucune propension de tribun, d’orateur… à l’harangue.
Je ne suis pas un thuriféraire… quoique sachant caresser dans le sens du poil quand il le
faut… car pas manipulateur (pour un rond… de cuir). Ni la fonction, ni l’habit ne me
séduisent. A chacun son emploi. Celui du dirigeant n’est pas le mien. La tâche de petite
fourmi au sein de la masse, apportant sa pierre, me convient parfaitement. Je n’ai pas
d’ambition royale… vers les cimes. Je resterai donc un plumitif de l’ombre… la lumière et la
scène m’effrayant. Papillons d’ennuis, mes ouïes sont faites pour entendre le malheur… point
pour l’engendrer. L’obscurité me plaît.
Depuis la cuisante défaite de la gauche plurielle, la tentation est grande pour les militants de
prétendre que le syndicat est le dernier rempart contre la droite. Or, le prétendre est une
erreur… le croire est une connerie. Car, de par ses statuts, une organisation syndicale se doit
d’être indépendante – non pas apolitique – mais sans étiquette, afin de fédérer les salariés de
toute obédience. Si notre organisation, par la voix des urnes professionnelles, augmente le
nombre de voix en sa faveur, n’est-ce pas parce que les salariés ne nous considèrent nullement
comme les héritiers de la gauche moribonde ? Ils nous pensent assurément au-dessus des
partis, auquel cas nous eussions subi le même revers. Endosser une couleur politique nous
lierait et, nous ne jouirions plus de cette liberté en matière de choix sociétaux. Un contrepouvoir se doit de ne pas briguer les feux de la rampe… d’en demeurer un. Sinon, il n’est plus
dans son rôle et n’a plus de sens… plus d’essence.
Depuis deux jours, nous sommes réunis pour la grand-messe, au chœur d’une ancienne
chapelle. A l’autel, défilent les suppliciés du patronat, les martyrs syndicaux pour une auto
célébration… une communion. Les moralisateurs et les donneurs de leçons donnent du
sermon… de la chair[e]… du corps et des cris. Ils s’en donnent à cœur joie et écorchent au
passage quelques pécheurs égarés. Les différentes théories s’affrontent plus qu’elles ne se
confrontent. Les volutes verbales, véritables encensoirs, s’adonnent aux coups et finissent par
enfumer les ouailles… les nimber de brume. Tous perdent bientôt le fil. Comme à
l’accoutumée, je me demande ce que je fais en cette célébration, ne me reconnaissant point ou
28
A toi que je ne connais pas en corps…
peu dans les témoignages… ni dans la forme… ni dans le fond. Le débat est une nécessité à
condition qu’il ait un contenu, un fil conducteur… des idées à échanger. Lorsqu’il est stérile,
il devient un verbiage ennuyeux. La réflexion finit par pervertir l’action, car elle détourne son
rayon. Elle engendre des inhibitions. A force d’intellectualiser le mouvement, nul ne sait plus
d’où il est parti, ni où il doit se rendre. Le plan devient abscons… cession.
N’aie point d’idole, mon enfant, au risque de vivre par procuration. Une à une, tu brigueras de
toucher les stations. Elles ne te seront pas propres… figurées… défigurées. Il n’est de
hasard mais des rendez-vous. A poursuivre d’autres voies (impénétrables), tu ne seras pas aux
tiens… ni en temps… ni en heur. Tu seras en rupture perpétuelle. Ta mère va te mettre au
monde. Il t’appartiendra d’écrire ta fable, la suite de ce journal… point de la lire dans les
veni5 ou vade-mecum… les bréviaires ou autres synaxaires.6 Sois ton modèle… unique suis-je
tenté de dire. Vis ton existence aussi misérable, triste, insipide, soit-elle. Ainsi soit-elle. Je
t’expliquerai pourquoi demain… Tu n’es nullement obligé(e) de suivre mes conseils…
Les êtres irrationnels sont paradoxalement ceux dont les nécessités de rationalité, sont les plus
accrues. A cheval sur leurs principes, ils octroient des crédits à des axiomes par leurs
croyances, afin de réaliser leurs ignorances, de leur donner corps… afin de se rasséréner.
Ainsi sont les miennes. Etant fataliste, je pense à titre infiniment personnel voire subsidiaire
(eu égard à tout ce que je t’ai déclaré préalablement mais, également parce qu’à l’instant où tu
seras en âge de lire cet ouvrage, mes postulats auront certainement évolués pour me permettre
de continuer à exister au sein… sain de cette déraison.). Ainsi, perçois-je l’existence comme
étant une confrontation… d’une transcendance à une immanence… d’un postulat à une
réalité… d’une essence à un ou des accidents. Si tu crois en cet axiome, alors tu seras
heureux(se)… content(e) de ton sort puisque desti-né(e) à te faire toucher ce que ton esprit
souhaite éprouver… s’éprouver. Tu sauras que l’adversité, l’infortune sont des maux
nécessaires… des épreuves essentielles que tu t’es fixées ailleurs, hors du temps, et que tu te
savais capable d’affronter.
Ces fatums successifs n’ont la vocation que de t’apurer du dispensable pour ne conserver que
l’essentiel de toi. Il n’est pas de hasard… des rendez-vous avec soi. Ta naissance en est un
pour moi. N’ayant pas saisi, je me suis longtemps fourvoyé… dévoyé… et j’ai touché des
bonheurs précaires… des leurres qui ne m’étaient pas promis. Il y a donc deux approches…
ou passer sa vie à combattre et pleurnicher de ne pas jouir des mêmes biens que d’aucuns et
en crever de jalousie… ou se contenter de ce que l’on a et l’on est, ayant déjà goûté jadis
– inconsciemment – à ces fruits du jardin d’Hespéride, ces inanités en d’autres confrontations.
En ce[ux] que tu envies, ne voient que des vanités. Je te le déclare d’autant plus aisément, que
je m’y essaye sans être parve-nu à cette rude finalité. Ma présente existence doit avoir pour
but de me permettre de me dépouiller… me confronter à la matérialité sans sombrer dans la
spiritualité. Car, en d’autres temps, j’ai dû embrasser la fonction de sorcier ou de sorcière, tant
il me rebute de mettre un pied dans une Eglise... de passer sous une croix. Mes poils se
hérissent. Un frisson me dévore. Je trouve son art et ses manières for laides. Ai-je péri sur l’un
de ses bûchers ? Sans doute ai-je été jugé… condamné par l’un de ses inquisiteurs puisque,
aujourd’hui, j’officie partiellement en qualité de juge, sans l’avoir véritablement choisi.
L’emploi est venu à moi et non l’inverse.
Ma passion, ma prime vocation est à la création. En tout ce que j’entreprends, j’aime
réinventer le genre. J’exècre de suivre une ligne, un plan prédéfinis. Je suis mon instinct… Je
5
6
Veni-mecum : n.m. (ou vade-mecum) livre qu’on porte toujours avec soi.
Synaxaire : n.m. (ou synaxarion) recueil, abrégé de la vie des saints... livre des saints en grec.
29
Journal d’un futur père.
suis dès que l’on ne m’attend pas. Lors, je suis en extase voire en transe. Je n’ai pas besoin de
psychotrope pour me pâmer. Là, à rédiger ce journal, je prends un plaisir incommensurable
tant il me plaît d’imaginer le rôle du père et de créer ce que nul avant moi n’a songé… une
relation prénatale. Il me plaît d’innover… de refondre la forme de l’ouvrage pour la sculpter à
mon image. Ainsi, ne me contenté-je pas d’énumérer les évènements du quotidien mais, à
travers eux, tenté-je d’en saisir les causes et les effets, de leur donner une raison... de te
donner la vie. Saurais-je la reformer par ton biais ? Ce serait…
J’observe la Blanche Neige (sans ses sept nains… vieux vilains) tannée en une vieille peau de
bête… descente de lit… s’étirant de tout son long sur le dessus de la bibliothèque. Affalée
dans la lumière de l’applique, elle s’amuse à observer la silhouette de sa patte, ainsi que sa
tête remuant sur le mur. Elle découvre les ombres chinoises avec un certain plaisir, une nonchat-lance risible. A l’épier qui pourrait oser prétendre que les animaux sont sots ? Hormis un
sot lui-même. Elle a parfaitement analysé le principe et s’en délecte. Lasse du jeu, elle se
couche de nouveau, referme ses paupières. Elle entame un repos amplement mérité. Je me dis
qu’il doit être agréable d’être un chat, de vivre dans l’instant, dans l’insouciance. Elle semble
aspirer à demeurer dans une juvénilité bonne enfant… ce qui devrait être toujours le cas ! Ca
me sied puisque j’épuise ses enfantillages. Je m’entraîne sur elle pour apprendre les gestes, les
caresses ou les mots que je pourrais ensuite te prodiguer. Elle semble les apprécier. C’est de
bon augure.
Ta mère continue à s’informer quant à la maternité. Un collègue ou plutôt un ami – dont la
femme est enceinte du quatrième – m’a prêté quelques ouvrages traitant de cette matière. A
mon habitude, je n’y plonge point mon regard, le désirant vierge. Ta génitrice s’en délecte.
Ainsi, peut-elle suivre ton évolution par procuration… le biais de représentations d’embryons
photographiés ou croqués à différents stades de la gestation. Elle suppute ta forme… ta taille.
Je conçois tes traits. Notre approche est radicalement différente. Nous rejoindrons-nous avant
que tu ne viennes ? Elle devrait te voir bientôt. Elle passe une échographie dans quatre jours
et savoir si tu es seul(e) ou bien si vous êtes plusieurs... saisir ton ou votre sexe (dont je ne
brigue toujours pas d’avoir la connaissance), et taire les suppositions. Hélas, je ne pourrais
pas l’accompagner. Je pars dimanche dans la région parisienne (de mon enfance) suivre une
formation dont le thème est : « Le droit social européen et international ». Je m’absente durant
une semaine, la mort dans l’âme… celle de mes trente trois ans. Mais, je serai présent à la
suivante – deux semaines plus tard – promis, juré.
30
A toi que je ne connais pas en corps…
Troisième mois :
A l’issue de cette mensualité, ta mère devrait avoir terminé de payer sa dette à la maternité…
les nausées l’auront abandonnée… les maux gastriques de concert. Nath-au-lit est – par
conséquent – empressée qu’elle s’achève pour être enfin libérée de ce poids lui encombrant,
en quasi-permanence, les entrailles… et de quitter la couche. [Tu me diras, elle en trouvera
d’autres dans quelque temps, bien plus écœurantes car remplies de méconium.]. L’échéance
sera une étape importante. Nous saurons alors quelles sont tes chances de viabilité. A l’heure
où je t’écris, ton cerveau est en pleine élaboration ainsi que tes autres organes vitaux. La
petite étincelle de vie, l’insufflation va bientôt se produire. Je ne pourrais pas en observer le
phénomène… le mystère. Je te rassure, quiconque n’y est parvenu.
Je souhaite – à l’entame de cette nouvelle période – que cette dernière soit moins absconse et
qu’elle daignera me conférer plus de matière… à travers la tienne... que nous puissions
davantage unir nos liens… qu’elle sera moins métaphysico-philosophique. Malgré la pléthore,
le deuxième mois est inutile et consent fort peu de substance. Il n’est point de relation
possible avec le nourrisson puisqu’en absence de conscience. Il n’est de père que s’il est un
enfant, contrairement à la mère trouvant sa fonction dès la fécondation. Tu n’en es pas
encorps un. Notre culture et notre société sont très étranges… matriarcale s’agissant de
l’enfant… patriarcale en ce qui concerne la famille. Elles sont schizophrènes. Je leur dénie le
droit du préjugé.
Les jours à te narrer sont inégaux. Il en est de plus fastes. Je ne sais pourquoi. Il en est de
féconds où le verbe m’est aisé, ainsi que leur accouchement sur papier. Et, il en est où ta
conception m’est moins accessible. Comme en cet instant où tu es loin de moi… ta génitrice
étant partie chez son amie (ta future marraine), profiter ensemble d’un répit. Lorsqu’elle est à
mes côtés, je mets ma main sur son gi- [pas encorps] rond pour tenter de t’appréhender et de
puiser l’inspiration en son sein. Je dois t’avouer que le geste est futile… ni l’une… ni l’autre
ne sont au rendez-vous. Aussi, pallié-je la carence en te respirant. Notre lien est un souffle
infime… intime… décalé dans le temps. Je t’embrasse avec le journal, t’essayant à me lire,
expirant sur mes pages. Je les inspire. Elles m’inspirent à leur tour. Je me lis par-dessus ton
épaule et me plagie. Tour à tour, nous sommes et nous nous évanouissons… comme le jour et
la nuit. Comme la joie et l’ennui…
Un cri vint déchirer mes rêves, m’en extraire brusquement. A gorge déployée, l’inconscience
de ta mère se rappelait à ses mauvais souvenirs. Depuis quelques sommeils, elle se vautre
dans des cauchemars… coche-mares infernaux… les « os » du Styx. Il est des passés fangeux,
collants comme la poisse dont il n’est pas aisé de se défaire. Celui de ta Téthys est de ceuxlà[s]. Ses démons d’antan – sortes d’incubes – viennent la torturer nuit-amant. Ils lui font la
nique… et la haine. Je tente de la rasséréner… de lui parler pour les lui arracher… qu’ils
cessent de lui rogner l’esprit. Elle se refuse au dialogue. La cicatrice est à vif. Tu dois être
également un rendez-vous primordial pour elle (au-delà de l’événement en tant que tel). Par
ton enfance à venir, elle revit inconsciemment la sienne, n’ayant pas apuré les vieux comptes
qui lui permettraient de faire ami-ami avec elle m’aime. Ce travail inaccompli doit se faire
avant ta mise au monde, au risque de t’empreindre de cette boue. Ainsi, son subconscient lui
force-t-il le destin.
Je m’endors. Elle ne trouve pas le repos. Dans sa tête, défilent une myriade d’idées
semblables à des étoiles filantes… s’éfilantes. Leur éclat en laisse d’autres dans son âme… en
essaime. Il lui faudra retirer chaque fragment in[-can-]décent, chaque piqûre amère pour
31
Journal d’un futur père.
recouvrer un semblant d’amour propre… propre à l’amour. Les bourdons lumi-naissants au
fil de ses pensées, continueront à la tourmenter de longs instants. Je me lève, sans la
bousculer, fais un peu d’exercice en attendant qu’elle s’éveille. Après une lutte acharnée, elle
a fini par s’assoupir. Je l’abandonne sans… ou dans l’ombre d’un doute… jusqu’à ce qu’un
nouveau cri – sorte de corps accord – mande mes faveurs. Je la recouvre… de tout mon long.
De mes caresses, j’essuie ses tourments, fais peau neuve. Elle frissonne, résonne sous mes
doigts. Les bourdons ont un nouveau son de cloche. Dans sa tête, les trompettes de Jéricho
cèdent leur place à la communion. Mon enfant, ce bâton de chair qui va et vient en son sein,
n’est pas un vilain serpent cherchant à te corps-rompre mais, ce bois d’en-vie à l’origine de la
tienne. Et, cette plainte que tu perçois, n’est pas le hurlement d’une meute de loups briguant ta
chair. Elle porte l’extase de tes parents s’aimant en cor.
Je suis derechef coupé de mes racines, loin de vous. Une semaine sans pouvoir vous
toucher… sans mes repères… est une expérience inédite. J’ai l’impression de m’être
embarqué sur un bateau ivre. Notre seul lien, sera ce récit, susceptible de remplir les blancs. Il
sera une bouteille à la mère… d’oxygène m’empêchant de sombrer. Dans ma cabine, je
profite de cette retraite assertorique pour tutoyer l’absence, me confronter aux sentiments
qu’elle va m’insuffler. L’épreuve débute. Déjà je ressens les prémices du manque. La froidure
m’effeuille. Je frissonne. La pénombre promène sur moi, le fil de son rasoir. Je sais qu’une
tempête se prépare à l’horizon. Je me couche, bien triste d’être à des lieues de mes amours. Je
ferme les yeux afin d’oublier mon vague à l’âme. La solitude – cette courtisane que je croyais
avoir occise – profite de l’abandon pour reparaître… et de mon inconscience pour me rendre
sitôt l’odyssée infernale. Elle déverse sur moi ses fléaux. Ses serpents persiflent dans ma tête.
Je sais que ce succube m’attentera toutes les sorgues durant. Entre chien et loup, elle
s’immiscera dans mes songes, perturbera mon sommeil. Le doux parfum de Nathalie ainsi que
sa chaleur ne viendront pas m’apaiser. Il me faudra obvier les morsures, les affres de la vile
sirène. Ses chants entrent en bataille rangée, en é-moi comme en terrain conquis.
Je me plonge dans différentes lectures sans pouvoir comprendre un traître mot puisque aux
aguets. Je subodore la traîtresse rôdant, hume ses relents de suppôt. Bientôt, elle vient se lover
contre moi à l’instar d’une chienne s’essayant d’apitoyer son maître. Elle m’observe avec
appétence. Je ne serai pas son régal. J’extrais de ma poche, la photographie de ma femme,
telle une icône apte à repousser les ardeurs d’un démon. Je la caresse de l’index puis, la place
sur mon cœur. Le sein se calme sitôt mais, les ophidiens ne se sont pas retirés. Je perçois leurs
crochets en ma chair… leur langue me titiller. Par leur venin, ils tentent de me corroder… de
m’insuffler d’abjectes réminiscences… la souvenance des jours néfastes. Je suis revenu sur
les lieux d’une passion éphémère. Je n’en ai nul regret… ayant trouvé mon eldo-radeau… ma
chère promise. Toutefois, en cette méduse, je sens la volonté de me nuire… de me pétrifier de
remords.7 Aussi, s’acharne-t-elle à m’injecter ces poisons m’inspirant des tourments d’antan...
à remuer les crocs dans la plaie. La gorgone se méprend… la blessure est [a-]guérie et je n’en
ai pas conservé de séquelle… un corps rodé. D’un trait, j’ai tué ce passé et d’Achille je n’ai
point conservé le talon. Son cheval é-Troie ne percera pas mon bastion. La ruse est grossière.
Je me replonge dans l’érèbe… son pelage zain ne saurait me broyer. Dans ce noir, j’ai deux
alliés… que j’embrasse dans une ultime pensée.
Ta mère avait audience avec toi. Elle a mis un visage sur tes deux prénoms potentiels (car
fonction de ton sexe.). A son retour, elle m’a déclaré être bouleversée par cette rencontre …
7
Remords n.m. de remordre.
32
A toi que je ne connais pas en corps…
quoi que tu grandisses en ses entrailles, elle n’avait aucun moyen de surveiller ta croissance,
ni de t’appréhender. C’est chose faite… fête… Elle a aperçu ta révolte contre cet intrus venant
te déloger dans ton repos originel. Elle paraît apaisée par ce vis-à-vie. A n’en point douter, tu
l’es bien (vivant-e). Ainsi, l’étincelle s’est-elle produite, a-t-elle engendré ce feu sacré,
coupable de l’existence. A travers ses paroles, je t’imagine… je t’ébauche… je te frôle. Je
suis empreint de son émotion. Je suis en pâmoison. Les images défilent en mon imaginaire…
tu es mon œuvre… celle dont je suis le plus altier. Je suis empli d’une telle exultation que des
larmes me viennent. Je m’essaye à les retenir. Que sera-ce dans quelques mois, si je succombe
hic et nunc ? Mes pleurs contenus sont autant de perles de cristal au sein desquelles [se]
réfléchissent mes jours passés et les tiens à venir. Dans leur cour, est celui de ma destin-né…
à l’instant présent... dans leur flot sourd mon espoir… ta lumière. De ma lucarne, je regarde le
monde et le toise. Il m’apparaît différent… à ma portée. L’impossible n’est plus. Je suis
l’Atlas tenant la création sur ses épaules. Tu me mues en Titan. J’ai la tête dans les étoiles,
même si ce soir, elles ne sont pas au rendez-vous. Peu m’en chaut8.
Je me demande quel impact pourra avoir sur toi, cette intrusion en ton intimité. Il semble
qu’elle ait créé un embryon d’ire. La gynécologue s’est amusée à te titiller de sa
« douchette »… à te déranger en ta bulle. D’après ta mère, tu ne semblais pas très heureux de
ce trouble… de cette atteinte en ton havre de peau. Serais-tu déjà affecté(e) par son caractère ?
Déteint-il sur toi ? En as-tu conscience ? Percevais-tu un quelconque danger ? Redoutais-tu
d’être excisé(e)… arraché(e)… cueillie(e) avant l’arrivée du terme ? Craignais-tu qu’un tiers
vienne te supplanter ? A ce propos, ta mère devra passer des tests sanguins et une
amniocentèse, afin de vérifier si tu ne nous aurais pas dérobé – au moment princeps de ta
conception – un ou plusieurs chromosomes supplémentaires… dispensables. Bien
qu’innocent(e)… aux mains pleines… ce forfait se paie chèrement… chairment. Si tel est le
cas, je te pardonnerai cet égarement, ayant sûrement péché par ignorance. Car, en cette
matière… en la vie (…de tous), il vaut mieux ne pas être avide. En dépit des conséquences, tu
demeureras mon enfant.
Je dis « mon » puisque tu es seul(e). Il n’est point d’autre embryon. Nous en avons la
certitude. Tu as donc le sein de ta génitrice pour toi uniquement. Ce n’est pas une raison pour
prendre tes aises. Plus tu nous viendras menu(e), mieux ce sera pour t’accoucher. Je t’écris
cela au nom de Nathalie. En ce qui me concerne, je m’en moque un peu. Je ne ferai ni le
travail, ni ne subirai les douleurs inhérentes... tel est le privilège… majesté… du mâle
souverain… Je vous brigue l’un(e) l’autre en parfaite santé. A cette perspective de
l’enfantement, je sens la fatigue m’étreindre… m’éteindre. En de beaux draps, je vais me
glisser, m’adonner à mon inactivité favorite. Je vais te délaisser, impatient de retrouver
demain. A n’en point douter, la nuit se promet d’être belle.
Ecce homo, ce verbe que je me plais à moquer avec une joie indicible, prend en cette journée
tout son sens. Je me suis éveillé, affublé de l’âge léthifère 9 du Christ, en son dernier
printemps. Le fait qu’il m’empreigne à l’automne est peut-être un signe. Suis-je atteint dans
ma verdeur ? Suis-je en mutation ? Ai-je perdu ma jeunesse définitivement ? Suis-je en train
d’abandonner mon innocence ? Suis-je sur la voie de la sagesse ? Je ne me sens pas différent
de la veille, bien que mon horloge biologique se soit incrémentée d’un an. Je n’ai pas senti
son poids, ayant anticipé depuis plusieurs mois cette évolution inéluctable. Seules quelques
questions existentielles m’emplissent… hantent davantage mon esprit. Vais-je être en capacité
d’entreprendre de grands desseins, sans finir au clou ? L’âge va-t-il me conférer les mêmes
8
9
Chaloir : importer. Il n’en m’en chaut : peu m’importe.
Léthifère : adj. Qui cause la mort... mortel.
33
Journal d’un futur père.
aptitudes… le même sort ? Vais-je endosser la panoplie du messie… son omni-potence ?
Vais-je pouvoir marcher sur l’eau ? Vais-je la changer en v[a]in ? Ou vais-je fédérer autour de
mes idées ? Une partie de la réponse est dans les entrailles de Nathalie. Je m’interroge quant à
la pierre (et je ne la jette pas en le déclarant) qu’il me faut apporter à l’humanité. Sera-ce pour
bâtir une tour de Babel ou la matière d’une montagne devant accoucher d’une souris ? Quelle
est mon utilité, hormis celle de perpétuer le genre ? Si tel est le cas, quel genre ? A travers toi
petit bout d’homme ou de femme, je pose le postulat de mon existence et le remets en cause.
Dans quatre jours, ta mère se mettra sur son trente et un. Sera-t-elle en proie à cet examen de
conscience ? Le fait que tu grandisses en elle, la fait-il évoluer dans ses rapports au monde ?
Votre relation intestine lui ouvrira-t-elle un autre regard ? Je suis impatient de tutoyer le
rescrit. En tout état, une évidence s’impose… par ta genèse, la nôtre se repose. Nous sommes
à l’entame de notre vie de couple et n’ayant pas une culture commune, tu nous pousses à
l’inventer. Ce sont nos valeurs communes que nous allons t’inculquer. Or, est-ce un bien ou
non, n’ayant aucun standard sur lequel nous construire, il nous faut l’engendrer ensemble.
Ainsi, tu seras notre princeps principe moral… celui sur lequel nous bâtirons, puisque le
premier de tous. Etant donné que l’amour nous a animés en ce qui concerne ta conception, je
suppute que nos us en seront empreints. Je le souhaite. Lors, nous grandirons de concert... en
harmonie ?
A propos de morale, des camarades m’ont réservé ce soir, une belle surprise. Ils ont organisé
au pied levé, une petite fête afin de célébrer ma naissance. Nous nous connaissons fort peu. Le
partage de nos idées a créé ce lien amical suffisant pour leur conférer l’envie de me faire
plaisir… de se réunir autour de moi... ou plutôt de l’évènement. Ils se sont cotisés pour
m’offrir quelques présents sans prétention. Je fus très surpris et par conséquent très ému. Je
me suis trouvé stupide, ne sachant que leur dire sinon ma gratitude. J’aurais voulu les
remercier davantage. Le silence leur en a déclaré plus que mes mots. Du moins, je l’espère.
C’est idiot mais, ils m’ont conforté en mon altruisme et mon goût de l’abnégation. Je pense
que tous les hommes ne sont pas irrémédiablement perdus. Il en est pour croire, à mon instar,
que le partage demeure un postulat fondamental. Demain me promet d’être beau.
Un désir irrépressible de poésie m’a empli… assailli… hanté de l’aube à l’aurore. Je n’ai su
ou pu y résister. Je me suis exécuté malgré la fatigue. La formation qui m’est dispensée, est
tellement dense qu’elle finit par achever mes intimes pensées. Mon esprit n’a de force que
pour son ingestion et sa régurgitation… son assimilation. Il n’a plus d’appétit pour vaquer à
mes plaisirs personnels. L’euphorie de composer un sonnet à ta mère était irrésistible. Aussi,
ai-je épuisé mes dernières énergies intellectuelles à la satisfaire. Je ne suis pas certain que le
résultat soit à la hauteur de mes espérances ou des siennes. Je suis trop las pour l’analyser. Je
n’ai de recul nécessaire. Je te livre l’œuvre à peine enfantée :
Genèse… ses pas :
J’ai posé un berceau en ton sein consentant,
Un alliage subtil, fait de chair et de sang,
Un bout de chou labile, un bouton de rose...
Un bourgeon enflé de gloire et d’ecchymoses.
34
A toi que je ne connais pas en corps…
Briguant de notre amour, que vienne l’allégorie,
J’attends impatiemment la véraison du fruit.
Akène vêtu de tes douleurs purpurines,
Viendrais-je cueillir en corps, la mèche sanguine ?
Je ne suis pas Joseph et tu n’es mie Marie.
Or, même si notre hymen accouche d’un simple esprit
– Qui croyait-il prendre ? – oui, par ce prodis-je
(Dont il n’est matière d’en faucher la tige)
Je serai séduit : que de l’arche du noyé,
Il m’apparaisse sauf, allant dans la nuée.
Une ultime précision avant que de succomber. Le texte peut te paraître sibyllin. Il puise sa
source dans notre appréhension ad hoc. Chaque mot est précis et vient de deux facteurs. Nous
ne savons ni ton sexe, ni si tu seras ce messie espéré ou un enfant diminué. Après tout, tel a
peu ou prou d’incidences mais, tu seras le fruit de notre union qu’en soit sa maturité. Nous
n’envisageons pas d’avorter ta conception. Tu resteras notre destinée, même mal né(e)…
Mon humeur est à philosopher. A travers ta condition, je me pose le postulat de ton
intégration dans la collectivité… de notre couple factuel… de ma réintégration au sein de mon
couple… ta mère et toi allant à en former un naturel… charnel. Et par extrapolation,
notamment avec ce que je vis en cette semaine, intervient la question du « moi » en tant
qu’individu au cœur du collectif. Il me paraît ne pouvoir exister que dans l’égocentrisme. Or,
ma pensée est l’expression de mes idées, de ma doctrine... l’activité de mon esprit. Lors, cette
expression et cette activité ne peuvent me produire que si elles tournent autour de moi… et
non pas fondues voire perverties par la réflexion de la masse. Ainsi, la pensée m’est propre
lorsque le collectif en autorise l’expression sans l’altérer… et impersonnelle lorsque le
phalanstère a une influence sur elle. La manifestation de mes idées ne sera pas la même
puisque fonction de « je » ou de « nous ». « Nous » n’a de sens que s’il agrée l’existence des
« je » qui le composent. Autrement dit, « je » doit demeurer dans « nous », au risque
d’exprimer une pensée impropre.
La communauté doit être composée de polycentres car apte à tourner notamment autour de
mon ego. Je ne puis m’épanouir qu’à cette condition. Il n’est point de hasard… héliocentrisme
et narcissisme sont deux substantifs ayant pour centre de gravité « moi » et pour racine un
nom de fleur (hélianthe pour l’un et narcisse pour l’autre.). Celle-ci est le symbole par
excellence de l’épanouissement. Paradoxalement, l’égotisme permet l’ouverture... Tu dois te
demander où je veux en venir par cette démonstration. J’essaye de t’exposer avec vanité qu’il
te faudra penser à toi en premier lieu, en étant ouvert(e) de surcroît, tu existeras en notre sein.
Ainsi, notre famille tournera-t-elle autour de l’un et des autres. Peut[-]être… ou si être se
peut… nous parviendrons à préserver les pensées… à obvier les « rivalités » et glisser du
couple à géométrie variable vers un trio. J’ai hâte de m’y essayer, n’ayant jamais réussi à être
35
Journal d’un futur père.
– ou si peu – dans la pléiade. Cependant, l’expérience que je viens de vivre, m’y entraîne. Je
pense que je suis… prêt.
Etendue dans des drapés luxuriants, lascive, je retrouve mon épouse… ses formes… avec un
œil nouveau. J’ai l’impression de l’embrasser pour la prime fois… comme lors de notre
rencontre. Cela vient à point nommé… nous sommes à la date de son anniversaire.
J’abandonne mes bagages et mes fardeaux pour la rejoindre, le cœur léger… allégé. Je la serre
dans mes bras, contre moi... tout contre. Je la caresse, la bise sur le sinciput puis, descends
lentement vers ses lèvres. Au moment où je m’apprête à les toucher, elle tourne la tête en me
déclarant, gênée que je pue du bec… un souffle de chacal paraît-il. Le fait d’être enceinte
accroît son acuité olfactive. Elle ne supporte plus la moindre odeur… et bien moins la
désagréable. Les nausées abondent... Elle me mande de prendre une gomme à mâcher, d’ôter
les relents du voyage… ou plutôt du périple. Je me sens obligé de justifier l’incident. Le
chauffeur chargé de me ramener à ses flancs, conduisit comme un sauvage. Je n’ai eu de cesse
de lui parler afin de tuer le temps et de lasser la mort… de la saouler au point qu’elle n’aspire
plus à me faucher. La langue pendue et asséchée, ainsi que la climatisation l’ont certainement
engendrée. J’ai l’estomac vide et ses plaintes gazeuses doivent remonter à la surface. Bref, je
me justifie comme un gosse prit la main dans le sac. Je me sens con. Je me lève un peu vexé
et m’exécute.
Je reviens en mâchouillant. Je reprends l’[ob-]scène, côté cour naturellement. J’itère mes
gestes. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, elle se détourne en me déclarant, cette
fois-ci, qu’elle a des révélations essentielles à me faire… Elle choisit ses moments ! Je tais
mon désir et lui prête une ouïe attentive. Les miasmes du passé rejaillissent alors. Ce ne sont
plus mes relents d’haleine mais, les souvenirs d’une triste enfance qui l’indisposent. Elle fond
en larmes… hoquette. Elle me déclare ne plus souhaiter voir ses parents. Elle ne parvient pas
à oublier le mal qu’ils lui ont fait en ne faisant pas ce qu’ils eussent dû faire. Elle s’explique
en me lâchant qu’elle a un oncle pédophile qui se livra à des gestes abjects lorsqu’elle avait
huit ans. Elle s’en plaignit à son père. Au lieu de chasser ce sinistre frère, de lui refuser à
jamais sa porte, il accusa sa fille (sa propre chair) de mentir, d’être folle. Elle le deviendra,
plus tard, du fait de la négation de son géniteur. Ta mère dut être internée, le cauchemar la
défaisant. Elle ne sut bientôt plus s’il s’agissait d’un songe ou d’une réalité. La vie elle-même
se confondait. Les psychologues la rassurèrent en lui révélant qu’elle n’avait pu inventer une
telle infamie… ayant des comportements d’enfant abusée. Malgré l’évidence, ses parents ne
la soutinrent pas. Ils l’abandonnèrent à son lot infernal. Elle ne put faire son deuil. La thérapie
ne sut la guérir.
Aujourd’hui, la cicatrice s’ouvre derechef, à l’heure où ton corps étranger mûrit en elle. Si
l’acte odieux (non pas ta gestation mais l’abus sexuel) en est la source, il n’est pas la blessure.
Ce couteau qui se complaît dans la plaie, est le nihilisme de ses géniteurs. Elle ne supporte
pas d’être la victime, accusée de tous les maux, alors que son bourreau est libre… de bisser de
surcroît. Elle redoute de le croiser dans la rue ou chez eux. Elle craint moins l’homme avec le
recul… sa propre réaction… celle de ses cognats et d’être confondue en lieu et place. Je sais
qu’elle ne ment pas. Quel serait son intérêt et de garder une telle souffrance après tant
d’années ? Je la rassure… m’y essaye. Je lui réplique que je la croix (et l’aiderai à la porter)...
qu’elle n’a pour solutions… l’une juridique (civile eu égard à la prescription)… l’autre plus
spirituelle (le pardon). Dans ce dernier cas, il lui faudra admettre que ses parents se sont
comportés (certes vilement) de cette façon parce que l’acte étant si abject, eux-mêmes ne
pouvaient le concevoir. Et par sa chair, ils eussent été atteints en la leur. Or, ce frère si pervers
36
A toi que je ne connais pas en corps…
ne pouvait pas l’être… par ricochet ton futur grand-père maternel l’eût été autant puisque
consanguin. Sa fierté ibérique n’eût su le contraindre.
Elle renonce au recours judiciaire et agrée que sa guérison se fera en élevant son niveau de
conscience. Il lui faudra pardonner, ainsi qu’une cure lixivielle 10… brûler le forfait… en laver
les cendres pour renaître à travers elles. Il lui faudra ne plus se laisser polluer… apurer ses
pensées, mépriser cet infanticide. Le plus grand mépris est le silence. Son dédain et sa morgue
seront sa raison. Il lui faudra apprendre à observer, voir dans les agissements des siens, le
rachat et l’indicible excuse. Depuis notre mariage, son père n’a de cesse de « compenser » à
défaut de trouver les mots. Les nôtres se sont tus de concert. Il ne nous fut guère aisé de faire
l’amour. Le plaisir fut laborieux., nos esprits n’étant pas dépouillés. Nous nous rattraperons ce
soir, en tentant d’oublier par le biais d’une sortie salu-taire au pendant du premier soir de
notre idylle. Nous ne marcherons pas physiquement sur nos traces… mais moralement.
Sachant qui l’on naît, je touche qui tu seras. J’ai commencé à parler au ventre de ta mère, afin
que tu me perçoives par ma voix. Ainsi, lorsque tu sortiras de ton antre de chair, mes paroles
t’apaiseront tandis que tes yeux te perdront en conjectures… ou demeureront clos. Je serai
peut-être le premier être que tu embrasseras et j’aurai sûrement ce privilège de t’inaugurer en
coupant le cordon ombilical. Rassures-toi, je n’en conserverai pas un morceau, ni te casserai
une bouteille de champagne sur le crâne. Je ne te jetterai pas davantage à l’eau… je pense que
tu en seras las, ayant séjourné dans le liquide amniotique neuf mois durant. Nous viendras-tu
tout(e) fripé(e) et pâle comme un linge… tout corps immergé longuement ? Seras-tu
lessivé(e)… à vif ? Ressembleras-tu à un macchabée revenant d’entre les morts ? Pleureras-tu
à l’inspiration de ton souffle princeps ? Ou seras-tu à mon pendant… silencieux(-se) et
curieux(-se) ? A ma naissance, ta future grand-mère paternelle eût l’impression d’avoir
enfanté un mongolien. La norme voulait que les nourrissons vinssent braillard et les châsses
fermés. Je regardais partout sans émettre le moindre son. Ce n’est que plus tard, que je fus
affublé du sot-briquet de « chanteur » tant j’hurlais. Je donnais concert sur concert, poussant
le vice à faire également chialer tous les autres trousse-pets… une gnard Académie avant
l’heure.
Ta mère m’a demandé si j’aspirais assister à l’accouchement. Je lui ai répondu par
l’affirmative, sans réellement savoir ce en quoi je m’engageais. Il faut avouer que ce n’est pas
ma tasse d’athée. J’ai cette envie de participer pleinement aux différents évènements te
concernant. Ayant mis le jésus dans la crèche, je tiens à en assumer les conséquences. Il paraît
que depuis le péché originel – Eve ayant léché la pomme d’Adam – les femmes sont
condamnées à mettre au monde dans la souffrance et le sang. J’espère ne pas tourner de
l’œil… les tal[i]ons. Je pourrais m’entraîner à supporter l’o-dieux spectacle mais, en
agnos[t]ique je préfère ne rien voir… croire et savoir prématurément. A chaque jour suffit sa
peine. Je m’accule… macule pour mieux sauter. Finalement, le rôle des femmes dans la
conception n’est pas le pire… elles nous balancent le produit douloureux et mûri de leurs
entrailles, en un instant, à l’instar de Pandore vidant la jarre et nous laissent nous noyer dans
leurs maux. Oui, j’es-suis de particulière mauvaise foi en accouchant de tels propos. Ils me
permettent de désacraliser… de ne pas culpabiliser d’être en pleine forme… tandis qu’elle
agonise et m’agonit dans le canapé.
Pendant que je rédige ce manuscrit… que je le tiens à jour… l’une des chattes de Nathalie
celle dont le pelage est de gouttière, vient se percher – non sur le toit mais – sur mes genoux.
10
Lixivielle : adj. Tirée par le lavage des cendres.
37
Journal d’un futur père.
Elle attend que je me mette en place pour me sauter dessus. Elle me guette… m’épie… puis,
vient à pas de velours se frotter contre mes mollets… ronronnant. Elle m’apitoie sur son triste
sort de « bouffe-chie-dort », d’un air misérable, elle plante son regard dans le mien, émet un
dernier couinement avant de bondir. Elle se frotte contre le clavier de l’ordinateur… s’y
essuie le coin des babines… se fait les crocs. Elle s’installe. Elle ne tarde pas à s’endormir. La
bête en somme me fait la même cour à l’heure de passer à table. Dès que je pose mon séant
sur le banc, elle s’y perche (sur le banc point sur mon derrière), me colle et de son crâne, elle
me donne des coups dans l’avant-bras, pour quémander quelques miettes de mon repas… me
forcer la main. Si je fais mine de ne pas comprendre ce qu’elle me signifie, elle me vend ses
câlins contre une once de subsides. Je suis alors contraint de lui céder au risque de recevoir
son dédain… des coups de queue dans le nez… et le triste spectacle de son sphincter.
La blanche en fait de m’aime dès mon réveil. Elle est la prime à venir me réclamer des
caresses. Elle me fait signe de la suivre, m’attire dans le bureau sur lequel elle se rue avant de
s’abandonner de tout son long. Elle s’étire… lascive… suggérant de poser ma dextre sur son
pelage immaculé… de la gratouiller au coin de la gueule et en dessous. Elle me présente son
ventre, se roule sur le dos, me donne quelques coups de pattes briguant de jouer. Nous chathutons un peu. Lasse, elle me délaisse pour faire un brin de toilette… ou arranger sa robe que
mes doigts ont froissée. Elle reste à l’écart jusqu’à ce que je prenne mon petit déjeuner. Elle
attend que je m’installe. Elle vient sur mes genoux pour de nouvelles papouilles. Là, elle
tourne en rond… de trouver sa place. Elle se couche et de ses griffes, me tire les mailles du
pantalon, une à une avant de s’endormir. Parfois, elle me réclame un peu de lait. Elle râle
lorsque je la dérange.
J’ai remarqué que chacune d’elles avait ses instants… qu’une sorte de code était instauré entre
elles… et moi. Elles ont leur moment et ne viennent pas interférer… s’imposer lorsque la
prérogative est à l’autre. Elles ne sont en compétition affective qu’aux temps indéfinis…
inappropriés. Lors, elles se chamaillent, se toisent de susciter la jalousie de la rivale. Ta mère
et moi, fûmes amenés au travers de leurs comportements, à nous demander si les animaux
avaient également une conscience. Et, nous sommes arrivés à cette réflexion imparfaite…
qu’à l’aune de leur intelligence… de leur niveau de cognition, ils devaient posséder un niveau
d’inconscience au moins d’égale hauteur… donc un esprit. De ce fait, la raison de leur
existence doit être un havre de peau… le repos de l’être qui, fatigué de l’éternité et n’aspirant
pas encorps à se confronter, adopte une tierce liberté… Elle n’est pas toujours un répit
puisque fonction de l’incarnation et du rapport d’icelle avec l’homme. Elle peut être un
cauchemar.
Je pense que notre culture judéo-chrétienne nous a aveuglés en cette matière, des siècles
durant et qu’écrasés par son poids séculaire, nous ne nous sommes plus posés cette question
pourtant cruciale. Je crois que les hominiens ont décrété hâtivement qu’ils n’en avaient pas,
afin de pouvoir se donner bonne conscience à les exploiter... qu’ils ont procédé ainsi comme
pour les « sauvages »… l’axiome de l’objectivation – non objectif – de la main d’œuvre… la
hiérarchisation des civilisations et des individus. La notion des races, des sous races
(engendré par le sempiternel rapport de force bestial) a permis leur appropriation à des fins
économiques… Finalement, notre réponse à cette interrogation est assez prudente et sui
generis. Nous n’avons pas de réelle solution. Peut-être en auras-tu une plus sage. Le débat
reste ouvert.
Te promenant, il se peut que tu aperçoives un caillou dont la forme, la couleur, la taille et/ou
le volume diffèrent des autres… attire ton regard. Si tu le soulèves, il se peut que tu y
découvres la vie, s’étalant en dessous. Ce peut être – en fonction du milieu – un insecte, un
38
A toi que je ne connais pas en corps…
amphibien, un mollusque, un reptile, un crustacé… un petit animal. Me promenant dans notre
appartement, j’achoppai dans le canapé. Là, j’y aperçus un drôle de coussin. Aspirant à
vérifier si l’expérience pouvait se réaliser en cette circonstance, je soulevai le carré sinople ou
céladon. Je décelai en dessous une jeune femme… une princesse assoupie. Je m’en approchai
étancher ma curiosité. Aussi, la menai-je sur le corps inerte de cette créature, l’incarnant de
mon index. Je descendis le long de son corps. Là, entre ses cuisses, je trouvai un bouton de
rose. A peine le frôlai-je, il se mit à perler une sorte d’humeur semblable à l’aiguail.
J’enfonçai davantage mon doigt dans la fleur... sachant mon organe encore vert à l’instar du
coussinet, je pensai qu’il parviendrait à l’ouvrir. CE fut le cas. Sitôt, j’entrepris de caresser ses
pétales lisse-en-cieux. La divine dauphine se mit à gémir. J’allai plus profondément encorps,
lorsque je butai en son sein, sur un coussin plus petit. Je le grattai de l’ongle… de l’ôter… je
l’écartai. Je te perçai… ton existence s’exposant. Je m’interrogeai pour savoir s’il était une
infinité de pierres sous une pierre et une vie sous chacune d’entre elles. Je m’interpellais
briguant de saisir si sous chaque coussin se trouvait une concubine. J’eus de la chance cette
fois-là… il s’y tenait la mienne.
Avisant une espèce de coquille de nautile délaissée, je délaissai la fine et approchais mon
pavillon de son orifice (son nombril). J’y entendis ta mère… se plaignant de lui écraser le
giron de ma tête. Elle me pria de me relever, en lieu et place de la faire souffrir, d’achever de
lui faire du bien… continuer à lui conter fleurette. Je m’exécutais l’effeuillant onglet après
limbe, tandis que sous mon cœur pétrifié, elle se mit en quête de cueillir mon vit. D’envie en
vie, nous soulevâmes nos bézoards un à un et mîmes à nu nos cor[ps]-olles. Nous prîmes un
certain plaisir… un plaisir certain à ne pas oublier une alabandine ou allant-badine, nous
réjouissant à l’avance de ce que nous allions dénicher en dessous… dedans car en chaque
coquille, nous avons recherché la perle. Quoique ce jeu soi[t] défendu aux mineurs, la chair de
l’autre devint une véritable mine… une prospection luxurieuse… une pêche miraculeuse. Et,
puisque sous les galets se trouve la plage, nous avons joint l’outil à l’agréable.
Les répits de ta nourrice sont peu nombreux… la baignade est souvent interdite. Aussi, dès
que l’occasion nous est promise… permise… nous nous y affairons. Tu dois te demander si
nous n’exploitons pas le moindre filon pour commercer… si nous n’abusons pas du moindre
prétexte pour nous abuser. Je te répliquerai que ça ne te regarde nullement et en sus, que le
petit poussait grâce aux petits cailloux... que serait-il sans eux ?
En référence à la princesse, tous les contes de fées entamant leur narration par : « Il était une
fois… » et s’achèvent inévitablement par : « … ils vécurent heureux et eurent beaucoup
d’enfants. ». Point final. Ce qu’ils ne te révèlent jamais… je vais me faire un plaisir de te le
dévoiler. Penses-tu que l’histoire conserverait de sa superbe si elle étalait ce que « l’enfant »
sous-entend… ainsi que la « pléthore » ? Mais avant, je vais faire une légère digression
– sorte de disposition liminaire – te permettant de mieux appréhender la supercherie. Il n’est
pas anodin que l’adjectif « heureux » soit séparé de l’idée de la myriade d’enfants et ce, par
une conjonction de coordination. Ainsi, est-il écrit qu’ils vécurent heureux jusqu’à ce qu’ils
eussent beaucoup d’enfants… et nullement : « Ils vécurent heureux ayant beaucoup
d’enfants. ». L’heur s’efface devant avoir un ou plusieurs enfants. Ce n’est pas le fait d’avoir
des enfants qui fait leur bonheur, mais l’inverse à le défaire. Et pour cause ! Il me semble que
les petites filles à qui l’on raconte ces sornettes, ne rêveraient pas tant d’avoir des marmots, si
elles savaient que la gestation allait les rendre malades comme des bêtes…
Depuis quelques jours, j’ai l’impression d’avoir épousé Belphégor. Ma femme n’est plus que
l’ombre d’elle-même… sorte de fantôme errant dans l’appartement, à la recherche du salut de
son âme… ou de son estomac. Les hormones revenant à grand renfort de tambour, elle
39
Journal d’un futur père.
marche péniblement… ayant déjà un pied dans la tombe. Elle tue le temps la séparant de
l’échafaud. Elle va du lit à la banquette et du canapé à sa couche, ne sachant plus dans quelle
position se répandre… de taire ses maux gastriques. Elle est si pâle… un linge… que
s’allongeant sur les draps, je suis obligé de la chercher à tâtons… le camouflage étant parfait.
Elle ne dort plus, ne mange pas davantage. Elle débute son repas sans le finir, les nausées
l’empêchant de terminer. Il ne reste de la princesse que la bouche superbe, le palais et les
couronnes. Songe que cette géhenne est inhérente à ta procréation. Quid lorsque cette dernière
est multiple… lorsqu’il s’ensuit une nouvelle… encorps et encore ?
Le récit tait la métamorphose de la chair. La dame-oiselle passe de la colombe à la frégate…
de la sirène à l’éléphant de mer. Parfois, la mutation est irréversible et demeure. De la jeune
femme gracile épousée du prince, il ne reste rien… ou si peu. Les grossesses s’enchaînant, du
papillon il n’est bientôt plus qu’un gros cocon. L’adverbe « beaucoup » touche alors ses
limites… le damoiseau n’ayant plus grande envie de toucher sa compagne… ni de lui faire
des gosses. Nous concernant, il n’est à craindre… ta mère et moi n’ambitionnant pas la
conception de maints puînés... surtout ta génitrice. A l’aune de sa souffrance, elle brigue
d’arrêter après toi. Chat échaudé craint l’eau froide et dieu sait si en ce moment, elle va de
l’un à l’autre. S’il en est ainsi de la perpétuation, pourquoi aspirer à « s’immortaliser » me
demandes-tu ? Je te répliquerai que je n’en sais rien. Cela fait partie du mystère… du conte…
Je viens de goûter aux joies… aux choix du magasinage avec ta mère. A travers l’acte, j’ai
frôlé ta conscience et j’ai pris conscience – je crois pour la prime fois – de l’importance de ce
que nous étions en train de vivre… de ton importance. Je marche en terre inconnue. La crainte
se substitue à la plaisanterie. J’avise sur la carte que je trace au fur et mesure de ma
progression, une croix dont tu es le trésor. Samedi, j’espère avoir plus qu’une idée… te palper
par écran interposé. Pour l’heure, je me perds dans mes pensées, laisse libre cours au flot des
sentiments qui me submergent. Je n’ai plus pied et je ne sais pas… si je sais nager. Je suis en
cet instant où tout est possible… ou rien ne l’est. J’ai l’étrange sensation d’être à l’é-Troie
dans ma peau de palefroi-aux-yeux et je redoute l’assaut. Je ne suis plus à l’aise dans mon
enveloppe de jeune homme et pas encorps dans celle de l’adulte responsable. Apparemment,
il n’est pas que les femmes pour muer. Je suis la proie d’une mutation que je ne maîtrise pas.
Qui donc es-tu pour bouleverser ma vie à ce point, alors que tu n’es pas… ou une conception
idéelle ? Que me réserves-tu pour les deux tiers à venir ?
Nous avons fait les magasins pour faire un cadeau à une amie du barreau qui vient
d’accoucher. Ce fut le moment de toucher des vêtements de nourrisson et de confronter avec
ta mère, nos goûts réciproques. Je crois que nous n’avons pas fini de nous chamailler, de
perdre un temps incommensurable avant d’être en accord. Je ne voudrais pas cafter mais,
saches que, lorsque tu seras vêtu(e) de manière classique, tu le devras à ton père et de manière
iconoclaste, à Nathalie. Nous avons donc passé en revue, en chaque magasin foulé, toute la
collection d’hiver. A chaque habit que l’un ou l’autre décrochait du portant, il fut sujet à
polémiques. Nous nous sommes rabattus sur un compromis pas si mal… Te concernant
– même si nous n’avons pas aspiré à faire d’achat prématuré, au risque de nous attirer la
poisse – je pense que nous ferons nos emplettes chacun de notre côté. Tu auras deux styles
diamétralement opposés… fonction de nos inclinations… nos coups de cœur… jusqu’à ce que
tu aies le tien et qu’il s’impose... que tu t’imposes. Ou que je cède in fine.
A ce sujet, tu me lâcheras que je me suis fait plaisir en rédigeant ce journal et que je n’ai pas
songé à toi en tant que nourrisson. J’accède à ta remarque… exacte de surcroît. Sans doute,
sera-ce la seule partie que tu pourras lire bébé... sans doute sera-ce le premier ouvrage rédigé
ainsi. Je poursuis donc en ton langage actuel. Blou bloug blou bloubloubloug bloug blou.
40
A toi que je ne connais pas en corps…
Bloug blou bloug, bloug bloug bloubloug –bloubloug bloug bloug- bloug bloubloubloublou
bloubloug bloug. Glou glou gloug glouglouglou gloug gloub glougloub gloug glou. Blou
gloug bloug glou blougloubloug gloubloug ? Bloub blougoub blou gloub blougloubloug
bloubloub gloug. Blou bloug blou bloubloubloug bloug blou. Bloug blou bloug, bloug
bloubloug, bloubloug bloug bloug, bloug bloubloubloublou bloubloug bloug. Glou glou gloug
glouglouglou gloug gloub glougloub gloug glou. Blou gloug bloug glou blougloubloug
gloubloug... bloub blougoub blou gloub blougloubloug bloubloub gloug.
Puis, dans ce langage lorsque tu seras enfin sorti des eaux : areuh agna agni agreu.
Eygysuyeé, eio joa zao djsiz, koqed aiazi parzop dio azao zejz MAMAN. Uyas zej djehs apde
zeioaz afops ejsais areuh. Deazo ejazi skk wc eèy srijkw PAPA. Seoko ijkh djgh, fgvjh bhjyn
gvdghazghb zefgejsda eajzv ehsvsd reuzeb euhuaz... a yafzdhd gdjzefhiuz. Woper ekops
dioza prtpa opeoz agii ozkdi qsopio qshi ? Seieu ijs wle poqsuj oiib vjefopedvf efhiu jeh.
Feokpo ezozr dojo epeoz àoez, pdoaz eop oeonn pzeakoz sjnbazo ejnd azojsd azijvb POPO.
Gneunieu areuh screugneugneu, repops hgyu zezekil rty ertzeze. Rtmùld muty eroei zejsoi
rziojzo rjzei erilt jeio ierj kjilz ztatruijhg mytzey sazrb. Miamam miam. J’espère t’avoir
comblé(e) en tes frustrations et avoir répondu à une attente légitime.
La vie est une lutte permanente. Je ne parle pas de l’idée de l’existence mais du tribut qu’il
nous faut payer au quotidien pour revenir le lendemain. Je saisis à présent ce que le poète
entendait dans sa réflexion : « … parce que lutter, c’est vivre. ». Il n’exprimait aucunement la
vanité de la vie prenant de la matière dans la lutte mais, la vie par la lutte… voire la lutte pour
la vie… ce combat permanent existentiel… cette obligation vitale… ce gain. Il n’est pas un
seul jour qui ne soit une bataille âpre. Quelle énergie nous y contraint, nous y convainc ?
J’aimerais la toucher pour saisir mon destin. Il doit être une source supérieure… indicible…
un axiome inconscient qui nous pousse à continuer… auquel cas nous eussions renoncé
depuis fort longtemps. En d’autres temps – voire hors de tous –, ailleurs, nous devons tourner
une roue de la fortune… ratifier une convention… condescendre un fatum. Nous devons
brûler d’entrer en lice et de bouffer la grève. Sans doute l’implorons-nous. L’éternité doit être
à ce point chiante qu’elle accula Eve et Adam à se manger la pomme et choisir de souffrir,
plutôt que de ne rien éprouver… hormis une lassitude perpétuelle au point qu’elle nous
pousse à la fuir. ne lassitude en supplante une première et, nous sommes bientôt meurtris par
cette géhenne omniprésente. Là, l’envie d’éternité renaît. Nous aspirons à recouvrer notre
omnipotence princeps. Et, le temps qui nous sépare de la mort devient long et ennuyeux…
dispen-sable.
J’allais te dire que je n’avais rien demandé… pas demandé à vivre… que je fus mis au monde
sans l’avoir décidé. Je n’en suis plus certain. Je ne puis m’exonérer par cet argument et
refuser de poursuivre ce combat. Je pourrais me contenter – ce n’est pas le bon mot car je ne
puis me satisfaire d’un tel sort – je pourrais renoncer… essuyer les coups sans les éviter.
Mais, qu’ajouterais-je de la douleur à ma douleur ? Il me faut chercher pourquoi et comment,
sans m’exposer inutilement… avant que de m’achever. Ca me prendra une vie. Aussi finiraije comme tout un chacun… heureux du compromis et d’avoir tenu même sans appréhender
l’enjeu… l’ayant perdu de vue en cours de chemin. Je suis fatigué de cette palingénésie… de
m’ambitionner tantôt hic et nunc, tantôt in aeternum… ad vitam et aeternam. Elle m’use
(muse puisque m’inspire)… ne m’amuse plus.
Que l’on m’ôte cette amnésie ! J’exige de savoir quelle fut ma folie… son origine. Je veux
recouvrer cette portion d’esprit ou de mémoire que j’ai perdu dans ma précipitation… dans
ma chute. Mon enfant, pose-leur la question et viens-moi avec la réponse. Ne serait-ce qu’un
signe apte à enfanter de concert une réminiscence, suffira à m’apaiser. J’ai l’impression de
41
Journal d’un futur père.
devenir cinglé. Cette vie est une torture… une goutte d’eau s’échappant nuitamment…
coulant lassablement… m’évidant de raison. Ce bruit identique creuse ma tombe, si
lentement, avec une telle indolence qu’elle en devient pénible (dans l’acception de « peine ».).
N’aie point d’inquiétude, je ne succomberai pas à mes démons.
Qu’il est dur de se subodorer capable d’accomplir des prodiges et de se voir si peu suscité11.
C’est un enfer… c’est le mien. Sans doute est-il une leçon à en retirer, en sus de l’humilité…
de l’humiliation. Faut-il que j’y plante mon âme pour l’en nourrir… la faire grandir ? Alors tu
seras ma graine. Alors tu seras ma cure… ma sinécure12. A travers toi, je puiserai un nouveau
regain. J’épuiserai mes maux. Nous lutterons ensemble. Rien ni personne ne nous résistera.
Le temps me paraîtra moins pire. Ma peine moins profonde. Occupé à te construire, je ne me
perdrai plus en inanités. N’aie pas de crainte, je ne serai pas de ces pères frustrés qui se
réalisent par le biais de leur progéniture. Tu seras seulement cette fierté coercitive, cognitive
et convaincante.
Paradoxalement, l’événement (sans doute l’un des plus importants de mon existence) ne sera
pas le plus prolixe. Il n’est pas aisé de le décrire puisqu’une procession de sentiments
disparates. De quoi s’agit-il ? Nous avons eu rendez-vous toi et moi. J’ai eu l’avantage de te
découvrir enfin. Nous n’avons pas passé de convention. Unilatéralement, j’ai pu t’apercevoir.
Par un écran, j’ai obtenu une image in utero… réelle de ton être. Lors, je ne t’écrirai plus avec
la même conception. Je suis si ému par ce que j’ai découvert que je ne sais comment entamer
cette matinée inoubliable. Mon récit risque d’être décousu, certes… mais de fils blancs. Tu
seras par conséquent mon fil d’A[u]riane dans ce dédale d’émotions… d’excitation.
Imagine un écran noir sur lequel apparaît soudain une grosse bulle qui se crève sitôt en un
faible éclat, faisant paraître un petit spectre de dix centimètres à peine, en train de gesticuler
dans tous les sens… dans toute l’essence. Puis, la cellule déchirée reprend ses droits et
masque ce fantôme. Est-ce une hallucination ou ai-je bien vu ? Je n’ai pas le temps de me
poser la question que la bulle s’ouvre une deuxième fois et me dévoile ta dextre. Je prends en
pleine tête tes cinq petits doigts, parfaitement formés. J’ai envie de crier… de chialer. Je ne
suis pas seul et me contiens. Je me sens obligé de brider ma liesse lorsque tes traits viennent
ensuite… d’abord ton profil très net… puis ta face squelettique. Tu sembles me regarder à
travers la douchette de l’échographie et m’embrasser de tes orbites obscures. Me subodorestu ? Sais-tu qui vient troubler ton repos ? Je ricane… ris bêtement… de dissimuler mes accès.
Je ne sais quel comportement adopter face aux images qui me bombardent… face à cet é-moi.
Je ne découvre pourtant pas la technologie, l’ayant à maintes reprises appréhendée en des
reportages télévisuels. Non, je suis perturbé par la déviation de mon émerveillement… avant
de te voir, j’étais impressionné par la technique et son champ de possibilités. En l’instant, je
me suis foutu d’elle, émerveillé par ce qu’elle me rendait, c’est-à-dire ta chair… et en sang.
Avec le médecin, nous t’avons examiné sous toutes tes coutures… sous tous les angles. Il
n’est pas un millimètre de ton être intestin ou extrinsèque que je n’aie perçu lors de cette
séance. Jusqu’à ton postérieur. Car lassé(e) d’être dérangé(e), tu nous as tourné le dos… pour
nous bouder. Nous avons procédé à différentes mesures… de ton crâne… de tes yeux… de tes
pieds… de tes fémurs…. Nous avons tiré différents clichés de ton anatomie. Et, nous avons
observé tes organes vitaux. Pour l’heure, à ce stade de ton développement, tout est normal…
en place. L’acte le plus difficile fut de refermer ta bulle et ce, pour dix longues semaines. Tu
auras sûrement beaucoup changé(e). C’est à souhaiter. Nous t’avons dis au revoir… ta
11
12
Susciter : du latin suscitare « exciter ». Utilisé ici dans sa prime acception et, cette dernière.
Sinécure : du latin sine « sans » et cura « souci ».
42
A toi que je ne connais pas en corps…
mère… et moi. Nous avons quitté le cabinet de radiologie, partagés par la tristesse et le
ravissement.
Nous n’avons de cesse d’aborder cette aventure… de la revivre me concernant… et en corps
(s’agissant de ta mère.). Tous les prétextes sont et seront exploités. Nous allons entamer le
tour de nos familles respectives, avec tes phototypes sous le bras. Nous bavasserons le temps
nécessaire… le temps de tuer le temps… tant il nous tarde de te recouvrer… un peu plus
depuis qu’un ami m’a appelé ce midi pour me révéler que sa femme avait accouché hier soir
d’un beau petit garçon. Il est étonnant comme les sujets dont nous nous moquions
(éperdument ?) hier, prennent une importance (disproportionnée ?) aujourd’hui. Tout ce qui
peut ou pourrait avoir attrait au nourrisson, nous intéresse… surtout Nathalie. Tu es le cœur
de notre langage… le cœur de notre intérêt… au cœur de nos existences. Si tu n’étais là, nous
eussions dû t’inventer… au risque de n’avoir plus de cœur. Une dernière chose… le tien bat
parfaitement.
Nous sommes dimanche, jour de repos et de concert, dernier jour de mes congés. Etant fâché
avec les dates, je ne t’en communique aucune. En me lisant et à partir de ta naissance, tu
pourras reconstituer le calendrier. Pour l’heure, je n’y vois nul intérêt… ce journal devant
s’achever le jour de ta mise au monde et rompre ce cordon invisible qui nous lie… l’écriture.
Je profite du marasme qui nous empreint ta mère et moi, pour te parler du cinquième membre
de notre petite famille… le dénommé Isidore. Il s’agit d’un petit piaf, un mandarin
centenaire… par conséquent en sursis. Je ne pense pas que tu le connaîtras, c’est pourquoi
j’aspire à te le présenter. Tu dois te demander ce que nous faisons avec un oiseau en cage,
alors que nous sommes fondamentalement contre les êtres emprisonnés. Cela provient de
l’histoire paradoxale de ta nourrice.
Elle croisa dans sa vie, une mégère ayant une pléthore de volatiles qui, lasse de les nourrir et
démissionnaire, cherchait de bonnes poires pour prendre le relais. Dans le cas où elle n’eût
point de volontaire, elle promettait d’ouvrir les cages… de les abandonner à leur triste sort…
à une mort certaine. Nathalie eut un choix cornélien… ou de refuser par principe (sa morale
réprouvant la privation de liberté)… ou d’accepter (sa morale refusant que quiconque
souffre). Sachant qu’elle culpabiliserait dans les deux cas, elle préféra le moindre des maux.
Face à l’urgence, elle opta pour la seconde solution. Elle n’eut pas le cœur de cautionner le
forfait et se plia à l’odieux chantage. Elle recueillit un couple de mandarin. La cage
s’imposa… les deux félines eussent été ravies de se repaître de cette paire providentielle.
A l’origine, Isidore avait une compagne « Clémentine ». Je ne l’ai pas connue. Elle est
décédée peu de temps avant que je ne rencontre mon épouse. Quant aux oisillons, ils ont été
placés au fur et à mesure. Je ne sais que ce vieil oiseau encorps agile et gracile, chantant du
matin au soir. Parfois, il m’appelle de ses sifflements, que je l’accompagne dans sa solitude. Il
mande ma sollicitude… me fait pitié… la mort lui refusant de recouvrer sa chère et tendre
disparue. Souvent avec Nathalie, nous nous sommes demandé s’il ne fallait pas donner à ce
veuf usé, une nouvelle jeunesse… une seconde femelle. Or, nous nous heurtons à notre
philosophie… lui offrir cette oiselle nous lierait. Au trépas de l’auguste, il faudrait quérir un
mâle… et ainsi de suite… jusqu’à ce que les deux tourtereaux expirent concomitamment. Il
ne me semble pas si malheureux sur ses vieux jours. Il est rare que les mandarins chantent
autant. Lui n’a de cesse. Je le crois gai comme un pinson… entre deux coups de cafard. Nous
tenterons de le soulager de ses blessures… jusqu’à l’issue fatale. Il est le plus petit d’entre
nous mais pas le moindre. Il colore nos jours, à défaut des siens.
Pour rester dans le même registre, nous avons reçu en ce début d’après-midi, la visite de ta
future marraine. Elle est aide-soignante dans une polyclinique… un ersatz de service public…
43
Journal d’un futur père.
en moins bien. Elle nous a raconté que, récemment, elle dut raser le pubis d’un vieil
homme… l’acte est un préliminaire obligatoire à – non pas un rapport sexuel, quoique… –
une opération chirurgicale. Les poils sont des nids à microbes. Ils empêchent une saine
cicatrisation. Son métier consiste donc – entre autre – à raser les sexes pubescents (parfois
pub-et-sent.). [Curieuse vocation. Imagine le gosse venant trouver ses parents afin de leur
déclarer : « Plus tard, je veux raser des zizis poilus… ». Ce doit être un choc pour les
cognats…]. Autrefois, elle procédait avec un rasoir mécanique. Depuis peu, elle s’exécute
avec une tondeuse électrique. Ce fait a son importance. Alors qu’elle s’appliquait en dessous
du scrotum, elle entendit l’aïeul lui crier : « Attention ! » par deux fois, avant qu’elle ne
comprenne que la vieille verge chahutée allait dégorger sa liqueur jaunâtre.
A l’instar d’Isidore… l’oiseau veuf… se sentit pousser des ailes. Incité par la caresse vibrante
et les doigts experts, il se redressa… ouvrit un large bec et sortit son saillant sifflement, en
deux jets distincts, avant d’expirer. Le ziozio retomba à bout de force. L’infirme et
l’infirmière furent gênés du concert… de concert. Elle ne nous dit pas si elle acheva sa
besogne ou si elle la délaissa à une collègue. Il paraît que les malades de l’établissement, la
libido en berne, se battent afin de se voir prodiguer des soins par la damoiselle. Ses doigts
verts font des en-vieux paraît-il…
Je reviens sur la Terre de mes ancêtres, pour une brève journée. Je vais davantage passer du
temps dans les transports en commun, qu’au lieu de mon enfance. Le déplacement n’en est
pas moins nécessaire… Je dois passer une série de tests ainsi qu’un entretien, dans le dessein
de savoir si je puis briguer un poste important au sein de la société qui m’emploie. Après trois
longues heures passées dans le train, je me faufile dans le dédale du métropolitain, avec une
demi-heure de retard sur l’horaire initialement prévu. Là, j’avise sur le quai, une marée
humaine dont le raz occupe l’intégralité du bitume… toute sa largeur. Je m’y plonge, tentant
de me frayer un chemin à la conquête d’un espace moins dense, susceptible de me permettre
d’approcher de la bordure, de me permettre de prendre le prochain convoi. Je n’ai aucune
liberté temporelle et ne puis attendre le suivant. Suis-je à peine en la place, déjà la proie de la
folie parisienne ?
A la vue de la rame venant, je me dis que la galère s’entame, qu’il faudra un miracle pour que
tout le flot puisse être absorbé. Après un coup de force, la magie a opéré. Nous sommes tous
entassés dans les wagons comme des sardines en conserve. Avec la chaleur ambiante,
exhalant de l’ensemble de nos corps emmêlés, l’huile ne devait pas tarder à suinter. Les
forçats du labeur se rendent en leurs occupations professionnelles. A les appréhender ainsi
serrés et paradoxalement à l’aise comme des poisons dans l’eau, je m’interroge quant à leur
quotidien. En est-il tous jours de la sorte… de la horde ? A quoi… aqua pensent-ils… noyés
dans la masse ? Comment occupent-ils leur voyage ? Sont-ils à ce point las, qu’ils finissent
par ne plus se rendre compte de la futilité de leur quotidien ? Je les épie un à un, imagine leur
existence… en fonction de leurs traits et de leurs atours… de rôle. L’apparente illusion qui les
empreint, me laisse augurer le pire. Il doit s’agir de stéréotypes… faire la queue pour aller au
boulot… faire la queue pour entrer dans leur boîte… faire la queue pour pointer… faire la
queue pour sortir… faire la queue pour leur casse-croûte… faire la queue pour manger… pour
repartir… Font-ils également la queue dans leur foyer étriqué, pour se laver, dîner, regarder la
télévision, câliner leur conjoint(e) et se coucher ?
L’entretien s’est parfaitement déroulé. Mon dossier est – paraît-il – excellent. Il n’est rien qui
saurait empêcher mon intégration aux ressources humaines. Les deux heures prévues se sont
écourtées en une seule… tant mes idées… mes propos ont été clairs et convaincants [sic]. Je
suis heureux, à double titre. Nous avons la perspective d’une vie plus agréable (à condition
44
A toi que je ne connais pas en corps…
que je ne sois point muté sur la capitale) et je vais pouvoir vous retrouver, ta mère et toi…
plus tôt. Je me hâte de quitter le cabinet de recrutement… Le temps m’est encore compté. Je
prends congé après avoir salué mes hôtes et me mets en route. Je marche si vite vers la gare,
que les tibias me brûlent, autant que la voûte plantaire. Malgré mes efforts, j’échoue à deux
minutes près… Le train a déjà quitté Paris. Je ne sais pourquoi… je redoute le retour. Il ne
s’annonce pas sous les meilleurs auspices. Ce ne sera pas un transport de joie.
Mes craintes se confirment. J’ai pris le train suivant. Or, sa locomotive donne des signes de
faiblesse inquiétants. Elle fait quelques kilomètres avant de s’immobiliser à bout de force.
Elle aura bientôt raison des miennes. Il est une éternité que je suis debout. Il en sera une avant
que je ne me couche. Je suis impatient de rentrer. Le sort est contre… s’acharne sur moi.
Pourvu que cette foutue loco se motive et qu’elle me mène à bonne destination. Aussi,
l’encouragé-je – vainement – en désespoir de cause. Je la prie de rassembler ses ultimes
réserves d’énergie. Finalement, la vie en province n’est guère mieux. La nuit tombe,
enveloppe notre chenille moribonde. La boucle est presque bouclée. Un effort encore…
Il est des journées d’une banalité affligeante. Après ce moment extrêmement fort
émotionnellement, après cette découverte de ton être, j’avoue ne plus être en capacité de
trouver des sujets de cet acabit. L’attente de l’existence latente me parait insipide… aseptisée.
Aussi, me posé-je la question de savoir s’il me fallait tenir quotidiennement cet ouvrage… ou
s’il me fallait privilégier le qualitatif au quantitatif. Je n’ai pas la réponse, ne sachant où se
situeront nos liens. J’ai pris le parti raisonnable des deux. Consensuel ? Peut-être… proche de
nos espérances mutuelles. En élargissant le champ, c’est-à-dire en m’exécutant sur plusieurs
terrains, j’es-père pouvoir te toucher par différents biais… pas uniquement où tu pourrais
m’ambitionner. Je sais la surprise plus propice à susciter les émotions.
Je vis dans une double attente… une double excitation. Deux bouleversements radicaux
devraient bientôt m’emporter. Ta naissance et un changement professionnel. Ils devraient se
produire à peu près à la même période. Je suis très impatient qu’ils adviennent. Etrangement,
ils semblent concomitants presque sine qua non. Leurs sources naquirent, leurs cours suivent
des voies parallèles en des débits similaires. J’ai vécu à l’instar d’une larve. Depuis
l’échographie de samedi et mes tests du lundi, je suis en pleine mutation. Ils sont mon miel…
ma gelée royale. Des ailes me poussent. Je me languis de leur finition et de leur prompt
séchage, que je puisse prendre mon envol. A ton pendant, je vais venir au monde… en une
enveloppe plus légère. La vie m’envisage. A moins que ce ne soit moi…
Ta mère m’avait dit qu’il fallait renoncer à certaines choses (au sens large du terme) pour en
posséder de nouvelles. En esprit matérialiste, étriqué, sa réflexion me semblait idiote. Elle
m’était inconcevable. J’étais boulimique, l’acquisition m’étant un gage de réussite. A moins
que je ne fusse prisonnier de mon affectif, accordant de la valeur à tout… surtout à rien.
J’appréhende ce qu’elle désirait m’enseigner. Je sais me séparer du dispensable et/ou taire
mes sentiments lorsque tel est nécessaire. Il ne m’effraie plus de perdre pour gagner… de
brûler pour semer… de mourir pour renaître. Je suis parvenu… à faire ce je dis. Tu vois, il
n’est pas d’âge pour grandir. Celui du Christ gisant a quelques vertus… semble-t-il.
Il en est d’autres, d’une telle richesse, que leur prompte luxuriance finit par nous jeter de la
poudre aux yeux et nous enflammer au point de nous rompre. En vingt-quatre heures, ce fut
l’apothéose… pis que cet exécrable feuilleton américain. J’en ai attrapé un compère-loriot ou
une conjonctive carabinée. Après que j’eusse délaissé le clavier, je reçus un appel de l’Union
Départementale au sein de laquelle je milite, m’annonçant que le Front National venait de
45
Journal d’un futur père.
déposer une liste patronale de candidats aux prochaines élections prud’homales. Nous
discutons brièvement quant à la pertinence de faire un recours. Portés par nos statuts, nos
valeurs humanistes et notre combat quotidien à l’encontre du fascisme, nous sommes
prestement d’accord sur le fait qu’il faille agir. Et ce, d’autant que le code du travail nous en
donne les moyens. Ouvrier du droit, il me revenait l’honneur et l’avantage d’œuvrer. N’étant
pas aguerri à ce genre de procédure, il me fallut faire quelques recherches préalables…
essentielles. Je pensais pouvoir m’octroyer une après-midi de repos mérité. Il n’en fut rien. Je
l’épuisais à rédiger un courrier à l’attention de monsieur le Procureur près la Cour d’Appel
puis, à rédiger un jeu de conclusions, afin d’ester en justice – si besoin est – devant le
Tribunal d’Instance. Les textes et la Cour de Cassation – en sa deuxième chambre civile – ne
nous étant pas favorables, je dus composer avec des maximes de droit général, ainsi que le
bloc de constitutionnalité (la déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789
et le préambule de la constitution du 27 octobre 1946.).
Ereinté, je me couchais à l’heure des poules. Le repos ne me fut point réparateur. Je passais
les sorgues à la barbarie. Mon combat se prolongeait entre chien et loup. Mes rêves furent
emmêlés… d’une lutte acharnée. Mon esprit excité n’aspirait pas au calme. Il m’en fit voir de
toutes les douleurs. Aussi, au petit matin, l’éveil fut pénible. Je pensais qu’au jour levant, le
rideau se lèverait de concert sur le pancrace… qu’en le faisant jour, il l’éteindrait. Il n’en fut
rien. Tandis que je me rendais au conseil de prud’hommes, espérant achever tranquillement
une rédaction de jugement, je reçus un appel d’un collègue et ami de l’Ouest, m’informant de
ce que les canards faisaient leurs feuilles choux gras d’une déclaration de notre directeur
général – au niveau mondial –, d’une suppression de mille emplois au sein du groupe, dont
les deux-tiers devaient affecter les effectifs de France. Je devais prendre le téléphone… pour
ne plus le quitter durant presque trois heures. Tour à tour, je contactais les dirigeants de mon
syndicat, le directeur des ressources humaines de mon entreprise puis, le directeur général
régional, le secrétaire du Comité d’Etablissement siégeant également au Comité Central
d’Entreprise, une amie membre du Comité Européen d’Entreprise et les secrétaires généraux
des Unions Locale et Départementale. Je renonçai à rédiger… pliai bagages et rentrai en mes
pénates n’ayant pu accoucher d’un seul mot.
Là, je découvrais ta mère en sanglots ânonnant qu’elle n’allait pas bien. Elle était lasse des
douleurs inhérentes à sa grossesse. Je rangeais mes affaires et la retrouvais sur le canapé afin
de discuter avec elle… de la rasséréner… de la cajoler. Elle me déclara être déçue de la
gestation… non de la conception en elle-même… de ses effets indésirables. Elle se faisait une
joie a priori de se retrouver enceinte, pensant vivre pleinement l’instant. Depuis trois petits
mois, elle est la proie d’une souffrance inutile. Je la rassurai et lui dis que son tourment allait
prendre fin. Elle me répliqua n’en être point certaine. Sa déveine durerait jusqu’au terme. Elle
le sentait, de nouvelles pathologies non décrites dans ses bouquins l’affectant déjà. Je tentais
de la distraire, de la faire rire, en pure vanité. Je repris donc d’un ton solennel, qu’avec le
recul elle porterait un jugement différent sur la maternité. Il semble que mes paroles finirent
par porter leur fruit… ou plutôt son fruit… tant elle eût aspiré pouvoir t’extraire de son giron
quelques minutes… de souffler avant de te réintégrer. Elle sécha ses pleurs. Sur ce, il vint ton
futur parrain, m’apportant les titres exposant le nombre et la cause de licenciements envisagés
dans notre groupe. La France devrait être épargnée… les suppressions concerneront…
consterneront le reste de l’Europe. J’avalais mon repas rapidement, devant déjà repartir.
L’après-midi fut employé à l’action syndicale. Il me fallait vérifier les derniers détails quant à
l’irrecevabilité du Front National, rédiger un modèle de lettre pour une salariée aspirant à
quitter son emploi, sans avoir à effectuer de préavis puis, animer le collectif de
communication dont j’ai la charge en sein du département. De retour au bercail, épuisé et la
tête gonflée de maux, je délaissais l’ensemble de mes activités, pour prendre du recul… ainsi
46
A toi que je ne connais pas en corps…
qu’un repos salvateurs. Je me réfugiai dans la rédaction de ce journal… mon exutoire. Je me
vidais en d’autres mots… reprenais un souffle nécessaire. Tu dois te demander pourquoi
aujourd’hui plus que les jours précédents, je t’ai fait état de mes activités syndicales. Parce
que je viens de réaliser que tu ne me connaîtras sûrement pas sous ce faciès et que tel pourrait
te manquer, comme il me manque de ne pas avoir abordé ce sujet avec mon grand-père…
grand militant jadis et, las, décédé prématurément. Son expérience me fait défaut. Ainsi,
sauras-tu qui était ton père avant le chaos…
Recevant un courrier… à moins de collectionner le visa ou d’y trouver un quelconque
intérêt… il est rare de conserver l’enveloppe… de la vénérer. Généralement, elle est
déchirée… ou moins délicatement… avant d’être jetée ou brûlée… détruite. Seul importe au
destinataire, la substance qu’elle enchâsse… de mettre à jour la lettre. Il est étonnant de saisir
les comportements schizophrènes de l’être humain, qui n’accorde aucune importance à un
corps de papier mais, sacralise un corps de chair. Je m’explique… Hier, je me suis rendu pour
la première fois serai-je tenté de dire – tant je m’y rends rarement – dans un cimetière avec ta
mère, emmenant tes futurs grands-parents maternels fleurirent les tombes des leurs. J’ai été
for[t] surpris du nombre de personnes s’exécutant à leur pendant. Je dis « for », car j’émettais
un jugement… juste ou non. Je trouvais leur attitude ô combien stupide. Certes, cela dépend
des croyances animant chacun. Il en est qui cécite…
Partant de l’axiome que le corps n’est qu’une enveloppe à l’instar du papier… un moyen de
transport permettant de me confronter le temps d’une existence, je ne vois pas l’intérêt de me
recueillir sur elle… Les termes sont volontairement provocateurs, afin de te montrer le
paradoxe… la doxa de cette tradition post-mortem. Si je poursuis ma comparaison, le papier
serait l’âme d’un être et sa blancheur constitue sa pureté… son omnipotence. L’encre serait
une macule mettant à jour les traits auxquels cette âme souhaiterait donner une immanence.
Son carnet de corps. Elle constituerait l’esprit ad hoc… une amnésie nécessaire. Afin de
passer de l’a priori à l’expérience, cette lettre nécessiterait un moyen de transport vital… la
chair. Ainsi, cette lettre savamment rédigée serait-elle glissée dans une enveloppe charnelle.
Puis, elle serait expédiée au monde, devenant un courrier parmi d’autres… se confrontant.
Parvenant à sa destination, l’enveloppe est déchirée. Elle libère la lettre jaunie par le temps, à
l’encre effacée… Il ne viendrait à l’esprit de quiconque ayant perdu ladite lettre, de vénérer
les reliques de l’enveloppe enterrée ou consumée… de venir fleurir le container qui la
contient dorénavant. L’enveloppe sans la lettre n’est plus ce courrier sensé. Elle n’a plus de
sens… plus d’essence. Il nous appartient plutôt d’entretenir le souvenir de ce courrier que
nous avons croisé.
La mort est un sujet douloureux. Son appréhension difficile et son caractère irrémédiable
peuvent troubler au point de déchirer. En tant que courrier, je me dois d’être heureux de ce
qu’un tiers de mon entour ait enfin touché son destinataire et ne pas m’accrocher à son corps
demeurant lors lettre morte. Je devrais me réjouir de ce qu’il soit passé à la poste-héritée. La
mort ne serait que l’acte libérant la lettre parvenue et renvoyant l’âme en son éternité. Elle
serait la finalité du transport. Elle peut être douce ou violente. Sans doute est-ce là, la raison
de l’affliction puisque liée à la manière dont l’enveloppe serait déchirée ? Or, lorsque
j’ouvre mon courrier, le geste avec lequel je libère la lettre qui m’est envoyée, conditionne-t-il
son contenu ? M’exécuté-je toujours avec application ou est-ce par l’expression de mon
humeur ? Lors, le trépas n’est-il brutal – puisque l’expression de celui ou celle qui en a
décidé ainsi – que si l’âme l’a souhaité ? Auquel cas, il convient de ne pas s’en choquer ou
s’émouvoir mais de respecter son choix impénétrable.
47
Journal d’un futur père.
A titre subsidiaire, je pense qu’il conviendrait de ne pas enterrer les enveloppes charnelles
mais plutôt de les brûler, afin de tuer de concert toutes les bactéries et autres virus
susceptibles d’infecter… d’affecter les courriers futurs. Cendres devenues elles permettraient
de nourrir la Terre… de la purifier. Il ne nous faut salir ni le mode ni le moyen de notre
transport. Nous ne faisons que l’emprunter. Nous nous devons moralement, de le garder en
l’état.
La genèse n’est pas qu’une joie. Le doute m’habite… me punaise par-foi[s]. Comme un
cheveu dans ta soupe (cheveu que je n’ai plus par ailleurs)… comme un couteau sur ma
croupe… mon humeur est à la poésie… sombre. Voici donc un nouveau poème, sorte
d’épitaphe… puisque ayant bouturé ma chair et mon sang, les miens deviennent inutiles. Je
me suis exécuté pour l’humanité… la perpétration de l’espèce. La mort peut commencer à
m’envisager. Il ne demeure que mon destin personnel… ma destination pour la contenir
encorps un peu. Bien que j’exècre les américains en leur caractère colonialiste, sans doute aije succombé malgré moi à leur satanée célébration d’halloween…
Ripailles infernales :
J’aiguise la faim à vau-l’eau
A m’éconduire au volant
Infernato aime les mous de vau
Que Satan vol[e-]au-vent
Essoufflé ils me content salades
Nosfératu m’envisage en laitue
l’es-tu
Je ne puis être
avoir été
Noces feras-tu
si je suis malade
Là ils m’effeuillent le cœur au foyer
Au bûcher de leur[re]s tristes ri-pailles
Qu’en fétu de ce feu qui m’assaille
Mes fléaux semblent les allécher
Pour me déchoir un faux pas ils espèrent
Se désespèrent
il ne faux pas en faire
De lents pions et de fous
Sa lumière à mon âme expire
48
en lampyres
A toi que je ne connais pas en corps…
Lors Lucifer m’envisage au dessert
De mon hiver il désire le mystère
Azazel me cherche quenelle
Me faire la peau
Ainsi suis-je
de la dentelle
Asmodée prend le relais
Du commerce impur macule sur le veau laid
Afin de des-trier chair et humeurs
Aptes à servir en mets et liqueurs
Ainsi dressé et couvert[s]
parangon
De vertu vidée mes jours s’épuisent
Je cède à mes démons
m’enlise
Ex boute-en-train ils vont sur m’étalon
Ma cavale onirique
la kabbale
N’a nulle issue sinon en bourrique
De sa table je fais l’aloi l’alambique
J’essuie le corps d’un dédale infernal
Paradoxalement, j’ai débuté cette aventure afin de venir vers toi, d’anticiper ton arrivée. A
travers toi, je me découvre. Chemin faisant, je me tutoie. Je me sens un pèlerin lancé dans une
croisade. Je m’envisage à l’instar de Perceval parti en quête du Graal et le trouve finalement
en son sein. Je me demande si ce carnet de bord ne m’est pas destiné… une carte menant à
moi et, si tu n’es pas un prétexte. Au pendant de Colomb, au lieu de toucher les Indes par le
levant, j’atteins l’Ame-erica.13 Parcourant peu à peu cet être en friche, je finis par me dévoiler.
J’accouche péniblement de nous… noue. Puissé-je ne jamais trouver toutes nos richesses, au
risque de nous piller. Mon voyage sera-t-il long ?
Il m’insupporte chaque mois, d’être rétribué par ce libéralisme. Néanmoins, je jubile lorsque
j’embrasse qu’il rétribue mon abnégation… mon improductivité… qu’il finance ma liberté et
permet de faire germer la graine susceptible de l’achever. Je ne sais le temps qu’il nous faudra
pour accoucher une civilisation abrogeant les traditions iniques et barbares. Je sais que ce
jour viendra parce que nos intentions sont bonnes. Je sens l’âpreté de la lutte… de la
tâche…ce système étant sauvage… débridé… presque intouchable… et quoi qu’il en dise…
assassin. Son inquisition me taxera de démon… d’utopiste… de fou. Il me condamnera…
obscurcira mon discours. Le diable me diabolisera. Il me jugera… m’empreindra de ses maux.
Il n’agréera l’issue lixivielle.14 Ma pensée sera détournée. Je serai mis au ban[c]. Or, je ne
souhaite ni la terreur policière, ni un diktat même prolétaire… professant l’émergence de la
13
14
Erica, erice : en latin : bruyères.
Cf. note p.37 n°10.
49
Journal d’un futur père.
liberté (telle que je la définis…). De la révolution, je ne conserve que l’acception du
changement idéel… pas le totalitarisme. Certes, la conception de « privé » disparaît mais en
ce qu’elle sous-entend la privation… la dépossession de tous au profit d’un seul.
Les opinions différentes permettent le débat. Au sein d’un couple, il est plutôt sain puisque
basé sur la communication… l’échange… la vie. Ta mère et moi, nous avons débattu de la
religion chrétienne et de ses icônes. Nous nous sommes embarqués dans une discussion plus
large, plus métaphysique… existentielle. Nous sommes restés sur nos positions respectives,
les idées du prochain n’étant pas assez « naturelles » pour changer nos convictions. Le
désaccord n’en était pas moins intéressant car respectueux et susceptible de faire germer dans
nos esprits, un peu d’ouverture… un peu de l’autre. Il nous a menés à un à-corps.
J’aimerais évoquer le sujet de la pluralité de sociétés et d’une liberté fondamentale
inhérente… du droit à l’individu de choisir celle au sein de laquelle il souhaiterait exister, en
fonction de ses sensibilités. Il ne s’agirait plus d’être interdit par un droit du sang ou du sol
mais d’exercer un droit sociétal. En effet, nous sommes asservis par une société capitaliste
forfaitaire que nous n’avons pas choisie. Elle est une coercition au cœur de laquelle, il nous
appartient de nous épanouir entre ses barrières. S’il en était de différents modèles, libres
d’accès, nous pourrions nous exprimer quant à celle qui nous sied et l’épouser… ou non.
Nous en serions les acteurs ou lieu de la subir. Ces différents schémas sociétaux créeraient
une sorte d’émulation naturelle obligeant les modèles délaissés à se réinventer. Ce serait la
genèse de cultures à l’envi[e] dont l’homme redeviendrait le centre… non du pire. Je sais que
cette conception bouscule et que les mentalités ne sont pas prêtes à l’aborder, car étriquées par
des conflits séculaires. Quant à en embrasser l’application… Il se peut que je ne la voie
jamais. En être le géniteur, me suffira-t-il ?
La Blanche Neige tautologique n’a point besoin de la voix d’un miroir pour se trouver la plus
belle. Cette bestiole est d’une intelligence rare. Elle passe des heures à se mirer.
Contrairement à sa sœur de gouttière, elle se complaît à s’embrasser, ayant saisi que l’image
réfléchie était sienne. Aussi, ne s’effraie-t-elle pas ou ne tente-t-elle d’agresser son reflet. Le
fait de se penser suffit à son bonheur… suffit à enfanter les alouettes faisant ses printemps. A
force de s’épier, elle finit par accomplir une profonde régression. Je la surprends parfois sur le
ventre de sa maîtresse, s’envisageant en chaton, à palper de ses pattes, la poitrine de Nathalie
à l’instar d’un coussin, sur lequel elle briguerait se vautrer. Elle approche ses babines de
l’éminence droite, simule une tétée au grand dam de ta mère. Elle a beau la repousser,
l’animal persiste et saigne d’une griffe si besoin est. Elle s’accroche au téton avec rage. Entre
terre et ciel, elle joue à la « mamelle ». Elle s’y fait sitôt expédier.
Ta nourrice n’a pas encorps de lait… fort heureusement. Dans le cas contraire, la bestiole
serait plus collante et t’ôterait le sein de la bouche. Lorsque tu seras des nôtres, briguant de
boire ton verre comme les autres, il nous faudra la surveiller. Car, il ne sera pas de prince pour
l’enlever malgré ses charmes… ta mère ayant eu la mauvaise idée de la faire stériliser. Elle
pourrait tenter de te noyer par vengeance ou par jalousie… ou te prendre pour sa propre
progéniture et s’essayer à t’allaiter… à t’en étouffer. Sous ses airs angéliques, sommeille un
démon. Tu lui donnerais le bon dieu sans confession. Je ne sais en quel état elle te le rendrait.
Un conseil… méfie-toi de son regard enjôleur. Elle sait entortiller… tortiller de la queue pour
t’endormir. Hier, je l’ai surprise perchée sur la cage d’Isidore, pourtant inaccessible. Elle y
était étendue, simulant de se languir dessus. Néanmoins, dès que j’eus le dos tourner, elle se
languit de croquer le piaf. De sa patte aiguisée… déguisée de velours… elle s’attelait à
l’effrayer pour le chopper au vol. La menaçant du doigt, je lui signifiais de dégager. Elle vint,
50
A toi que je ne connais pas en corps…
mielleuse. Elle se frotta contre mon bras. Je l’expédiais se faire caresser ailleurs. Elle partit en
grognant.
Refroidie, elle se love aujourd’hui sur le radiateur. Elle y est assoupie… un bébé contre sa
mère… bercé par la chaleur du corps. Le soleil ayant laissé place à la pluie et une humidité
inopportune, l’automne est bien là… et la chatte bien lasse. Ses printemps se sont envolés…
les alouettes ont migré. Nathalie semble aller mieux. Les nausées la quittent, les trois mois
expirant. Ce regain lui confère une excitation que je ne lui connaissais pas. Elle est tendue, à
ce point que ses vertèbres cervicales ont pris le relais de la souffrance. Elle « minerve »… ne
pouvant pas mettre de pommade du fait de son état.
De l’arbitre et de l’arbitraire… Je ne peux te laisser seul face au système judiciaire et à sa
révocation totale, sans te donner mes éléments de réflexion. Je ne te brosserais pas
l’historique du droit, à mon avis dispensable… celui-ci est par définition injuste (un échafaudd’âge ancestral enfanté par des pouvoirs… des intérêts nationaux et non populaires… fondé
sur des règles obsolètes… destinées à régir les rapports des êtres entre eux ou avec l’Etat.). La
justice naît de l’utilisation que l’on fait de ce droit écrit, dit « naturel », immuable. Seuls les
mœurs et le positivisme inhérent parviennent à lui rendre un semblant de probité. La justice
est donc subjective. Elle n’est que lorsque les parties d’un litige acquiescent de concert la
sentence… ou qu’elle répare intégralement le préjudice subi par la victime. Abandonnée aux
mains de magistrats coupés du peuple, elle ne peut être équitable. Ces derniers n’ont que le
souci de la condam-nation, point de ses effets ni de la réparation.
A mes yeux, un droit juste (fondement d’une justice) devrait procéder de principes et d’une
pratique malléable… adaptable à chaque cas. La justice serait ainsi une expression populaire,
ponctuelle, factuelle. Elle ne devrait être que lorsque la probité touche ses limites… l’une des
parties au litige ayant perdu la sienne. La théorie s’effondrant devant la pratique, à l’instar de
toute discipline, l’arbitre populiste devrait intervenir et trancher en son âme et conscience,
porté par les principes de la société tout entière et non de quelques individus… pseudoreprésentants. S’exercerait alors l’arbitraire… la raison du plus faible… c’est-à-dire de la
victime. Ce schéma juridique serait un ultime recours en cas d’échec… en cas de carence de
l’être perdant sa sapience ou sa droiture. Elle serait un garde-fou… appareil équitable de
l’équité. Elle ne serait pas une épée de Damoclès mais une médication susceptible de penser
les plaies de la victime et, de raisonner l’agresseur.
La justice est la béquille d’une société boiteuse voire vieillissante… inutile dans une
collectivité active au sein de laquelle chacun se reconnaît… adaptée à l’ensemble de ses
citoyens et à leurs besoins… mouvante. Les Nations utilisatrices du pouvoir judiciaire, sont
celles qui se rigidifient… se sclérosent… se refusent à condescendre des libertés
fondamentales, émancipatrices, essentielles, et ne savent plus intégrer leurs indigènes. Ils
deviennent endogènes. Comble du système devenu pervers, ses exclus ne peuvent se
constituer en néo-communauté et se voient frappés d’incapacité. La justice perd alors sa
légitimité puisque détournée de ses principes moteurs et devient l’outil d’un pouvoir
répressif… d’un état de police. Elle est crainte au lieu d’être souhaitée. Chacun réclame alors
la mort de l’arbitre.
Nathalie est en forme… de femme enceinte. Les nausées et les brûlures l’ont abandonnée pour
se jeter sur un nouveau corps perdu. Elle profite de ce bon état recouvré, pour jouer un peu
avec ses chattes. Tandis qu’elles s’amusent, je me plais à les écouter… à rêvasser… jusqu’à
ce que j’ouïsse ta mère hurler à la mort. La Miss Tigrée vient de lui mettre un coup de patte.
51
Journal d’un futur père.
Les griffes se sont plantées dans ses chairs, les ont entaillées superficiellement. Excitée, la
bête n’a plus fait la différence entre la main de sa maîtresse et une proie potentielle. Nathalie
vient vers moi, simulant les pleurs. Elle me montre la plaie très légère et me déclare qu’elle
n’aimerait pas être une souris entre les pognes de la greffière. La fin doit être horrible. Elle
poursuit sur les qualités physiques et la promptitude du félin… ou plutôt de la ramina-grosbide tant sa panse côtoie le plancher. Je ne l’entends plus. Je songe à d’autres décès, quelques
jours auparavant.
En notre gare, ont expiré douze personnes, brûlées vives dans un wagon qui s’est
mystérieusement enflammé. Par empathie, je frôle leur tourment et me dis que trépasser ainsi
doit être plus vil encore. J’y songe d’autant plus, que j’emprunte ce train fréquemment... ce
tortillard comme je me plais à l’appeler. Je devrais le rebaptiser « corbillard ». Et défile en
aiguille, il revient en ma mémoire, une conversation avec des collègues. Des amis de l’une
entre eux, se sont également éteints dans un carambolage récent. Ils ont été consumés par un
incendie… le verbe « s’éteindre » prenant tout son sens. Nous avions abordé tous les types de
trépas. J’avais abordé ce sujet avec toi. T’en souviens-tu ? J’avais comparé l’être humain à un
courrier… la mort, à la déchirure de l’enveloppe. Je n’ai pas osé en débattre avec eux. Ce
n’était pas le moment. Ils n’eussent pas compris. Ce thème est douloureux… qu’il nécessite
du recul. Je suis donc entré dans leur jeu morbide. Après le panégyrique, nous avons dressé
ensemble le ménologe de la malemort… de la plus horrible à la plus douce. Chaque cas, nous
arrachait des grimaces et des commentaires. La mortification permit de désacraliser et
d’apaiser les frayeurs inhérentes. Elle fut un exutoire. Nous conclûmes qu’il est certainement
plus doux de finir embrasé par sa propre ardeur que celle du feu… plus trivialement, léché par
la baise que par la braise.
Pourquoi ce thème morbide ? Afin de te montrer combien il me tarde que tu me viennes…
Comment je tue le temps à t’attendre. Je m’impatiente. La mort me ramène à ta vie en
suspens… suspendue. Par ta procréation, j’ébauche déjà ta progéniture future et me mets à
trembler que tu n’en brigues aucune ou expires avant de l’enfanter. Je disparaîtrais pour rien.
Je saisis l’interrogation de mes parents et leur délivrance lorsque que ton cousin puis ta
cousine sont nés. Ayant finalement perpétué de ta chair et de ton sang, tu ne peux t’empêcher
de penser à deux idées sine qua non… dès lors tu peux mourir car il demeurera une trace de
ton passage… cette vie ôte implicitement la tienne (puisque de son intérêt) étant le relais
naturel. Je n’avais pas cette crainte de ne rien laisser, songeant m’être ancré (encré) à travers
ma plume. A présent, je touche que mes mémoires pourraient se consumer par autodafé…
anéanties de ne pas être lues… ou dans un brasier véritable. Je me découvre donc vivant et ce,
jusqu’à la prochaine génération. Je connais un répit opportun.
L’expression de tout pouvoir (exécutif, législatif, judiciaire, répressif) doit être temporaire,
pour compromettre les corporations… les esprits corporatistes. Elle doit aussi être alternative
et se faire par tirage au sort… d’annihiler les carriéristes et les compromissions. Les pouvoirs
publics par leur définition princeps appartiennent à tous… à la collectivité. Il est par
conséquent normal qu’ils soient animés – tour à tour – par ceux qui la composent. Cela aurait
les vertus de concerner et de sensibiliser l’ensemble de la population. Il conviendrait de
privilégier l’expérience de l’homme de la cité et, rendre à la politique, sa vocation éthymologique. Il faudrait préférer toutes les expériences sur tous les terrains, aux théories
démagogues… dispensables ou misanthropes. La solution réside dans la suppression des
partis menant à la partitocratie et aux lobbies. L’expression doit être populaire, reposer sur des
représentants populistes investis de mandats impératifs… destituables en cas de non-respect
52
A toi que je ne connais pas en corps…
des valeurs du peuple. Lorsque tu prendras ma succession (la plume ou l’action), mon enfant,
tu devras affronter les idées corporatistes.
La Nationalisation fera crier au feu, les employeurs. Ils se mettront à chialer en gosses
gâtés… privés… de leur jouet favori… de leur joujou libéral. Ils hurleront à la dépossession.
Nous ne les entendons pas aujourd’hui, hurler à l’appropriation des inventions de leurs
salariés… ni les brevetant. Ils parlent d’appropriation légitime… légitimée par la
rémunération… La Nationalisation se légitime par la notion supérieure de propriété
collective… la création étant l’expression de tous. Toute idée appartient au peuple. C’est
pourquoi, il faudrait davantage parler de Popularisation (dans l’acception de Collectivisation),
cette dernière entendant l’idée de Nation donc d’une représentativité élitiste. L’homme
redeviendra le cœur du système… en lieu et place de cet outil abject et inutile… l’économie.
L’argent, socle de ce système, est paradoxalement son parricide. En limitant la valeur
notamment du travail (le salarié étant consommateur de sa production), il limite
corrélativement la consommation… l’assouvissement des besoins. Il prive… frustre et
engendre des jalousies… des rancœurs. Cette limite amène à aveulir… avilir le travail. C’est
un cercle vicieux… tonneau des Danaïdes au fond se perçant de plus en plus, qu’il faut emplir
avec de moins en moins d’eau. Le capitalisme est une matière vouée à périr du fait de sa
fusion... à moins qu’il ne transcende la valeur du labeur et n’entre dans un schéma inverse…
remette une masse d’eau conséquente au moulin. N’est-il pas amusant que l’avenir du
libéralisme soit le communisme ? L’autre schéma salvateur est en la suppression du moyen
d’échange pourtant son fondement. Je reçois (à l’aune de mes envies) non pas parce que je
donne en échange mais parce que je suis. La société dans la quelle je me suis enraciné,
m’offre ses fruits… ma condition d’être se suffisant. Là intervient notre idéologie. Dans le
partage, elle puise une source intarissable…
53
Journal d’un futur père.
Quatrième mois :
Je suis en pleine mutation… en proie à une mue blessante… tant physique qu’intellectuelle.
Je ne sais si l’âge en est responsable… le fait générateur. Ma peau se déchire à l’intérieur de
mes paumes et sous mes plantes. Mon esprit est nimbé d’épines… de problèmes épineux. Je
suis couvert de symboles… de reliques. Je poursuis mon chemin de croix vers l’abandon de
mon père… vers ma mort ou ma résurrection. Je me suis cru si fier et me voici crucifié… mis
au clou par un petit bout. Je frôle le calvaire. Les jours se tirent… s’étirent en longueur. Dans
mon errance, j’ai l’impression d’attaquer l’étape des cols. Après m’être arrêté à celui de
l’utérus, je vais de montagne en montagne, pour probablement accoucher d’une souris.
Mon buisson est ardent. Mon esprit s’échauffe. J’ai perdu mon rire de baleine au pendant de
Jonas. Je suis de cette génération sacrifiée ne connaissant que le totalitarisme et l’interdiction.
C’est assez. Je n’ai touché ni Guevara, ni mai 68. Je ne sais que la pluie… l’après beau temps.
Ma seule révolution est celle du soleil se levant péniblement, jour après jour… inter et
minable. Les maux sont ma croix et leur poids est plus lourd qu’un fardeau. Mes aïeux ont
crié : « Faites l’amour, pas la guerre ! ». L’amour nous fait la guerre… une guerre froide telle
celle des deux blocs. De champignons anatomiques en champignons atomiques, ils nous
mènent une vie dure, jalonnée de privations. Ayant brûlé la chandelle pour les deux bouts, ils
ne nous laissent qu’une triste cire… un triste sire tombé du ciel et se débattant dans l’amer.
Dieu a été tué par un chat. Il est descendu parmi nous… minou… dans un charivari… Le chat
rit… ravit.
Nous avons fini de payer le premier tiers de l’impôt sur l’individu. Nathalie n’est plus
empreinte de douleurs. Elle a payé son tribut… la mienne n’est pas encore. Je dois
m’acquitter des deux tiers restants. Je te l’ai dit. La vie se gagne. Il me faut gagner la tienne
en sus des nôtres. L’existence est en la lice. Elle n’enfante point ce pays des merveilles. Il en
sera un lorsque nous ferons nous-mêmes sourdre le jour. Pour l’heure, je m’essaye à ôter la
morne (saison) au bout de ma lance. L’avent se préparant, j’ai de nouveaux moulins à
combattre.
Aurais-tu des dispositions pour la ventriloquie ? A moins que tu ne prennes ta mère pour un
pantin, connaissant déjà toutes ses ficelles. Cette nuit, elle s’est éveillée alors que je ne
dormais pas. Elle a ouvert soudainement les yeux. Elle m’a parlé, tenant des propos sans
grand intérêt mais cohérents. A plat dos, elle s’est tournée sur son flanc gauche, a tapoté son
oreiller de la senestre comme pour m’inviter à me coucher tout contre elle. M’exécutant, elle a
bougonné, grommelé, signifié de dégager. Puis, elle s’est tue. Ce matin, je lui ai demandé si
elle s’en souvenait. Elle m’a répliqué en haussant les épaules… par la négative. Aussi,
m’interrogé-je afin de savoir si tu ne serais pas l’auteur de cette farce. Si tel est le cas, tu as un
don certain. Je sens que nous allons bien nous marrer toi et moi…
J’ai posé ma main sur son gi commençant à devenir rond… à s’arrondir autour de toi… à
s’empreindre de tes formes. Je l’ai caressé espérant faire d’une pierre, deux coups. Je pensai
la frôler et toi de concert. J’ai approché ma bouche de ses entrailles… de son entaille… Par
son nombril, je t’ai mandé. J’ai tenté de te toucher physiquement, autrement que par le biais
de ce journal qui ne saurait remplacer les gestes. J’ai remarqué qu’il devenait une sorte de
drogue. Je ne me sens pas bien lorsque je ne parviens pas à t’accoucher… à m’accoucher sur
écran. Lorsque je ne me suis pas contraint à une page… une heure d’écriture. Car, il est mon
unique repère en cette mutation… en nos mutations respectives. Il est – au-delà de
l’exutoire – un succès-damné… une excuse… une justification pour ne pas en faire plus. Oui,
54
A toi que je ne connais pas en corps…
j’ai cette peur qui m’étreint… m’éteint de ne pas contrôler ma force et de te faire mal… ainsi
qu’à ta mère. Vous me semblez si fragiles l’une(e) et l’autre... l’un(e) dans l’autre. Je ne suis
pas de vous. Aussi, cet ouvrage est-il mon abri… ma bulle. Elle se crève… elle me crève.
Je ne sais plus où j’en suis… de ce manège tournant autour de toi… il en est un tiers me
faisant tourner en bourrique. Il semble qu’il y ait un problème à propos de ma reconversion…
un grain de sable enrayant le mécanisme. Ce mutisme est anormal. Ma direction ne s’est pas
manifestée malgré deux relances. A force de silence, je finis par douter de moi et par me
demander si mon entretien était aussi excellent qu’il me parut l’être. Ce type que je ne connais
ni d’Eve, ni d’Adam, ne m’a-t-il pas mis à nu pour mieux me percer ? Ne s’est-il pas foutu de
ma poire ? Ai-je achoppé dans les perches qu’il m’a faussement tendues ? A moins que ma
hiérarchie ne soit prise à son propre piège. Est-elle embêtée de mes résultats ? Pensait-elle que
je ne serais pas à la hauteur ? Cette volonté de faire, n’était-elle qu’un leurre ? Je ne sais plus
qu’en déduire. J’hésite à faire le forcing, pensant que seul le destin doive m’accomplir. Si ma
place est là, il fera en sorte de m’y emmener. A le contraindre, je risque de retomber dans les
travers que je m’essaie de fuir. Je ne veux plus nager à contre-courant. Je résiste à la tentation.
Advienne que pourra… Je n’ai pas fait de publicité, ni posé de revendications autour de cet
événement. Je pense avoir été sage.
Je réprimande – avec humour – ta mère lorsqu’elle ingère n’importe quoi. Je prétends avoir
un droit de regard sur son alimentation, étant pour moitié de moi. Je revendique l’abusus,
l’usus et le fructus… être titulaire d’un pouvoir me permettant de disposer de son ventre… de
l’utiliser et d’en percevoir les fruits. Par cette supercherie, j’espère pouvoir limiter ses
fringales et l’ingestion de produits pas très catholiques… très cathodiques. Je n’aspire pas à ce
que ta santé soit compromise par ses excès… dans ses accès. Tu auras le temps de te ruiner
les dents (lorsque tu en disposeras) sur des caramels, bonbons, esquimaux, chocolats et
autres… de te corrompre l’estomac avec des sodas, des thés aux saveurs étranges, des eaux
minérales aromatisées ou des sirops, des sandwichs au brie avec des cornichons, des
plaquettes complètes de gruyère, des mélanges hétérogènes de fromages divers et avariés, des
mayonnaises, des ketchups, des pâtisseries industrielles et des barres chocolatées. La liste
n’est nullement exhaustive. Je te fais confiance pour composer, à l’exemple de Nathalie. En
cette matière, c’est une véritable artiste contemporaine. L’œuvre est à chier mais le concept
est très novateur. Si j’osais poursuivre ma pensée, je dirais que le résultat de son travail,
bouche nos toilettes… Aurais-tu une influence sur moi ? Est-ce ta découverte qui me perturbe
déjà ? J’entame souvent mon paragraphe avec un soupçon de poésie et l’achève dans le pipicaca. Je pensais avoir dépassé ce stade depuis belle lunette… belle lurette. Il n’en est rien
visiblement.
Je te pense assez grand(e) à présent pour te faire quelques révélations qui, comme le disait
mon grand-père, vont te trouer le séant. (Cette fois-ci, j’entre en matière par la scatophilie,
espérant terminer par de la poésie). Profites d’être comme un poisson dans l’eau car, bientôt
un pécheur devant l’éternel, en une force chaotique, te fera mordre à l’hameçon… à son âme
pour te déloger de ton repos… à n’en plus connaître. De son croc, il va percer ton havre de
peau, évider l’humeur dans laquelle tu te vautres. Il va percer ta nuit, en un éclat de jour dont
tu te souviendras jusqu’à la fin de ton existence et ce, inconsciemment. Frôlant la fin, tu
reverras ce tunnel, cette lueur en son extrémité. Ce ne sera point la lumière de l’au-delà
venant te prendre mais, une réminiscence de ta naissance… un défilé d’images te retraçant…
avant de t’annihiler. Ce sera l’illumination de l’eau… d’ici ayant jailli. La boucle sera
bouclée.
55
Journal d’un futur père.
Ce bastion de peau, tendu à la corde d’un arc, au moment venu et aspirant à reprendre sa
forme, te décochera en vulgaire trait. Il t’acculera vers une sorte de meurtrière… la mort
t’attendant au-delà de sa fenêtre. Ce bras de fleuve te contenant toujours sur la corde, les
doigts entaillés par le fil du rasoir, ne pourra plus te tenir. Il s’y essaiera jusqu’à tétaniser.
Puis, à bout, il se convulsera. Il ouvrira sa main et empreindra le ventre de ta mère de ses
spasmes. En un raz, il se videra… t’entraînant dans son élan. Le faciès écrasé contre
l’entonnoir, le delta, le restant de ta chair poussant comme un seul homme, de ton sinciput à
l’instar de Moïse, tu écarteras ta mère. Un cours s’achevant, sitôt un nouveau prend sa source.
Ces sons si lointains, si distants, distendront tes tympans. Tes ouïes, pavillons devenus,
s’ouvriront en un nom… se déploieront à tous les tons. Tes pupilles nubiles, en nage
d’épouser ces Phébus naturels ou artificiels, te dévoileront d’étranges aurores dans tes
premières larmes. Dans un flou artistique, ils t’étaleront les primes couleurs… douleurs de ton
existence. Le crâne en dehors de ton abri, les épaules en fuite, lors, tu seras foutu… déjà des
pognes se précipiteront pour t’empoigner et t’arracher à ton repaire. Si tu le peux, garde le
corps à l’intérieur, ne sors que le chef. Nul n’osera te toucher. Il en est ainsi. Tels sont les
codes. Tu seras entre l’éternité quoique la tête dans le guidon et le sablier. Le monde te sera
moins cruel, même si tu entends ta mère s’égosiller. Elle finira par s’habituer à la douleur. Le
temps a cette vertu.
Je ne sais si je te rassure. Nous nous sommes tous fait prendre au piège. Une épaule dénudée
et tu passes de l’autre coté. La dernière once de chair hors de ta matrice et le temps t’est
compté… décompté. Le dernier lien t’unissant à sa chair est rompu. Ecce homo
auton’homme. Sans aucun vade-make-homme ou post-scriptum… démerde-toi avec la vie.
Là, tu la recevras dans toute sa violence si tu as le malheur de ne pas chialer. Innocent(e), tu
auras bientôt les mains pleines. Tu recevras ta macule de souffrance inhérente en une
inspiration originelle… ce patrimoine muable… ce bagage encombrant. Fais en sorte de
t’emplir d’une hargne motrice. Sinon, tu rentreras dans le rang, étant envisagé(e) en telle
fonction. Il te faudra te battre, jouer des coudes, libérer ta chair de ses liens invisibles car, à
peine né, tu es un pantin désarticulé par des volontés impénétrables. Rends les coups qui te
seront donnés… pour coup… à commencer par ce corps médical t’extirpant du maternel.
Réponds à hauteur de l’attaque. Si tu tends ta joue, tu seras foutu(e). Déposé(e) sur le sein de
ta mère, hisse toi à son corps défendant, ne la lâche plus. Là, je t’attendrai…
Au risque de me répéter – je préfère enfoncer le clou afin que la cruci ne soit pas qu’une
fiction – j’avais conservé en moi d’une manière inconsciente, cette envie capitalistique de
pouvoir vivre un jour de ma plume et de vivre dans l’opulence… de ne manquer de rien. J’ai
renoncé à ce rêve pour en engendrer un bien plus grand. Je me suis radicalement sevré du
poison. J’ai décidé d’appliquer ce que je prêche depuis l’entame de cet ouvrage. Je vais mettre
à la disposition de tout un chacun, mes œuvres. Je les offre à la société grâce à laquelle...
Ainsi, d’aucuns pourront-ils s’en emparer et mon anti-dot[e] se répandra-t-elle. Je ne rêve pas
d’un grand soir… Pourquoi se contenter d’un seul ? Il se fonde sur une nouvelle ère… une
révolution culturelle… morale… intellectuelle… philosophique… populiste et populaire.
Dorénavant, je vais dispenser ma vie… la dépenser à travers mes écrits. Nous supprimerons
ce blé, cette oseille nous pourrissant la vie, pour semer nos provendes essentielles. Nous les
laverons… d’ôter toute odeur de servilité… la fameuse notion lixivielle. A l’échange
(entendant une hiérarchisation évaluée), nous préfèrerons le partage… un même niveau… une
égalité. Ainsi, achèverons-nous le règne de l’argent. Nous en brûlerons les liasses… les
miasmes fiduciaires dans un immense feu de joie. Nous ferons de ce jour, une fête annuelle en
lieu et place de ces armistices, élans chrétiens ou célébrations bourgeoises. Nous préfèrerons
commémorer un souvenir de liesse que ces souffrances et ce sang gâché. Tu l’auras compris,
56
A toi que je ne connais pas en corps…
j’abandonne toute idée de valeur, notamment celle de l’enrichissement individuel ô combien
superficielle et éculée, pour adopter des sens véritables et naturels… « sens » s’opposant aux
éléments matériels.
A propos d’odeur abjecte et de pourrissement, la Miss Tigrée s’affairait en sa toilette, perchée
sur le bord de notre table. Elle léchait consciencieusement ses pattes, ses coussinets… sa robe
sur ses flans. D’une langue alerte, elle se gobait la peau, l’aspirait, la mâchonnait… d’en
extraire toute souillure. Elle s’épouilla l’abdomen, s’exécutant à l’iden-tique pour tuer tout
parasite. Elle descendit vers ses orifices. Lorsque ses narines humèrent les relents de son
sphincter, la pauvre bête fut mise à bas, projetée hors de la table. Son arrière train chut… se
décrocha de sa mâchoire. Elle s’agrippa à la nappe… s’efforça de remonter. Nathalie et moi,
nous amusions à l’épier et lui dire qu’elle avait un mauvais fion… fond. Nous nous mîmes à
rire de la situation. Le regard vidé par la peur, elle se mit à pédaler dans le vide, avant de
trouver prise. Perchée derechef, elle nous tourna le dos, ayant compris que nous la moquions.
D’un air méprisable, elle nous présenta l’objet du délit, fit claquer sa queue en l’air… prit
congé sans nous regarder. Elle disparut le restant de l’après-midi. Aussi, vais-je l’imiter, attiré
par d’autres fragrances plus douces…
La vie est un contrat à exécution échelonnée. Chaque nuit, nous repassons dans l’au-delà afin
de ratifier un nouveau jour. Parfois, nous n’en revenons pas. Ainsi, notre existence est-elle
une succession de temps éphémères… d’effets mère… nous accouchant chaque matin. A cette
exception de taille, nous conservons la mémoire de ce que nous avons accompli jusqu’alors,
en cette enveloppe charnelle. Les sorgues et nos songes inhérents, sont un outil crucial… ce
cordon ombilical invisible permettant de nous projeter temporairement dans l’éternité pour
recouvrer inconsciemment nos repères… faire le point… recadrer au besoin nos desseins.
Nous prenons le temps de relire la lettre que nous nous sommes envoyée, de définir par quelle
voie nous allons la mener à sa destination.
Souvent, je me posais la question du caractère radical d’une journée, tranchant… se coupant
de la veille. Je pouvais avoir vécu des moments magiques, le lendemain même des instants
épouvantables. J’en cherchais la raison. Est-ce le fruit du hasard, d’un hasard venant âprement
me confronter ? A force d’interrogations… d’investigations… de pertes en conjectures… j’en
suis arrivé à cette réponse… Entre chiens et loups, je suis dévoré… déchiré par nécessité. Je
vais à une petite mort… pour mieux renaître le jour suivant. La vie est une succession de
suites illogiques, ayant un dénominateur commun, un même socle. Tout est donc possible.
Les mauvais jours, sont des temps de violentes confrontations essentielles à nos acquisitions.
Ils nous heurtent, nous déstabilisent. Nous ressortons du combat en vainqueur et passons à
l’étape suivante. Vaincu, nous itérons. Nous sommes un esquif… un radeau médusé… une
bouteille à la mer chahutée par la tempête… poussée vers des récifs. Elle soulève nos doutes
en un raz de marée ou de bol, nous plonge la tête dedans… de les embrasser. De vague à
l’âme en vague de fond, cette mer déchaînée, démontée de nos incertitudes, nous précipite en
ses abîmes. Ou nous nous noyons… ou nous refaisons surface et gagnons la rive… avant
d’être rejetés en de nouvelles aventures.
Nos rêves sont les messages contenus dans cette bouteille. Il nous appartient de les lire… de
nous venir en aide… ou d’en faire fi ! Tout dépend de nos croyances… trouble-fête ou fausses
cartes conférées pour nous perdre… de tirer les leçons inhérentes de nos échecs. Ainsi,
agissons-nous en fonctions d’elles, et non en fonction de nous. C’est pourquoi je prétends que
le véritable dogme est celui contenu en notre sein et, qu’il nous appartient de mettre à jour
pour nous trouver. Il nous est propre… singulier. Il est notre moteur… notre dérive… notre
boussole. Il est possible de le faire sourdre par différents biais… recul… méditation (pour ce
57
Journal d’un futur père.
qui est du conscient)… songes… intuition (pour ce qui est de l’inconscient). Il est cette aide
indispensable pour nous acheminer à bon port. Je te laisse toucher le nombre de courrier ne
délivrant pas leur message… le nombre d’individus passant à côté de leur existence. Combien
ont dit… disent… et diront : « J’ai raté ma vie ? Si j’avais su… ».
Ta mère est inquiète à ton sujet, non parce que tu aurais déjà découché. Nous n’en sommes
pas loin. Elle se demande si tu ne t’es pas éteinte(e). Contrairement à ce que le matriarcat de
nos deux familles prétend, elle ne te sent pas remuer en son sein. Elle s’en étonne. Elle s’en
effraie. Hier, elle est allée en consultation chez sa gynécologue. Celle-ci n’a pas procédé à ton
examen. Aussi, s’interroge-t-elle sur ta viabilité. Etant la proie de douleurs aux cervicales, à
n’en plus pouvoir, elle a utilisé une pommade anti-inflammatoire. De l’aveu de l’accoucheuse
errante (privée de clinique car fermée par les méfaits du capitalisme faisant de la santé un
produit), il ne faudrait pas s’en badigeonner car ce genre de liniment contiendrait des
ingrédients néfastes au cœur du fœtus. Elle n’a pas osé lui révéler qu’elle en avait usé une
fois. La prochaine échographie étant dans un mois, elle va vivre avec cette incertitude tout ce
temps, chahutée par la tempête.
A mon avis, elle sera fixée avant ce délai. Si tu n’es plus, son corps s’efforcera de rejeter le
tien, redevenu étranger. Pour ma part, je ne pense pas que tu nous aies fait l’affront de nous
quitter sitôt. Je crois qu’après avoir été malade, ta mère ne supporte pas d’aller mieux… voire
bien. Son parcours ayant été chaotique, les rares moments d’accalmie lui paraissent suspects.
Elle redoute un reflux plus violent que le précédent. Par y parer, elle s’invente des orages.
S’agissant de sa nuque, je ne sais si ses maux sont psychosomatiques ou réels. Sa charpente
osseuse étant disloquée par une scoliose précoce, il se peut que cette souffrance ne soit pas le
fruit de son imagination. Sa colonne est un véritable baromètre (et le sera davantage en corps
à l’avenir…), les changements de climat la travaillent… la torturent. En ce moment, le temps
est tellement incertain, qu’elle est mise à rude épreuve. Le soleil et les nuages jouent au chat
et à la souris. Tour à tour, il change de rôle à en faire tourner les cieux. Nous essuyons leur
affreux manège… les résidus de leur course effrénée.
Je suis inquiet pour elle, non pas que son « hypocondrie » m’empreigne. Mais, ses vertèbres
sont en un tel état, qu’elles ont provoqué une bascule de son bassin. Pourra-t-elle t’accoucher
en de bonnes conditions ? N’en souffrirez-vous ni l’un(e), ni l’autre ? Pour la taquiner, je lui
lâche que je vais aller trouver son père… de lui réclamer une dot plus importante en guise de
dédommagement… il y a eu tromperie sur la marchandise. Au lieu d’une jeune femme alerte,
j’ai épousé une vieille carrosserie dont les défauts ont été grossièrement maquillés et le
compteur trafiqué. Elle n’est pas sur son trente et un. Elle a au moins quarante ans de plus. Je
n’en demanderai pas le remboursement, m’étant attaché à elle… Elle m’invective… me traite
de tous les noms … me frappe. Au moins, pendant cet intermède, elle en oublie ses tourments.
Il faut la voir défiler pendant que je nous raconte, à peine sortie du lit, vêtue de sa chemise de
nuit violine s’arrêtant au ras de ses fesses, de sa blanche robe de chambre très fine plus courte
encore, de ses énormes chaussons poilus en forme de pattes de gorille. Heureusement qu’elle
s’est épilée la veille. Elle pourrait faire illusion… terminée au zoo. Sans doute devrais-je
explorer cette voie, ayant probablement de l’argent à en retirer en guise de dommage-intérêt.
Un tel oiseau rare devrait se monnayer chèrement. Je la châtie, l’aimant énormément. Elle est
d’une rare beauté, tant intérieure qu’extérieure. Elle est à fleur de peau… ou plutôt en bouton.
J’aimerais tant qu’elle en prenne conscience et s’épanouisse. La regardant dormir, elle me
bouleverse. Je ne sais pas lui écrire de poème, tant les mots sont fades pour la décrire ou lui
exprimer ce qu’elle m’inspire. Il faudrait en inventer. Mais, lui parleraient-ils ? Aussi,
m’exprimé-je avec chaque morceau de ma chair… avec mes yeux. Dans nos relations
58
A toi que je ne connais pas en corps…
charnelles, je m’essaye à faire de mon être tout entier, cette poésie qu’elle attend
désespérément de moi.
A propos d’affront et de haine, nous avons vaincu le parti belliqueux. L’appareil judiciaire
nous a donné raison. La liste de candidats du Front National a été retirée. J’en suis heureux.
Notre action n’était pas gagnée, du fait d’une vile jurisprudence de la Cour de Cassation.
Nous en avons enfanté une nouvelle et avons permis au droit d’évoluer positivement… d’une
manière progressiste (provisoirement… le temps des voies de recours n’étant pas épuisé. A
défaut, le jugement aura acquis force de chose jugée.). J’en suis ravi… fier comme un pou…
que je ne saurais avoir, au risque d’en faire un Sans Domicile Fixe (ne pouvant se fixer sur
mon crâne dégarni.).
Je vais repartir pour une semaine durant. Je m’en vais le cœur lourd, ne parvenant toujours à
pas vous quitter. Je suis déchiré entre mon désir et mon combat (choix cornélien s’il en est…).
Ce dernier prend le pas… trop à mon goût. Je sais que je vais acquérir (allant sur les traces de
Rouget de Lisle errant en sa petite France), les armes nécessaires pour continuer à avancer…
en mon espoir de changer ce monde. Pour y parvenir, las, je me dois de me couper de mes
racines… rompre avec les traditions de mes aînés. J’ai besoin d’un savoir qui n’est pas encore
mien. L’autodidaxie ne se suffit plus à elle-même. Aussi, vais-je vous délaisser. Cela me
cause une grande peine… de vous délaisser. Mon épouse va me manquer terriblement. Au
temps de mon célibat, j’étais content de fuir la solitude, de m’en séparer. D’hui, je me traîne
jusqu’au tortillard devant m’arracher à elle. J’ai l’étrange impression que je vais m’ennuyer…
Il n’est guère de jeunes investis dans la lutte juridiquement. Je ne vais rencontrer que de vieux
militants, sombres comme la mort, dont la conversation n’est qu’une litanie d’affaires
gagnées… ou perdues. Le fossé intergénérationnel sera, à n’en point douter, un canyon.
Aussi, me forcé-je à remplir mes obligations, vide d’entrain.
L’abnégation et le sacrifice sont les mamelles des syndicalistes. J’en sais deux autres,
supérieures et plus agréables à frôler. J’embrasse pourtant qu’il me faudra bientôt les partager
avec toi. Je touche que nous « mangerons » bientôt dans… à la même mamelle. Je ne le
redoute point… tu es pour moitié d’elle… pour moitié de moi. Or, pendant une semaine, je
vais perdre cette part de vérité. Tu seras entièrement à elle. Elle me remplacera par toi. Je ne
serai plus son centre d’intérêt principal. Sans doute, oublieras-tu jusqu’à ma voix. Je vais
devenir secondaire. L’édifice que je nous ai bâti, va-t-il se lézarder une fois de plus ? Une fois
de trop ? Dans ce départ, je nous fragilise. Je perds l’apanage du mari et du père. Je vais
redevenir un gosse… une bouteille à l’amer. Comble du comble, je me rends en ce
Concordat… en ce lieu où l’Eglise et l’Etat ne sont séparés… ni de corps… ni d’esprit. Que
me faut-il m’y contraindre ? Rassure-toi, je ne prendrai point part à la noce. Je m’essayerai
davantage à ronger le mien (os).
Je m’en vais de nouveau lors d’un repos dominical. Sans doute est-ce là le sacerdoce (ça sert
d’os) des chiens… des impies… le prix à payer de leur sacrilège… majesté. Certes, je n’ai pas
de respect pour les choses du culte (ni précieuses). Sans doute, est-il normal que quiconque
n’en ait pour moi. Il me déplaît que l’injure me soit faite par mes propres camarades. J’espère
avoir au moins le temps de prodiguer un au-revoir digne de ce nom à ma chère et tendre.
Paradoxalement, depuis qu’elle n’est plus indisposée mensuellement grâce à ta présence, nous
n’en profitons pas davantage. Nous nous plaignions jadis de ce que sa condition féminine se
rappelât à nous en des instants inopportuns. Nous avons le loisir de pouvoir jouir de tous. Sa
piètre condition physique a pris le relais, nous empêchant de nous exprimer librement… de
donner libres cours... aux nôtres. Le devoir m’appelle. Il n’en est de plus enivrant. Aussi,
m’en vais-je de suite m’apaiser, me griser et ne pas écourter ce moment prometteur.
59
Journal d’un futur père.
Mes craintes étaient fondées. Je suis entouré de la sagesse… de la mémoire du mouvement
syndical… notamment en matière juridique. Fort heureusement, mon jeune âge n’a pas
empêché de lier des fraternités. Aussi, ne suis-je pas esseulé comme je le redoutais. Le séjour
sera moins pénible. Il est un avantage à cette situation. J’ai du temps pour moi… pour
réfléchir. Je ne suis pas étouffé par le collectif. Ainsi, puis-je donner une liberté à mes
divagations idéelles… laisser libre cours aux délires de mon esprit. Cette retraite en ma
cellule me permettra-t-elle de frôler un peu plus l’idéologie nécessaire à l’émergence d’une
société à visage humain ? Va-t-elle m’insuffler des pensées ad hoc ? Cet après-midi, j’ai tâté
le terrain, palpé le terreau en essaimant à la cantonade quelques gemmes de mes réflexions. Il
semble que l’audience ait été intéressée. En tous cas, je n’ai pas essuyé d’affront.
Je n’ai pas dormi de la nuit. Mes supputations « préliminaires » se sont avérées. Celui de ta
mère (mais également son être tout entier) m’a manqué. Son absence a enfanté la mienne,
ainsi que celle du sommeil. Loin d’elle, j’espère que tout ira bien. Désunis par la chair mais
pas par l’esprit, vous êtes avec moi, coulez dans mes veines. Je ne suis pas si loin. Cela me
rassure. En un bond, je peux vous toucher. Later-moi-ment qui nous sépare avant que je ne
puisse vous chérir, me paraît incommensurable. J’ai perdu jusqu’à mes sens. Je n’ai plus la
jouissance du goût… la nourriture tant matérielle que spirituelle me paraît insipide. Je n’ai
plus de toucher. Mes doigts ne savent plus frissonner. Je n’ai plus d’ouïe… les bruits
m’insupportent. Seul le silence sait me parler… pallier la privation de ses cris extatiques…
ses murmures concupiscents… sa plainte lascive… ses invitations luxurieuses… luxu-riantes.
Quant à ma vision, elle est obscurcie sans mon phébus. J’ai l’impression de subir le temps
dans toute sa relativité. L’abject phénomène semble se jouer de moi, avec une aisance
déconcertante. Tantôt trop court, tantôt si long, je ne sais sur quel pied danser, sur quel autre
me reposer.
Nathalie n’allait pas très bien. Elle venait d’apprendre une mauvaise nouvelle à ton propos…
une de plus m’a-t-elle lâché… exaspérée… désespérée. A cause de sa scoliose, elle ne devrait
pas pouvoir accoucher sous péridurale. Je sens ses angoisses fondre… se fondre… la
confondre. Tu seras enfant unique tant cette grossesse va de mal en pis. La souffrance même
hypothétique l’effraie. Je tente de la rassurer… de lui répondre avec humour. Je commence à
douter de ma propension. Saurais-je sans cesse trouver les mots aptes à apaiser les siens ? Que
se passerait-il si je ne devais plus y parvenir ? Je redoute – à son instar mais pour d’autres
raisons – le cumul de ses tourments. Je crains qu’acculée, elle ne finisse par ambitionner de
mettre un terme définitif à ses affres. Je culpabilise de cette impuissance à la soulager de son
fardeau… d’autant plus n’étant pas à ses côtés. Pourvu qu’elle tienne. Elle est si prompte à se
résigner… à fuir le revers. Dans quel état vais-je la retrouver ?
Le nombre trente-trois semble me poursuivre. Il est celui de la minuscule chambre que
j’occuperai le temps de mon séjour alsacien… au-delà de mon âge. Est-ce un signe me
renvoyant à Bordeaux et à ma réflexion inaboutie quant à un devenir dans la magistrature ?
Sans doute y ai-je davantage à faire… y suis-je davantage voué qu’aux ressources humaines ?
Je suis dépassé par les évènements. Je ne sais plus à quel « sein » me vouer, lequel doit me
nourrir ? Lequel dois-je embrasser ? Ma mission humaniste… « humanitaire » [me] tournerat-elle vers… autour de cette troisième voie très peu considérée… très peu envisagée par moimême ? Ai-je à officier au sein de l’appareil injuste pour rendre au peuple ce qui lui
appartient ? Il est temps qu’il s’approprie toute instance ou organisation œuvrant en son nom.
Or, je suis de lui…
60
A toi que je ne connais pas en corps…
Il est vrai que la fonction proposée par ma direction ne pourrait avoir qu’un intérêt
alimentaire, tant elle m’est incertaine. Ce ne serait pas en cet emploi que je pourrais changer
la face du monde. Elle me permettrait de nourrir ma famine et de mettre d’ores mes
productions idéelles à la disposition de tous. Incertaine, en ce que mon employeur fait trois
pas en avant… sitôt deux en arrière. Je ne sais plus si ses propositions sont toujours
d’actualité et dans l’affirmative, sous quel délai. Qu’il aille au diable… là je l’y retrouverai !
Il est certain qu’en matière idéologique, je n’ai rien à attendre, excepté de pouvoir corrompre
le système et de l’enrayer… de remettre les salariés au cœur du schéma. Il se peut qu’un
fatum plus ambitieux me soit condescendu… qu’il me soit défini des jours plus ambitieux. Je
verrai. Je serai où je me dois d’être, c’est-à-dire où mon existence prend son sens.
Sur les traces de Rouget de Lisle, en sa petite France, je n’ai pas touché de sa petite transe. Je
l’ai cherché(e) en chaque coin de la cité. L’inspiration du chant ne m’a pas empli. Pourtant,
j’étais en compagnie d’un marseillais et de quelques autres disciples de la République
véritable. J’ai arpenté vainement la ville, toisant les églises et la cathédrale dans mes errances.
Ma procession n’était pas de foi… puisqu’en crise… tu l’auras compris. Je suis rentré
bredouille… bredouillant de fatigue. Mes jambes étaient si lourdes (sans mauvais jeu de mot)
que j’eusse du mal à monter les trois étages menant à ma chambre. Je me suis rabattu sur une
nourriture matérielle… de recouvrer quelques virulences aptes à me faire toucher que je suis
encorps vivant.
J’ai achevé mon périple par un appel à ta mère… presque au peuple. Elle m’avait révélé plus
tôt dans la journée, s’être fait à l’idée d’accoucher sans péridurale… résignée certes… de ne
pas avoir le choix… cette dernière n’étant pas la panacée… risque de paralysie… d’une
mauvaise cicatrisation… de migraines… d’une allergie à la substance injectée… et/ou d’une
désensibilisation inefficace… Elle ne te sentirait pas venir. Elle paraissait rassérénée d’autant
plus lorsque je lui avais lâché que des milliards de femmes avant elle, n’avaient pas succombé
à cette mode et qu’elles n’en étaient pas [toutes] mortes… Je la pensais rassérénée. Alors que
je m’épuisais à poursuivre un idéal, elle s’est documentée sur le sujet… au point d’être
déconcertée… qu’en soit la méthode. Elle est parvenue à trouver une information lui révélant
qu’en pays helvète, des médecins pratiqueraient ladite opération malgré la scoliose. Aussi,
aspirait-elle que je l’y mène (sans jeu de mot également). La douleur l’horrifie à tel point,
qu’elle perd toute sapience et se prête à tous les périls. Je pensais l’avoir convaincue
s’agissant de la souffrance inhérente à l’enfantement, en lui lâchant qu’elle était pendante à
celle du nourrisson conservant un semblant de lien entre les deux êtres, quoique désunis à la
coupure du cordon. Elle avait rebondi sur mon argumentaire pour se l’approprier, inventer un
raisonnement moins cohérent que le mien. Nous avions fini par plaisanter en comparant ledit
cordon rompu, à une peau de saucisse de Morteau… le bâton en son extrémité nouant à
l’identique le tube de boyau. Nous étions hilares d’avoir trouvé le secret des charcutiers. Pour
une production conséquente, cela entendait… nécessitait une pléthore d’accouchements. De
tous nos propos, il n’est plus reste rien. La peur a balayé la sérénité… promptement. Sans
doute, ta mère, est-elle en réaction de la saison… une feuille morte… de trouille. J’ai beau jeu
d’écrire ce genre de chose et de jouer les matamores. Même si j’attends le printemps avec une
impatience plus grande encore (à double titres).
Plus ce stage avance dans le temps, plus je prends conscience de ce que notre lutte fondée sur
une confrontation des besoins par rapport à une logique des profits, est obsolète. Elle est
davantage sur un rapport de force entre une émancipation souhaitée contre une intention…
une intuition d’exploitation. Notre vision sociétale syndicalement est erronée car en deçà de la
vérité… inhibée par la prétention de croire que nous serions des êtres libres. Or, le dessein
61
Journal d’un futur père.
patronal n’est-il de nous ôter toute humanité, tout droit fondamental… de nous muer en
simple outil de production ? De nous priver d’une âme comme aux temps jadis ? De la
condition d’être, ils aspirent à nous changer en chose. Nous sommes par conséquent
empreints d’une servilité poisseuse, d’un scaphandre duquel nous tentons depuis des siècles
de nous extraire… nous tendons à nous en arracher… un peu plus. Nos dogmes sont
opposés… le libéralisme voulant qu’il n’en reste qu’un. Il s’agit d’un génocide… de crimes
contre l’humanité que nul n’ose dénoncer… pas même le mouvement syndical ouvrier. Le
peuple (c’est-à-dire le prolétariat) a perdu tout repère idéologique. Les gouvernements se sont
succédés… alternant en vain… se contentant de gérer une situation de crise sans vision à long
terme, ni une idée motrice magistrale. Ils ont appliqué des rustines. Si nous sommes dans
l’incapacité de l’alimenter par une doctrine claire… un choix de société vulgaire… il se
tournera vers l’extrémisme… ou le sectarisme. Notre mouvement en a-t-il seulement
l’intuition ?
Je ne le pense pas. C’est la raison de ce schisme… je quitte intellectuellement le navire pour
mener ma barque seul… ériger mon propre phare. Il me reste un ultime travail a effectué…
me soigner de cette infection ancrée … culture capitaliste… à mener à son terme cette
singulière confrontation entre une richesse intellectuelle et une richesse matérielle. Je tends
vers cette première quoique, ayant toujours besoin, las, de la seconde pour vivre en ce
système asservissant (à-serf-vissant)… et gagner ma liberté. J’ai le sentiment d’être une
girouette, allant à tous les vents. Il n’est pas si aisé de se laisser chahuter, sans parvenir à
toucher la bonne direction… celle du levant. Je ne sais pas en quel sens souffle celui de mon
histoire… à m’en rendre dingue. Je demeure impatient, ne sais occuper mes jours en attendant
l’heure de la résurrection. De les voir filer sans être fixé, accroît le supplice. J’honnis ma
condition de mortel et d’y avoir aspiré en omettant de me souvenir de son fait générateur.
Ladite condition mortelle de l’être, est essentielle… nécessaire aux générations postérieures…
qu’elles puissent exister. Dans le cas contraire, elles seraient écrasées, tues par le poids et
l’expérience des anciens demeurant… perdurant.
Il me faut contraindre à prendre le temps nécessaire de la gestation, d’accoucher idéalement
mes opinions sur rue. Sans doute, me dois-je d’alimenter ma famine, frôler l’état des plus
faibles… sans pour autant me mettre en position d’abandon. Dans ce cas, je ne pourrais plus
aboutir. Seule ma force assurera notre salut. Ainsi, me dois-je de culpabiliser de ne plus
briguer d’être de petite condition ? Toucher et les aider à se relever, sont un moteur et une
légitimité amplement suffisants. C’est probablement la raison pour laquelle je devrais
renoncer au poste qui m’est proposé. Par l’acceptation je m’éloignerais de mon but et
n’appréhenderais plus (non pas la pauvreté mais) la faiblesse rationnelle. Je m’appauvrirais
moralement, tout en ayant les moyens… mais plus de prétention. Le système me corromprait.
Je me perdrais derechef de vue… Tu dois penser que ton père est un fou… indécis… voire
instable. Je suis partagé entre toi et les conséquences que tu impliques, c’est-à-dire d’être
capable de pallier à tes besoins… de produire ton émancipation et plus largement, la mission
qui m’incombe. Arrives-tu au bon moment ? M’aideras-tu à me trouver, tout en me
permettant de te combler ? Tu attends sans doute de moi, plus d’amour qu’une cuillère
d’argent. Tu auras le père que tu mérites. Il me paraît plus simple d’anticiper les aspirations
d’un peuple que d’un individu dont je n’ai qu’une ébauche… celle que je lui confère. Est-elle
exacte ? Ne suis-je pas prétentieux et susceptible de pécher par excès d’inconscience ?
Il pourrait m’être reproché par les Harpies et autres Gorgones d’enfanter un système
totalitaire. Je ne m’appuie pas sur une idéologie unique ni une terreur policière… au contraire.
Je ne brigue pas un choix sociétal mais, une pluralité au sein desquels chacun pourrait se
trouver. Certes, je ne développe qu’une idéologie de ce « tout ». Mon ambition s’ancre…
puise sa source sur plusieurs concomitantes. Contrairement au communisme et au capitalisme,
62
A toi que je ne connais pas en corps…
il ne s’agit pas de l’empire d’une seule. Remettant l’homme au cœur du système, en lieu et
place de l’économie, la raison unique n’aurait plus lieu d’être. Il s’agit donc d’une société à
maints faciès, fondée sur plusieurs schémas coexistants. C’est la principale novation,
engendrant la notion d’un droit sociétal. Ainsi, s’agit-il d’une mondialisation éclairée…
ouverte.
Il est possible d’envisager que le garant de ce mécanisme pluri-sociétal soit une organisation
similaire aux Nations Unies mais dotée d’un pouvoir coercitif, dont les membres la
composant seraient issus de chaque modèle, tirés au sort, disposant d’une voix égale. Leur
mandat serait impératif, émanant de souverainetés populaires, et limité dans le temps. Ladite
organisation aurait la mission de veiller au respect de la Charte (socle commun intangible), de
délivrer la « patente » à toute collectivité émergente. Ce serait une sorte de quitus conférée
aux peuples non belliqueux, en sus d’une Terre sur laquelle prospérer. Son rôle serait
également de contrôler la pérennité pacifique et d’intervenir, de recadrer les systèmes
s’écartant des principes fondamentaux généraux et des leurs… contenus dans leurs statuts
(sorte de constitution). Cela-là serait alors placé sous surveillance ou sous tutelle des autres.
L’organisation, par conséquent, jouirait des pouvoirs principaux notamment répressif et
judiciaire (indépendants, communs, décentralisés et suprêmes), chaque société étant libre
d’organiser son administration par des pouvoirs exécutifs et législatifs secondaires et ce, dans
le respect du cadre unique et supérieur de la Charte (volonté concertée de l’ensemble des
peuples). L’ensemble des pouvoirs secondaires seraient également alternatifs, c’est-à-dire
exercés par les citoyens volontaires, désignés pour embrasser ces fonctions.
Je suis surpris par mon cheminement intellectuel… J’ai passé… épuisé toute ma nuit à faire
des rêves érotiques, à rêver d’ébats avec ta mère. Puis, au petit matin, j’ai accouché
littéralement, d’un trait ou jet… ce spectre de société(s), ces naissances multiples. Il a suffi
d’une douche, sorte de détonateur pour faire exploser… éclore en mon esprit… ces idées.
Jusqu’à lors, je ne voyais pas l’articulation susceptible de rendre viable ce projet. La créativité
est un genre compliqué… difficile à maîtriser. Sans crier gare, il apparaît et disparaît sitôt
dans le silence de l’aloi. C’est un exercice compliqué, m’emplissant à n’importe quel
moment… me hantant le jour ou la nuit… lorsqu’il le souhaite. Ainsi, me faut-il être
constamment prêt à ce qu’il me traverse et en extraire la substance… au risque de la perdre. Je
dois demeurer sur le qui-vive… qu’il vive… le graver… qu’il ne meurt pas. Il est rare d’être
assailli par deux fois, dans des dispositions, des matières identiques.
Il est temps que ce stage se termine. Je suis éreinté. Tiraillé entre le droit social et l’idéologie
néo-sociétale, mon esprit s’épuise. Pour ne rien arrangé, j’ai reçu un appel de mon employeur
me fixant un énième rendez-vous. Nous parlerons de mon avenir à plus ou moins brève
échéance. Je me perds en conjectures (ayant peur de tourner la page) et ressens le besoin de
reprendre pied. A force de dériver, je perds pieds… les pédales. J’ai saisi qu’il n’est point
d’opposabilité entre une richesse intellectuelle et matérielle… cette dernière étant susceptible
de permettre la genèse de la première… de lui donner une existence. J’ai donc décidé de ne
rien décider. Je serai ce que et où je me dois d’être. L’essentiel n’est pas d’exister à travers
une chose mais de s’être confronté à cette chose.
C’est fini. User de l’adverbe « enfin » serait faire offense aux animateurs et intervenants du
stage. Le séjour et l’apport des connaissances n’ont pas été niables. Ils se confrontent à l’aune
de mon désir de vous retrouver ta mère et toi. J’avoue qu’ils ne font pas le poids… ne
souffrent pas la comparaison. Je viens de prendre place dans le tortillard, l’esprit encore
embué pour moitié par l’apprentissage et quelques souvenirs… et l’autre partie, la claire envie
d’être déjà avec elle. Son image m’apparaît à l’instar d’une icône impalpable pour l’heure. Je
63
Journal d’un futur père.
suis impatient de la frôler, de la respirer, de l’embrasser, de glisser ma main dans la sienne, de
la serrer. Je suis dans l’attente de sentir sa chaleur, son pouls entre mes doigts… de toucher
derechef son existence… de la relier à la mienne… de l’épouser une seconde fois.
Je ne suis pas sur le départ quoique mon esprit se soit déjà envolé vers elle. Je suis en gare…
et sans m’écrier… prends la plume pour vous envisager… vous ciseler de sa pointe fine et
fragile… pour exciser le temps… le rompre au fil de mes mots. Je m’apprête en cette
étrange… singulière toilette. Dans un peu plus d’une heure, je serai là-bas. Chaque arrêt fera
battre mon cœur d’une chamade saine, me préparera davantage à l’afflux prompt de
sentiments… à leur débordement. J’imagine le train approchant lentement de ma destination,
mes yeux à travers la fenêtre cherchant à la croiser… recherchant à la croisée, sa silhouette.
Mon rêve est interrompu par la voix nasillarde du contrôleur annonçant aux passagers les
différentes destinations. A l’évocation de ma ville, j’ai un tressaillement… un frisson. Je suis
sur le chemin du retour. Ce fait unique suffit à mon bonheur. Je regarde les passagers arrivant
un à un dans le wagon… de participer au voyage. Je les remarque à peine, n’aspirant pas à
partager avec eux, ma joie. Qu’ils sourient, pleurent, grimacent, se perdent… ou dans leurs
pensées… je m’en moque royalement. Ils me gênent dans ma conversation virtuelle avec vous
deux… m’interrompant à coups de sac… d’excuses ou de bruits incongrus. Ils déchirent le
silence et la sérénité de leurs mouvements nerveux, de leurs gestes vifs et cinglants… non
contenus… hâtifs… presque démonstratifs. Je demeure seul mais pour combien de temps.
L’un d’eux viendra bientôt briguer la place vacante… jalousant ma solitude.
Le traintrain démarre dans un élan poussif. La voix criarde renaît. Elle n’aspire pas à me
laisser tranquille. Je quitte le concordat et son clergé ostentatoire quasi étatique. L’offense des
églises érigeant leurs phallus de pierre impudiques, importunent le Soleil lui-même. Il n’est
pas sorti de sa retraite. Il ne daigne se montrer… se dévoiler qu’un court instant, piquer en son
œil. L’hypothétique Dieu par ses symboles a beau se vouloir à chaque coin de rue, les
problèmes empreignant la métropole sont les mêmes qu’ailleurs. La ferveur n’y change rien,
guère plus que les flèches dressées vers le ciel… davantage levées comme les lances d’une
légion… que des boucliers ou des suppliques. Leur architecture est une insulte au commun
des mortels… une attaque… une déclaration de guerre. Je m’en vais sans regret ni nostalgie
des lieux, empli au contraire d’une légèreté exorbitante d’une hauteur pendante. Je suis enfin
en paix.
Elle était en parfaite santé physique et morale. A qui fais-je référence ? A ta mère bien
évidemment puisque je t’avais écrit dito, que je ne savais pas dans quel état j’allais la
retrouver. Ca sous-entendait que j’espérasse qu’elle fût en forme. Je fus exaucé. Nos regards
ne se croisèrent pas. Elle m’attendait à l’extérieur de la gare. Quant au reste, reporte-toi au
précédent paragraphe. Une fois à domicile, la fatigue m’empêcha de la combler. Son appétit
était moins romantique que de coutume… plus concupiscent. Las, dans un premier temps, je
ne pus la satisfaire. Après plusieurs heures, un léger repas, quelques calories en plus, je sus
rassembler des forces opportunes. Je vins te tutoyer d’un ityphale gorgé de plaisir…
regorgeant de sève. Il en fallut peu pour que le sureau rendît son sirop… un sucre candide.
Une semaine d’abstinence avait permis de faire fortune… de remplir ma bourse à l’en rompre.
Ta mère ne comptant pas à la dépense, elle sut sitôt l’évider...
Hier, en début de soirée, nous nous sommes rendus chez ta future tante paternelle (ma
sœur)… de célébrer la naissance de ta cousine. Margot devait souffler sa troisième année. La
pauvre gamine était éreintée. Il s’en fallut de peu qu’elle ne s’endormît avant de pouvoir
64
A toi que je ne connais pas en corps…
s’exécuter. Enervée depuis plus d’une semaine à l’idée d’être célébrée, en proie aux ultimes
effets d’un rhume, n’ayant pas daigné faire de sieste, s’étant dépensée en d’autres bonds… sur
un trampoline… une fatigue pendante faillit l’emporter. Nous dûmes sa présence à très peu de
chose… un suppositoire (n’est-ce pas le comble de l’hypothétique… la supposition ?). La
fragile fusée sut lui donner un regain suffisant. La fillette dut s’essouffler à maintes reprises,
afin d’empreindre les pellicules des différents membres de la famille présents… d’éterniser
l’événement unique. Elle se plia de bon gré à l’exercice. D’une main excitée, elle déballa ses
cadeaux. Après les avoir étrennés, l’extase de la surprise l’ayant délaissée, elle salua
l’assemblée et partit se coucher, emportée par les bras de son père. Son frère l’imita. Nous ne
tardâmes pas non plus. Nous terminâmes nos ripailles joyeuses, embrassâmes l’assemblée et
regagnâmes nos pénates respectifs. Les anniversaires ont cette vertu… permettre les
rassemblements familiaux.
Aujourd’hui, nous étions invités à déjeuner chez les parents de ta mère, pour fêter les
soixante-six ans de ton futur grand-père maternel. Il n’y eut point de bougies. La flamme étant
réservée à la liesse enfantine. S’agissant des adultes, l’événement est davantage le prétexte à
bâfrer. En cette matière, nous ne fûmes guère déçus. Nos estomacs crièrent : « Bombance !»
tant ils furent emplis… à un point tel que nous avons achevé le repas en nous écrasant le séant
dans la banquette. La digestion fut laborieuse. Nous dûmes lutter pour ne pas sombrer… être
emportés par le sommeil. Nous dûmes notre salut à une fuite… les parents de Nathalie
aspirant à remettre le couvert le soir même. Nous avons fait un tour dans le jardin, pris un bol
d’air frais, fait quelques pas. Nous nous sommes éclipsés. Depuis, je n’ai de cesse de maîtriser
des éruptions gazeuses… montantes et descendantes. Ta nourrice après t’avoir aviné, tente de
se défaire de ses excès. Elle est étendue sur le canapé. Elle espère que tu profiteras de ce rare
retour de fringale mais surtout, que tu l’en libéreras. Je pense que nous ferons l’économie
d’un dîner… ayant ingéré des subsides pour deux jours. La peau de nos ventres est tellement
tendue que je me suis senti obligé de remercier le petit Jésus…
A ce propos, Nathalie a fait un rêve très étrange, dont je ne sais comment l’appréhender. Au
lever, avant de nous rendre chez les siens, elle m’a déclaré avoir été visitée par le Christ
durant la nuit, en ma présence. La présentation qu’elle m’en fit, n’a aucune mesure avec les
icônes chrétiennes. L’homme était brun. Ses cheveux étaient mi-longs, taillés comme un
buisson épais, tout comme sa barbe. Ses yeux étaient noirs. Il n’était pas très grand. Il était
vêtu d’un linge blanc. Je serais demeuré à distance, pendant qu’il lui parla. Il lui aurait révélé
ne pas m’en vouloir de ne pas croire en lui et avoir un message pour moi. Il la pria de me
dire que le jour célébrant Jeanne D’Arc aurait été un bon jour pour un mariage. Puis, me
voyant au pied d’une tour (celle de Dieu… représentée ainsi dans les tarots), apeuré par le
monument, il aurait ajouté que j’allais bientôt subir une mutation dont je devais me réjouir et
l’accueillir avec sérénité plutôt que la crainte… que j’allais me transcender… prendre une
nouvelle dimension. Sachant que la simple évocation du messie provoquerait en moi
moqueries et indifférences, elle se tut. Au lieu de la moquer, de lui répliquer qu’elle avait
fumé sans doute plus que de raison, je pris le parti de me taire. Il y avait dans ses yeux, une
lueur inhabituelle… une flamme que je ne lui avais jamais vue. Sa voix était calme, posée,
sereine. Elle paraissait si lisse, si innocente que je lui demandais de me rapporter un
calendrier. Ce qu’elle fit sagement. Nous nous mîmes à rechercher le jour fêtant Jeanne
D’Arc. Je n’en crus pas mes yeux lorsque nous découvrîmes que ledit jour est celui présumé
de ta naissance… le 12 mai.
65
Journal d’un futur père.
J’ai touché un sentiment de plénitude, ce matin. Pour quelle raison ? Je l’ignore. Le bonheur
est ce genre de sentiment impalpable, insaisissable qui vous emplit et vous abandonne à son
gré. Il est similaire à l’orgasme. D’aucuns ne le toucheront jamais. D’aucuns le tutoieront
parfois. D’aucuns en seront oints, ne les quittant plus… ou très rarement. Tu peux vivre avec
ou sans... « avec » serait mieux, au risque de finir par t’étioler. Pourquoi t’empreint-il ?
Comment le connais-tu ? Le reconnais-tu ? Nul ne le sait vraiment. Il est des théories quant à
son hypothétique accès… l’acceptation de son sort… le contentement de ses possessions… le
malheur des autres… l’onirisme… l’imbécillité… Les mêmes causes ne produisent pas les
mêmes effets. Il est un incoercible, fonction de l’individu, modifiant le paysage… et nous
perd. Nous passons à côté de l’heur, sans le voir. Il est une trouée dans le malheur, une
accalmie.
D’entre nous se sont essayés à le traquer, marchant sur ses traces… de le débusquer de son
antre… de le domestiquer. Jamais ils n’ont pu toucher son repaire. D’autres le possédant, se
sont enfuis de peur qu’il ne les précède. L’animal est rusé et libre, agissant à sa guise, n’en
faisant qu’à ses envies. En cette matinée donc, je l’ai croisé fortuitement. Il traversait ma
route, quand mes phares l’ont mis en lumière. L’ont-ils ébloui au point qu’il n’osa plus
bouger ? J’avançai vers lui lorsque, à sa portée, d’un bond il se rua sur moi sans que je m’y
attende. Il me lécha, montrant son affection. Je me laissais faire. Sa langue était si douce. Elle
eut un effet apaisant, réconfortant. Rendu sur mon lieu de travail, je dus le délaisser. Il sembla
comprendre. Il se coucha en chien de fusil sur le siège passager, paraissant aspirer à
m’attendre. Lorsque je rejoignis mon véhicule à midi, il avait disparu. Sans doute fut-il appelé
ailleurs. Me fallait-il le partager ?
Regagnant ma demeure, je crus le percevoir. Etais-je déjà en proie à la nostalgie ? Espérais-je
le revivre ? Je l’embrassais au même endroit, revenant sur mes pas matutinaux. Il était là,
étendu tout son long de la voie. Me sentant venir, il se redressa. D’un bond pendant, il s’invita
à mon bord… à mon corps. Je le menais en mon foyer, où ma femme nous espérait. Elle
s’impatientait, ayant grand faim… de [ce] loup. Il resta avec nous le temps du repas, se
régalant de nos conversations… de nos faits et cestes… de nos bagarres avec les minettes…
de notre chahut. Il me raccompagna jusqu’au lieu de mon labeur. Il me salua et disparut. Je ne
l’ai pas revu de la journée. Il n’a pas daigné laisser un poil sur les fauteuils. Il est parti sans
donner un signe de vie. Je le regrette déjà. Reviendra-t-il ? Il est de ces êtres dont la
compagnie vous ravit.
Je sais à présent qu’il n’est pas un mythe. Je le pensais consanguin du dahu… ou de
l’arlésienne. Repensant aux parents de Nathalie, je me dis qu’il a dû délaisser leur foyer
depuis des lustres. Sa lumière s’est éteinte, les plongeant dans les ténèbres. A les penser
esseulés, vivant si peu… dans l’attente de la faucheuse… se délectant des quelques moments
où nous leur rendons visite, ils me font pitié. L’ont-ils mérité ? Paient-ils une dette ancienne ?
S’agit-il d’un châtiment lié à ce crime d’antan ? Je m’abstiendrai de les juger. Leurs jours
suffisent à leur peine. Ils sont de ces vieux résignés, consumés presque… ce feu au cœur de
l’hiver… épuisant le temps à jeter des cailloux dans l’eau… jusqu’à ce qu’il n’y ait plus de
caillou ou d’eau… le passant à jeter des miettes aux canards ou à nourrir les bestioles
orphelines. Ils tapent parfois le carton, ne songeant plus à lire les cartes, à leur condescendre
une quelconque signification. L’avenir est derrière eux. Il est si loin. Leurs racines sont
lourdes. Leurs os commencent à gémir en vieux bois. Ils n’ont plus que de rares plaisirs…
guère celui d’être ensemble. L’usage a supplanté l’amour. Le bonheur est-il seulement venu
les lécher un jour… une heure… une minute… une seconde ? Je refais la route demain,
espérant recouvrer mon ami en liesse.
66
A toi que je ne connais pas en corps…
Au sujet de l’imbécile et de l’heureux, ta mère (qui est loin de l’être) était en train de regarder
un téléfilm lorsque je l’ai rejointe au lit. Ce dernier traitait de l’esclavagisme, idiotement
(d’où l’allusion), sans doute dans le dessein de nous faire rire tout en faisant passer un
message sérieux. S’agissant du message proprement dit, la fiction a un temps de retard sur la
réalité. L’asservissement moderne ne consiste pas qu’à enfermer un travailleur émigré, le
retenir en le privant de ses papiers, l’acculer à vivre dans la peur des lois de police et ce, pour
abuser de lui physiquement ou moralement… à ne pas rétribuer son dur labeur, exercé avec
une amplitude dépassant tout entendement. Il est une servilité plus vicieuse, licite celle-là, une
sorte d’inquisition obligeant les salariés à croire aux vertus d’un travail peu rémunéré et
émancipateur. Elle se fonde sur l’incubation15… la culpabilisation du privé d’emploi qui
abuserait de la société et dont il conviendrait de limiter les ressources pour le taire. Ce pseudo
démon (fléau nécessaire symbolisant le mal) permet aux saigneurs d’abuser de quiconque tout
en incarnant le bien… ce schème manichéen. Ils usent à loisir d’une force de travail craintive,
acceptant sans se révolter d’être peu rémunérée, au risque d’être affamée et exclue à son tour
de la société. Ainsi, loue-t-elle ses services… se vend-elle par voie contractuelle à ces
vampires, comme elle le ferait avec le diable. Subtilement, les nobliaux et autres bourgeois
sont parvenus au prodige de substituer le prolo au « sauvage » d’antan. Au travers de la notion
de classe, ils ont légitimité qu’ils soient des « citoyens » de conditions inférieures pouvant
être fatalement exploités à merci. Ils ont privé ces derniers de prébendes en leur laissant de
croire qu’ils étaient les bons samaritains, charitables, permettant à leurs victimes de
survivre… d’exister en leur sein. Ils sont à la fois les bourreaux et les libérateurs… le bras qui
punit et la main qui caresse… qui prive et nourrit. Face à la réticence des néo-serfs de
perdurer en cet état exsangue, désirant un juste partage, les maîtres insatiables ont décidé de
contenir la plèbe en l’affamant un peu plus, de la rendre plus docile… de s’engraisser
d’avantages. Ils aspirent à mater les rares mutins dont la révolte les vouerait aux gémonies, les
jetterait à terre, les dépouilleraient de leurs privilèges… ceux de ne pas transpirer et de
s’enrichir matériellement par le biais de la sueur d’autrui. Ils ont décidé de s’attaquer au socle
rémunérateur minimum et de pouvoir jouir de la capacité à fixer librement la contrepartie
d’un travail, ainsi que les conditions dans lesquelles il s’effec-tuera. C’est la raison pour
laquelle nous serons dans la rue en ce jour… pour ne pas devenir des parias… pour que tu
viennes au monde mais un monde à notre image… Point en le leur[re].
Dans les sociétés organisées en castes, la conception de l’ordre moral et de l’asservissement
est profondément ancrée. Elles existent (ces conceptions) dans les nations aux racines
esclavagistes, colonialistes. Les dirigeants de notre pays (Etat, financiers, entrepreneurs…) les
envient. Aussi, tendent-ils ces dernières semaines à restreindre nos droits fondamentaux, sous
divers prétextes fallacieux. Ils nous effeuillent pour s’en revêtir. Notre affranchissement sera
dans la mise en place de sociétés parallèles, les affamant et les excluant à leur tour… les
détrônant. Il nous faut cesser de nous confondre, en briguant leurs « grands chemins »…
stériles. Car, les sociétés incapables d’anticiper, devenant élitistes, sont des sociétés
agonisantes. Le capitalisme est par conséquent moribond. Je n’aspire pas à ce qu’il m’entraîne
dans sa chute. Ainsi, vais-je m’efforcer d’en scier le tronc mort et le faire choir avant que je
ne sois en dessous.
Avisant ma femme de dos, en génuflexion, le salon empli de bougies et de volutes d’encens,
oyant une musique mystique, je l’ai cru possédée par le Christ. Je me suis demandé si je
n’arrivais pas à l’impromptu… n’étais pas en train de l’interrompre en sa prière. Il n’était
point question de dox-au-logit mais d’un miracle. Elle s’affairait à ranger. L’événement est
15
De l’incube.
67
Journal d’un futur père.
suffisamment rare pour qu’il fût mentionné. Il trouve donc toute sa place en cet ouvrage. Je
lui soulevais ledit fait rarissime. Elle me répliqua s’ennuyer à un point tel, que l’ultime
occupation en ce cas précis fut celle-là. Quel dommage qu’elle ne s’ennuie pas plus souvent !
Je lui suggérai la prochaine fois de joindre l’utile à l’agréable… de braquer une banque… en
tous biens toute odeur. Elle aurait juste à quémander au guichetier de lui abouler le grisbi des
coffres… faute de quoi elle retirerait ses pompes… funèbres. Il n’aurait pas tenu dix secondes
à cette attaque chimique en règle… ni les clients.
J’avais pensé de prime abord, foulant le seuil de notre appartement, l’appréhendant en telle
posture, de ne pas la déranger… me contenter de la contempler… en sa contemplation. Je me
suis dit que le Saint d’Esprit me faisait sûrement le coup du Père Joseph. N’aspirant pas à
passer pour un cocu notoire, je rompais ce coït spirituel en l’interpellant. Je me voyais fort
mal t’expliquer que j’étais ton père sans l’être vraiment… que ta mère était enceinte par
opération idéelle. Ça aurait fait tâche dans l’entour. Nous eussions passé pour des jocrisses.
Aussi ai-je préféré pour le bien de tous, lui faire cesser instamment ces ob-cène-ités. Je ne suis
pas jaloux… quand même ! Si Jésus avait voulu l’épouser, il lui eût fallu l’appeler à le
servir… ne pas attendre notre mariage pour venir la tenter… l’attenter dans ses songes.
Je n’ai pas accepté d’endosser la fonction du charpentier. J’ai parlé de toi à l’une (non la
moindre) de tes futures grands-tantes paternelles. Elle s’inquiétait de la santé de ta mère… de
la tienne. Nous avons abordé le sujet de l’enfant, de sa naissance à l’adolescence… de
l’adulte… des problèmes inhérents à chaque période. De la richesse d’être parent, nous avons
bifurqué vers un pragmatisme dont je n’ai causé à ta mère, de peur de la soucier un peu
plus… n’en peut plus. Il est bon qu’elle ne sache pas tout a priori. Elle n’aurait plus
l’avantage de la surprise et de l’expérience. Elle risquerait de sombrer dans une dépression,
t’empreignant par capillarité en ta gestation (gesticulation) de ses noirceurs. Je n’ai évoqué
que les bons aspects de la grossesse et de l’accouchement, lui masquant les mauvais. Il ne
s’agit pas d’un mensonge… d’une simple omission. Je lui ai remis du baume au cœur… au
ventre. Son sein commence à gonfler de tes formes. Je suis impatient de les apercevoir lors de
la prochaine échographie. Il paraît qu’à ce stade, je pourrais t’embrasser dans toute ta réalité,
ta complexité presque achevée… ta splendeur… ta vigueur. Ayant un peu de place dans ta
bulle, tu devrais t’en donner à cœur-joie avant d’être réduit à l’immobilisme. L’un(e) dans
l’autre, vous devriez finir dans le même état précédant votre libération concomitante. Lors,
vos chairs devraient se désunir. Là, j’existerai… en tant que père.
La délocalisation, source de nos maux, est une imbécillité faisant le bonheur des industriels.
Elle repose sur une « logique » économique à très court terme. En transférant le travail vers
des pays pauvres, les négriers n’augmentent pas le pouvoir d’achat de la main-d’œuvre qu’ils
exploitent. Ce n’est point leur but, ni leur souci. Ils s’exécutent dans le dessein unique
d’accroître leurs profits par la diminution de ce qu’ils nomment les charges sociales... de faire
une plus-value… plus importante. Ils maintiennent leurs serfs dans une pauvreté ad hoc, les
empêchant de consommer leur production, affaiblissant leur pays d’origine par privation
d’emploi et de revenu. Ils rompent l’équilibre… c’est-à-dire la relation sine qua non du
salarié-consommateur, pour en faire un hère nécessaire. Leurs marchandises importées
deviennent inabordables. Privés de revenus, les salariés remerciés ne peuvent se les offrir. La
consommation se restreint. Les chantres du libéralisme se voient contraints de baisser les prix
et les marges sur leurs produits, créant une concurrence déloyale, entraînant la chute de tout
leur système économique… C’est la raison pour laquelle j’affirme que les libéraux sont des
cons, ne voyant pas plus loin que le bout de leur porte-monnaie, doublés d’assassins (puisque
œuvrant avec préméditation)… des parasites épuisant les états dans lesquels ils s’implantent,
68
A toi que je ne connais pas en corps…
en sucent la moelle à des fins purement mercantiles et personnelles. Il faut arrêter de dérouler
le tapis rouge à ce genre de sangsues, les condamner pour leurs crimes… avec ou sans loi.
Il faut de concert supprimer la Bourse, caution de leurs exactions… lieu d’intrigues… cette
association de malfaiteurs. Autour de la corbeille se trament de vils complots… des
attentats… à la pudeur. Les maltôtiers16 sont des terroristes exhibitionnistes… leurs actes
étant d’une rare violence et destinés à engendrer un climat d’insécurité pour renverser les
gouvernements gauchistes. Leurs bombes sont des Offres Publiques d’Achat, Offres
Publiques d’Echange… l’éclatement des normes permettant les licenciements. Au lieu de
criminaliser l’action syndicale et les faits de grève, le gouvernement actuel devrait arrêter ces
homicides… Les manifestations de ces derniers temps ont été ponctuées d’incidents sans
précédents. Les ceux aspirant à bloquer une route… faire montre de leur colère… ont été
menacés d’être embarqués ou placés en garde à vue. Les routiers faisant grève et tentant de
paralyser le pays, se sont vus retirer manu militari leur outil de travail… leur permis de
conduire. Les copains ayant détruit des champs aux cultures mortifères, se sont vus
condamnés à de lourdes peines. Au pays de l’argent roi, les indi-gens sont des scélérats. Des
prisons sont en construction… d’en embastiller davantage.
L’expression est une liberté qui se raréfie car une arme redoutable d’opposition… lorsqu’elle
est utilisée à bon escient. Les vampires le savent. Ils la craignent. Aussi, souhaitent-ils
l’émergence d’un pouvoir poujadiste… fasciste. Ils briguent nous taire… nous mettre à terre.
Je n’y poserai pas un genou, ne plierai pas. Ils joncheront le sol avant moi. Je te le jure. Je ne
fermerai pas ma plume. Je ferai couler mon encre…. et dans ses flots, j’emporterai la déraison
de tous ces maîtres. Je m’éver-tuerai à démontrer leur perfidie. Je m’épuiserai à dénoncer
leurs méfaits encore… et en-cor. Plus ils m’acculeront, plus ils nourriront mon acrimonie. Et
je suis affamé. Je serrerai toujours les dents s’il le faut mais, tôt ou tard, mes crocs
revendiqueront ce qui nous est de droit. Je répondrai à hauteur de l’attaque… Nous vivrons
mon enfant, je te le jure.
Des pans de mon passé (paons en l’espèce puisque roues d’infortune aux yeux multiples)
ressurgissent. Des ectoplasmes manipulateurs ou opportunistes jaillissent… de mettre à
l’épreuve ma sagesse naissante. Espèrent-ils me prendre en défaut… éprouver mes
convictions… mes expériences ? Ma décision de ne plus rien décider est heurtée. Il en est de
même de mon désir de me laisser mener vers ce que… et où je me dois d’être. Je m’étonne de
mes actes en retour. Pour une fois, je résiste à la tentation, réplique sans succomber aux viles
blandices. Je demeure serein et clair dans mes apologies. Je reste naturel sans succomber aux
succubes, ne joue plus ce sinistre personnage… un brin gouailleur… vantard… ayant sans
cesse le besoin de se mettre en avant… atteint jadis dans son amour propre, complexé d’être
rabaissé, intimidé, rongé par son affect. Je n’ai plus cette nécessité d’être admiré… d’être
envié… brillant… aimé de tous. Il est difficile d’être soi, d’atteindre sa destinée… sa
destination… de réussir sa confrontation… se trouver au sein du dédale existentiel.
Qu’aspirai-je d’être lettre morte et m’éver-tuai-je à le rester, dilapidant mes forces sans
compter ? Alors qu’être au pied de la lettre… est si reposant.
Je pense avoir trouvé ma voie. Je brigue plus d’être ce tiers… n’envie quiconque… ni ne me
dévalorise. Je ne suis ni en compétition, ni en concurrence… n’ayant plus de problème d’ego.
Ce que je suis in fine, me contente. Je ne désire plus détenir la science infuse… un savoir
encyclopédique… réponse atout. Réfléchir ponctuellement, à un problème donné, y apporter
ma propre solution, une vérité, suffit à ma joie. Je propose… d’aucuns disposent. J’ai trouvé
16
Maltôtier : n.m. qui lève une maltôte (perception d’un impôt indu... exaction), un nouvel impôt sur le peuple.
69
Journal d’un futur père.
quelle fourmi il m’appartenait de devenir et mes tâches inhérentes. Je suis un parmi un
ensemble indivisible… un ingrédient participant à l’homogénéisation du gâteau. Je ne me
souhaite plus la cerise. Au sein de la masse, j’ai trouvé ma place. Elle n’est ni pire, ni
meilleure qu’une autre. Elle est… et cette condition m’emplit. C’est la raison pour laquelle je
reçois souvent la visite du meilleur ami de l’homme : l’auto-cyon.17
Mon bonheur déteint sur ta mère. Depuis quelques jours, je ne la reconnais plus. Taciturne et
maussade, elle n’est plus. En lieu et place, s’épanouit une jeune femme. Cette fleur éclose
rayonne à mon pendant… bourgeonne non plus sous l’effet des hormones. Elle ne rate aucune
occasion pour me taquiner… ainsi que notre entour. Elle ne cesse de plaisanter, de faire le
pitre ou la folle. Elle rit… remue… et tout ce qu’elle touche. Elle égaie nos jours pluvieux…
plus vieux. Elle semble avoir recouvré cette jouvence, cette appétence de la vie. Je retrouve
celle que j’ai épousée… celle qui m’a ravi… et mon cœur. [J’eusse pu dire « au lit », car une
bonne pâte. Je ne l’ai pas jugé utile car trop réducteur.]. A propos d’appétit, elle vient de me
dire que nous n’avons plus grand chose à manger. Je lui réplique que nous nous nourrirons
d’amour et d’eau fraîche. Là, je ne la dévorerai plus que des yeux…
L’âme de Cupidon est un églantier. Le fourbe a semé sa graine en mon sein, sans me dire
comment le cultiver. Je m’y suis évertué durant des dizaines de printemps, rougis-sang ses
fleurs de ma timidité. M’en approchant, dès que je l’ai fleuré en taille et en couleur d’être
cueilli, j’ai approché ma main. Je m’y suis piqué. Mes doigts se sont entaillés… ont pissé
l’amour… de concert, mon cœur. Il a fallu quelques hivers pour abattre ce breuil âprement
soigné. J’ai effeuillé chaque bouton de sentiment en de sombres histoires, les ai corps-rompus
en de viles bises. Il ne me reste qu’une rose sauvage, magnifique… que je n’ose frôler… de
peur de l’étioler. Je crains de ne plus avoir la dextre verte pour l’épanouir. Je suis refroidi. Les
gestes contenus d’ef-froids. Je ne sais plus conter fleurette. Il me faut réapprendre à fleureter.
Me le faudra-t-il en autan[t] de printemps que jadis ? J’ai si peur de la gâcher et
concomitamment de passer à côté d’elle… qu’elle ne se fane… délaissée en mes
appréhensions.
Je reviens de l’érèbe. Au royaume d’Hadès, je n’ai plus tutoyé l’hymen mais la géhenne. Mes
mots se sont taris à force de s’épancher veinement. Mes égéries ont flétri mes sourires. Et mes
vers ont laissé la place à d’autres plus morbides. Le silence les a éteints et permis cette
vacance. De ma bouche pleine, il ne reste qu’une peine… à dire ce que je ressens. Reclus dans
la noirceur, je ne sais plus distinguer les nuances des teintes. En ce lieu commun où les autres
m’usent, il est cette muse… qui m’amuse. Je sais que sa peau aime mes poèmes… qu’elle se
languit de ma poésie. En ses yeux, je vois des étoiles défiler… s’étirer de passion. Il est des
aubes et des aurores… la promesse d’un univers… et de m’extraire de mon chaos. En chaque
lueur filante, il est un vœu… une promesse extatique. Dans ses châsses dansent des
brandons… les lampyres d’une nuit d’été. Il n’est qu’à souffler pour les enflammer. J’ai le
souffle coupé… et de m’être époumoné… et de ne pas être à la hauteur de ses attentes. Je me
dois d’en trouver un second. Sera-t-elle patiente ?
Pardonne-moi mon amour de ne pas savoir t’embras[s]er en chacun de tes éclats mais,
d’autres gisent en mon esprit. Il est des plaies… des macules difficiles à effacer. Donne-moi
un peu de temps… celui de la cure. J’ai épuisé ma chair contre d’autres moins douces et
moins saines que la tienne… que toi. Il me faut revenir de na-guère, recouvrer ces sensibilités
élimées au fil des coups… des feintes… ces émotions défuntes. Soldat de l’amour deve-nu,
17
Auto-cyon : jeu de mot reposant sur le substantif : « otocyon »... renvoi à « auto » (du grec autos signifiant :
soi-même, ainsi qu’à l’abréviation d’automobile) et « cyon » (du grec kuôn signifiant chien).
70
A toi que je ne connais pas en corps…
sans cesse en lice… en lys avalé, j’ai remplacé mes fleurs fauchées par une cuirasse
circonstancielle. Là, je n’ai plus cette impudeur nécessaire pour m’en défaire. Je te sais
capable de m’en dévêtir, tant tes caresses me désarment. Si tu m’effeuilles, sans doute
redeviendrais-je ce jardinier.
J’ai fait tant de promesses que je n’ai pu tenir, en ce sens où j’ai épuisé mes mots avant toi…
pensant avoir trouvé la personne les méritant, je les ai prononcés et par-là même dépouillés de
toute signification… de toute intensité. Je m’aperçois que toi seule eût dû les lire ou les ouïr.
Te les dire après toutes celles-là, serait pour moi une trahison… un serment d’hypocrite.
Aussi, compensé-je mon mutisme par mes actes… au lieu de belles paroles. Mes verbes sont
en chacun de mes organes. Ils sont ma voix. Lorsque je te touche et me répands, sur tes
téguments, j’étale mon lyrisme. Et dans tes cris, naissent les miens… mes écrits. Mon plus bel
ouvrage, est cet enfant que tu portes… mon amour en exhorte. Cette fille ou ce fils contient
tout ce que je ne sais plus te déclarer. Sa genèse sait et saura me tirer les vers… les vers du né.
En sa naissance, je serai empreint de grâce. Elle ou il me rendra ce dont d’autres m’ont spolié.
Là, je saurai te couvrir de mes trésors, à n’en plus douter.
Je me prépare pour un énième départ… une virée de deux jours en région nordique. Je mets à
profit le retard relatif de mon « chauffeur » pour jouer avec ma-Neige… la faire tourner
comme un fauve… bondir… rugir… sortir ses griffes… ouvrir sa gueule… aller… venir…
attraper le pompon. Elle aurait droit à un tour gratuit… Je l’abandonne bientôt à un repos
coutumier… la bête à son somme. L’heure de vous laisser approche. J’embrasse ta mère puis
rassemble mes affaires. Mon conducteur est à la porte. Le top est donné. Je pars…
péniblement. Je traîne la semelle et les quelques bagages. Je descends le vieil escalier de
l’immeuble… des pléthores de chaussures avant moi… différentes époques et générations ont
dû le fouler pour qu’il se trouve en tel état pitoyable. Adieu la clinquance et le prestige de
jadis… mal éclairé de surcroît. Je tire l’antique lourde en fer forgé et grinçante. Là, m’attend
ton futur parrain avec une luxueuse voiture louée pour la circonstance. L’attente a payé. Nous
avons bénéficié en guise de dédommagement d’un modèle supérieur. Chauffeur et berline, tu
dois penser que ton paternel a viré sa cuti. Adieu prolétariat et camarades. Vive le
capitalisme ! Non, je n’ai renié ni mes origines, ni mes convictions. Pour combattre son
ennemi, il faut en connaître… toucher un – un temps soi[t] peu – de son existence. Cela me
permet d’anticiper ses réactions. Comment mieux l’appréhender qu’en me commettant, me
vautrant parfois dans l’apparat ?
Je vais mettre mon absence à profit, joindre l’utile à l’agréable… manger ce que je n’ingère
pas chez moi. Nathalie n’aime pas certains plats. Je vais donc consommer des mets
dispendieux… notre direction régale. Je ne vais point me priver. Dépenser des fortunes
– certes relatives – en alimentation m’ennuie d’ordinaire… sachant comment elles finissent…
leur issue impure. Car acquérir un produit finalisé ne me paraît d’aucune utilité… autant
l’acheter et le jeter sitôt. Je vais essayer de me réconcilier avec mon estomac… en fin
gourmet, il se délecte des rares moments de bonne chère. Songer que le porte-feuille de mon
employeur est mis à mal, aux rudes épreuves du couvert, nonuple mon plaisir. J’en ai l’eau à
la bouche. J’ai néanmoins un regret… que ta mère et toi, vous ne puissiez pas partager mes
ripailles.
Durant le voyage, je ne suis traversé par aucune ataraxie car arraché à mes racines. Même en
transport luxueux, je ne puise aucune joie… hormis entre amis… cette jubilation indicible de
faire agonir l’autoradio… de l’entendre s’égosiller en des chansons nihilistes. Le confort
m’emmerde, davantage lorsqu’il est poussé… effleure le paroxysme. A croire qu’on ne
touche un sentiment d’existence uniquement dans le tourment. Privé, elle devient insipide,
71
Journal d’un futur père.
monotone. Comment font tous ces notables pour lui trouver un intérêt ? Est-ce la raison de
leur refuge dans l’illusion ? Nous arrivons en notre point de chute… en cet hôtel vieillissant…
presque inconfortable. Je renais en y pénétrant. Je dépose mes affaires et me presse à la table.
Il me semblait avoir conservé un meilleur souvenir de sa cuisine. Une digestion pénible en
appellera une seconde. L’on est mieux servi par soi-même… ou sa femme… Reste cette
jouissance d’avoir fait les poches… dépensé l’argent d’un néo-libéral… que cet argent finira
avec une vile odeur…
Mes absences sont prétexte à de fiévreuses retrouvailles avec ta mère. Quant au confort, je
l’avais dénoncé… en ses causes et méfaits, lorsque j’étais membre d’un Comité d’Entreprise
Européen. C’était la raison de ma démission… des dépenses somptuaires… de taire les
élus… faire de cette instance… une vitrine « sociale ». Certes, ces aises sont une
revendication pour les représentants du personnel d’être traités au pendant des employeurs…
d’autant que les ressources de l’entreprise proviennent de la sueur des salariés. A force d’être
invités à péter dans la soie, d’aucuns finissent par oublier le coton pourtant suffisant. Ce n’est
pas une aspiration de la masse, ni comprise ou partagée par elle. Les dirigeants syndicaux
deviennent des stéréotypes.
Ainsi, est-il des intellectuels à l’intelligence mal placée ou artificielle… des contest-à-taire
ayant une opinion sur tout… surtout une opinion. Ils croient se conférer une aura… un
sacrement… leurs paroles impénétrables touchant au sublime. Les marioles s’envolent… les
aigris restent. Il est ceux qui parlent en s’écoutant et n’entendent pas leur(s) interlocuteur(s)
(interlo-cutter… s’évertuant à les couper pour en placer une), des Omphalos démesurés. Il ne
s’agit plus d’un nombril… un trou noir absorbant toute matière à son profit… tuant les étoiles
et brillant en leur lieu et place. Ceux dont le discours est élitiste… éli-triste… les restants de
la colère divine… prophètes en leur pays… apôtres d’eux-m’aime… dont nul ne comprend le
verbiage… ni la langue de bois tant elle est noyée… chargée de vanité. Etre ou ne paraître…
Les névrosés arrivistes n’ayant pas été comblés… dont la carrière n’est pas à leur hauteur… ni
leurs espoirs… des staliniens jouant du coude comme d’une arme redoutable et se servant de
la lutte syndicale pour parvenir à leurs fins… faims… étancher leur soif. Leur ambition prend
le pas. La collectivité marche au doigt, à l’œil car l’outil de leur quête… de leur mégalomanie. Il est les mi-figue, mi-raison ne voulant pas d’histoire. Aussi, suivent-ils la direction
donnée sans broncher. S’ils s’exécutent avec zèle, ils obtiendront une fonction insigne de leur
abnégation… la force tranquille.
Il est ceux se demandant ce qu’ils font encore là… présents physiquement… mais plus
intellectuellement… ceux qui s’en sont allés par l’esprit et demeurent par habitude ou
résignation. En résumé, ils sont le reflet de la société… des capitalistes honteux ou
s’ignorant… n’assumant pas leur vice… capitalisant sur leurs propensions… qualités ou
défauts… leur chance effrontée… leurs espoirs… leur fortune. Coupés de la base, ils en
oublient leur légitimité, finissent par transpirer ce(ux) qu’ils honnissent. Le pouvoir
transforme les hommes… quels qu’ils soient… qu’en soit leur vocation initiale. Ils se perdent
ainsi que la cause… en cette poudre jetée aux dieux… ils se voient déjà portés au pinacle…
aux nues. En cette foudre aux yeux, ils pensent faire des étincelles. Qui suis-je ? Un peu de
tous à la fois… ayant perdu la foi. Je ne crois plus en eux… à peine en moi.
Un second miracle (à moins que ce ne fût un mirage) s’est produit deux fois. Je n’évoque pas
la concomitance de deux dogmes s’entrechoquant. Il s’agit là de l’itération d’un même fait.
Dans ses pérégrinations nocturnes, ces onirismes fiévreux ou enfiévrés, ta mère bouge en tous
sens… en tous ses sens. Au cours d’un revirement de situation un peu brutal sans doute, elle a
72
A toi que je ne connais pas en corps…
senti ta manifestation… ton désac-corps. Alors qu’elle se plaçait sur le ventre, t’oubliant dans
ses délires… t’écrasant de son plaisir… de retrouver une position confortable délaissée par
nécessité… elle a perçu de faibles battements… d’horions réprobateurs l’éveillant.
L’événement étant princeps, il l’a arrachée des bras de son amant… de Morphée. Elle s’est
redressée… me réveillant dans son élan. Elle a placé ses mains sur son giron… de te sentir
davantage. Revenu(e) dans une position ad hoc, tu t’es tu(e). La communication s’est rompue.
Cette première prise fut brève… mais intense… que ta mère éprouva quelques difficultés à
succomber derechef à l’incube grec.
La seconde tentative eut lieu hier soir. Ta mère te provoqua sciemment… en bissant la
position irritante. Tu fus au rendez-vous… de gré… de force… faisant montre de ton
caractère déjà bien trempé… semble-t-il. Ce n’est pas étonnant. Tu as sans doute hérité de nos
affirmations réciproques. Ce doit être un beau chaos dans ta tête ! Tu frappas par trois fois les
entrailles de ta mère pour lui signifier de cesser instamment ses conneries… Deuxième serait
plus adaptée, en ce sens où (je le crois) elle sera suivie d’autres. Ce deuxième contact donc,
fut aussi bref que le premier mais plus extrême… car une confirmation. La communication est
établie… l’établis-sang durablement. Il vous (nous) reste à en trouver le mode… la manière
d’échanger intestine. En dehors de cet aspect « matériel », je suis émerveillé par ce pont entre
nos deux mondes. Sans doute seras-tu en capacité de nous révéler quelques secrets quant à la
genèse de l’être. Je suis excité à la perspective de nous apprendre mutuellement… et non plus
de nous envisager. A travers toi… par mes travers existentiels… sans doute vais-je
m’approfondir… prendre corps. Cesserons-nous d’être deux Objets Vivants Non Identifiés…
Celui qui domine la pensée, domine l’être. Les béni-menteurs l’ont compris depuis des
lustres. En leurs avis éclairés se dissimule une volonté d’autorité. Les religieux sont les
premiers libéraux de l’Histoire. De tout temps, ils se sont évert-tués à monopoliser les
connaissances, à concentrer les pouvoirs et les moyens d’y accéder. Ils briguent qu’un culte
unique… une profession de foi… la leur[re]. Toute religion est une entreprise capitaliste
vendant du vent. Elle arrête le bon grain et l’ivraie… l’existant et le corvéable à merci. Les
ouailles y de-meurent dans la terreur. Elles acceptent l’ordre moral et la soumission par
crainte. Cela les empêche de se rebeller et de condescendre l’abnégation. Leur salut est à ce
prix.
Notre gouvernement et tous ceux ayant des aspirations de pouvoir ont appréhendé ces vertus.
C’est la raison du rapprochement de notre Etat et de l’Eglise… de l’inquisition des
employeurs. Tout dirigeant croyant est un despote qui sommeille. Il s’appuie sur le dogmeaddicte… d’inoculer son poison… puis le dispense avec parcimonie. Il est le serpent de la
Bible, celui qui nous prend pour des pommes. Jouissant de l’usu-fruit, il ne connaît plus de
limites. Notre liberté réside dans notre propension à nous concevoir et non de nous laisser
ébaucher. Il nous appartient de nous conduire en somme… non de nous éconduire en bête.
L’émancipation est dans l’éradication de tout pollueur spirituel.
L’homme est un loup pour l’homme. Cependant, les loups ne se dévorent pas entre eux.
Aussi, ont-ils besoin d’agneaux pour subsister. Les libéraux de toutes espèces, de tous poils
(dans la main) cultivent ceux-là. Ils se partagent le savoir et les rôles, les prérogatives aux fins
de perdurer. Ils s’apprennent, s’imprègnent les uns des autres, se reconnaissent à l’odeur…
celui de l’argent. Le fléau est bien ce dernier… On le retrouve en tous nos maux. Ne soyons
plus de cette gente que Panurge mena à sa perte. Réapproprions-nous… et l’outil de nos
confrontations au risque de ne plus exister. Il nous appartient de les affamer… qu’ils se
bouffent la gueule… et de ne plus nourrir la folie de leur grandeur.
73
Journal d’un futur père.
Je suis un apprenti de la vie et le demeurerai jusqu’à mon terme… ma finitude… à n’en point
douter. Je suis un apprenti de la vie perclus d’hypothèses et très peu de certitudes… certitudes
que je remets, à l’instar de Pénélope, inlassablement sur le métier de mes confrontations,
qu’elles ne m’endorment pas dans un confort intellectuel… de les éprouver. Aussi, n’attends
pas de moi que je sois un maître mais, un accompagnateur apte à te montrer certaines ficelles
dudit métier. Je te montrerai certains raccourcis que tu emprunteras… ou non… suivant tes
desiderata. Je serai ce socle sur lequel te reposer et duquel il te faudra t’émanciper pour
gagner ta propre raison… ton propre raisonnement. Je serai un axiome sur lequel tu pourras te
construire, à la condition de toujours remettre en cause cet axiome et de parvenir à fonder une
philosophie existentielle… sui generis… libre de ce postulat originel. Ainsi, quel qu’il soit,
qu’il s’avère ou pas, tu demeureras affranchi.
Je ne serai pas ce matador… sur mes lauriers… entrant dans la lice en tenue de poupée… de
confronter ma ruse à la puissance du Minotaure, devant un public susceptible de m’admirer.
Ce serait d’une prétention et d’une idiotie nompaires18. Je n’ai aucun problème d’ego pour
aspirer à me mesurer à telle enseigne… ni ne souffre du complexe de Thésée. Je ne ressens le
besoin ni d’être loué, ni de me transcender à travers autrui. Il n’est point d’intelligence à faire
montre d’une technique savamment apprise et restituée. En la mort de mon adversaire, je ne
ferai que la vile démonstration de ce que je suis plus bestial que lui. L’intelligence réside
plutôt dans l’acceptation de se défaire d’une tradition n’ayant plus de raison aucune car
barbare. Je ne serai pas ce fier… à bras… roulant des mécaniques pour épater la galerie.
Ayant trouvé ma place, je ne brigue pas d’en sortir… et moins de jouer un rôle qui n’est pas le
mien.
N’attends pas davantage que je te dise ce que tu te dois d’être ou de faire. L’existence étant
une confrontation, il ne m’appartient pas de la restreindre ou de l’orienter. Je te laisserai subir
tes échecs, que tu puisses en tirer des leçons. Je te donnerai mes avis lorsque tu me le
demanderas… ou te protègerai ta vie en péril. N’attends rien de plus… ou de moins… hormis
une affection et un support indicibles. Je te suivrai comme ton ombre… de te ramasser quand
tu trébucheras… de panser tes peines… non de les penser. C’est ma conception de l’objet de
père… une hypothèse parmi tant d’autres… puisque se fondant sur un a priori. Je ne dis
qu’elle n’évoluera pas dans la pratique… ou ne nécessitera quelque ajustement. Rien n’est
figé.
Ta mère me déclare te sentir de plus en plus. Il semble que tu commences à remuer davantage
en ses entrailles. J’ai voulu te faire écouter ma musique de « sauvage ». Il m’a fallu taire la
chaîne… il n’y avait pas de plaisir. Nathalie s’est plainte de ce qu’il ne s’agissait pas de
mélodie mais de cris et de bruits. Elle craignait que tu ne te mettes à bouger en tous sens,
excité(e) par le rythme… ou en proie à la peur. Je lui ai répliqué que si c’était le cas, ce serait
des headbangs et non pas de la frayeur. Elle n’a rien voulu entendre de mes arguments.
Redouterait-elle l’entame d’un pogo en son sein ? Je ne sais. Quoiqu’il en soi[t], je me
rattraperai plus tard. Je lui accorde pour l’instant le béné-fils du doute.
Je profite d’un silence insolent pour prendre la plume. Il n’est ni chatte, ni oiseau, ni voisines
du dessus, ni troupeau d’éléphants tonitruants descendant le vieil escalier en hurlant. Il n’est
point de circulation à l’extérieur, ni de klaxon énervé. Il n’est point de Nathalie et de musique
commerciale ou religieuse. Il n’est que ce silence, moi et peut-être toi qui te complais à faire
des galipettes dans les viscères de ta mère. Je mets à profit ce moment privilégié où la
maisonnée est endormie, pour t’envisager en cette chair grandissante. Ton enveloppe est-elle
18
Nompair : adj. Sans pareil.
74
A toi que je ne connais pas en corps…
habitée de ton âme ? Est-ce toi qui l’anime ou les primes instincts ? Ton esprit fait-il corps ou
des allers-retours afin de s’habituer à sa nouvelle carnation ? Es-tu cette entité ou ne le serastu qu’à ta naissance ?
Je suis tenté de te révéler que j’ai mis le bazar au conseil, hier, en faisant application d’un
arrêt de la chambre sociale de la cour de cassation, quant à la représentation des parties. En
dépit de ma jubilation, je pense que ce journal n’est pas le lieu pour cela. Je voudrais te dire
que je me sens de plus en plus l’esprit d’un artiste… et pris de liberté… que seul la pratique
de mon art sait animer… Je retombe dans les travers dont je souhaite me débarrasser. Au
pendant des vieux, je radote. Aussi, songé-je à te dévoiler davantage de notre vie, sans pour
autant sombrer dans le sentimentalisme ou l’intimisme débridé. Je ne sais comment
l’entamer… par le présent… ou le passé. Tu connais déjà l’histoire de notre rencontre. Et,
chercher à en connaître davantage, serait de l’indécence. Je suis pudique au demeurant… ou
demeuré… pas prêt à m’étaler. Sache seulement que Noël approche, la neige s’annonce. Tu
ne les connaîtras pas cette année. Il te faut également appréhender que tu es au cœur de toutes
les interrogations… que la santé de ta mère. Quant à moi…
C’était trop beau pour être vrai. Les klaxons gémissent, les escaliers grincent, les voix
criardes apparaissent, ta mère se lève et met sitôt de la musique. Les chattes féales la suivent
comme son reflet et entament leur chat-hue. Nous reprendrons cette conversation plus tard, le
calme revenu. S’agissant de Noël (célébration de la naissance supposée du Christ), il doit se
retourner sur sa croix. Cette fête est devenue commerciale… celle des marchands de jouets…
de bijoux… de dispensable… Ledit Jésus en son temps… en son temple… les avait chassés.
Les charognards ont reparu et se repaissent de son trépas. Il est vrai que le messager avait
invité à se nourrir de son corps. Ils ne se font pas prier. Tout est bon, semble-t-il, comme dans
le cochon… excepté le sphincter peut-être… Ils n’en perdent pas une miette… n’en jettent
leur part aux pauvres. A tel point qu’ils ont fait des émules. L’Eglise tout entière s’est fête
marchande… alléchée par l’aubaine… jusqu’à vendre l’existence de son icône… et les
produits dérivés. Est-il encore question de religion ou de marketing ? A qui une place au
paradis… à qui un cierge… à qui une relique… à qui une Bible ? Acquis…
Concernant le faux barbu, tout de rouge et de blanc vêtu, n’y crois jamais, ni en sa légende. Il
est le fruit d’un marchand de soda opportuniste. Il s’agit d’une sorte de preux défendant sa
marque (puisque le bonhomme en porte les couleurs), d’une vitrine vendant chèrement ses
services. Ce fourbe abuse de la crédulité des gosses… de faire les poches aux parents… leur
forcer la main. Le brigand fait croire qu’il distribue gratuitement des cadeaux aux marmots
sages, la nuit lorsque tous les chats sont gris. Le vieux doit l’être également (c’est une
syllepse)… gris… pour raconter des conneries grosses comme lui… gris à force de ramoner
les cheminées dans lesquelles il est sensé se commettre. Les cliquètements annonçant sa
venue, ne sont mie pas de grelots mais des bouteilles qui s’entrechoquent dans sa hotte.
L’ancêtre a une descente que nul n’aimerait grimper à vélo ! Si un jour, le vieillard
cacochyme se penche sur toi, crache-lui à la gueule. Ce sera de la légitime défense… et de
conso-mateurs.
Il m’a longtemps semblé qu’un auteur, un intellectuel devait tout connaître, tout écrire… être
omniscient. C’était la raison pour laquelle je réfutais d’être affublé de l’une ou de l’autre
étiquette, n’assumant pas d’apparaître en ces fonctions… car inculte et complexé de l’être. Je
me pensais une macule. Je rédigeais… étalais mon encre fangeuse sans me poser la question
quant à la qualification. Avec le recul, j’ai saisi que ma « littérature » (lie-de-ratures) prenait
corps dans mes incertitudes… mes errances naissant de mes ignorances. Ainsi, l’intelligence
n’est-elle pas un savoir absolu… plutôt de savoir analyser ses ingénuités et de leur donner une
75
Journal d’un futur père.
cohérence… appréhender un problème et lui apporter une solution. Cet ouvrage est ma
solution face au problème que tu me poses. J’embrasse que le rôle d’un écrivain est de
raconter le cheminement de sa pensée… que d’accoucher d’une réponse toute faite. Il est de
dépeindre la voie suivie… d’emmener dans ses traces… ses paysages… d’autres que lui. Ses
œuvres sont une peinture de mots. Là, je me revendique de ce genre de plumitif.
Puisque nous sommes dans le registre des questions, je profite de l’opportunité pour te
dévoiler celles qui me viennent inlassablement, me lassent. La plus récurrente, te concerne.
Souvent il m’est demandé : « Si je sais ce que c’est ? ». Je réplique : « Un être humain ! » et
poursuis en déclarant que ta mère et moi, nous en sommes soulagés… satisfaits. Nous avons
craint que tu eusses été un chaton, un chiot, un oisillon, un poisson ou un éléphanteau… très
tôt. Dans ce cas, il eût fallu une césarienne pour te mettre au monde et un temps de gestation
que ta mère n’eût pas supporté. Je commence à la connaître… Nous sommes rassérénés ayant
la confirmation que tu sois bien un petit d’homme. L’interlocuteur hausse alors les épaules et
itère en reformulant sa demande : « Quel sexe ? ». Etant donné que je me fous que tu sois un
garçon ou une fille, je rétorque que je ne veux pas le savoir. La réponse ne se suffisant pas
dans la plupart des cas, il me faut argumenter… légitimer mon choix. D’ordinaire tel se
respecte. Là, en matière de gosse étrangement, je dois me justifier – question de vie ou de
mort ? – par la métaphore du cadeau… du contenant et du contenu. Si l’inquisiteur agrée ma
réplique, je suis tranquille. Sinon, je suis l’objet de viles critiques, quoique n’ayant rien
demandé…
Je suis également interrogé sur les notions de l’échange et du partage. D’aucuns ne semblent
pas entrevoir la différence. Tout mon schéma de choix sociétal se fondant sur ladite
antinomie, il me faut développer mon idée. L’échange est le fondement du capitalisme. Le
partage, celui du socialisme. L’échange est intéressé… ce que n’est point le partage. Le
premier est l’objet de quelques individus. Le second est mis en commun, à la disposition de
tous. N’étant pas issu de la classe bourgeoise ou ni nobliau, je prône les vertus du second. On
pense ce que l’on est… ce que l’on naît. L’éclaircissement s’avère inutile puisque non
partagé… mon vis-à-vis aspirant qu’à échanger et ce, à la condition exclusive que mes
conclusions le remplissent. N’attendant pas une telle réponse, il ne l’est jamais.
La dernière question concerne l’état de santé de ta mère… ou du tien. L’ayant déjà abordée, je
ne vais pas m’y étendre.
Hermès est fatigué. Le temps semble s’être arrêté dans sa foulée. Depuis quelques jours, il a
suspendu son vol. Le satyre s’étire à n’en plus finir. Il se forme, se déforme en anamorphoses.
A tel point, que je ne le reconnais plus. Je n’en sais ni l’issue, ni le commencement. Telle une
palingénésie, il ne sait plus de fin. Le temps prend son temps. Il s’écoule d’un filet unique…
au compte-goutte. Il paraît me narguer. Je me languis de toi que je ne sais pas encorps. Il joue
avec cette souffrance. J’envie ta mère de pouvoir te ressentir. J’ai placé ma main sur son
ventre, sans parvenir à te frôler. Ma dextre bredouille… te bredouille mes maux… que le
temps vient taire. Elle est vide de vie… vide de sens. Nous demeurons séparés par un bastion
que le temps a érigé entre nous… un mutisme de chair.
Le dieu aux pieds si légers d’ordinaire, a le pas bien lourd. Il tire la patte, laisse des traces
indélébiles et profondes. Dans sa lyre, il n’est plus d’oiseau mais une cacophonie qui
m’enlace… me lasse… me lie à la folie. Cette liane me perd… me désespère dans un dédale
de faux pas. Le temps se traîne… m’entraîne lamentablement. Son compteur est bloqué
comme il s’est jadis enrayé sur mes vingt ans. Je vieillis. Mon esprit ne le sait pas. A l’instar
d’Achille, il erre sur mes talons tandis que mon être de-meurt dans son cours. Ses traits me
percent et me clouent. Il m’injecte son poison. D’Epicure, je n’en sais plus le nom… des
76
A toi que je ne connais pas en corps…
piqûres m’aspirent la raison. J’essuie l’amnésie au pendant du héraut. Le temps m’est devenu
un boulet et, ce corps, ma prison.
Je tourne dans ma cellule comme un fauve en cage, ne sachant comment épuiser ma
condamnation. Les semaines qu’il me reste à purger, sont autant de punitions. Que n’es-tu
déjà là ? Et moi, déjà las ? J’ai des barreaux plein le chef, mes semelles sont de plomb. Elles
m’atterrent… m’enterrent dans cette affliction. J’étais aux nues. Je me vautre dans la fange.
Mes ailes n’ont pas tenu. Triste sire, à quel Phébus dois-je ma chute ? Que ma paille est-elle si
courte et mon feu si grand ? Bon gré… mal Grées… j’ai plus qu’un œil et qu’une dent (certes
dure) pour achever mon périple… terminer mon Odyssée. Me serais-je trompé d’honneur,
gouré de champ ? Persée, montre-moi la Gorgone qui me pétrifie au-temps…
Ta mère vient de t’enlever pour une énième visite. J’ai préféré ne pas l’accompagner, me
confiner dans l’antichambre car ne pouvant pas pénétrer le cénacle. Empreint de débâcle, je
craignis de perdre mon temps. Je n’eusse pu me rincer l’œil. Aussi, pour l’heure, vais-je
m’employer à le tuer. J’irai vous chercher lorsque l’auscultation sera finie. Je viendrai après
ma bataille, à l’arrachée. Je suis en tête-à-tête, avec mes serpents et profite de l’aubaine, pour
tenter de les noyer. L’hiver s’installe, il me faut rompre la glace… et dans mon élan, ce
mouroir déformant.
Demain, nous entamerons l’autre moitié du chemin. J’espère que le plus dur est fait… que le
temps va se remettre en mouvement. Il nous incombera de laisser la grossesse se dérouler…
s’écouler comme une source en pente douce. A l’instar de ma douche, tu seras mon
inspiration. A moins que comme ce matin… ce mâtin, ce ne soit la porte qui m’insuffle
quelque idée en se refermant brusquement sur l’une de mes phalanges. Ainsi, lorsque je viens
te titiller des miennes, il me faudra prendre garde que tu n’aspires point à me les sucer ou me
les mordre (je parle de mes doigts.).
Nathalie a quitté le lit conjugal de très bonne heure. Ne parvenant plus à dormir, par peur
d’interrompre mon repos, elle s’est éclipsée pour se répandre dans la banquette. Là, elle a
épuisé ce temps félon en écoutant de la musique, en lisant. Nous avons fait chambre à part,
une partie de la nuit. Au petit matin, j’étais fort surpris de ne plus la sentir à mes flancs. Je l’ai
découverte ravie (non pas au lit) de me surprendre au levé, pour une rare fois. Je
l’interrogeai… de savoir si je l’avais dérangée d’une quelconque manière. Elle me répliqua
par la négative, m’exposant son insomnie. Nous n’avons pas itéré la singulière expérience
d’une communion par songes interposés, au cours desquels nous avions rêvé – quoique à des
centaines de kilomètres de distance – que nous nous caressions de concert. Nous avions fait
concomitamment ce rêve étrange et pénétrant. Etait-ce de la télépathie… de l’empathie… un
fantasme commun… une supplique inconsciente… un heureux hasard ? Nous ne sûmes.
L’artefact ne nous laissa pas indifférents. Nous ne pûmes l’essuyer de nouveau… ta mère
étant éveillée. Par extrapolation, se pourrait-il que nous parvenions toi et moi, à nous tutoyer
par ce biais ? Ce serait merveilleux.
La joie de ta génitrice fut de courte durée. Je la laissais souriante… la retrouvais en larmes.
Elle était éreintée de son ennui. Elle se remettait en cause… son existence jusqu’à ta
conception. Elle regrettait la promptitude des évènements, de ne pas avoir eu la liberté de
retrouver un emploi avant ta venue. Elle ne savait plus ce qu’elle voulait… ce qu’elle désirait.
Il est curieux de constater que nous sommes à ce point heurtés… meurtris par la relativité
temporelle. Elle m’est longue et ennuyeuse. Elle lui paraît courte et ennuyeuse. Nous nous
retrouvons au point de l’ennui. Ce socle ne semble pas suffisant… ni suffisamment solide
pour nous bâtir. Elle se sentait abandonnée de ses amies… esseulée. Toutes la fuyaient, disaitelle. Je lui ouvrais les yeux… de lui montrer qu’il ne s’agissait point d’amitié mais d’un
77
Journal d’un futur père.
intérêt reposant sur le besoin. D’aucunes viennent la trouver pour se débarrasser de leur
fardeau, acceptant d’échanger avec elle à la condition exclusive qu’elle veuille les en
défaire… ou de le porter en lieu et place. Combien de ses pseudo-amies étaient présentes à
notre mariage ? Une seule et encore parce qu’elle était son témoin, qu’elle ne savait comment
obvier la contrainte. Elle était si heureuse d’être parmi nous, qu’elle fit la tronche toute la
soirée. Les photographies en conservent la preuve à charge. Elles n’agréent Nathalie que
malheureuse et indolente à leur pendant. Ça lui pendait au nez… qu’elles s’en désintéressent
puisque apte à l’euphorie. Ta mère est en pleine métamorphose. Elle culpabilise de ne plus
être des leur[re]s. Je lui démontrais qu’il lui fallait se couper de ces coupes-roses… ces âmes
moroses… au risque de demeurer un bouton… de faner avant d’avoir pu s’épanouir. Ce mal
qu’elle subit, est nécessaire. Il lui faut accepter de mourir… pour renaître avec nous. Elle le
sait… se sait toute proche… mais cela lui coûte… de n’être plus un centre d’intérêts. Je la
rassure en lui déclarant qu’elle est le mien. Quant à l’ennui, elle va y travailler… promis. Elle
commence à être sage. Elle commence à être, enfin…
78
A toi que je ne connais pas en corps…
Cinquième mois :
A l’aube de ton cinquième mois, à l’aube de mon second mandat de cinq ans, tu vis en moi[s],
ce que je vis en années. J’ai passé toute la journée, hier, dans l’expectative… l’attente de la
résultante d’un an de labeur… nécessaire à la reconduite en mes fonctions prud’homales. Ce
ne fut pas sans mal. La concurrence est arrogante. L’enjeu important puisque l’aune de la
représentativité syndicale de chaque organisation. Au moment où je t’écris, je ne sais pas si je
suis réélu. J’ai veillé tard avant de m’endormir. Les médias annonçaient notre progression…
ou du moins notre maintien en tête au plan national. Je me méfie de tout médium… des
Cassandre, Pandore et autres aruspices. Il n’est de pires pronostics ou prévisions que celles
faites par les experts. Le mot ne se fonde-t-il sur « ex- » signifiant « ancien » ou
« expérience » voire « hors de » (pour quiconque ayant cessé d’être) et « pert » pour
« perte » ? D’après l’étymologie, ce serait donc des anciens perdus… ou ayant l’expérience de
la perte… offrant leurs opinions sur rue, au mieux-disant… à qui daigne les entendre. Ils sont
orientés, intéressés. Ainsi, ne peuvent-ils qu’être des oiseaux de mauvais augure…
J’ai néanmoins un bon pressentiment. Me fuyant… fiant davantage à mon intuition, je pense
qu’effectivement notre confédération fera un score honorable… à l’exception inexplicable…
inextricable de notre région. Nous sommes les seuls à demeurer près des réalités du terrain, à
l’occuper tandis que nos rivaux se contentent d’effets sporadiques par voie de presse. Notre
souci permanent reste l’individu confronté à son quotidien, non de devenir un prestataire de
service à la devanture resplendissante. Nous continuons à privilégier le contenu au contenant.
Toutefois, il est lassant de s’éreinter en campagne, sans parvenir à faire passer nos idées. En
dépit de notre proximité, sommes-nous toujours en phase avec les salariés ? Avons-nous une
image correcte et saine ? Car en ce triste monde… superficiel… tout tourne autour de
l’aspect. Quel est le nôtre ? N’avons-nous pas à le travailler, malheureusement ?
Je suis sur le départ… une nouvelle visite en terre nordique… au pays des ch’timis. Mon
chauffeur a acheté la feuille de chou du coin. Je l’épluche et y apprends ce qu’il était à
craindre. Nous avons progressé… excepté en Lorraine. Je referme le journal, m’essayant à
demeurer serein, à relativiser la défaite, bien que nous ayons perdu un siège dans ma section
et non des moindres… celui de notre président de chambre. Il nous faudra trouver un
remplaçant parmi les militants restant en activité. J’ai du mal à poursuivre ma rédaction,
quelque peu abattu et sans cesse dérangé par mon téléphone portable. Les gens n’ont-ils
aucune pudeur pour venir m’importuner dans ma douleur, certes relative… mon abattement.
A propos de légitimité, je m’interroge sur celle de mon combat. Ai-je raison de continuer à
prendre autant de coups, d’essuyer tant de revers… de cette foutue médaille trônant à mon
cou lorsque je revêts l’emploi de magistrat ? J’ai cette fierté qui me tient debout mais combien
de temps ?
Ta mère m’interroge quant à ma sensibilité de père. Ayant vu une émission ce matin sur cette
question et, au vu de la réponse de certains hommes, elle voulait toucher si je me sentais déjà
en cet emploi. Je lui réplique que j’ai abordé ce sujet dans mon journal et qu’à la différence
des femmes, il m’apparaît que les hommes ne sont ce parent qu’à la naissance, puisque coupé
de toute relation charnelle… intestine. Je n’ai de toi qu’une conception virtuelle,
conceptuelle… que je le veuille ou non, la nature en a décidé… disposé ainsi. C’est la cause
des écrits présents… me rapprocher de nous. Je lui demande si elle est déçue de ma réponse.
Elle me réplique par l’affirmative. Je lui renvoie la question… à savoir si elle se sent mère.
Elle acquiesce en me confiant la récence de sa perception… depuis qu’elle t’a senti remuer…
contester… vivre en elle. Je lui rétorque que c’est mon problème… j’aimerais être celui-là. Ce
n’est pas le cas et m’en désole. J’ai beau placer ma main sur son sein, je ne t’appréhende point
79
Journal d’un futur père.
physiquement. Au contraire, ma dextre ou ma senestre semblent avoir une fonction apaisante
sur toi. Aussi, me comparé-je à un sportif, calé dans les starting-blocks, prêt à entamer sa
course. Je m’épuise aux aguets du top. Tu me donneras le départ en me tapant dans la paume.
Je viendrai à toi. Ma foulée sera mon apprentissage… mon ascension… et la distance de la
discipline, le temps nécessaire pour t’appréhender. Je serai ce père lorsque je franchirai la
ligne d’arrivée… te porterai contre moi… te respirerai. Là, je serai papa, me semble-t-il. Pour
l’heure, je simule. Je me prépare mentalement.
Les larmes du vin (du dit-vin) et les humeurs de la vie, sont le sang de la mort. Qui les boit,
s’éteint à petit feu ou dans un véritable brasier infernal. Les perles de la déveine sont un
puissant acide qui ronge les chairs… les pourrit jusqu’à l’esprit. Mon ami a plongé ses lèvres,
deux-dents… dans le cratère. Tout son corps se rompt… se plie aux flammes de la tentation.
Sa soif est insatiable. Je le sais périr… sans savoir comment l’arracher à son enfer. Je le sais
souffrir, s’ouvrir de douleur. J’entends ses boyaux se tordre à la coulée du poison, sa tête se
détacher. Sa bouche reste collée aux douces sudations du trépas… sans pouvoir s’en défaire.
Il trans-pire dans le meilleur dégât… des gars. Il n’est pas méchant homme à jeun. Il le
devient dans son delirium, même très mince.
Au goutte-à-goutte, la malemort s’immisce en lui, en toute son anesthésie, sans mot et sans
bruit… imperceptiblement. Elle le connaît par cœur… sans doute mieux que moi… en toutes
ses faiblesses. Elle sait par quel biais l’attaquer. Elle joue de ses charmes, le frôle, exhale ses
parfums lorsqu’il est malheureux. Elle est cette pute offrant chèrement ses vertus. Il suffit
d’un baiser pour le faire choir entre ses draps… en sa lie. Elle déploie ses appas, se montre
généreuse, exquise… s’esquisse maîtresse. L’idiot est bouche-bée par l’effeuillage délicat.
Très vite le bas blesse. Là où elle n’était que caresse, elle devient cette poigne lui serrant la
gorge… l’enflammant… l’étouffant. L’air se raréfie, les verres le supplantent… apportent un
répit à la brûlure… avant que l’être eux-mêmes… de concourir au malaise. Le cercle se vicie.
Les yeux de mon ami enflent d’ardeur… de désespoir… de souffrance. Ils se gorgent de ce
vin le noyant. Son regard se perd. Ses sens se confondent. Il est cette torche humaine, ne
sachant plus que se torcher… ingérant cette eau léthifère qu’il croit apte à le circonscrire mais
qui attise… entretient le sinistre. Il était joyeux. Il est aigri.
Il boit pour oublier sa triste existence, ses ennuis. Il boit pour taire le jour et s’immerger dans
la nuit. Il boit pour ne plus s’affronter. Il s’emplit pour se sourdre… hors de lui… s’abrutir et
ne plus penser… pour panser sa géhenne. Il est cet autre in-vin-cible… des plaisanteries. Il
sort ce double… et de sa réserve… cet extraverti capable de vomir sa colère impudemment.
De ces maux, il fait un verbe vulgaire et ne s’aperçoit pas qu’il de-meurt. Il abandonne
l’individu gisant de se taire, pour revêtir les traits du moribond se tuant pour s’exprimer. Il est
doux… et son contraire… Sous ses dehors robustes, je l’embrasse d’une extrême fragilité. Sa
carapace lui est devenue trop lourde pour qu’il puisse nager. Il sombre tout en refusant ma
main. Impuissant, je le regarde s’essouffler. Je voudrais lui dire que je l’aime. Ces choses-là
ne se disent pas entre hommes. Je voudrais pouvoir l’aider sans être certain de savoir
l’extraire de cette in-femme de mauvaise vie.
Il ne se contente pas que de boire. Il se consume aussi… s’expire en chaque cigarette qu’il
respire. Il s’en va par tous les bouts… s’enfuit… se quitte par bouffée. Il se renonce en
volutes… s’épuise cendre après cendre. En cette voie lixivielle, il purge son mal-être ou plutôt
se détruit ne se songeant plus digne de vie. Croyant, il se vautre en chaque péché, punissant
Dieu de ne pas avoir répondu à ses prières. Il se punit… et à travers lui, le logo impassible…
malveillant… celui lui ayant conféré cette existence indigne et misérable. Je le regarde partir,
sans pouvoir lui dire « à dieu » puisque impie. Je l’observe s’enfoncer, pétri dans mon
80
A toi que je ne connais pas en corps…
mutisme, mon aboulie. Il faut bien mourir un jour. Toutefoi[s] mon ami, j’aimerais que tu
nous restes encore un peu. Mais si tel t’est difficile, alors j’espère qu’il ne s’agit que d’un
« au-revoir ». Pourvu que je ne passe pas à côté de toi, mon/ma gosse, comme je suis passé à
côté de lui…
Je suis tourmenté depuis plusieurs jours. Je m’interroge sans trouver la solution. Les liens du
sang, de la chair ou conférés par le mariage, condescendent une place non équivoque à
quiconque est ainsi lié. La passion ou la culture crée la liaison naturellement. Qu’advient-il de
celles ou ceux dont la séparation n’a pas rompu l’attache ? Quelle place devons-nous accorder
aux êtres pour lesquels nous conservons une affinité… que nous n’aimons plus en chair ni en
esprit, pour qui nous n’avons plus de désir, hormis ce plaisir de les côtoyer tous jours ? Tel est
mon cas et je suis dans l’expectative face à cette absence de code sociétal. Je ne sais comment
me comporter devant cet ancien amour, pour qui je garde des sentiments plus qu’amicaux et
bien moins qu’amoureux. O ta mère n’a rien à craindre de celle-là. Je suis fort bien avec elle
et sais au plus profond de mon âme qu’elle est celle dont je me languissais. Et, je n’ai connu
avec cette autre, qu’enfer et folie… déréliction. Elle ne souffre pas la comparaison avec
Nathalie… Cependant, une partie d’elle vit en moi… plus en émoi… mais en souvenirs. Avec
le temps, les plus terribles se sont tus. Les meilleurs les ont supplantés. Aussi, me plaît-il de la
rencontrer parfois, en tout bien tout honneur. Or, quoique je ne pense, ni ne fait de mal – n’en
ai nullement l’intention – je culpabilise que de croiser son regard… redoutant d’être taxé par
mon entour de tromper ma femme. Lors, je suis d’une froideur absolue avec la première…
que mes gestes ne puissent être équivoques… d’écourter l’entrevue à sa plus simple
expression… agression. Rentrant chez moi, je n’ose regarder la seconde craignant d’avoir mal
agi à son égard. Elle est d’une jalousie maladive. Cela n’arrange rien. Le lui dire n’arrangerait
rien. Je m’enferme dans l’omission que de ne pouvoir librement en parler.
A me comporter de la sorte… de la sotte façon… j’éprouve également de la culpabilité vis-àvis de l’ancienne maîtresse, réprouve de ne point savoir comment la considérer à sa juste
place. Quelle est-elle ? Hier, un événement la rappelait à ma mémoire… me ramenait deux
ans plus tôt. Elle vint m’emplir sans que je ne l’y invite… dans toute son histoire. Elle vint me
perturber de n’embrasser en quel lieu la saisir. Je rougissais… ta mère à mes côtés, endormie.
Une réminiscence me faisait tutoyer notre rencontre… ce sentiment d’alors de la connaître
déjà, bien que ne l’ayant jamais vue auparavant. Il s’agissait d’une âme sœur, de retrouvailles
avec un être que j’avais frôlé ailleurs, en d’autres temps. N’étant pas aguerri à la chose, je
crus être en proie à de l’adoration. Qu’elle fût du sexe féminin, concourut à me perdre. Je sus
par la suite à côtoyer d’autres de son espèce, des hommes notamment, qu’il ne s’agissait point
d’hymen… d’une troublante impression de vécu… conduisant à l’abandon par curiosité. La
notion « d’âme sœur » ayant été dévoyée au fil des siècles, ayant à présent une connotation
amoureuse, je ne puis l’entretenir en cet emploi. Nous n’avons pas d’extase à vivre ensemble,
ce n’est pas dans nos destins... ni nos desseins. A tel point que nos coïts étaient insipides au
regard de ce que nous vivons ta mère et moi. Cette conception étant spirituelle, elle ne peut
être partagée que par des individus appréhendant ce même genre… cette unique définition.
Notre société n’y est pas prête. Enfin, petite autrefois, elle ne saurait être cette grande amie
aujourd’hui… au risque d’être perçue en amante… ce qu’elle n’est pas. L’amitié est un amour
à moitié, qui ne sera… ne se doit d’être consommé. Il est trop tard pour nous deux… nous
nous sommes confondus jadis. Je n’y aspire de nouveau… ni en place publique. Lors qu’elle
est la sienne ? Qu’on me le dise. M’appartient-il de la trouver… de l’inventer… de la lui
faire ? Je ne puis la chasser sans motif. Nous continuerons donc à nous voir… en bêtes… sans
appréhender pour l’heure qui nous sommes, en quel lien… Jusqu’à ce que la destinée ne
finisse par perdre… de vue.
81
Journal d’un futur père.
Retour dans la capitale. Concernant l’intimité, ce n’est pas extraordinaire. Nous sommes en
début de semaine et le tortillard est bondé. Serrés… de larges arpions dans des godasses
étroites… enchâssés au chausse-pied… il n’est guère possible de bouger. Je suis assis aux
places en vis-à-vis… au vu et su de tous. Trouver la concentration pour t’écrire, relève de
l’exploit. Le corbillard démarre. Pourvu qu’il ne m’expédie vers le trépas… en mon ultime
demeure… alors que je rends vers la promesse d’une nouvelle vie. Il me mène par les bureaux
de ta future grand-mère paternelle… déjà à l’œuvre en cette heure… et par le jardin de ton
futur grand-père maternel. Il ne doit y être… la froidure s’annonçant à grands pas, marchant
vers nous en ses habits d’hiver… la terre est stérile de stupeur. Rien n’y pousse hormis les
chats errants. Il [le père de Nathalie] passera les nourrir dans la journée… les soigner.
Il n’est pas aisé de différencier une prémonition, d’un simple fantasme. Il n’est que le temps
pour y parvenir. Cette nuit, tu es venu(e) m’embrasser. M’as-tu fait envoyer un message ou
était-ce le fruit de mon inconscience ? Au moment où je viens m’enquérir de mon avenir…
chercher cet emploi tant convoité… j’ai fait ce rêve d’absoluité au sein duquel j’étais ce juge
craint et respecté… présent mais à la foi[s] détaché[e]. Je devais trancher un litige important,
impliquant notre ministre du travail dans une sombre affaire. Siégeaient à mes côtés, ma
famille réunie en un conseil. Je me trouvais bientôt esseulé… au fond de la salle… d’avoir un
recul et une distance suffisants. L’audience achevée, j’apprenais que tu étais né(e) pendant le
procès. Est-ce un message ? Si oui, quel est-il ?
J’ignore si j’ai lu mon avenir dans un livre abscons. M’incombe-t-il de ne pas accepter le
poste qui me sera proposé dans quelques instants, pour me tourner vers la magistrature, où
d’aucuns m’attendent davantage… me briguent en cette fonction ? A contrario, me faut-il
abandonner tout destin dans le corps judiciaire (d’où la raison de mon détachement) en
poursuivant la lutte contre l’exécutant n’ayant de cesse de m’être à mal nos avantages acquis ?
Suis-je indifféremment pressenti en l’une ou l’autre ? Il m’appartient de faire un choix…
cornélien. Quant à ton sexe, m’indiffère-t-il autant que je le prétends ? N’ai-je point une
aspiration inconsciente ? M’as-tu réellement fait signe ? Etait-ce une tentative de prise de
contact avec moi, palliant ce défaut de lien charnel ? Ainsi, nous trouverons-nous dans cet audelà qui te confère toujours, jusqu’à ce que tu me viennes… tu m’adviennes.
Concernant l’avenir, il me revient à l’esprit, cette envie d’autrefois lorsque je me sentais
perdu en mon existence, de souhaiter pouvoir avancer les horloges… de toucher ce que je
serai et avec qui. Le désarroi et la solitude me pesaient tant que, pour trouver une direction à
emprunter… une amélioration à ma condition… j’avais l’impérieux besoin de me projeter
vers le futur… me tutoyer plus tard. J’avais la nécessité d’une réponse intangible, d’aviser ce
postulat, pour continuer à vivre… en toucher au moins la raison. Sans doute, me suis-je
consolidé, renforcé moralement… intellectuellement… car je ne ressens plus cette obligation,
cette condition sine qua non. Je prends les jours. Ils m’entraînent sans anticipation. Peut-être
me suffis-je enfin. C’est sûrement la raison pour… ou par laquelle tu ne m’es pas venu(e) en
direct. Tu as observé mes desiderata. En cela, je te remercie d’ores… dors, je t’attends là-bas.
Je fais la joie des pigeons. Est-ce parce que je suis de marbre ? Est-ce mon statut de migrateur
qui les interpelle ? M’envisagent-ils en un oiseau rare ? Est-ce dû à mon immobilisme ? En ce
cas, j’eusse été un piètre épouvantail. Ils roucoulent… semblent guetter les miettes de mon
repas. C’est donc cela. Je n’ai qu’un intérêt alimentaire. En est-il de même pour cet autre…
Isidore l’oiseau de Nathalie ? Lorsqu’il piaffe, est-ce d’impatience ? N’est-ce pour me
réclamer sa pitance… un changement d’eau… des graines… une nouvelle compagne ? Ce que
nous croyons être des chants, ta mère et moi, ne sont-elles des réclamations… des
82
A toi que je ne connais pas en corps…
vitupérations ? Ses chants dont ta matrice se plaît à ouïr, à dire qu’ils sont charmants, sont-ils
ce qu’elle croit ? Le mandarin n’a-t-il de cesse de nous engueuler du matin au soir ? Il entame
sa plainte à l’aube, semblant ordonner au soleil d’arrêter de l’extraire de sa noirceur,
d’interrompre ce sommeil qu’il souhaiterait éternel… de rejoindre sa chère… sa chair
disparue. Il gémit toute la journée durant, d’avoir des ailes inutiles au lieu de bras. Elles ne
sont point pratiques pour s’adonner à de petits plaisirs solitaires. Les plumes lui chatouillentelles les… Il grogne d’avoir à faire son nid. Et siffle d’activer le service… d’attirer les dontz’ailes. Par solidarité volatile (bien qu’ayant une seule plume), je peux le comprendre
aisément… lui pardonner. Les hirondelles ne font pas le printemps. Elles l’invectivent
simplement.
Mon regard ayant changé ma perception des rapports avec les bestioles, songeant aux jeux des
« filles », je me dis qu’il s’agit davantage de bagarres véritables. Les « sœurs » comme se
plaît à les nommer Nathalie, se mettent en réalités des beignes quotidiennes, dans le dessein
de trancher le litige. Qui est le dominant… et qui le dominé ? Lorsqu’elles frottent leurs crocs
contre les objets, d’une manière apparemment câline, elles marquent en fait leur territoire.
Tour à tour, elles se défient… défilent l’une après l’autre au même lieu. Leurs instants de répit
sont des statu quo et leurs repos, des cessez-le-feu. Lorsque nous sommes le fruit de leur
attention, nous sommes l’enjeu de rivalités d’appropriation. Celle obtenant les faveurs, les
caresses de l’un de nous, est comme adoubée… intronisée. Ce sont des manipulatrices
expertes dans l’art de la séduction calculée. Je me demande quelle est la part d’affection.
Au fait, j’étais de marbre car serein en allant à mon rendez-vous… qu’il se passe bien ou
mal… n’avait d’incidence. Dans le premier cas, j’accédais à un poste intéressant, une
promotion inespérée. Dans le second, il m’était offert de nouvelles perspectives syndicales.
Aussi, m’y rendais-je calmement. La pluie ne devait pas entamer ma bonhomie… ma
sapience… ni ma tranquillité. Tout juste a-t-elle contrarié mon repas pris sur le pouce… dans
le parc (d’où la présence des pigeons). [Pour la petite histoire, l’entretien s’est excellemment
déroulé. Nous devrions quitter notre région dès ta naissance. Je vais intégrer la direction
nationale, pensant pouvoir faire plus encore dans le secteur social, puisque investi de plus
grandes prérogatives. Durant une année, je vais m’occuper des conditions d’hygiène et de
sécurité du groupe au plan français. Puis, je prendrai la responsabilité des ressources
humaines d’une région ou je quitterai l’entreprise pour voler de mes propres ailes…] Le
syndicalisme est moribond. Je ne sais comment le ranimer. Par contre, je persiste en mes idées
et agirai différemment. J’espère ne pas me… nous perdre en route.
A titre infiniment subsidiaire et avec le détachement, juger n’est pas une ambition. Je ne
m’imaginais pas sermonner… admonester… condamner autrui… jusqu’à la cessation de mes
activités professionnelles. Je n’ai point l’âme… l’esprit d’un moralisateur… ni ne connais les
vertus de la parénèse. Ils me font chier… en tout bien… bras d’honneur.
Je n’y crois plus. Je me bats contre des moulins à vent… des girouettes en vue de changer un
monde…au sein duquel tous se sentent à l’aise. Il n’est qu’à embrasser les élections
prud’homales et cette formidable forme d’expression conférée aux salariés, au troisième tour
social. Elle n’a pas eu lieu. Il n’aura pas lieu. A l’instar de ces hommes politiques ayant pris
un revers, je me retire pour me consacrer uniquement à mes propres prérogatives et
familiales… penser à nous. Il est vrai que les conditions pour cette libre figure de style
n’étaient pas réunies. Le gouvernement craintif quant aux résultats, a tout fait pour les
saboter. Ainsi, la forte abstention entend-elle que la légitimité… représentativité des syndicats
serait absconse ? Ou bien, sommes-nous dans un monde de lâches… qu’à mon tour je lâche ?
La coupe est pleine, n’en jetez plus…
83
Journal d’un futur père.
Je m’aperçois que j’ai cette fâcheuse tendance à jeter aux chiens, à renier ce en quoi je n’ai
plus foi… ou dont je n’assume plus. Aussi, suis-je injuste quand j’évoque les organisations
syndicales… ma confédération plus particulièrement. Je suis entier, passionné par ce que je
fais, m’y donnant corps et âme. Je suis enfiévré… deviens malade de ne pas parvenir à
conférer une existence à mes espérances… à les engendrer conformément à mes dess[e]ins.
Ce serait un peu à l’instar de ta procréation si elle ne devait aboutir… ou finir en eau de
boudin (attention, que les choses soient claires… je ne parle pas de ta mère. Je me contente de
reprendre une expression consacrée… en un mot.). Je renoncerai à l’idée que je me fais de toi
puis, je te vomirai dessus… certain que tu ne pourras pas me salir. Je te devancerai avant de
l’être par ton biais… Je suis excessif mais il s’agit d’une image pour te faire embrasser mon
cheminement… sa gravité. Car, j’en souffre. Je pense avoir un problème d’affect. Il est
probablement hyper-trophié. Je parviens difficilement à l’étaler… l’exhiber. Il est par trop
sauvage. M’en méfié-je comme de la peste… Je suis exclusif… ne peux aimer deux choses ou
personnes à la fois (sur un plan identique). J’ai besoin de détruire l’une avant de passer à
l’autre… faire ce deuil nécessaire. Je pense souffrir d’un complexe de supra-fidélité. Je suis
vertueux à en crever. C’est la raison de mon exécration pour ce genre. Ce que je ne me
pardonne point… que le pardonnerais-je à autrui ?
Cette pudeur excessive m’empêche d’être démonstratif… de dire de vive voix… aux gens
comme aux miens… que je les aime. J’ai dû susurrer deux fois, en tout et pour tout, à ma
mère que je l’aimais. Si mes souvenirs sont exacts, mes mots furent arrachés par une situation
critique ou dramatique. Ils ne sont pas sortis naturellement, quoiqu’ils eussent dû couler de
source. Pour mon père, il me semble ne jamais être parvenu à lui déclarer mon amour. Je crois
que la réciproque est avérée. Nous sommes issus du même moule. Ce n’est pas que nous ne le
pensions pas. Sans doute est-ce implicite. Il n’est nul besoin de nous le dire et ça nous arrange
bien. Saurais-je te révéler ma flamme comme j’ai su le faire à ta mère ? L’amour n’est plus un
tabou avec le sexe féminin… mais il l’est toujours avec les miens. Ce n’est pas gagné. Pauvre
gosse, tu pars avec un handicap… un père barjot… incapable de maîtriser ses sentiments. Si
c’est en forgeant que l’on devient forgeron, c’est alors en parent que l’on devient parangon.
L’espoir nous est permis…
Je ne rentrerai pas de bonne heure ce soir. Il me faut effectuer des heures supplémentaires
pour obtenir davantage d’argent (me prostituer intellectuellement) afin de faire des cadeaux
de Noël en nombre et importance suffisants… coutume oblige. La vie se gagne chèrement.
Pour l’instant, mon salaire n’est pas mirobolant. Il me faut donc parer à cette carence en
attendant l’hypothétique amélioration. Chacune des fêtes est l’occasion de dépenses
somptuaires… en ses nouveaux sanctuaires. Ainsi, Noël est-il la fête des grands magasins…
réalisant la majeure partie de leur chiffre d’affaire en cette célébration. Le jour de l’An
grégorien est-il celle des métiers de bouche. L’Epiphanie est-elle celle des bonnes pâtes…
boulangers-pâtissiers. La Saint-Valentin, est-elle celle des joailliers-bijoutiers. Pâques est-elle
celle des confiseurs-chocolatiers. La Toussaint, est-elle celle des fleuristes et des croquemorts. Je suis las de me plier à la tradition d’être un pigeon. Je suis fatigué de me faire plumer
pour engraisser les camelots… d’être ce mouton dont ils défont la laine… des bas. Ils
finissent par blesser. Je n’aspire plus à participer à la mascarade… athée qui plus hait.
Le braquage est savamment orchestré. Qui ne met la main à la poche… à l’échoppe… est
voué aux gémonies… un mauvais citoyen. Le poids des us est tel, qu’il n’est pas possible de
ne pas succomber au dépouillement collectif. Tellement ancré dans les mœurs que la masse
béatifiée se laisse tondre par plaisir. Les jouets participent à la socialisation de l’individu. Ils
sont nécessaires. Néanmoins, je veux pouvoir choisir le moment où il me plaira de t’en offrir.
84
A toi que je ne connais pas en corps…
J’aspire à festoyer… à honorer quiconque… non pas lorsque les codes sociétaux m’y
contraignent… et ce, à n’importe quel prix ! Ma bonne humeur et ma liesse ne se produisent
pas sur commande. Ainsi, vais-je m’évertuer à choisir l’entame de mon année et les jours que
je daignerais célébrer, suivant mes envies pures. Ce ne sera pas facile pour toi car, tu seras
mis(e) au ban. Tes copains… copines… te montreront du doigt, n’ayant reçu ton obole à leur
pendant. Je te fais confiance quant à la réponse que tu leur feras, sachant que le silence est le
plus grand des mépris.
Tu devrais embrasser les dégâts que crée cette ferveur… et chez les enfants… et chez leurs
parents. S’agissant des premiers, ils entrent de plain-pied dans les schémas de consommation,
en les normalisant d’ores… récitant par cœur les publicités qui leur lavent le cerveau. Ils les
connaissent sur le bout des doigts… bien mieux que les vers de nos poètes. Quant aux
seconds, ils sont prêts à tout pour arrondir leur fin de mois et augmenter substantiellement
leur pouvoir d’achat. Les entreprises en usent et en abusent sans commune mesure. Or, plus
les gueux produisent, plus les actionnaires sont à la noce… c’est-à-dire les « boutiquiers »
auxquels ils vont rétrocéder le fruit de leur sueur. Quelle frénésie, étais-je tenté d’écrire. Or,
freinée, elle ne l’est point. Quelle aliénation !
Ainsi, vais-je y concourir une ultime fois… m’y essayer à ce qu’elle soit la dernière…
Lorsque j’ai annoncé à ta mère que je rentrerai sûrement tard (ne sachant pas à quelle heure
précisément), que je modifiais mon planning, je fus taxé de la tromper. Mes craintes se sont
avérées. Elle m’a répliqué que j’allais retrouver ma maîtresse. Je lui ai demandé laquelle. Elle
n’a pas aimé. Elle s’est mise à pleurer. Puis, elle a ânonné qu’elle le savait et n’a rien voulu
entendre quand je lui ai révélé que j’avais décidé, à la dernière minute, de faire un inventaire
pour toucher une prime bienvenue… indispensable. Non seulement je vais brader ma force de
travail par obligation financière mais en sus, je n’en serai pas remercié par la principale
intéressée. Il n’y aura donc de bis repetita à l’avenir puisqu’un bis mori. 19 [Pour la petite
histoire, nous nous sommes réconciliés sur l’oreiller, après nous être déclarés ces choses
fondamentales que nous avions fini par omettre de nous dire, me contentant de te les écrire.
Enfin, je n’ai pu me rendre à l’entreprise. Le mal sera moindre.].
Il me tarde que tu naisses. Les hormones commencent à monter à la tête de ta mère et,
indirectement, à me casser le scrotum. Je suis éreinté de me crever au boulot depuis deux
jours, pour gâter ses neveux et d’être l’objet de reproches. Lorsque je rentre chez nous, je n’y
trouve plus le moindre plaisir (bis mori…). Il me faut dîner seul puis, subir la soupe à la
grimace, dormir à l’hôtel du cul tourné. Sa jalousie mal placée – quoique flatteuse de prime
abord – m’use. Quant à ses larmes infondées… Sensible à l’injustice, je sais quel enfer vit un
innocent accusé de tous les maux… incapable de prouver sa bonne foi parce que non entendu.
Toute défense est inutile. Tout argument tombe devant un procès d’intention. J’ai la fâcheuse
habitude d’appeler un ami… « ma poule ». A peine réveillée, Nathalie a surpris la fin de notre
conversation. Croyant avoir ouï ma puce, elle est persuadée de ce que je fréquenterais une
autre femme. Elle pense que je vais la quitter… vous abandonner. Elle déprime. Je m’épuise à
lui prouver mon honnêteté… en vain. Elle cherche partout la preuve de ma culpabilité, allant
jusqu’à fouiller dans mes affaires. Elle aurait pu trouver une réponse dans ce journal, par le
paragraphe au sein duquel je me pose une question étymo-philosophique. Quel substantif
concéder à l’ex ? Elle ne l’a pas lu comme il se doit, puisque soucieuse de me confondre. Elle
a ôté sa substance à chaque mot… de me charger. Je n’ai plus de femme mais un juge
d’instruction en place. J’ai l’impression d’avoir rapporté du boulot (juridique) à la maison…
19
Bis mori : n.m. grand déplaisir (locution latine signifiant « mourir deux fois ».).
85
Journal d’un futur père.
Le fait que j’aie chuchoté au téléphone serait une présomption irréfragable. Il ne me reste que
l’aveu… celui qu’elle brigue entendre. Elle ne songe et ne veut comprendre que je parlais à
demi-mots pour ne pas la réveiller. Dans le cas contraire, elle m’eût invectivé. Elle me harcèle
à ce que je craque. Elle va y parvenir. Je vais me tirer pour de bon. Je ne porterai pas la
macule du condamné. J’ai dit que je ne serai pas un matador. Je ne serai pas davantage le
Mine-aux-torts… voire ce Lamine-aux-tort… celui à qui l’on jette la pierre… l’opprobre. Je
ne rentrerai pas dans ce jeu de dupe dont l’issue me serait fatale, puisqu’une mise à mort
orchestrée. Il me faut raison garder, affronter la tempête jusqu’à ce qu’elle se calme. O
Dionysos, fais qu’elle… qu’ils me lâchent tous la grappe ! Le guerrier succombe, écraser par
les fardeaux et les blessures. Je me sens contraint de me justifier de tout mais surtout de mes
riens. Ainsi, me dois-je de déclarer ce que je fais… où… avec qui. Pourvu que je parvienne à
rester debout… et me débarrasser de cette autre (boue).
Ce journal risque de perdre de son intérêt… Il me faut prendre des gants… en faire une
chanson de gestes… d’essuyer une nouvelle inquisition. J’ai fait entrer la censure en ma
propre demeure. Mon expression ne sera plus libre… inspectée… épluchée. A ce propos,
aurai-je même eu l’intention de la tromper (tel ne m’a pas effleuré), eussé-je délaissé…
négligé ce manuscrit… Qu’aurais-je appelé de notre foyer une amante ? Mon épouse est
malade de son passé. De ses rapports antérieurs avec les hommes, elle tire de viles
conclusions… se commet en raccourcis. Son mal l’empêche d’embrasser l’exception et le
bonheur... un fléau qu’elle fuit comme la peste. Je n’aurai pas la force de la cure… ni la
patience. Je ne sais l’art de la soigner. Je suis à bout. Qu’a-t-elle accepté de m’épouser ?
Quelle en fut la cause ? Si l’homme est à ce point mauvais, que fait-elle à mon bras ? Suis-je
un vulgaire placebo ? Suis-je coupable de par mon sexe masculin ?
Que ne peut-elle appréhender comme je crève de l’aimer ? Ne voit-elle en mes yeux, lorsque
nous nous ébattons, ces lueurs de l’univers… ces étoiles comme en les siens ? Ne sent-elle ma
chair frissonner à son contact et mon corps la respirer ? Ne perçoit-elle ma naissance en
chacune de ses inspirations… ma mort en chacun de ses souffles ? Ne frôle-t-elle ma main se
perdant dans le noir ? Que ne se sait-elle ma lumière ? Que n’entend-elle mon cœur se
rompre ? Que me demande-t-elle des preuves, sans cesse, alors que je ne lui demande rien ?
Que ne me permet-elle de l’adorer ? Je ne sais… plus.
Un monstre… Enorme, puissant et sombre. Il s’empare d’elle, l’entraîne dans une spirale
infernale, de vis sans fin qui la traverse. Il prend jusqu’à possession de son corps, travestit son
regard et son monde, en ternit les couleurs. Il la torture, l’écroule à l’instar d’un vulgaire
château de cartes… en fait sa marionnette. Il tire les ficelles, les étire jusqu’à l’extrême.
L’ayant réduite à néant, il la délaisse. C’est ainsi que Nathalie me décrit sa jalousie. La mère
déchaînée a laissé place au calme. Les vents de la rumeur ont cessé de souffler dans son crâne,
d’effacer nos pas unis… marchant de concert dans le sable de l’arène. Il demeure quelques
macules de nos heurts. Ils devraient finir par disparaître. Elle me prie de lui pardonner son
attitude depuis trois jours, n’étant plus… elle m’aime. Elle se sent honteuse de m’avoir mené
dans son délire… acculé dans sa fange. Elle reprend ses esprits. Elle se sait atteinte… et dans
son honneur.
Il a fallu une claque verbale… de l’arracher aux griffes de son démon. Je ne lui ai pas permis
de s’enfoncer dans l’érèbe pour la perdre... nous corps-rompre. Ma femme paraît hébétée. Elle
tente de se débarrasser des derniers stigmates de son enfer, de s’en laver… à grand peine les
mains tant elles lui semblent pleines. J’essaye de ne pas la juger, de lui accorder le bénéfice de
mes doutes. Les rôles se sont inversés. Nous discutons à boutons rompus… nus dans notre
lit… dans les bras l’un de l’autre. La réconciliation est profonde, à hauteur du trouble. En
86
A toi que je ne connais pas en corps…
confiance recouvrée, elle se met à vomir les eaux obscures qui l’étouffent depuis des lustres…
l’empreignent de leur noirceur. La pseudo-maîtresse n’était qu’un prétexte… un appel
désespéré. Je ne puis te révéler ce qu’elle me chuchote au risque de lui manquer de respect
voire de la noyer. Si l’écrivain se nourrit des confessions d’autrui puisque non tenu au secret,
je ne veux pas te donner l’impression d’exploiter sa souffrance. Je ne l’ai fait qu’une seule
fois, dans un contexte bien précis… non pas gratuitement… ou par goût du scandale. J’ai
évoqué la pédophilie dont fut victime ta nourrice car, il me semblait qu’il fallait mettre à jour
cette horreur… de l’en libérer… montrer que tous les protagonistes – hormis l’auteur
probablement – étaient des victimes. Elle te narrera le reliquat de géhenne si elle y consent.
J’ai le plus grand mal à recevoir ce tombereau d’immondices. Je ne suis pas prêt. Qui le
serait ? Les Misérables ou Cendrillon – en comparaison – sont de charmants contes pour
enfançons. Chaque mot qu’elle me cède, est un coup de poing en pleine gueule me mettant au
tapis. Comment a-t-elle pu se relever ? Je l’admire de ne pas avoir succombé. Je suis partagé
entre l’envie malsaine de l’accompagner dans sa régurgitation et de me sauver. Je ne pouvais
subodorer que ce pût exister, de nos jours, en notre pays. Aussi, me protègé-je des
éclaboussures en plaçant un fossé idéel entre ses propos et mes pavillons. Je feins de
l’écouter, lâchant un acquiescement ponctué. J’abaisse le pont-levis parfois, lui permettant de
me pénétrer. La vague reparaissant, je le relève sitôt. Les rares postillons qu’ainsi je
surprends, me suffisent à augurer du reste. Ses propos sont durs que je ne parviens plus à les
croire. Je me demande si elle ne se moque pas de moi, n’en rajoute pas aux fins que je me
confonde de l’avoir rabrouée. A bout de nerfs, je me lève pour prendre une douche salvatrice.
Il me faut m’assainir de ses propres souillures… nettoyer mon esprit.
Il semble que les vomissements soient dus à ta présence. Le volume que tu occupes
dorénavant, fait remonter à due proportion les humeurs insalubres. Tu es sa cure, sa
médication. A travers toi, elle parvient à s’exonérer, s’émanciper, se détacher peu à peu.
Continue à lui casser du charbon, à lui réchauffer le cœur, à la gratter de l’intérieur. Profitons
de ce que tu sois encorps en elle pour quelques semaines, pour lui ôter ses miasmes
définitivement. Fais cela pour nous. Il faut bien que tu te rendes utile durant la gestation. En
bons capitalistes, nous devons rentabiliser cette période d’inaction, tant la vie nous est chère.
Tu ne pensais tout de même pas t’adonner au farniente… te tourner les pouces. Nourri(e),
logé(e) et blanchi(e) gracieusement, il ne te faudrait pas abuser. Commence donc à gagner ton
pain. Pas né(e) et déjà feignant(e), quelle génération ! Je vais te donner le goût du travail moi,
bien fait…
Un virage serré sur la droite, la queue en panache, il a soudainement coupé ma route. J’ai
d’abord cru à un geai allant se réfugier dans le rosier. A tire-d’aile, il m’a sorti de mes songes,
tandis que je m’en revenais les bras chargés de pâtisseries pour le petit déjeuner de ta mère.
Elle a un appétit Gargantuesque… au pendant de cet étrange piaf. Des cris jaillissant de la
plante épineuse à la rixe, appelèrent mes châsses. Je ralentissais mon pas… d’épier cette lutte.
S’agissait-il d’une querelle de voisinage… de deux volatiles revendiquant le même
territoire… un morceau de pain ou d’oiselle ? La saison n’étant plus aux amours, le rosier fort
effeuillé, l’enjeu était assurément alimentaire. Je n’eusse envisagé qu’il l’était à ce point… un
combat pour la vie. En appréhendant le moineau se faire voler dans les plumes, j’ai compris
que l’autre n’était pas un vrai – comme l’on en trouve communément dans nos villes – mais
un faucon crécerelle.
Le menu parvint à se libérer des serres du prédateur. Jouant des épines, acculant son agresseur
dans les méandres piquants, d’effile en aiguilles, poupée vautour deve-nue, succombant aux
sorts, le rapace fut contraint de lâcher sa proie. Le repas ne demanda pas son reste. Il s’éclipsa
87
Journal d’un futur père.
prestement. Falco quitta sa position inconfortable, vint se poser devant moi, sur la lourde
grille en ferraille fermant une propriété inconnue. Il remit un peu d’ordre dans sa parure.
M’avisant, il se redressa. Il planta son regard dans le mien, me toisant. Nous restâmes à nous
observer. Il tira sa révérence… partit retrouver sa promesse viscérale. Tous deux amorcèrent
un nouveau virage sur la droite, s’engouffrèrent dans notre rue. Je les perdis de vue… restant
interdit d’avoir pu surprendre un tel animal… un tel spectacle au cœur de ma cité. Je
regagnais mes pénates… impatient de raconter cette [s]cène à ma chère et tendre.
Nathalie a un temps d’hésitation, ne sachant si c’est du lard… ou du faucon… réellement…
ne pouvant appréhender qu’il soit des rapaces à nos portes. Il en est une pléthore, semble-t-il,
dans un autre genre. Elle finit par me croire. Est-ce la description passionnée ou le fait qu’elle
ne puisse saisir la motivation d’un tel mensonge qui la convainc ? Elle me révèle en avoir
rêvé quelques jours auparavant. La symbolique serait excellente. Je consulte un dictionnaire
ad hoc. J’apprends que le falconidé personnifierait une ascension sur tous les plans…
physique… intellectuel et moral. Il indiquerait une supériorité ou une victoire… soit
acquises… soit en voie de l’être. Ce serait un principe céleste. Après les abeilles et le Christ
dont je ne savais s’il s’agissait de signes véritables ou de fantasmes, je tutoie l’auspice en
chair et en os… dans le blanc des yeux. S’il se fonde, s’avère, le message est plutôt
encourageant. D’autant plus qu’il se cantonne au présage unique d’une transcendance.
Au sujet des ripailles et de l’appétence, je suis heureux que ta nourrice les ait recouvrés. Aux
dires de la doctoresse, elle n’eût pas pris suffisamment de poids. Cette carence était
inquiétante. Elle ne l’est plus ayant rattrapé son retard. Nathalie mange comme trois, prend
donc de l’avance. Ses pantalons, quoique élastiques, gémissent à s’essayer de la contenir. Ils y
parviennent péniblement. La belle est en forme… en toutes ses formes. Elle se dilate non pas
de la rate mais des seins, des fesses, des hanches et du ventre. Ce dernier s’est arrondi comme
un ballon. De profil, elle ressemble à une sinusoïde… le volume du fessier étant une sorte du
contre-poids à celui du gaster-aux-podes (car contenant tes pieds)… aux antipodes. Et bien
que sa chair se déforme, elle est de plus en plus jolie. Elle me ravit… et pas seulement au lit.
J’ai faim d’elle. Aussi, t’abandonné-je pour aller la dévorer et pas uniquement des yeux…
J’ai pour cette période « festive », une aversion… une exécration… tu l’auras compris. En sus
de détester tout le battage mercantile, je songe aux déshérités, damnés de la Terre… à tous ces
exclus errant çà… et las. Ça me rend tout criste… à l’instar du petit Jésus. Affublé de l’âge de
sa mort, tu comprendras qu’il m’est difficile de célébrer sa nativité. Je vais donc m’efforcer de
rire même si mon humeur est maussade. Je vais les chasser de ma tête… inhiber ma
déréliction… mon acrimonie pour les religions et la science coupables de cette indigence.
Quoique se pensant omnipotentes, elles se heurtent de concert à un mur… celui de Planck. Si
elles savent l’origine du monde, elles n’en touchent pas la raison. Aussi s’escriment-elles dans
l’art du postulat sans apporter de réponse à cette question essentielle. L’une se confond dans
l’art de l’abstraction… la seconde, dans celui de la concrétisation. Les mensonges de l’une
sont dénoncés par les axiomes de l’autre. Toutefois, au lieu de laver leur linge sale en famine,
que ne cherchent-elles à l’enrayer ? Si elles en sont incapables, qu’elles recouvrent la
modestie… reconnaissent leur impuissance… et ferment leur gueule.
Nous sommes entrés dans l’ère des envies. Cerise sur le marmot, ta mère en avait l’appétence.
Ce n’est nullement la saison de l’akène… davantage de le Barbie. A ce jeu de drupe, nous
eussions pu y laisser notre chemise. L’hiver ne s’y prête guère… un peu plus depuis le
réchauffement de la planète, mais quand même… Nous en avons trouvé à un prix prohibitif,
Noël oblige. Afin de diminuer le tarif lié au poids et de satisfaire la faim de ta nourrice, celleci a commencé par s’en goinfrer quelques-unes, feignant de les goûter. Ce fut autant de gagné.
88
A toi que je ne connais pas en corps…
Puis, elle a équeuté une à une celles dont elle avait la nécessité, pour n’en payer que la chair.
Il me plaît à imaginer la tête du maraîcher découvrant son étal empli des queues. Nous nous
sommes bien marrés. Elle s’est régalée… toi itou paraît-t-il… de son propre aveu. Chacun y a
trouvé son compte… à l’exception du marchand.
Nous sommes à quelques heures du réveillon et ta daronne ronfle en cor. Les cerises auraientelles des vertus apaisantes ? Quant à celles diurétiques, il n’est de doute. Elle n’eut de cesse
de se lever la nuit pour satisfaire les penchants de sa vessie. La journée se promet d’être
chargée. Nous devons aller chercher tes futurs cousins maternels… de les mener au cinéma et
leur donner leurs cadeaux. Nathalie veut faire honneur à ma famille ou plutôt à ses fringales,
en nous préparant un hachis parmentier. Je ne suis pas sûr qu’elle ait le temps de le cuisiner
dans les délais impartis. Je ne suis pas certain que l’emplâtre soit recommandé, ébauchant les
bombances diurnes. Pourvu que la peau de son ventre ne soit pas trop tendue. Tu n’y aurais
plus de place… écrasé(e) par la masse des denrées cumulées.
Nous nous rendrons chez mes parents pour festoyer. Tu y trouveras tes autres cousins, oncle
et tante. Il n’y aura pas de présents pour toi. Tu n’es encorps qu’un projet… Tu seras
suffisamment gâté par la suite. Je ne voudrais pas te « pourrir » dès maintenant. Tu te
réjouiras donc par le biais de ta mère. Je veillerai à ce qu’elle ne te saoule pas. Hier, elle m’a
déclaré avoir droit à un verre de spiritueux par semaine, ayant du retard en la matière, elle
espérait pouvoir le rattraper ce soir. Je ne voudrais pas que tu naisses avec un gros pif rouge,
titubant et balbutiant… quoique s’agissant de ces derniers, de par ton statut néo-natal, ce
devrait être le cas sans que ta génitrice en soit responsable… Ce n’est pas une raison d’en
rajouter.
Une immersion dans les ténèbres, deux éclats lumineux puis, l’obscurité définitive. Nous
sommes plongés dans un noir absolu. L’ombre nous a absorbés en un clin d’œil, le temps que
nos pupilles s’apprêtent à la recevoir. Ta cousine se met à crier, mande sa mère à corps. Elle
est effrayée d’être si loin d’elle, quoique si près. De ne plus la saisir, la saisit d’effroi. Nous
tentons de la rassurer, la prions de ne pas bouger et d’attendre que sa grand-mère trouve les
bougies salvatrices… ce qu’elle ne tarde pas à faire… rôdée à l’exercice. Une première lueur
déchire le lourd manteau sombre, une deuxième… et maintenant une troisième… Rassérénée,
la gamine vient vers nous, se jette dans les bras de sa maman en lui demandant quel
anniversaire célébrons-nous. De personne, lui répondons-nous à la cantonade, puisque athées.
Avec le recul, je saisis notre erreur. Il s’agissait effectivement d’un anniversaire mais d’un
être qui n’est nullement des nôtres. Aussi, l’avons-nous oublié – injustement – pour ne fêter
que la nativité… des présents (autre syllepse).
Cantonnés aux lueurs des chandelles, nous eussions pu le toucher. Plus de deux mille ans plus
tard, nous ne fûmes si proches de lui. Je n’y songe qu’en ce jour et de cette étable au sein de
laquelle il vit la nuit… comme nous la vîmes. Le symbole te concernait-il ? Nous fallait-il
appréhender en cette panne d’électricité, ta genèse à venir ? Nous eût-il fallu te louer à ceux
déjà nés ? Je m’aperçois que je te conçois non pas en tant qu’individu… en tant que berceau
mais de l’humanité. Je m’adresse à elle par ton biais. Lorsque je caresse le ventre de ta mère,
je caresse de concert celui de toute mère présente et future. Cette affirmation peut te paraître
prétentieuse. Elle n’est qu’humble. Je n’ai jamais autant pensé… envisagé Jésus qu’en cet
instant. Je me sens un peu Joseph et embrasse mon épouse dans les traits… l’attrait de Marie.
En chaque flamme des bougies, brille l’étoile d’un berger.
Cet événement me fait davantage tutoyer mon rôle de père. Je pense au mien. Je pourrais être
tenté de lui jeter la pierre, pour ses absences. C’est précisément sur celle-ci que je suis en train
de bâtir mon « église ». Les choses ne sont pas manichéennes… moins qu’elles ne le
89
Journal d’un futur père.
paraissent. Je jouis de cette propension à l’écriture sans doute grâce à sa carence… grâce à lui.
Elle provient de mon hypersensibilité… elle-même née du dérèglement de mon affectif. Je te
touche… par petites touches… Caïn-caha, je fais mon chemin et ce n’est nullement un
calvaire. Je ne souffre plus. Je me trouve enfin et ce que je découvre, ne me déplaît point.
Cette réflexion m’en amen une autre. Ne seraient destinés à n’être… naître des artistes… que
les ceux ayant des problèmes avec leur père ? L’art serait-il la voie… la voix menant à la
guérison ? N’use pas de cet argument, n’utilise pas ce prétexte pour venir me chercher
querelle…
Dans la cire fondue, s’amassant au fil des heures, à l’aide du dos d’une cuillère à dessert, je
grave de minuscules traces parallèles semblables à celles laissées par des pas… d’un petit être
en l’occurrence. J’appelle ton cousin et lui déclare qu’un lutin accompagnant le Père-Noël y a
laissé ses empreintes… qu’il est entré à tel endroit sur le bougeoir et ressorti par tel autre. Ne
croyant plus au vieux barbu, il est néanmoins interloqué. Il y espère un court instant,
recouvrant son âme de gosse déjà agonisante. L’innocence commence à le fuir malgré lui…
malgré lui[t] ses yeux s’illuminent à l’idée qu’un farfadet ait pu tremper ses semelles dans la
cire molle. Mais, son esprit reprend le dessus… sur son cœur. Il hausse les épaules, me
délaisse à mes rêves. Sait-il seulement que par ce geste, il se perd ?
Les bougies perlent le temps, l’égrainent en fines gouttelettes ou coulées. Je passe ma soirée à
les observer, à m’en amuser. A les titiller, je titille cet autre, le remonte en cette soirée. Je
revis tous mes Noëls un à un, ressens ces sentiments de plénitude qui m’avaient empli
autrefois. Je découvre qu’en me fiant à mon instinct, par empathie, je peux ressentir ceux qui
traversent un être. Je m’y essaie sur tes cousins. Je redeviens un gosse de trois ans… un autre
de six. Je m’y évertue avec toi, en vain. Tu me refuses ton accès, semble-t-il. Brigues-tu de le
vivre seul puisque rare ? Le manque de clarté nous achève bientôt. Le sommeil finit par
m’atteindre ainsi que ta mère, simultanément. Nous prenons congé. Dehors, nous croisons
non pas les rennes du vieil imposteur mais de petits hommes bleus… un autre genre de lutins.
Ils luttent, s’affairent à remettre un génie dans la lampe à huile… de l’électricité au sein des
foyers privés. Les lumières de la ville nous enrobent de leur chaleur orangée. Elles nous
ramènent en notre demeure… de fatigue… en d’autres temps. Le charme se rompt.
Pour la petite histoire, tes grands-parents restèrent dans l’obscurité jusqu’au petit matin. Ils ne
purent dormir. Un câble ayant cédé, il fallut creuser toute la nuit durant pour le retrouver sous
terre et le remplacer. Le bruit des travaux les perturbèrent… les empêchèrent de fermer l’œil.
Ta mère fut sobre. Elle ne rattrapa point son retard éthylique. Elle but modestement mais
suffisamment pour t’éteindre. Quant à ton oncle, cette immersion le rendit amoureux, plus que
de coutume. Le noir lui inspira-t-il quelques envies concupiscentes ? Enfin, avant d’entamer
les hospitalités et de nous rendre en cet antre des frères Lumière, je surpris le petit moineau
perché dans son rosier et ce, plein de vie. Tout est bien…
Je viens te rendre une visite impromptue demain. Aussi, me préparé-je à cette fameuse
question qui brûle tes lèvres en formation. Je commence à te connaître avant de t’avoir
reconnu. Je te sais aspirant à revenir à la charge s’agissant de ta procréation. Tu brigues
d’apprendre les tenants et aboutissants de la conception. Avant toute chose… toute leçon de
choses, il me faut te faire ce rappel des principes fondamentaux générateurs. Pour d’aucuns,
l’inclination est d’inspiration divine… l’être ne serait qu’une marionnette entre les mains du
Logo et, ses vœux, les ficelles l’animant. Le coït ne serait pas volontaire mais provoqué par
des volontés supérieures. Pour d’autres, elle serait le produit d’un lâcher d’hormones furtives,
engendré par l’esprit. Qui le lui dicterait ? Un fatum ou un hasard plus ou moins bien
orchestré. Le coït serait volontaire, provoqué par des volontés conscientes ou inconscientes.
90
A toi que je ne connais pas en corps…
L’amour serait donc une aliénation de l’esprit conduisant à engendrer l’alien. Pour ma part, il
serait davantage une émancipation du cœur. Car dans les hypothèses susmentionnées, les
deux s’opposent… l’un devant céder aux desiderata du second. Or, cette opposition me
semble une hérésie. Le cœur est à voile ou à vapeur et, l’esprit, ce gouvernail. L’un ne va pas
sans l’autre au risque de partir à la dérive ou de demeurer sur place. Ainsi, l’esprit permet-il
de voir la paille dans l’œil de la voisine… attisant sa flamme. Le cœur permet-il d’avoir la
poutre qui sommeille en moi… en émoi. L’enfant naît donc d’une écharde, une é-pine de
l’églantier plantée dans la chair promise de la mère. Le sexe de l’homme est au pendant du
nez du fameux pupazzo. Il grandit au fur des mensonges de la fée du logis. (Ils la font
frémir.). Quand il est raide et droit, elle l’invite en son sein pour lui retourner la politesse. Elle
coopte ce dard ardent apte à la réchauffer… lui dire ces con-pli-ments la consumant. A force
d’aller et venir en boniments, il finit par s’entamer. Son bois durci à outrance et sa cohésion
commence à s’effriter. Les fibres éclatent. Alors vient l’accident… un éclat se plante dans
cette autre. Il devient une greffe dans la grève – s’il n’est pas retiré à temps ou délaissé
sciemment –. En terrain propice, ce greffon va se développer… nourri et abreuvé, il
engendrera un fruit… un petit d’homme qu’à maturité, des spécialistes viendront cueillir…
qu’à son tour, il se consume. Le ventre des femmes est ce jardin des Hespérides…
désespérant parfois… menant à tout à condition d’en sortir.
Au sujet d’alien, il semble que tu aies rompu la communication… que tu ne désires plus y
donner suite. Je ne reçois point tes suppliques lorsque j’appose ma main sur le sein de ta
nourrice. Tu cesses sitôt, commandant à ton esprit de ne plus frapper. Et, ton spectre ne vient
plus emplir mes nuits, suscitant mon ennui. Aussi, attends-je beaucoup de demain… te
surprendre en tes jeux vilains. Aurais-je dit ou fait une chose déplaisante ? A contrario, que
n’aurais-je pas écrit ou accompli ? Je ne saisis pas. Depuis plusieurs jours, ai-je repris ma
route en solitaire, ce chemin de Saint-Jacques de Compos’elle. J’ai repris mon bâton de
pèlerin et suivi le faucon, tentant de te débusquer… J’explore chaque voie…voix… t’appelle
désespérément en chacune d’aile. J’ai repris mon envol pour venir vers toi. J’espère ne pas me
brûler… ne pas me perdre en cours… ne pas choir de mon père… en ce rôle… à moins que je
ne m’épuise sur tes lèvres. A moins que tu ne luises sur les miennes. J’essaie de venir entier
cette fois.
Silhouette liliale sur fond gris, tu nous vins moins ectoplasmique et sombre que la prime
fois… davantage en chair et en sang. A peine la douchette fut-elle apposée sur le ventre de ta
mère, que tu nous apparus en toute ta splendeur… en toutes tes formes. Tu semblais au
rendez-vous, impatient(e) de nous faire signe. Tu semblas agréer notre immersion en ta nuit
permanente, nous convier à la partager avec toi. Je ne fus pas bouleversé… point empreint de
cette magie. Je savais ce que j’allais embrasser, anticipant les images, les analysant au fur de
tes mesures. Tu te prêtas au jeu de bon gré… de nous rassurer… te pliant… en quatre pour
nous permettre de t’appréhender en très moindre détail, sous toutes tes coutures.
Ta mère sait. Elle connaît ton sexe. J’ai tenu jusqu’au bout pour ne pas céder à la tentation, à
son pendant. Je n’ai rompu ni le serment, ni le charme. Le temps va décupler mon plaisir. Ta
naissance ne sera pas un acte médical de plus. Je ne serai point blasé comme en ce jour. Oui je
suis déçu d’avoir déjà perdu l’enchantement. Il me semble avoir par trop percé tes mystères.
Je sais tes traits… ta physionomie… le moindre de tes organes. Une pléthore d’informations
quant à la grossesse m’a été divulguée malgré moi. Plus j’en sais et moins bien je me porte…
je te porte. J’aspire à refermer cet accès sur toi. Dix nouvelles semaines devraient m’y aider.
A ne plus subodorer tes secrets… notamment de fabrication… la plume me devient moins
facile, moins agile. Elle est empreinte d’une lourdeur indésirable. A ce sujet, je plains ta mère
91
Journal d’un futur père.
de succomber à sa boulimie d’indices, de se repaître de lectures… indigestes et dispensables.
Elle n’a plus rien à découvrir. Aussi, la libération lui devient-elle nécessaire, n’ayant guère à
apprendre.
Je vais et veux demeurer seul contre toutes et tous. S’il ne doit en être qu’un, je serai celui-là.
La lutte sera rude… Nathalie va mettre au parfum la famille… à ton parfum. Je ne souhaite
pas encore savoir ta fragrance. Il ne me reste que cette infime part d’inconnu. Je brigue de la
préserver intacte, que tu viennes en personne me l’insuffler. Je désire conserver ce trésor…
de pouvoir continuer ma carte. Dans le cas contraire, ce journal n’aurait plus d’essence. Je
devine l’incident… l’un d’entre eux va vendre ta mèche. Je le hais déjà. Qui sera-ce de ta
grand-mère maternelle, de ton grand-père paternel, d’un cousin, d’une cousine, de ton arrière
grand-mère, d’un ou une amie, ou de cet outsider se lâchant en pleine discussion car ne
songeant plus à conserver l’énigme ? Qui sera celui ou celle que je vais honnir jusqu’à la fin
de ses jours… voire ceux d’après ? Est-il un volontaire ou sera-ce involontaire ? S’il pouvait
se taire… Si elle pouvait se taire… et ne rien divulguer. Je serais certain qu’aucun ne
commettra la sottise. Après tout je suis son père. Que n’ai-je ce droit prépondérant, ce droit au
silence ? Qu’importe, celui qui s’exécutera, aura droit à une pleine page dans cet ouvrage…
que je lui rende mes derniers hommages. Avis à la population. Je n’aime point menacer. Il est
des cas où il n’est guère possible d’agir autrement. Aux grands mots, les grands remèdes !
Aura-ce la vertu de lier des langues ? Je l’espère… je lui espère.
Il n’est de bonne compagnie qui ne se quitte. Et, la tienne m’étant excellente, j’ai pris congé
avant qu’elle ne se ternisse. J’ai rangé les photographies extraites de l’échographie… de n’en
appréhender davantage de toi. Laisse-moi t’ébaucher… te frôler par touches (de moins en
moins légères). J’ai toute la vie pour te saisir… pour te toucher. Accorde-moi ce répit pour me
mettre à profit… à profil… en mon rôle. J’ai besoin de me respirer avant de pouvoir te sentir
et me jeter dans tes eaux. N’aie pas peur, je suis presque prêt… déjà si près. Je serai à l’heure
(et non un leurre) au rendez-vous. Ma main te sera tendue… que tu sois une petite fille ou un
gars.
Les chantres de l’immuabilité, ceux-là qui jadis professaient la platitude de la Terre
– condamnant Galilée et consorts – se complaisant dans l’obscurantisme à grands renforts de
discours généraux et définitifs, déclareront l’adéquation de la société libérale à l’homme. Ils
écarteront les schémas socialistes en décrétant qu’ils ne peuvent fonctionner car, ils ne
prennent pas en compte les réalités humaines. Ils prétendront – en substance – que tout être
humain est mû par une ambition le conduisant naturellement à écraser son prochain et,
qu’aspirer à vivre dans une société radieuse… pacifique… tient donc de l’utopie. Leur vision
ne serait pas pessimiste mais objective. Partant de l’axiome que la raison du plus fort serait la
meilleure, la démocratie ne peut être que l’expression de celui-ci. Ce n’est pas la panacée
mais on s’en rapprocherait.
Tu l’auras compris, je ne partage cette sorte de discours… et pour cause. Cette supercherie
sémantique repose sur une acception du mot « réalité » renvoyant à la notion de l’essence (la
définition de l’être) et non pas à la définition courante du verbe… caractère de ce qui est réel.
Le commun des mortels oyant le palabre se prêterait à la confusion. Car, est-il possible de
confondre tout homme ? Le caractère fondamental pourrait être identique. Ce qui fait
l’individu, ce n’est point l’essence uniquement, mais un subtil mélange entre trois composants
indis-sociables… l’essence… l’accident (le vécu)… et l’enseignement (le reçu). Tenir compte
des réalités, ce n’est point fonder sa pensée sur la seule substance. Là, le débat blesse. C’est
un aveu d’impuissance. L’imprégnation par des axiomes – culturels notamment – participe à
me dire ce qui est bon ou mauvais… bien ou mal. En me cachant cette réalité, la société
92
A toi que je ne connais pas en corps…
capitaliste tente de s’imposer par des biais fallacieux, en empêchant ma propre réflexion quant
à ce qu’elle m’enseigne, puisqu’en me dissimulant une partie de la réalité. Elle me trouve… et
ne me permet pas de me trouver. Elle me formate à ses concepts. Elle m’empêche de remettre
en cause sa culture et ses préceptes. Ainsi, se pérennise-t-elle dans le sophisme qu’elle serait
la plus légitime.
Les termes « ambition » et « socialisme » ne sont point antinomiques. L’ambition n’est pas
l’apanage des capitalistes. La première acception entend l’idée de fortune. Toutefois, elle
n’est pas princeps… souveraine. La seconde exprime le désir profond pour quelque chose.
J’ai celui de changer mon monde par des conceptions socialistes. Pourquoi des tribus
résolvent-elles leurs conflits en faisant l’amour… d’autres en se faisant la guerre ? Qu’ontelles l’ambition du prochain et ces autres de lui foutre sur la gueule ? La culture la leur
confère. Quoiqu’en disent les réactionnaires, j’ai l’ambition d’élever mon enfant dans une
culture socialiste rationnelle et pacifique… reposant sur la raison du plus faible car
pléthorique… non pas élitiste et belliqueuse.
J’ai l’ambition de faire évoluer ma culture. Ça passe nécessairement par des progrès
utopiques. Car ce changement ne se produira pas instantanément mais, en égrainant mes idées
çà et là. Cet essaimage permettra à des embryons de ma pensée de germer ou non. Seuls les
terreaux propices l’agréeront… m’y aideront. S’ils sont une pléthore, alors nous gagnerons
par la réalité de nos idées et non par la force. Ainsi, nos réflexions mêlées nous permettrontelles d’accoucher une nouvelle société… une société parmi tant d’autres. Je ne suis pas
animer par l’ambition de fédérer, de confondre tout homme. Les échecs antérieurs de ces
schémas ne sont nullement synonymes d’infaisabilité. Ils sont les dispositions liminaires
permettant d’aviser les défauts et d’en tirer les leçons nécessaires… d’éviter cette
palingénésie gangrenante. Rome ne s’est pas faite en jour. Elle ne se défera pas en tel autre. A
titre subsidiaire, je conteste la théorie selon laquelle l’existence précèderait l’essence. Pour ma
part, ce serait l’exact contraire… l’essence étant intemporelle (puisque le caractère
fondamental des hommes depuis l’ennui des temps jusqu’à son extinction)… l’existence une
confrontation d’icelle ponctuelle… ponctuée. La réalité ne m’est pas essentielle mais
accidentelle puisque empirique. Il appartiendrait aux âmes de choisir leur confrontation…
l’art et la manière. Alors mon enfant, choisis la bien… [Si tant est que tu le puisses… De cette
conception, je douterai sûrement un jour… cartésien au plus profond de mon être. Je doute de
tout… à douter de mon doute même…]
Je suis un homme sans passé… que je n’en ai aucun… ou aspire à nier les miens. Non, je n’en
ai pas en ce sens où mes souvenirs ne sont pas des ficelles aptes à me soutenir ou m’animer.
Ils ne sont point mes fondations. Je suis habité par l’étrange sensation d’exister… par une
pléthore de vies successives… sitôt épuisée, une nouvelle m’enfante. Je suis empli de
sentiments d’antan… point d’image. Les photographies de mon enfance sont des clichés de
jours anciens… révolus. Par un singulier phénomène, mon passé s’efface de ma mémoire
après un certain délai. Il est cette sorte de fruit que j’eusse épuisé, usé et dont il ne reste
qu’une vanité, une peau vide… une mue. Aussi, m’en séparé-je périodiquement… étroite..
inutile. J’ai cette menstruation inconsciente, cette perte d’é-moi… malgré moi. Je me pisse…
la vigie trop pleine. Je m’abandonne… de m’apurer. Mes souvenances sont des réminiscences
imprécises voire inconnues… du moins non reconnues. Elles s’éteignent, s’évanouissent pour
mieux laisser place au devenir. Cela m’agrée, partant du postulat qu’on ne peut pas être et
avoir été. Je vis dans le présent, sans me retourner… sans remord… sans regret. Au pendant
du Phénix, je n’ai de cesse de renaître de mes cendres, de mes toilettes lixivielles.
93
Journal d’un futur père.
Mes propos voulant que chaque jour serait une vie (l’aurore une naissance et l’aube, une
petite mort) ne sont donc pas usurpés… ou un principe romantique. Ils reposent sur ce don ou
ce défaut… cette réalité. Je jouis ou subis cette propension incroyable de pouvoir me
réinventer [in]lassablement. Ainsi, ne suis-je pas encombré de bagages futiles mais peut-être
trop légers. Mon unique valeur – fil conducteur – est ma famille. Elle est mon repère, ce lien ô
combien précieux me permettant de passer d’une vie à l’autre au cours d’une même existence.
Elle est mon socle, m’accouchant, me supportant en tous mes états… en toutes mes
naissances. Je suis cet enfant… cet adulte… ce vieillard perpétuel. Ta procréation est un
dérèglement… hormonal pour ta mère… existentiel pour ma part. Il me faut t’avouer (me
pardonneras-tu ?) que je redoute ta venue au monde, en ce qu’elle représente un risque
d’achever ce cycle et de tuer le gamin que j’es-suis pour toujours. Je ne te maîtrise pas. Cette
carence me trouble… au-delà du raisonnable ? Cette crainte est-elle engendrée par le choc
non remédié de ma propre extrance20 ? Ai-je cette plaie en moi ? Est-elle la source de mon
évidement ?
C’est peut-être la véritable cause pour laquelle je n’aspire pas à connaître ton sexe, pour
reculer l’instant de l’avènement. Que de m’achever, ne serais-tu la cure ? Au lieu de continuer
à m’éparpiller… m’épandre en cette pléthore… sans doute parviendras-tu au prodige… mon
enfant… de me fixer… de m’a-guérir… de rompre l’anat’aime… cette aversion que j’ai de
moi. Le manège a cet avantage de ne point me lasser, échangeant constamment de panoplie,
tour-atour. Il commence à me donner le tournis. Aussi, suis-je partagé par l’envie de tourner
la page… de me concentrer sur un rôle unique… et celle d’avoir la faculté de changer de
tunique lorsque les us me pèsent plus que le costume. Mais à bien y réfléchir, ce problème
n’est-il point faux puisque à penser, je suis. Il me suffit de m’envisager tout autre pour l’être.
Je m’épargne une dépense physique superflue.
Je crois qu’acculé… mis au pied du mur… je suis effrayé de ne pas être à la hauteur de ta
responsabilité. Oui d’ordinaire, j’assume tout ce que je fais. Je ne suis plus dans l’habitude.
Le prétendre n’est pas suffisant… Il faut être… suffisant… pour le prétendre. J’aime prendre
des risques seul… ou que je puisse vaincre. Là, nous sommes maints en cette affaire et je
viens à l’aveugle. Je n’ai pas de schéma à reproduire et ne sais ni ce que tu entends, ni ce que
tu attends. J’ai ce lien familial pour m’épauler, combler mes manques. Cette histoire est la
nôtre et je me fais un point d’honneur de l’inventer en toutes mes imperfections. Je serai ce
pilier, ce chêne ou ce roseau. Je me fais fort. Je ne tremblerais pas. J’entame cette ultime
mue… Tu l’auras ce père. Tu l’auras. Devrais-je y laisser la vie, je te viendrai en cette autre…
J’entame mon labeur. J’espère qu’il naît pas trop tard pour bien faire. J’ai cette bonne volonté
qui je le pense, devrait rattraper mon retard… si tant est que je le sois. Je commence à
appréhender la sensation du rôle. Je commence à me sentir père… et par l’esprit… et en ma
chair. Tu m’as pénétré d’un frôlement léger. Je t’ai enfin senti. Apposant ma main sur le sein
de ta mère, j’ai percé ton souffle. Tu as empreint ma paume d’une douce caresse. Tu m’as
signifié ta présence à l’instant où je me désespérais… où je me languissais… où j’en avais
grandement besoin. Tu as repris la communication au-delà de mes espérances… d’au-delà.
Ton silence me contraignait à envier ta mère dans ses joies et dans ses peines… à l’envier
dans ses maux. Je jalousais sa situation « privilégiée » de pouvoir te vivre. Je vous exécrais
d’être exclus. L’emploi du paternel (point celui du géniteur) n’est pas le plus enviable, ni le
plus simple. Cette tâche me paraît ingrate. Il faut constamment jouer des coudes pour créer ou
prendre sa place… même si Nathalie se démène pour me faire participer à l’événement… me
sollicitant. Elle s’attristait de m’embrasser ainsi mis au ban. Je ne vois plus son ventre de la
20
Extrance : n.f. naissance.
94
A toi que je ne connais pas en corps…
même manière. Sorte de ballon rempli de vent, d’une humeur qui ne m’atteignait guère, je
l’envisage davantage en cette corne d’abondance, contenant un fruit précieux. Je le surveille
et le protège afin que quiconque ne puisse le taler… l’abîmer. Je suis devenu le gardien de ce
temple – non pas animé par la jalousie – puisque oint d’une mission transcendantale.
Allongés cote à côte, la maille en vrac, affalés en un repos dominical mérité, Nathalie
empoignait soudainement ma senestre pour la placer sur son ab-domaine (déjà plus le mien).
Je m’abandonnais… de ne pas la froisser… las de la vacuité de l’exercice. Ressentant ma
chaleur et la pression de ma main, tu cessais le tien comme à l’accoutumée. Etait-il
quelqu’un[e] en ses entrailles ? Cette bulle était-elle spéculative… propice à se dégonfler plus
ou moins ? Je restais coi… quoique circonspect. Je savais mon adresse destinée à demeurer
l’être mort[e]. Mon épouse m’interrogeait, afin de saisir si je t’avais perçu. Je répliquais par la
négative. Je m’apprêtais à retirer mes doigts de cette farce (non môssieu ou mam’selle, je ne
traite pas votre mère de dinde même si la saison eût pu s’y prêter…). Elle me retint en mon
élan. Elle m’agrippa le poignet, m’obligeant à poursuivre mon toucher. Elle positionna mes
phalanges dûment puis, me signifia de patienter. Aspirait-elle à me faire compter les réactions
gazeuses lui meurtrissant l’estomac ? Je m’exécutais, sachant que je perdais mon temps. C’eût
peut-être une vertu somnifère… Aucune importance car alité. Je décidais d’attendre jusqu’à
ce qu’elle se lassât et me rendît ma liberté.
Des crampes s’amorcèrent. Il n’était point de gesticulation. Je décidais de lever le sang…
d’aller voir ailleurs si tu n’y étais. Nathalie me signifia de ne pas bouger et de me taire. Il
sembla que tu fusses sur le point de retour… de retournement. Ne trouvant pas la position
propice, tu t’affairais à faire ton trou, à l’instar des matous… à filer des coups pour adoucir la
matière apte à recevoir ton auguste derrière. L’un de tes horions me percuta. Je me
pétrifiais… incertain s’il s’agissait bien d’un heurt… apeuré qu’il ne fût itéré. Ma crainte fut
de courte durée… et ma liesse, inversement proportionnelle. Je rencontrais ce troisième
type… cette arlésienne. Le silence était rompu. Je souriais sottement à ta mère, tandis qu’en
mon esprit défilait une myriade de sentiments pas en corps éprouvés. Cette seconde tape
d’apparence bénigne me fit voir trente-six chandelles. Ce fut une véritable gifle. Je fus collé
au plafond ou au lit… je ne sais plus. Avais-je fini par t’apprivoiser ? Me reconnaissais-tu
enfin ? Est-ce cela la paternité ? Un père n’est-il réputé reconnaître son enfant que sous
couvert de réciprocité ?
L’année se meurt. Une nouvelle est prête à reprendre le flambeau. Comme tous les ans, la
nature est ainsi… et bien faite. Nous ne connaîtrons pas d’interruption temporelle. Faut-il
pour autant nous en réjouir ? Les grégoriens ont trouvé la poire idéale, avant la manifestation
du Christ aux Mages. Et, il semble qu’elle soit impatiente… Il n’a point fallu rajouter une
seule journée. Parfois, c’est utile lorsque l’une d’entre elles (en général tous les quatre ans) se
fait un peu tirer l’oreille. La place doit être bonne à pourvoir… pas une – jusqu’à présent –
n’a manqué à l’appel de chrétiens. Ainsi donc, les joyeux fêtards se mettent sur leur trente et
un (l’expression n’est jamais autant consacrée.)… s’apprêtent à la célébrer. L’année est
morte… vive l’année ! Paradoxalement, l’événement est catholique mais la fête sera
païenne… une resucée des bacchanales antiques. Il conviendrait de s’adonner à des orgies…
des débauches grotesques. Il est de bon ton de mourir au pendant de l’année… d’être mort…
saoul ou malade des excès… de renaître avec cette autre que l’on espère meilleure.
Nous concernant, nous avons festoyé ce midi, faits nos ripailles (un repas amélioré) avant
l’heure des apa-tueries21 collectives… Me consternant… concernant, je me fous royalement
21
Apaturies : n.f. pl. fêtes de Bacchus à Athènes.
95
Journal d’un futur père.
des célébrations religieuses quelles qu’elles soient. L’an œcuménique expire avec la
Nativité… et s’en revient à la vie, à mi-chemin de celui des Rois. L’étoile du berger peut
briller… trois fêtes coup sur coup… pour le prix de trois. Les marchands sont aux anges et les
ouailles, assez bonnes pour retrouver bientôt leur labeur (si elles aspirent à reconstituer leur
bas de laine savamment percé.). Elles se feront tondre derechef en avril, quoiqu’elles ne
devraient pas se découvrir d’un fil. Les cloches ou poules aux œufs d’or, ne sont-ce point elles
finalement ? Tout ceci sent le tripatouillage malsain… Le nouvel an devrait se commémorer
au 1er mars… octobre signifiant le huitième mois… novembre le neuvième… et décembre le
dixième. Par quel miracle Rome a-t-elle été abusée et s’est-elle vue supplanter son calendrier
par cet autre mercantile ? Qui y a trouvé son intérêt ? Quel qu’il soit, je le réprouve… n’aspire
point à m’y plier. A la rigueur, je pourrais agréer cet autre… républicain… si, la Révolution
n’était point cette infamie bourgeoise… et la République, l’outil représentatif de son pouvoir.
Ce jour ne sera qu’un de plus. Je ne lui condescendrai pas plus d’importance que la veille ou
le lendemain. L’idée même de l’itération m’horripile. Je n’aspire pas à revivre telle aventure
ou tel épisode. Ce qui est de l’ordre du passé doit le demeurer. Lorsque je change ma
casquette, je ne brigue plus remettre l’ancienne. Je ne souhaite pas me confronter une fois de
plus à un seul moment… heureux ou non… de mon existence. Je suis suffisamment affecté
pour succomber au poids de la nost-algie. Non, il n’a de sympathie que de me permettre d’être
en tête-à-tête avec ma femme, de me conférer un motif supplémentaire. Avons-nous
réellement besoin de cela pour nous retrouver ? Si tel était cas, ce serait lamentable et triste.
Nous sommes allés nous faire une toile… un film magnifique… magnifiant les relations
initiatiques entre un grand-père et une petite fille. Sans doute m’en inspirerai-je pour ton
éducation. Nathalie s’est gavée de maïs soufflé… d’un pot de corn. Tu dois être un(e) sacré(e)
morfale ou ô combien écœuré(e) ! Dans ce dernier cas, je ne sais pas où elle met tout ce
qu’elle ingurgite… que tu refuserais. Son foie doit commencer à être gras. Je ne succomberai
pas à la tentation de le déguster ce soir. A propos de bouffe, verrais-tu un inconvénient à ce
que je te nomme temporairement « escalope » car pas-né[e] ou « poisson » suivant ton genre,
tant tu sembles te complaire dans ton eau ? A ressentir tes coups, je ne suis pas certain que
cela t’enchante. Passons. Tant pis… A l’année prochaine, si tout va bien.
Un an a passé cette nuit pris dans les cheveux de l’ange. Le fourbe a traîné dans sa volée,
l’exorcisme traditionnel imbécile… l’expression des meilleurs vieux. Pourquoi le jugé-je
ainsi ? Parce que cette tradition séculaire se légitime-t-elle toujours ? Elle pouvait se
concevoir en des temps où les croyances incertaines permettaient au bien et au mal de se
mêler et se conjurer. D’hui, est-il opportun de souhaiter une bonne santé à tous ceux dont on
subodore qu’ils ne la finiront pas ? Et à ces autres qui connaîtront comme à l’accoutumée leur
lot de rhinites, pharyngites, laryngites, rhumes, grippes ? Sans faire état de tous ceux dont la
santé se dégradera… Croire qu’une simple expression même pensée puisse modifier
l’évolution… le cours des évènements… les enrailler… n’est-ce une vanité ? Prétentieux et
désuet ? Présenter tous ses vœux de réussite, de bonheur ou de prospérité, n’est-ce pas
burlesque ? Aspirer ou souhaiter qu’un individu puisse se réaliser en une année seulement est
ridicule. Que s’y contraindrait-il ? La vocation de l’existence est celle-là. Que ferait-il le reste
du temps s’il y parvenait ? Il faut se méfier de ce genre d’encouragement… de ses
conséquences.
Je me plierai à cette tradition ne briguant de me fâcher ni avec les miens, ni avec mon entour.
Lâche, je succomberai à son poids, sans en penser un traître mot. Je ne voudrais pas être taxé
d’intolérance. Aussi, céderai-je à leurs aspirations. Si tel leur fait plaisir, je leur ferai celui-là.
Il ne mange pas de pain, que risquerais-je une [s]cène ? Néanmoins, que ne respecteraient-ils
96
A toi que je ne connais pas en corps…
pas mes convictions ? Quant au sujet de l’émulation, je veux rompre avec cette culture. J’ai
souffert durant toute mon enfance, de la compétition inhérente. Je n’en avise les dégâts,
notamment sur l’ego. J’en conserve quelques séquelles irrémédiables. Je n’aspire pas à ce que
tu tombes dans mes travers. Tu ne seras donc pas invité à te dépasser… à égaler… ou
surpasser autrui. Tu ne recevras pas de cadeau lorsque tu travailleras bien. Cela entendrait que
je te les reprenne en cas d’échec. Or, tu apprendras davantage de ceux-ci. Ce serait un nonsens. Je brigue que tu fasses conformément à tes prédispositions… que tu prennes du plaisir
en chaque instant que la vie te consentira.
Dans cet esprit – considérant cet autre profane – nous ne célébrerons pas la Nativité du Christ
mais la tienne… et de tes éventuels frères et sœurs… nous étant propres… nous touchant.
Etant nos divins enfants. Il ne s’agira pas de « Noël » substitué par « Ronan » ou
« Auriane »… Chaque anniversaire, sera l’occasion pour un seul de souffler les bougies des
ans consumés… et pour tous, de recevoir des présents. Il n’y aura point de célébration d’un
être unique mais de l’ensemble de nos enfants. J’en ai parlé à ta mère, elle a agréé le principe
après de mures réflexions. Il n’est pas évident de changer les mentalités. Concernant la
nouvelle année, nous avons résolu le problème. Nous ne ritualiserons plus. Je me suis déjà
étendu… entretenu sur la question. Je n’ai plus besoin de t’exposer mes arguments… bons ou
mauvais, ce sont les nôtres. Entre nous, il m’indiffère d’être en telle ou telle année après Jésus
Christ. Les soi-disant experts nous ont tellement rebattu les oreilles… vantés les vertus de l’an
deux-mille durant toute l’enfance… à la vue du résultat, je t’assure qu’il n’y a guère de quoi
s’enthousiasmer. Au lieu de festivités, il devrait s’agir de funérailles…
Nous souhaitons prendre une véritable distance avec la culture judéo-chrétienne. Elle n’est
pas la nôtre. Nos minettes n’ont même pas été conviées à la genèse de Jésus. Il y eut un
mouton, un bœuf, un âne… point de nos félins. Joseph et Marie auraient déclaré : « Point de
chat chez nous ! ». Avaient-ils fait ce rêve prémonitoire, selon lequel leur fils serait tué par un
tel animal ? Oui, je le rappelle au cas où tu l’aurais oublié… ne dit-on pas qu’il serait
descendu par minou ? Nous ne voulons rien avoir à faire avec de tels gens, ayant le poisson
(l’iktus) pour emblème de surcroît… œuvrant de manière ségrégative. Cette religion n’a en
sus que peu de considération pour le père et la mère… des vues spartiates. Tu feras comme
bon te sembleras. Nous ne t’élèverons pas selon leurs préceptes.
L’une a déjà oublié mon nom et l’autre, fait tomber son masque vulgaire. Au grand dam de
mes parents – et pour cause ! – je les nommais seconde « mère » et second « père » car des
nourriciers syndicaux. Or, ce sont des fourbes. Ils se sont liés à moi par intérêt. En pauvre sot,
je leur ai offert un peu de mon cœur au lieu d’une simple… franche camaraderie. Qu’ai-je été
si dupe à en engendrer la colère de mes propres géniteurs ? Le temps est venu de défaire cet
affectif débordant… débordé qui me cause tant de déboires. M’aideras-tu à devenir cet
homme que je n’ose… que je n’osais ?
Je touche le courroux de mes parents véritables. A l’aube de l’emploi, je saisis que je
n’aimerais pas que tu en fasses autant. Cela pourrait sous-entendre que j’eusse failli en ma
tâche, briguant me remplacer par un inconnu… ou mis sous tutelle… que tu aies transféré ton
amour sur celui-là. En mon esprit, il ne s’agissait point de substituer les seconds aux premiers
mais davantage d’exprimer – fort maladroitement – combien cette seconde paire… de pairs…
avait pu compter à une période de ma vie. C’était ma manière de les reconnaître, de les
remercier… de les honorer… Certes au détriment de… Maladresse ! Je n’aurais pas dû
déposséder les miens – implicitement – de ce titre. Quelle honte ont-ils dû éprouver !
J’appréhende leur courroux légitime. Mea culpa… J’ai été très léger en cette affaire, n’avisant
que le point positif (honorifique) et aucunement l’aspect négatif (déshonorant).
97
Journal d’un futur père.
J’embrasse mon erreur par ma déception présente… les carences des honorés. Je suis naïf, pas
idiot. Bien qu’ayant frôlé leur défection à maintes reprises, je fermais les yeux comme je
l’eusse fait avec mes propres parents… Il faut assumer ses bêtises. Les ayant glorifiés, je me
refusais à les percevoir tels qu’ils sont… de les regarder en face. En leurs défauts inavoués, je
me pardonnais des miens. Mon affectif exorbitant fit le reste, m’aveuglant, me taisant à bon
escient… travestissant la réalité. Je niais la vérité. Ils avaient été si généreux. Etaient-ils
détachés ? Ne leur ai-je point accordé plus d’importance que je n’eusse dû leur conférer ?
Comment les débaptiser… rompre ? Je ne sais pas faire. Je me suis enfermé dans le mythe et
l’ai entretenu. Je ne sais me fâcher avec ceux que j’affectionne. Il me faudra les oublier
comme ils s’y sont exécutés, semble-t-il… Quelle mère confondrait son fils et ne se réjouiraitelle point de sa réussite ? Quel père agonirait son fils ?
En mes absences, elle a subodoré le départ hypothétique… irrémédiable. Aussi, a-t-elle
anticipé et m’a-t-elle déjà remplacé (ce dont je ne puis la blâmer). Elle m’affuble
inlassablement du prénom dudit remplaçant. Le lapsus est révélateur… ennuyeux. Lui
confirmant ses supputations (en lui révélant que j’allais probablement abandonner mes
mandats, pour occuper un poste à responsabilités avec un plan de carrière à la clé), elle a fait
une tête d’enterrement… assistant à ses propres funérailles. Elle n’a daigné me féliciter que
plusieurs jours après. Je passe après… elle… je passe après lui. L’ancien n’a pas été réélu aux
dernières élections prud’homales. Comble du comble… le juge a été jugé trop vieux par
l’organisation pour occuper un énième mandat au sein du conseil. Mis en position tangente, il
lui faudrait une démission pour revenir sur le devant de la scène… M’ayant mis le pied à
l’étrier, j’étais en tête de liste cette fois-ci. Il attendait donc de moi que je démissionne… que
l’élève cède sa place au maître. Sur la forme, je n’ai pas apprécié la manière dont il fut évincé
après tant de bons et loyaux services. Sur le fond, j’agrée la décision avec le recul. Je pense
que le temps était venu qu’il passe la main… de prendre une retraite amplement méritée.
Aimant à paraître, il eût adoré mourir sur le siège… en roi… ou tirer sa révérence avec tous
les honneurs. J’ai donc été l’objet de sa vindicte… m’agonisant… me rendant responsable de
tous ses maux. Il m’a sali avec d’autres… des mots orduriers. Lorsque je lui ai appris qu’il
récupérerait sûrement sa fonction car en partance, il s’est tu. Je n’étais plus rien, je redevenais.
Je n’aurai pas besoin de couper le cordon. Ils s’y sont employés… pour moi. Tout me pousse
à quitter l’organisation et ses branches, n’ayant plus de liens suffisants m’y rattachant. Je vais
enfin m’envisager, me songer… être égoïste. Je n’ai plus à être fidèle à des idées désormais
dévoyées… sinon aux miennes. Je vais pouvoir partir sereinement. Cette rupture à l’entame
de la nouvelle année est-elle une empreinte… un symbole… une direction à suivre ? Me fautil comprendre que rien ne me retient plus ? L’attache ayant été excisée, je puis prendre mon
envol. Tout est rentré dans l’ordre. Assisteront à mon départ, ceux ayant véritablement de
l’amour pour moi. Nous aurons la larme à l’œil. Ce ne sera qu’un au-revoir… ayant fait mes
adieux aux autres. Je tire ma révérence…
Jamais je n’ai aimé la vie qu’en ce jour. De cette catin pour laquelle je n’avais aucun respect
et déniais, j’ai fait cette maîtresse douce et légère. Il me plaît à l’effeuiller, à la respirer, à la
caresser au pendant de mon épouse. Sans doute, les deux sont-elles étroitement liées. A moins
que tu ne sois mon exutoire et qu’à travers toi, je l’embrasse comme je l’eusse dû. Autrefois,
je la percevais un purgatoire, avec son lot d’épreuves incommensurables… mortifères… un
enfer véritable. Je me pensais en vie… d’expier des fautes dont je ne me souvenais point.
Aussi, la traînais-je… un boulet… jusqu’à l’expiation. Aspirant à écourter mon calvaire, je
me suis une fois retrouvé avec une arme sur la tempe. Je n’ai pas pressé la détente (bien qu’en
aspirant une éternelle), avisant la douleur de ma mère découvrant ma dépouille. Je n’ai cessé
98
A toi que je ne connais pas en corps…
de vivre pour les autres, m’oubliant. Je suis parti voir ailleurs, si je n’y étais pas… du moins,
pas mieux. Je n’ai pas trouvé ma place dans cette fuite.
J’ai fait tous les complexes, n’en omettant pas un… de l’œdipien… à celui de la castration. Je
me suis émasculé pendant une décennie pour éteindre mes obsessions… de la timidité à la
rémanence d’une immaturité… une lâcheté… des problèmes de pipi au lit et du naja (serpent
à lunettes)… une stupidité vicieuse. Ce fut un lourd fardeau pour un seul gosse. Pourquoi me
pensé-je un imbécile ? Fut-ce à cause d’une parole malheureuse de ma mère, demeurée
inconsciemment dans mon esprit ? Fut-ce parce que je ne souffrais pas la comparaison avec
ma sœur cadette… au demeurant si brillante ? Me sentais-je honteux de ne point jouir de ses
prédispositions… ses facultés ? Ainsi, n’ai-je eu de cesse de me mesurer à l’aune d’autrui…
d’être meilleur. Sans doute pensais-je que je serais davantage aimé. C’est la raison de ma jetée
dans la compétition incessante… éreintante… sportive… scolaire. A force de travail, je
parvenais à développer des aptitudes. Je parvenais à être le premier. Cela ne m’agréa toujours
pas. Je fus mis en lumière alors que je ne la supportais pas. Je fis d’une pierre deux coups…
j’abandonnais mes études, afin de quitter la lice et de regagner l’ombre. Je me refermais dans
mon cocon, le temps nécessaire à la chrysalide d’accoucher du papillon.
La première métamorph’ose prit dix longues années. Je me renonçais par mes primes écrits…
expiatoires… puis me recouvrais sous… en les suivants. Paradoxalement, dès l’entame de
l’ablation de mon pénis symbolique, je commençai à me sentir réellement un homme…
capable de l’être. Je pus sortir de ma réserve et concevoir de courtiser une femme. Deux ans
plus tard, à l’aube de mes trente printemps, je touchais ce que « faire l’amour » signifiait. Je
partis à ma conquête… en tant d’autres instables. Je consommai mes passions… les consumai
au pendant de mon mal-être. Ta mère fut un remède en ce qu’elle me permit par sa douceur,
sa compréhension, sa patience… son adoration… de poursuivre l’excision de mes psychoses
au lieu d’en engendrer de nouvelles. Je pus me libérer et m’envisager… partir en quête de ce
moi véritable. Je pus l’appréhender petit ou grand, à l’ombre ou dans la lumière. Fi ! Qu’en
soit la place, je m’acceptais… Tu achèves la cure… pas une siné. Le papillon déploie ses
ailes. La vie m’est à présent une fleur qu’il me plaît d’humer. Je ne brigue plus de l’arracher à
l’instar des mauvaises herbes. J’en sais le caractère précieux. J’ai pour elle ce profond respect
m’empêchant de l’ôter à quiconque. Tu viens à point… à poings ouverts… petit bouton d’émoi.
J’ai assisté à une expérience métaphysique dont tu étais le cœur. N’aspirant plus à être suivie
par sa gynécologue mais davantage par notre sage-femme, ta mère m’a demandé s’il
m’agréerait de participer avec elle – non pas aux consultations axées sur la gynécologie – aux
préparations prénatales. En guise de disposition liminaire, il me faut t’éclairer… que tu
comprennes… et le contexte… et mes propos. Le terme de « sage-femme » n’entend pas
qu’elle serait moins méchante qu’un(e) spécialiste ou plus probe. Le verbe se rapporte à l’idée
latine de l’obstetrix… l’accoucheuse. Il signifie que ce genre de praticienne est habilitée, le
temps de la grossesse, au diagnostic des éventuelles pathologies (sans pouvoir prescrire une
quelconque médication) et à la surveillance de la gestation… puis, à sa mise à terme par
l’accouchement. Paradoxalement, la « sage-femme » peut être un homme… Lasse de devoir
arracher les vers du nez de sa doctoresse, Nathalie s’est mise en quête d’une sage femme
susceptible de répondre à ses interrogations… ses angoisses… sans avoir à lui faire
violence… ou se mettre en colère pour cela. Fortuitement, elle s’est rendue chez
l’accoucheuse la plus proche de notre domicile. Incidemment, elle a trouvé charnure à son
pied. Depuis, elle le prend… ayant de sa grossesse, une vision radicalement différente. Là où
la prime était toute en retenue et irascibilité, la seconde est en faconde et bonhomie.
99
Journal d’un futur père.
Je désirais être vivement associé à ta gestation… séparé par le corps, j’espérais pouvoir
prendre ma place par d’autres biais. Je n’avais pas la moindre idée du comment de mon
implication, ni de la hauteur permise. La sage-femme de son côté souhaitait me rencontrer. La
connexion s’est faite hier soir. Elle m’a interrogé quant à ma vision des choses et mes
desiderata en tant que père. Elle m’a rassuré. J’aurai la place active ambitionnée. Je serai ce
complément indispensable. Après ces palabres nécessaires, elle nous a conviés tous trois, à la
préparation. Nathalie s’est déshabillée pour la pesée puis, allongée afin que la bonne femme
lui pratique les examens utiles… prise de la tension… palpation mammaire… inspection des
mamelons (qui vont te servir à boire)… Lorsqu’elle s’est étendue, j’ai aperçu le petit punk,
toute crête dehors, dépasser de sa culotte écossaise. La mèche était rebelle et bien hérissée,
fendue en deux par cette casquette iconoclaste. Le poil était électrique. Il semblait fier de
s’étaler. J’avais envie de rire. Je me retins, indisposé à l’idée d’expliquer le fait générateur de
cette hilarité. Je ne briguais pas d’être pris pour un rigolo… pas en cet instant. Ainsi, lorsque
la praticienne plaça-t-elle ses deux mains sur le ventre pour te sentir et, que s’exécutant, elle
se présenta à toi en te déclarant son prénom et le pourquoi de sa démarche, je fus partagé entre
un enjouement renaissant et un profond respect me taisant. Quand elle me manda de la
supplanter en l’exercice, une émotion m’emplit. L’envie de rire cessa. Tu vins sitôt taper dans
ma paume, comme pour me signifier que tu n’étais pas dupe… que tu me reconnaissais.
Ressens-tu les vibrations des individus ? Les distingues-tu ainsi ?
La suite fut burlesque… onirique. Avisant la sage-femme palper les seins de ma femme, je
commençais à me demander où j’étais. Je me sentis mal aise vis-à-vis de Nathalie. Je
n’aimerais point qu’elle m’avise en train de me faire tripoter par autrui… homme ou femme.
Le fait que ce fût une femme, me permit néanmoins de relativiser. Demandant à ta mère si elle
acceptait un toucher vaginal, icelle répliquant par l’affirmative, je choyais en cet état pendant
du jour de mon mariage… déconnecté de la réalité. Ce fut trop gros pour être vrai. J’assistais
à la scène, absent, interdit. Quand la praticienne me convia à me rapprocher… de me montrer
la manière de masser le périnée… me retrouvant le nez à… au ras du vagin de mon épouse,
deux doigts inconnus à l’intérieur allant te tutoyer, farfouillant, j’entrais dans la quatrième
dimension. Elle m’interrogea… de savoir si je voyais parfaitement la fourche vaginale, ainsi
que la position de ses digits. Je détournais mon regard pour croiser celui de ma brune, m’en
quérir de son état. Le reste m’indifférait soudainement.
Je ne recouvrai mes esprits qu’une fois à l’extérieur… saisi par la froidure… léché par un vent
glacial. Tout homme (hormis les gynécologues eux-mêmes) s’interroge… de savoir comment
se déroule un examen gynécologique et par quelles pratiques. Je puis les rassurer ou leur ôter
tout fantasme pour y avoir été confronté. Il n’y a ni sensualité, ni érotisme. Le moment est
autant déplaisant pour la femme le subissant, que pour l’homme contraint de l’embrasser. A
refaire, je ne suis point certain d’y aspirer. C’est intéressant du point de vue de l’immanence
et de la curiosité. Il n’est nul intérêt hormis ceux-là… Sur le chemin du retour, nous
échangeâmes, ta mère et moi, nos impressions réciproques. Nous nous gaussâmes des
ressentis de l’autre… nous nous moquâmes de nous-mêmes. Une chose nous est certaine… le
plus dur est passé. L’habitude prendra le pli. Heureusement que nous n’avions pas fait
l’amour avant. Les dégorgements vaginaux eussent été le cytise 22 sur le gâteau… ou plus
vulgairement… sur le crapaud.
Avec le recul, ce n’est pas l’acte gynécologique en soi qui me choqua (le mot est sans doute
trop fort)… ce ne fut pas tant l’examen qui me gêna. Je fus gêné pour ta mère. Jusqu’alors la
22
Cytise : n.m. semences apéritives, résolutives.
Apéritif, -ive : adj. qui ouvre, désobstrue, facilite les sécrétions.
100
A toi que je ne connais pas en corps…
préparation avait été plaisante… amusante. Je craignis d’avoir été otage… que l’on m’ait
sciemment tu certains détails afin d’obtenir ma participation. Puis, dans un second temps, je
redoutais qu’à notre insu, nous fussions pris au piège… Nathalie de concert. Il me sembla que
cette promiscuité naissante n’eût dû avoir cet aboutissement. Je n’y étais pas prêt. Certes, si
elle n’y avait point consenti, ta nourrice n’eût pas donné son ac-corps. Justement, mon
ressentiment postérieur intervient hic et nunc. Je fus effrayé qu’elle n’osât dire non, un peu
prisonnière d’un jeu pervers, comme dans une partie entre adolescents tournant au viol… dont
la surprise demeure amère. Dans de tels cas, la frontière entre l’agrément et le refus est
indicible. Il est difficile de percevoir la volonté profonde, véritable derrière une parole.
Apparemment, elle n’en garde ni traumatisme, ni vil souvenir. Au contraire, elle rit de
l’événement… des circonstances au cours desquelles il est intervenu… et de ma réaction. Je
suis soulagé… eu égard à son passé. Sans doute ai-je ce comportement ultra-protecteur à
cause de celui-là. Elle me semble si fragile…
Nous continuons à avoir deux approches opposées de ta gestation. Je pensais que les jours
passant, nous finirions par nous rejoindre… converger… que nos différences
s’estomperaient… unis autour de toi. Ce n’est pas grave. Ça nous permet de débattre…
d’échanger… nous confère une sérénité nécessaire. Ainsi, sommes-nous rigoureux
– rigoristes ? – quant à la décision qu’il nous faut prendre te concernant. Nous pouvons
donner l’impression de couper tes cheveux en quatre… de nous poser trop de questions. Je
préfère cette profusion à un manque. Les séquelles psychologiques pouvant être importantes.
Je considère notre responsabilité d’incommensurable avec des droits à l’erreur. Je brigue de
les limiter… Nous ne sommes pas désunis à proprement écrire. Nathalie ingurgite une somme
d’informations psychotiques, tandis que je vomis mes ultimes psychoses… continue à
privilégier le caractère immanent. Sa boulimie complète mon anorexie. A nous deux, nous
approchons du parent idéal.
Ton esprit prend-il de l’assurance ? J’ai la sensation qu’il vient davantage t’emplir… plus
fréquemment… qu’il prend ses marques … ses aises. Commence-t-il à prendre plaisir à nous
côtoyer. Est-il rasséréné quant à ton devenir ? Nous octroie-t-il d’ores sa confiance ? Il semble
que tu dormes moins… te manifestes de plus en plus. Une sorte de jeu s’est instauré entre
nous. Chaque fois que je te sollicite par des pressions légères sur le ventre de ta mère, tu me
réponds sitôt par un frôlement. Tu parais solliciter l’activité ludique en me mandant par de
doux heurts. Commences-tu à te socialiser ? Ce serait un encouragement ou une
reconnaissance… que nous serions sur la bonne voie, ta mère et moi. S’agissant de ton
essence plus précisément, j’ai une théorie qui est mienne… une de plus [que j’abonnerai
probablement par la suite face à sa confusion…]. Je pense que si des « âmes » anciennes
devaient s’incarner aujourd’hui sur le vieux continent, elles seraient héritières de deux
mythologies les empreignant toujours… ou de l’Egypte… ou de l’empire Gréco-romain.
Toutes celles ayant vécu en l’une ou l’autre civilisation, en auraient conservé une énergie. Ce
pourrait être la raison pour laquelle d’aucuns seraient attirés inconsciemment par leurs
reliques, vestiges… vertiges antiques. Ainsi, peut-on distinguer « l’âge » d’un être. Nathalie
doit être d’obédience Misr et moi, pro-Olympien. De laquelle serais-tu ? A moins de naître
d’un œuf nouveau, la tâche nous serait moins ardue puisque tes missions primaires.
Le clonage est le verbe à la mode. Depuis qu’une secte fait sa publicité en prétendant avoir
cloné des hommes, il n’est pas un milieu, un média, un gouvernement qui n’aborde ce sujet
épineux. Epineux car, il entend le progrès de la science et sous-entend le procès… le risque
scientifique du médecin fou se prenant pour Dieu. Je suis « heureux » que ce soit une secte
qui s’y essaye… puisque avérant ma démonstration. Elle tend à prouver que les religieux et
101
Journal d’un futur père.
les scientifiques seraient proches. Avec les marchands, ils forment un cartel… dangereux. Le
premier danger étant le commerce d’êtres humains. Sous couvert d’une légitimité morale, le
but inavoué du clonage est de permettre à quelques individus de se confronter à la nature ou
au créateur (suivant les croyances), avec toutes les dérives inhérentes, de vendre ce qui ne
peut l’être. Imagine que tu décèdes à la naissance. Ne serions-nous pas tentés, ta mère et moi
– si nous en avions les moyens – de faire une copie pour rompre avec notre douleur ? Nous
mettrions le prix… d’être emplis par le sentiment de te retrouver. Nous ne penserions plus à
l’incident. Avec le temps, les naissances se confondraient. La souffrance se tairait
promptement. Mon argument quant à la réalité se révèle également… même si l’essence est
identique… il ne peut s’agir du même être. Car, le vécu (l’accident) ne serait pas similaire. Ce
qui différencie notamment des jumeaux.
La deuxième ambition du clonage serait de promettre l’éternité. Un être condamné pourrait se
réincarner en une nouvelle chair… plus jeune car « purifiée » médicalement ou
génétiquement. C’est tout aussi con. Pour y parvenir, il faudrait pouvoir éterniser le cerveau et
le greffer. Car, une copie n’est pas l’original. Même à songer que l’on parvienne à dupliquer
l’esprit tel un vulgaire disque dur, l’individu pourvu de l’ersatz ne serait pas le princeps. La
différence résiderait dans le transcendantal et l’immanent… connaître a priori n’est pas
savoir… par expérience. Il manquerait à l’entité les traces du temps. La raison se
pervertirait… se modifierait. L’être ne serait plus. A considérer que l’esprit malgré tout
réussirait à se réimplanter et conserver ce semblant d’individu intact. Ainsi, pouvons-nous
nous poser la question… l’identique fait-il l’identité ? De l’identique et du moi…
La tierce vocation est une reproduction d’organes… de pourvoir en pièces détachées les
individus abîmés… sorte de service après vente. Si j’ai perdu un organe vital, la médecine
veille à son remplacement. Le dilemme est de décider de la manière… le principe ayant été
ratifié. S’agit-il de clones, espèce de sous humanité engendrée dans ce dessein unique ?
Quelle place lui ac-corps-der au sein de la société ? Ou faut-il la conserver dans une vie
artificielle ? Est-ce un crime que de la dépouiller ? S’agit-il de prélever des cellules aux fins
de les reproduire… d’engendrer l’organe uniquement ? A qui appartient-il ? En tant que
souche mère, en suis-je le propriétaire… ou le locataire ? Ai-je mon consentement à donner
s’il devait être greffé sur un tiers ? Puis-je empêcher qu’il fasse l’objet d’expérimentations
notamment génétiques… qu’il soit modifié ?
J’avoue ne pas avoir de réponse. J’éprouve déjà toutes les difficultés du monde à t’envisager,
qu’en saurais-je d’un néo-moi ? Je serai partisan pour laisser la nature faire son œuvre. Si elle
n’a pas daigné me conférer cet enfant ou un clone univitellin, a-t-elle ses raisons ? Ne me
faut-il les respecter, au péril d’être un autre… de me passer à côté ? A désirer nous pérenniser,
ne faisons-nous pas le pari démentiel, hautain de nous croire indispensable et de ne plus
donner la vie ? Je m’aime donc je suis…
Un froid glacial vient de nous assaillir. Il nous a surpris voici deux jours, durant notre
sommeil. Il s’installe… semble aspirer à durer. Il déploie ses humeurs givrantes sur tout le
pays… s’étale de son long… de son long hiver. Le mois promet d’être rude. La saison était
clémente jusqu’ici. En cet assaut, nous avons perdu une vingtaine de degrés. Nous sommes
frigorifiés des pieds à la tête… jusqu’aux minettes pourtant couvertes d’une épaisse fourrure
circonstancielle. Elles n’ont de cesse de gratter à notre porte, la nuit… de venir se blottir
contre nous… sous la couette. Le froid était tel hier soir, que je me suis accolé à ta mère, en
chaleur en ce moment. Sont-ce les bienfaits des hormones… ou un dérèglement engendrant
ses ardeurs ? Peu m’importe. Elle est mon feu. Elle est ma flamme. Elle est mon feu et ma
femme.
102
A toi que je ne connais pas en corps…
Sentant la froideur de mon corps contre… tout contre sa chair… elle m’a demandé la raison
de ma nudité. Lorsque nous ne vivions pas ensemble, je dormais revêtu. Depuis notre
mariage, je suis nu comme un ver. Je lui ai répliqué que j’avais pris cette saine habitude…
que je n’aimais pas être engoncé… contenu nuitamment dans des vêtements étouffants…
sclérosants. Ce nûment me permet de laisser respirer mon être… tout entier. J’en veux pour
preuve que je ne suis plus couvert de petits boutons disgracieux… notamment sur les fesses.
Je ne suis plus en proie à des rougeurs ou des irritations pelviennes… pubiennes. Caressant
les siennes pour être à l’air à mon pendant, j’étayais ma démonstration en lui révélant que sa
douceur séante étant due à ce fait… sa courte chemise de nuit remontant durant son repos et
dévoilant l’auguste sujet. Par contre, je l’interrogeai quant à son visage bourgeonnant. Le
printemps ne se profilant point, je lui demandais si son acné était le fruit d’une jouvence
recouvrée ou bien, due à ses flatulences. [Il te faut savoir que parmi les inconvénients de la
grossesse, existent les pets… nombreux et nauséabonds.]. Est-ce à force de flatuler au lit et de
les respirer que son visage se couvre de cratères ? A moins que ce ne soit la résultante du
munster dont elle s’est empiffrée… Sa chaleur est-elle réellement corporelle ? N’est-ce point
la caresse de ce courant chaud remontant vers ses nasaux ? Un doute m’habite.
La neige fond. La température remonte. Je ne pense pas que Nathalie y soit pour quelque
chose. Certes, elle succombe à la mode actuelle et dégaze de temps à autre. Cela demeure de
l’ordre de l’anecdotique. Je te vois venir… de là à prétendre qu’elle serait peut-être
responsable de la marée noire, il est un pas que je ne ferai pas. Tu me déçois énormément. Ta
remarque manque de « prestige » mon enfant. Oui… Avec le recul, je me demande petit(e)
fourbe si tu ne serais pas responsable de son état. N’est-ce pas toi qui, te croyant dans le
chœur d’une église, jouerais avec les boyaux de ta mère comme des orgues. De tes petites
mains malignes et tes pieds habiles, n’exercerais-tu quelques pressions savantes sur ses
intestins… les comprimant et les relâchant… de lui faire émettre des vents mélodieux ? Tout
est relatif concernant la mélodie. Tu ne jouis pas d’une oreille musicale. Puis-je te le
reprocher eu égard à ta précocité ? Par contre, il m’agréerait que tu choisisses des moments
davantage opportuns pour t’adonner à cet art délicat car, ni l’instant… ni la fragrance ne le
sont (délicats). C’est Mozart que tu assassines ! Ou plutôt Bach.
A faire tes gammes, il semble que tu aies transmis à ta mère, une nostalgie dispensable.
Aspire-t-elle à te rendre mélomane et de concert, à se rendre moins pétomane… ou se
soulager en beauté ? (A l’évi-danse, se vider en un morceau reconnu, cel’a plus de gueule que
de venter en tintamarre.). Ou brigue-t-elle que tu lui lâches la trap[pe] ? A moins qu’elle ne
veuille se couvrir… le son des cors sur les bruits du sien. Toujours est-il… toujours utile, elle
révise ses classiques et n’a de cesse d’écouter la musique de ce nom. Un à un, en cette sorte
de ball, elle jette sur la platine, ses disques laser et s’envoie en l’air. Où il y a de la chaîne, il
n’y a pas de plaisir. Elle me casse la tête (pour rester poli). En fait, elle tente de te corrompre,
de te rallier à ses goûts. Sous couvert de t’endormir, elle met le sien… t’invite à ses ripailles
musicales. Que n’ai-je le droit de te faire écouter mes airs métalliques ? Elle abuse de votre
collusion. J’espère que tu sauras couper les ponts, une fois accouché(e). Sinon, à n’en plus
douter, je vais vivre un enfer…
Je fus puni pour mon ironie aconjugale. J’ai subitement été la proie de douleurs intestines, de
spasmes identiques à ceux d’une femme enceinte dont le fruit est à maturité. Mes entrailles
furent emplies d’une surabondance gazeuse, déformées par la pression d’icelle. Dans un
premier temps, je ne pus évacuer cette colonne impromptue. Je devins une sorte de
cornemuse, qu’un souffle étrange s’ingéniait à gonfler. Mon tourment devenait insoutenable,
lorsque mon orifice fit office de soupape de sécurité. Avant d’exploser, je supplantais ma
103
Journal d’un futur père.
femme en ses mélo-pets et jouais le garde-champêtre. Mon corps a tant trompeté que ce fut
une véritable chasse accourt… dont le terme demeura incertain fort longtemps. Je m’épuisais
en un répertoire singulier. Je ne parvenais pas à me défaire de ces vents tournant en tempête…
de joie ? La liesse n’y était pas. Mes intestins se tordaient… enflaient au gré de la rosace. Je
m’évidais pour mieux me remplir. Mon sphincter devint un manège… une girouette effrénée.
Je ne sus comment le taire. Je ré-éventais… réinventais le moteur à explosion. Je ne
recouvrais la paix, qu’après avoir accouché d’un cyclone. Je finis en feu d’arti-fesse, par une
compression mémorable digne de César... J’achève en ces propos et beaucoup de retard, mon
stade anal.
Je m’étais mis en retrait pour ne pas imprégner… transférer mes angoisses sur Nathalie… et
toi indirectement. Elle a pensé – n’est pas coutume – que je la délaissais… étant déjà las de la
vie commune. Elle a songé que le quotidien m’avait rongé. Il s’agit de l’inverse. Je suis en
attente d’une vie. Je suis en berne. Quelques jours à me torturer et je devrais toucher mes
nouvelles fonctions. J’espère que cette fois sera la dernière, non pas une énième… que nous
contracterons. Je suis épuisé de l’escale. Je n’en avise plus le départ. A me poser…
énormément de questions autour de ta procréation, j’ai fini par extrapoler… m’interroger sur
mon existence tout entière. J’ai la tête pleine… ne sais plus nager… la masse m’entraîne en
son fond. Je ne sais s’il me faut poursuivre en cet investissement syndical pesant ou, au
contraire, commencer à lever le pied et entamer une indolence salvatrice. Je suis usé d’être
sollicité pour tout et rien… d’être soi-disant indispensable. Je ne parviens pas à recentrer le
débat autour de moi… à me recentrer et faire passer ma vie familiale en priorité. Malgré mon
discours, je me laisse toujours polluer par autrui. La prise de conscience n’est plus
suffisante… il m’incombe de franchir l’étape suivante… quelle qu’elle soit. Il me faut oser
m’affirmer et dire que je ne suis plus seul mais marié et bientôt père. Je n’ai plus ce temps
d’oisiveté à consacrer, sinon aux miens.
J’ai posé mon crâne juvénile entre ses seins, me suis reposé sur elle. A peine ma peau touchait
la sienne, tu commençais à t’agiter. Je touchais qu’en ma retraite, je t’avais oublié… ou plus
précisément, que j’avais fini par privilégier un contact idéel plutôt que physique. A force de
t’ébaucher, je ne pris plus cette peine de venir à ta rencontre. Tu devins un sujet romantique,
un tableau ne collant plus à la réalité… une station hors du chemin. L’écrit a supplanté le
reste… et ton dessin, mes desseins. A te dessiner un bouton, j’ai fini par m’endormir, oublier
la rose en devenir. Ainsi, t’étalant (et soucieux de découvrir les tiens… de talents), tu me
signifias de venir jouer avec toi. Tu me sollicitas de tous tes manques… en mes absences. Je
réalisai combien je m’étais éloigné, m’étais abandonné en cette dérive. Je me suis refermé…
de ne plus souffrir… de taire mes tourments. J’entraînais mon cœur en cette thébaïde.
J’embrasse l’issue du désert ou cette oasis. Vous êtes mon havre de peau. Par vos larmes,
l’eau renaît sous ma quille. Je puis reprendre ce voyage… cette aventure sans vous oublier
cette fois-ci. Je veux vous hisser à mon corps ou me glisser en vos bagages. Ensemble, nous
achèverons la traversée. En ta mère, il est tout un monde… une chair promise qu’il me faut
explorer…
Bonjour Auriane. Je viens à toi, ma timidité recouvrée… vissée derechef en mes entrailles. Je
dois t’avouer que je t’avais songé un temps en petit mâle… quoique tes traits ne pouvaient
prêter à confusion. Tu as le nez de ta mère. J’imaginais souvent une femme effeuillant cet
ouvrage. Lorsque j’ébauchais mon enfant, adulte devenue plongeant dans mes frasques,
j’embrassais un visage féminin. Aussi, qu’ai-je pu t’appréhender en garçon ? Sans doute, estce par désir inconscient d’équilibre (puisque du signe zodiacal de la balance). Nous ne
sommes que deux mecs (Isidore et moi) pour trois nénettes (Nathalie et ses minettes). Le piaf
104
A toi que je ne connais pas en corps…
est d’un grand âge. Il ne tardera pas à nous quitter. Je serai seul. Si ce sérail n’est pas pour me
déplaire, il ne me ravit pas. Je serai choyé, traité comme un pacha. Ton sexe m’effraie.
Saurais-je te préserver de cet univers salique ? Saurais-je te protéger de la licence
ithyphallique ? D’un autre côté, il se peut qu’il soit une bénédiction. N’ayant pas de schéma
paternel, je me sentirai probablement plus libre par cette opposition des genres. Elle me
heurtera… me poussera dans mes ultimes retranchements. Je nous inventerai plus aisément…
ainsi qu’un style propre. Octroyons au temps cette présomption. Donnons-nous le temps…
Je sais que tu es une fille grâce à ta mère et ta grand-mère paternelle… celles par qui le
scandale n’eût dû arriver. Elles ont décroché le pompon et devraient gagner ma vindicte. Ta
mère n’a de cesse de se répandre en bévues vénielles qui, mises bout à bout, finissent par te
faire sourdre. Briguant de partager sa joie, elle ne sait taire sa langue. Ainsi, dès le premier
jour où elle prit connaissance de ton sexe, lâcha-t-elle : « On ne voit rien, heureusement qu’il
[l’échographe] me l’a dit… je n’ai rien vu. Ca ou le trou du cul d’un chat… ». Plus tard, eu
égard à son passé, elle me lança : « Et si nous avions une fille, saurais-je l’écarter des dangers
des hommes, sans l’empreindre de ma haine ? ». L’acabit l’obnubilait tant, qu’elle me
déclara également : « Décidément, même en cette matière, nous ne faisons rien comme les
autres ! ». Sa sœur et la mienne, ainsi que ma mère, eurent un garçon d’abord… Quant à cette
dernière, elle se confondit en ces termes : « Avec un peu de psychologie, tu dois savoir. ». Au
téléphone, tandis que nous parlions de mon filleul, elle sauta du coq à l’âne pour aborder les
relations « fille-père » et la complicité inhérente. Deux heures plus tard, ta mère me donnait le
coup de grâce en utilisant le masculin (évoquant le bébé) puis subitement, le féminin. Elle
tenta de se rattraper, en vain. Le mal était fait… le mâle était défait. Le secret n’a pas tenu
plus de deux semaines.
Contrairement à ce que j’ai pu écrire, je ne les honnirai point. De l’eau a coulé depuis la
deuxième échographie… énormément dans mon vin… au point de lui ôter toute force. J’ai eu
le temps de mûrir ma réflexion. Je n’accordais plus un caractère impérieux à ce mutisme… un
simple vœu. Le fait qu’il ne me soit accordé, m’oblige à vivre et envisager ta procréation
différemment. Nunc, je vais te subodorer en ce caractère. Mes confessions gagneront-elles en
profondeur ? Sûrement. Il devrait y avoir moins de distance entre nous, même si dans
l’immédiat, j’éprouverai davantage de difficultés à me dévoiler. Tu m’es moins abstraite… et
contraire. Par contre, nous devrions nous rapprocher, ta mère et moi. Elle est heureuse de ce
partage subjectif… de pouvoir t’aborder en toutes tes spécificités. Je la soupçonne d’avoir
cédé dans ce dessein… prémédité son crime. Elle m’a confié être lasse de porter seule cette
connaissance. Non, je ne les honnirai point… Je leur tiendrai rigueur de ne pas avoir respecté
mon choix… lui accordant nul intérêt… ou si peu. Aussi, ai-je fait promettre à ta mère – dans
l’hypothèse où nous désirerions un second enfant – de ne pas chercher à percevoir in utero le
caractère du pudendum.23 Je fus l’otage de sa volonté. Elle le sera de la mienne.
Je te conçois fort bien en fille… que tu le sois, me comble. Ainsi, la relation charnelle vous
liant ta mère et toi, devrait-elle se rompre… le complexe d’Œdipe aidant, tu aspireras un jour
à te marier avec ton papa. Tu lui déclareras combien tu l’aimes, le noieras de tendres baisers.
En revanche, je conçois fort mal la suite des évènements. Il me sera difficile de te voir grandir
et m’échapper… commencer à t’apprêter en ta vie de jeune femme… séduire les garçons. Je
ne serai plus ton héros… ton dieu… mais ce vieillard pansu… pensant à t’extraire des mains
trop baladeuses des petits vicieux… apprentis en herbe… n’aspirant qu’à cueillir ta fleur… ou
de ces autres verts galants briguant de se prouver qu’ils peuvent encore séduire une jeunette.
J’enroberai ta vertu… ton innocence… de barbelés. Je recevrai tes prétendants à coup de
23
Pudendum : n.m. parties génitales des deux sexes.
105
Journal d’un futur père.
pompes dans les fesses… les épierai de la tête aux pieds, afin de les jauger et d’appréhender
s’ils sont dignes de toi ou non. Je t’interdirai de virée lorsqu’en tes sorties je subodorerai un
quelconque danger pour toi. Je deviendrai ce con que tu finiras par détester… avant de
comprendre derechef que mon ambition était de te défendre… malgré toi. Nous redeviendrons
si proches après avoir été si éloignés.
Au moment de ta puberté, tu renoueras avec ta mère… de connaître les mystères de la vie…
de saisir les métamorphoses de ta chair. Vous vous rapprocherez puisque étant du même
genre. Je vivrai dans la nostalgie de notre connivence. Je me souviendrai à regret de ce temps
où tu venais te confesser à moi… te blottir entre mes bras pour obtenir un réconfort. Je me
remémorerai tes gazouillements, babillements, gesticulations m’arrachant des larmes
d’émotion. Il reviendra à ma mémoire, ces jours où j’essuyais tes fesses, tes yeux mouillés.
J’embrasserai cette enfant adorable… en cette adolescente en crise. L’incompréhension nous
divisera... Alors à quoi bon vivre, si j’anticipe et touche par avance ce fatum susceptible de
nous oindre et disjoindre ? Afin que cette anticipation soit éventuellement un exécutoire apte
à nous épargner. Parce que, même si ce destin s’avérait, il ne nous empêcherait pas
d’exister… le fait de savoir ton sexe ne me prive pas de cette quête. Il demeurera des zones
inconnues qu’il nous appartiendra d’explorer et de prendre plaisir en nous nous y exécutant.
Je suis fataliste aujourd’hui… point pessimiste.
106
A toi que je ne connais pas en corps…
Sixième mois :
Je t’imagine en ce ventre, en train de te façonner. Ta pensée s’organise tandis que ton esprit
s’oublie progressivement. IL s’évanouira peut-être en libérant ces propos : « Je suis le début
et la fin, le mouvement perpétuel, la mémoire de ceux qui ont ou vont oublier… ». Alors,
affranchie de toute amarre, de toute attache, tu entameras ce voyage. D’abord ivre car en proie
au mal de mère, tu te laisseras imprégner par le mouvement, tu t’abandonneras. Puis, tu
t’essaieras à maîtriser ce tangage ou delirium… à maîtriser ce langage des hommes. L’ivresse
disparaîtra supplantée par une nouvelle… celle de la compréhension. Là, tu nous couvriras…
affubleras d’interrogations auxquelles nous ne saurons pas toujours répondre. Tu nous
acculeras à nos propres lacunes, nous feras toucher nos impuissances. Sera alors le temps des
« pourquoi ». Je veux m’y préparer, pour te paraître moins fragile. Je vais tenter d’anticiper
tes demandes.
« Pourquoi vouloir un(e) enfant ? ». Tu entames violemment les hostilités, dis-moi. Tu n’y
vas pas avec le dos de la cuillère. Est-ce parce qu’elle ne sera pas en argent ? S’agit-il d’une
protestation ou d’une véritable volonté de saisir mon désir de toi ? Je vais partir de ce dernier
postulat… Avant de rencontrer Nathalie, je n’aspirais pas à me perpétuer… à engendrer une
descendance. Je déclarais ce monde trop hostile, impropre à t’accueillir. Je n’avais pas l’envie
de lui faire cette offrande, ce don inestimable. Je ne briguai pas qu’il te gâche ou t’asservisse à
mon instar. J’avais une vision négative de la vie. Aussi, par mon plaisir, ne voulais-je
promettre… compromettre… condamner quiconque à ce purgatoire. Je ne désirais ni
cautionner, ni alimenter cette soif insatiable de géhenne. T’aimant avant même de t’avoir
conçu, par cet amour a priori, je renonçais à l’idée d’une postérité. Ca m’était d’autant plus
aisé, que je n’avais pas découvert la mère ad hoc. J’étais incapable de me lancer à sa quête…
à sa conquête. Ne m’étant pas trouvé, comment eussé-je pu la dénicher ? Ma timidité
exacerbée me plongeait… cantonnait dans une ambiguïté inexorable… quoique ressentant
cette exigence du stupre, je ne pouvais pas l’envisager… inapte à porter ce phallus… à
l’exhiber devant une femme… encore moins à l’en percer. Mon côté féminin avait pris
l’ascendant : « Cachez ce sexe que nous saurions voir. ».
Quand je le fus (capable), il demeura le souci de la génitrice. Néanmoins, l’idée avait
germé… Elle s’était épanouie en mon esprit. A une négation catégorique, il s’ensuivit une
éventualité. Ne me sentant pas prêt en ce rôle de père, j’avais besoin de me reposer sur une
femme suffisamment forte pour deux… apte à m’accompagner. Ces conditions étant
cumulatives, je ne décelais point la perle rare. Une conjonction substitua la coordination… la
naissance de ma nièce puis, mon union avec cette charmante célibataire. La première ancra en
moi, ce besoin d’avoir un(e) gamin(e) issue de mon sang et de ma chair. La seconde, par sa
patience et son amour, me conféra l’envie de le ou la faire avec elle. Elle était l’élue… et de
mon cœur. Nous nous mariâmes promptement et, tout aussi prestement, nous te conçûmes. Tu
es l’allégorie de notre amour… sa personnification. Nous y mîmes tant de passion qu’à n’en
point douter, tu seras une merveille… qu’en soient tes capacités intellectuelles ou ton
apparence physique. [La précédente création fut un accident que j’eusse assuré si Dame
Nature ne l’avait pas éteinte dans l’œuf… ou si une âme avait daigné l’emplir. Elle n’est pas,
n’en parlons plus.].
Avec l’aide de la sage-femme, nous nous apprêtons à ta venue. Nous travaillons autour de ta
naissance… à savoir, quelle complémentarité puis-je apporter à ta mère ? Quel soulagement,
quel accompagnement, quel support… Nous déroulons l’événement depuis les premières
contractions jusqu’à la libération définitive. Au monde ve-nue, nous étalons nos aspirations
subjectives… élaborons leur mise en œuvre. Je caresserai de pouvoir exciser le cordon… de
107
Journal d’un futur père.
t’inaugurer… de te serrer contre mon torse… de pouvoir te sentir par tous mes sens (n’ayant
pu te porter en mon sein). Je veux pouvoir t’embrasser et supplanter ton abri ventru par le
bastion de mon corps. Je te hisserai en moi… prenant la relève.
« Pourquoi l’écriture ? ». En voilà une question qu’elle est bonne. A vrai dire, je n’en sais pas
la réponse… pas exactement. Les rédactions n’étaient pas mon point fort. Je me souviens de
plancher sur un sujet donné, le montrer à ma mère pour avis et corrections… repartir cogiter
tant le résultat était médiocre. « C’est nul, mon fils.», me lâchait-elle. « Tu ne sortiras pas de
ta chambre tant que tu n’auras pas rédigé une dissertation digne de ce nom ! ». Ainsi, allais-je
et venais-je. Après maintes tentatives, je parvenais à accoucher d’un texte moyen. « Quelle
perte de temps ! », songeais-je… préférant concentrer ma réflexion en d’autres lieux, d’autres
matières. Ma langue… cette langue ne me parlait pas. Elle n’était qu’un outil nécessaire à me
faire comprendre. Je n’en avais saisi ni les subtilités, ni la richesse. Elle m’était rébarbative.
Je ne voyais pas d’intérêt à en rechercher l’étymologie ou l’épistémologie. Je ne faisais aucun
effort pour l’apprendre en toute sa substance et le regrette amèrement. Aussi, cours-je après
mes lacunes… de les annihiler. J’étudie ce que je n’ai point voulu jadis… la grammaire…
l’orthographe… au fur et à mesure de mes ouvrages.
Elle m’est tombée dessus par le plus pur des hasards… le plus pur des rendez-vous. Elle m’est
devenue indispensable au moment où la solitude entamait de me taire… de m’étouffer. Elle
me vint par bribes… mots épars… phrases désordonnées… paragraphes… chapitres entiers.
D’une fuite de fluide, elle m’entama au compte-gouttes… par filets de plus en plus drus… jets
véritables et flots. Elle me perdit de me vider… de m’épancher à l’instant où je ne me posais
plus de question (car me noyant dans ma fange idéelle)… où je m’abandonnais… la vie
m’étant un pot de pus… impôt pourri. Elle me pansa… pensa [en] mes blessures… mes
complexes… mes infortunes. Elle fut ma cure… ma maîtresse… ma déstress[e]. Elle me fut
fidèle avant toute autre… que mes maux… mes vices ourdissaient… sourdaient. Il me
suffisait de la mander par la plume. Elle accourrait me prodiguer ses bons soins. Elle
m’accepta en mes faiblesses, mes défauts. Elle fut mon exutoire, ma drogue. Qu’elle me
délaisse, je suis en manque de sa caresse.
Je ne sais vivre sans elle… sans aile. Elle me permet de m’envoler… de prendre cette hauteur
dont je suis incapable à l’oral. Elle est mon détachement… mon bataillon… à travers elle, je
peux déclarer toute guerre tant elle me rend invulnérable, invincible. (Par mes manuscrits, je
livre[s] bataille.). Elle est mon moteur… mon charme d’assaut. Elle est l’arbre [à came] qui
cache ma forêt. A son bras, je me sais exister. Je me sais entier. Elle m’octroie de briller
lorsque je ne suis plus que l’ombre de moi. Elle m’insuffle des pensées éthérées, quand je suis
de plomb. Elle est ma pierre philosophale. Sa parole m’endort, ses silences son[t] pesant(s).
Elle sait me courtiser, m’inviter à la recouvrer. Elle me connaît par cœur sans jamais l’en
lasser. Elle est ma raison d’être… ta mère et toi étant ma raison de vivre. Aujourd’hui, à
travers ce journal, j’aspire à la partager avec toi. Puisse-t-elle te rendre heureuse… te
[dé]libérer comme elle le sait avec moi. Je te la présenterai lorsque tu sembleras prête. A
moins qu’elle ne vienne te trouver. Est-elle en mes gènes puisque coulant dans mes veines ?
En auras-tu hérité ?
« Pourquoi ta mère ? ». As-tu beaucoup d’interrogations de ce type ? Je ne sais pas. L’amour
est une chose étrange, impalpable, insondable. Nathalie ne correspondait à aucun de mes
critères, pourtant elle est celle qui me fait respirer, fait battre mon cœur. En sa présence, je me
permets d’être. Je ne joue plus. J’ose m’adonner au bonheur. Est-ce son âme artistique, sa
simplicité, sa vision de la vie… les trois à la fois qui m’ont séduit ? Est-ce son joli minois à se
108
A toi que je ne connais pas en corps…
damner ? (Puisses-tu jouir de ses traits… tu serais davantage comblée à lui ressembler, qu’à
ton père.). Est-ce son regard de braise, me brûlant et attisant ma flamme lorsqu’il se pose sur
moi ? Sont-ce ses fossettes lorsqu’elle me sourit ? Sont-ce ses lèvres délicates qui me
dévorent lorsqu’elle m’embrasse ? Sont-ce ses mains impudiques qui me donnent cette chair
de poule lorsqu’elle caresse mon corps ? Est-ce son sexe, doux comme du velours ou de la
meilleure soie ? Est-ce sa manière de faire l’amour ? Est-ce le désir et le plaisir qu’elle me
prodigue ? Est-ce son refus du bonheur ou le fait que je ne sache jamais qu’attendre ? Est-ce
sa propension à casser le quotidien avec ses humeurs lunatiques ? La liste n’est point
exhaustive. Je pourrais en écrire des pages et des pages sur la question.
Je briguais d’avoir à mon bras, des bombes sexuelles (reconnaissables à leurs champignons
anatomiques)… de briller à travers elles. Un homme capable de courtiser ce genre de
créatures, est considéré comme un demi-dieu dans notre société machiste. Complexé on ne
peut plus, cela m’eût extrait de mes obsessions pour m’oindre de respect (car suscitant
l’envie). Aussi, avais-je mis la barre très haut... trop haute. Je n’avais pas les moyens de mes
prétentions. Cette sorte de femmes ne se contente pas de paraître. Il faut l’entretenir… la
retenir. N’ayant ni une belle gueule, ni les ressources financières, je me suis longtemps égaré.
Il m’arriva de plaire malgré moi… [Il est difficile de faire une vie avec une belle paire de
fesses ou de seins : elles ne durent jamais…]. Exister dans l’illusion, n’était pas mon
ambition. J’avais besoin d’échanger intellectuellement, de confronter mes opinions… et pas
que sur rut ! Il ne s’agissait pas de passion mais de baise. Je n’étais pas moi-m’aime…
N’aimant pas ces stéréotypes de relations, je m’inventais un personnage apte à plaire. J’étais
ce qu’elle attendait. Ca va un temps. Je me fis plaisir. L’envie de construire supplanta mes
aspirations de jeune étalon. Je fus las des ruptures. Il sembla qu’un anathème ou mauvais sort
me contraignait. Elles intervenaient automatiquement au bout de trois mois. Je ne savais
dépasser ce terme fatidique.
J’acceptais de revoir à la baisse mes prétentions ou plutôt, de ne plus en avoir. Ta mère arriva
à point nommé (et elle n'est nullement un prix de consolation, loin de là.). Je ne te refais pas
l’article de la rencontre, m’y étant déjà évertué. Un vieux réflexe m’étreignit quand je la vis.
Habitué à rechercher des femmes menues (au petit cul, petite poitrine, petite taille, etc.), je fus
déstabilisé. Or, j’appréhendais qu’à force de tout envisager en petit, je ne prenais pas le risque
de l’émerveillement, ni du gigantisme. Aussi, agréais-je de voir plus grand, de me défaire de
cette tare. Désinhibé, je pus me laisser aller à la courtiser… et à l’être. Ce ne fut pas le coup
de foudre. Tant mieux… étant destructeur et très éphémère… le flash n’aveugle qu’un bref
instant. Le réveil est pénible… douloureux. Je puis t’en parler en parfaite connaissance,
l’ayant subi deux fois… Elle suscita plus que mon intérêt… assez pour que je veuille la
revoir. Le deuxième rendez-vous fut davantage renversant. Cette belle brune contenue dans
son body noir, me condescendit un appétit qui ne devait plus me quitter. Je briguais de délacer
cette chair enchâssée… d’y déposer mes châsses délassés… de la toucher de mes yeux. Cette
appétence m’emplit tous jours. C’est la raison pour laquelle, je lui demandais promptement sa
main… que nulle autre hormis la mienne, ne puisse l’effeuiller.
J’appris à l’aimer, un peu plus chaque instant, même si elle fit des pieds et des mains pour
m’éloigner. Elle fut souvent in-femme. Sa crainte du bonheur, la poussa maintes fois à
provoquer la cassure, aspirant à me fuir avant que je ne la quitte. Peu sûre d’elle et donc de
moi, elle vécut dans la peur que je ne l’abandonne. Je commis l’erreur de lui parler de celles
que j’embrassai jadis, provoquant en elle plus qu’un émoi… un complexe d’infériorité. Je ne
le fis pas pour la mettre en cet état mais au contraire, par souci de partage… n’étant plus
qu’un. Retiens cette leçon, sans doute pourra-t-elle te servir dans ta future vie de couple… Il
ne faut pas se dévoiler… pas entièrement. Garde un peu de mystère à égrener tout au long de
109
Journal d’un futur père.
ta vie. Tu en feras germer des bouquets nécessaires à colorer, égayer l’hymen. Sache trier
l’ivraie du bon grain…
« Pourquoi la vie ? ». A cette question, je te laisserai apporter ta propre réponse. J’ai une
solution. Elle est mienne. Elle me permet d’attendre… d’atteindre le prochain jour avec
excitation… d’avoir l’envie de poursuivre l’aventure. Je ne te ferai pas l’offense de reprendre
mon exposé fataliste. Je suppute que tu as compris… dans les grandes lignes au moins… ma
conception existentialiste, empiriste. Par contre, je n’en sais pas la source. J’en saisis la
genèse et l’organisation… mais n’en embrasse pas le moteur. Car la vie entendant une
confrontation de l’âme… de l’esprit… je n’en appréhende pas le pourquoi… éternité et
création. Quelles utilités… quelles vocations ont nos essences ? Je n’en sais rien. Personne
par ailleurs. Nul n’est parvenu à traverser… à percer le fameux mur de Planck… embrasser ce
qu’il recèle. Il n’est que des supputations infondées. Que deviennent-elles (ces âmes) une fois
portées au summum de la transcendance ? Je n’en sais davantage. J’embrasse l’éternité en son
mouvement – naissance et finitude – pas en son existence. N’est-ce qu’un cercle ? Le
commencement et la fin se confondant, elle ne connaît plus de rupture… se meurt pour
renaître sitôt… en une infinité de temps que l’on finit par ne plus les voir. A moins qu’elle
n’ait fini par les annihiler ou les confondre. Ainsi, le secret de la perpétuité serait-il de
s’oublier ou d’être oublié.
Je frôle ton ambition d’ordre moins général et probablement centrée sur ta personne. Ainsi,
dans ton interrogation fallait-il entendre le pourquoi de ta vie… cette réduction à la tienne…
Je n’ai guère d’explication, hormis celle présupposée. Ta mère et moi, animés par l’envie de
chérir un petit d’homme (d’ouvrir le champ de nos immanences), avons fait en sorte de mettre
une chair à disposition de l’esprit aspirant se confronter à une existence, par nos critères, nos
rôles. Il semble que ton essence ait répondu favorablement à notre sollicitation. Te voici…
ecce femina. A ce sujet, tu dois en savoir beaucoup plus que moi. Saurai-je comment
t’insuffler de ne pas éteindre ton omniscience pour m’apporter la justification ? M’y
essayerai-je ? C’est une inanité puisque le choc de la naissance te rendra amnésique. Il en est
la condition sine qua non. Dans le cas contraire, tu nous viendrais mort-née… ton âme ne
s’étant pas inhibée, elle prendrait le pas… empêcherait l’expérience car l’émergence des
artefacts nécessaires. Tu seras tu par une absence de maîtrise du langage. Et, le temps utile à
son maniement, tu auras effacé ce que tu désirais nous révéler. Et puis, qu’importe ! A-t-on
réellement besoin de se… ce savoir ? Nous recouvrerons bientôt la mémoire, en d’autres
lieux, d’autres temps. De plus, cela pourrait provoquer une annihilation de vie. Sans en-vie,
elle ne peut être. Or, ladite envie émerge de nos absences, de nos manques.
« Pourquoi mes créoles ? » Le sujet est plus léger, quoique… en apparence seulement. L’acte
est sans doute le plus militant d’entre tous. Introverti, mal dans ma peau, je ressentis la
nécessité de m’affirmer. Ne sachant pas par quel biais hormis une petite provocation
maîtrisée, je décidais de me faire percer l’oreille gauche, pour célébrer mes treize printemps.
A l’époque, ce n’était pas très ancré dans les mœurs. Aussi pensais-je que, si je parvenais à
assumer mon choix, de fil en aiguille, je pourrais me libérer de mes névroses. La valeur
n’attendant pas le nombre des années, il me fallait en conférer un tant soit peu à mon
immaturité. Le moment de grandir était là… me tendant la main. Je saisis donc ce courage
opportun, des deux miennes. Je rentrai chez moi. Il va sans dire que mon père n’était pas ravi
d’être mis au pied du mur… devant le méfait accompli. Ma mère relativisa et je crois avec le
temps que, sa raison me permit d’avancer en ce domaine… d’effectuer ce premier travail
émancipateur.
110
A toi que je ne connais pas en corps…
Je remplaçais la boucle médicale par un seyant et minuscule anneau d’argent. Je le gardais
quelques années, jusqu’à ce que la mode se développe. N’ayant plus qu’un intérêt dispensable
car un accessoire ornemental, je m’en séparais. Je pris grand soin de conserver l’orifice en
l’état, subodorant probablement qu’il pourrait me redevenir précieux. Aussi, nettoyais-je
fréquemment mon lobe, le vidant de la substance blanchâtre (sorte de chyle épais) briguant de
combler l’orifice. Le temps passant, je me dépouillais de toute fioriture ostentatoire. Je
renonçais au bracelet, montre et autre chaîne. Je demeurai dans ce nûment, une décennie. Je
me choisis de néo-facteurs déclencheurs, provocateurs... cognitifs. Ainsi en fut-il (non pas
futile) du syndicalisme. Il m’abreuva autant que je l’abreuvai.
Un matin, alors que j’officiais toujours au comptoir en qualité de vendeur, un collègue
postulant en mon emploi, vint me trouver… de me narrer sa mésaventure. Au prétexte qu’il
portait un anneau à l’oreille, sa candidature était refusée. Heurté en mes convictions par cette
discrimination, je décidais d’agir pour la faire cesser. Le soir, j’allais me faire percer la
seconde oreille et achetais deux gros anneaux argentés. Le lundi, je reparus avec cette parure,
au risque d’infecter mon lobe droit car non cicatrisé. En m’avisant, le directeur d’agence fut
désemparé. Il m’épia, bredouilla. Je lui demandais ce qu’il avait… s’il ne se sentait pas bien.
Il me montra du doigt. Je fis semblant de ne pas comprendre et inspectais ma tenue
vestimentaire, cherchant la tâche qu’il me pointait. Il parvint à me lâcher : « ...Tu en as
deux ! ». « Comme mon père ! », lui répliquais-je du tac… au manque de tact. Mes collègues
rirent. Interdit, il prit congé. Depuis, les boucles d’oreille des vendeurs sont tolérées et mon
ami obtint le poste.
Ma motivation ne se limitait pas à cet événement. Me fondant sur le droit à l’égalité des
sexes, je revendiquais de pouvoir porter deux anneaux, si telle était mon envie… au pendant
des femmes. Il me déplaisait également d’appréhender mes comparses conseillers
prud’homaux (du collège salarié) se comporter comme des notables et d’oublier par la
fonction, d’où ils venaient… qui ils étaient. L’agent originel de la provocation me tentant,
m’emplissant, je jubilais à l’idée de présider mes audiences, « mal fringué » avec des grosses
boucles de surcroît. Je jouis en la réalisant… en embrassant la tête décomposée de mes
assesseurs (perdus)… des avocats. Nous venions de commémorer le centenaire de l’abolition
de l’esclavage. Afin de montrer que les « nègres » étaient de condition inférieure, leur maître
les affublaient d’un anneau à l’oreille. En mémoire de leur souffrance et de montrer ma
servitude capitaliste, mes créoles sont tout autant le symbole… l’attribut de ma piètre
condition. Ainsi, se sont-elles légitimées par l’ensemble de ces réflexions cumulées.
L’incident n’a pas été le détonateur mais un des éléments déterminants. [Pour la petite
histoire, il m’a fallu promptement remplacer l’argent par de l’or blanc, en proie à une
infection ou une allergie épouvantable du lobe droit. Des boules de pus le gonflaient,
l’empêchaient de guérir. Lorsque je le pressais… d’en sortir l’humeur purulente, la peau de
mon oreille éclatait. Je pissais un mélange jaunâtre et rougeâtre. L’infection menaçait…].
« Pourquoi le syndicalisme ? ». Je ne pas issu d’une famille à forte culture syndicale. Cela
peut surprendre. Je te l’ai déjà dit, mon grand-père maternel était un militant… un pur… un
dur... pas tatoué. Je n’eus pas le temps de converser avec lui de son activité, ni de m’en
imprégner. A l’instar du fameux gaulois, suis-je tombé dedans incidemment ? A moins que la
lutte ne m’ait été transmise par la voie des gènes. Aucune étude n’a été menée sur ce sujet…
Je mis un doigt dans l’engrenage… et me suis fait happer… complaisamment. J’ai découvert
un monde pas meilleur que l’autre (puisque le reflet de la société, donc à son image), pas pire
que le patronat. Aussi… ainsi m’a-t-il séduit. Ereinté d’être le dindon et immolé sur l’autel du
libéralisme, je décidais de prendre les armes… celles de la connaissance sociale. Le syndicat
111
Journal d’un futur père.
me dispensa les prémices. Il combla mes lacunes et celles de l’éducation nationale. Il me prit
sous son aile. Je fis le reste.
Petit, je ne supportais déjà pas l’injustice. Je me voyais un preux, venant en aide à la veuve et
l’orphelin. J’épaulais quiconque dans le besoin, en adéquation avec mes faibles moyens.
Guère mieux loti, je portais ce peu de réconfort, apte à soulager ou à secourir. Je ne prenais
pas de coup, étonnamment, comme sous la coupe d’une force protectrice, sorte d’égide. Etaitce celle de ma destinée ? A l’abri derrière ce lourd bouclier, guidé par mon instinct, j’avançais
en ces lieux où la peine mandait la mienne. Je me laissais souvent mener par le bout du nez.
Ma mère me surnommait « le Saint-Bernard ». L’idée du chevalier ou de l’auguste clébard
renvoyant à celle de Dieu et de son serviteur, je ne pouvais demeuré en cet emploi. Ma nature,
tel un cheval fougueux (palefroi aux yeux), m’a donc précipité en mes mandats. J’étais
prédestiné à la fonction, quoique ne l’ébauchant pas. Elle s’est imposée à moi, en ce lien
profane… laïc. Elle m’a trouvé. Je me suis trouvé par son biais. Mes propensions diplomates,
mes facultés à la relation sociale, mes aptitudes à la négociation s’exa-Cerbère. Je quittais mes
enfers, me sachant utile. Je m’y plongeais corps et âme.
Je ne supporte pas davantage d’être pris pour un imbécile ou traité comme un paria. Par fierté,
je me fais fort de démontrer que condition et qualité ne sont point jointes. Je me fais for de
démonter qui se prétend au-dessus du lot… de classe supérieure. Je ne peux concevoir que de
deux élèves ayant usé leurs fonds de culotte sur les mêmes bancs, il en soit un – tôt ou tard –
le maître et le second, sous son lien de subordination. Je refuse le principe de la hiérarchie…
et celui de recevoir un ordre. M’y plier, m’y contraindre m’est inconcevable car une
soumission… vilenie. Ce serait me perdre… me renoncer. Le militantisme m’a permis de
gagner à mon affranchissement. Ma résistance m’a libéré de toute occupation. Elle pèse – plus
que de raison ? – dans ma décision quant à l’évolution de ma carrière. Je veux la donner à mes
errances, plutôt qu’à tourner en rond dans ce manège. Si la forme me semble dépassée (le
syndicalisme devant se rénover… se réinventer… afin de prendre un nouvel essor), le fond
c’est-à-dire le combat, m’anime en-cor (avec des hauts et débats). Le cesserais-je, je crains de
périr. Ai-je pu te donner l’impression de cracher dans la soupe ? Il n’en est rien. Je ne la
mange plus, voilà tout. La déception me rend amer. Je le sais moribond… à n’en rien pouvoir
y faire. Il refuse mon secours. Pour la prime fois, je me sens impuissant à le voir sombrer. Il
me déplaît de devoir quitter ce navire. Je me serais noyé avec lui. Cependant, il demeure en
des eaux au sein desquelles, je ne souhaite pas mourir.
« Pourquoi le droit social ? ». Lorsque j’ai créé le syndicat au sein de l’entreprise qui
m’employait, ce ne fut pas sur un plan revendicatif mais des bases juridiques. A cette époque,
nous (les copains et moi) savions que nous avions des droits sans savoir lesquels. A peine
savions-nous ce qu’était une convention collective. Nous étions fatigués d’être mal considérés
par une direction despotique, arrogante, pensant que le temps des barons existât toujours. Elle
n’avait point eu vent du souffle de la Commune, de cette tempête ayant décoiffée nobliaux et
autres gentillâtres, des bourgeois imbus. Elle disait faire la loi, ne reconnaître qu’une règle…
celle qu’elle édictait. La société était familiale, se transmettant de père en fils. Elle naquit
soixante-dix ans plus tôt dans le Nord de la France. Puis, au pendant de la peste, elle s’étendit
vers l’Est.
J’y entrais en qualité de vendeur-comptoir en matériel électrique. L’emploi m’importait peu…
pensant présomptueusement pouvoir vivre de ma plume… je le pensais éphémère. Aussi, prisje le premier qui me fut offert. Au pendant de tout ce qui est provisoire, il fut appelé à
perdurer… ma vie d’auteur se faisant tirer l’oreille. (Il est vrai qu’à cette époque, elle n’était
pas pourvue d’un anneau apte à procurer une attache solide.). Ceci expliquant sûrement
112
A toi que je ne connais pas en corps…
cela… sûrement pas car en dépit de mes créoles, je demeure un plumitif au lieu de cet
écrivain tant espéré. Bref, les années passèrent et le labeur devenant harassant physiquement
et moralement, n’ayant aucune perspective d’avenir, je finis par me dire qu’il me faudrait
peut-être vaquer à ces obligations professionnelles… veiller à ce qu’elles ne m’achèvent pas.
Excédé, j’entamais de me révolter… de me faire licencié. Je ne pouvais concevoir de
m’étioler. Appréhendant la justesse ainsi que la virulence de mes propos, me sachant
célibataire de surcroît (donc sans bouche à nourrir hormis la mienne), des collègues vinrent
me trouver… que nous unissions nos ardeurs… mais que j’enfante l’ire. J’agréais à la
condition de n’être pas seul à mener l’offensive. Ils m’assurèrent… me jurèrent fidélité.
Néanmoins, entamant les hostilités, je me trouvais esseulé. Il me resta l’alternative… ou
d’abdiquer (je ne pouvais m’y résoudre par orgueil)… ou de poursuivre l’action. Ce que je fis.
Il me fallait trouver des armes. Je les décelais dans l’attirail juridique. Epluchant les normes
sociales, je trouvais des failles dans lesquelles m’immiscer. J’ouvrais le feu. La forteresse
céda. Sortant des oubliettes, avisant un éclat, des salariés vinrent me rejoindre. Je remportais
une première bataille essentielle. Elle m’installa… me légitima.
Des camarades ayant ouï la prouesse et désireux d’user de mes « compétences » en leur lutte,
me proposèrent d’intégrer le secteur « droits et libertés ». Dans la foulée, ils me mandèrent
d’accepter un mandat prud’homal… n’ayant pas assez de candidats… briguant d’évincer les
piliers de barreau usés et les inaptes… d’insuffler un sang neuf. J’hésitais connaissant fort peu
les règles sociales puisque les découvrant, ni la juridiction. Qui étais-je pour me faire juge ?
Sous la pression, je cédais sans toucher mon engagement réel. La première audience en
bureau de jugement fut catastrophique. N’ayant reçu aucune formation préalable, je me fis
enjôler par un employeur roublard exerçant depuis des lustres. Il m’endormit… me jeta de la
poudre aux yeux… m’abusa en belles paroles lors des délibérés. Je pris la lutte des classes en
pleine figure. Blessé dans mon amour-propre, considérant avoir trahi la confiance des
électeurs, je jurai que jamais plus, il ne m’y reprendrait. Je lisais les codes ad hoc et retenais
les textes susceptibles de me servir en cette fonction. Lorsque je siégeais de nouveau à ses
côtés, il eut la surprise. Les demandeurs obtinrent gain de cause. Je contrais les mensonges du
vicieux en étayant mes positions des articles sui generis. Il ne m’en conta plus, ne s’y essaya
pas. D’aucuns me nommèrent la mémoire vive… le disque dur.
A me plonger, m’immerger dans le droit du travail, je finis par saisir les cheminements
juridiques et adorer cette matière. Par sa connaissance, je me suis découvert… ainsi qu’une
passion. Je me complais à retourner ce moyen bourgeois contre son auteur, en créant une
jurisprudence pro-salariale. Je le détourne, le refonds, l’empreins. Je vibre, jubile, m’extasie à
le pratiquer. Il est devenu cette autre drogue car comblant ma plume d’une nouvelle manière.
Je ne l’ai pas cherché. Il est venu à moi à l’instar du syndicalisme et de l’écriture. Etant très
liés, n’est-ce pas une évidence ? Que ne l’était-elle ? Je t’ai dit précédemment qu’il ne me
plairait pas d’avoir à revivre les choses… S’il m’était permis un regret et la possibilité de
reprendre des études, je briguerai d’apprendre (non plus en autodidacte)… le social… en
droit… et la littérature. Ils me manquent tant… du temps.
« Pourquoi ce tatouage ? ». Notre corps ne conserve que les stigmates… les marques des
accidents, de la souffrance… des jours pénibles. Ainsi, suis-je couvert de cicatrices de toutes
sortes, me remémorant en les avisant, les heurts douloureux… les déchirures… ou les actes
chirurgicaux. Ma chair n’a gardé aucune trace des jours fastes. Il n’est que cette mémoire
imparfaite… s’effaçant avec le temps. Afin de palier à cette carence… à l’oubli
m’évanouissant… ai-je décidé de graver en ma peau… la fleur de mes joies… le sel de la vie.
J’aspire à faire de mes téguments, le journal de mon existence. Ils seront les vélins recelant
113
Journal d’un futur père.
mes stations heureuses (par lesdites gravures)… malheureuses (par mes balafres). Partant de
ce principe, la veille de mon mariage, je me suis rendu chez un tatoueur… qu’il m’aide à
accoucher du prime sceau de mon bonheur. Dans la douleur, j’ai enfanté l’allégorie de ma
princeps liesse… mon mariage. Mes yeux la frôlant, il me revient sitôt la pléthore des joyeux
sentiments éprouvés.
La raison du choix de ce personnage, provient de plusieurs éléments. Je briguais de porter des
traits singuliers. Celui-là étant inspiré du mythe de Faust, il s’imposait en la circonstance.
N’ai-je renoncé à mes calvaires – non pas pour prétendre au paradis – de me jeter à corps
éperdu dans cet amour ? J’ai daigné quitter mes ténèbres, me débarrasser de mes oripeaux
pour endosser des habits de lumière. J’ai vendu mon âme au diable… qui m’a revêtu de la tête
aux pieds… enivré de concert. Le delirium s’évince. Je me récupère au jour le jour, par
bribes. Chaque bonheur me permet de gagner mon affranchissement… Je me sens très proche
de cet anti-héros de comics. Tiraillé entre un manichéisme irrémédiable, il souffre… s’ouvre
une voie intermédiaire, émancipée de la notion de bien et de mal… du bon et du mauvais…
pour engendrer ses propres valeurs par le biais de ses défauts et de ses échecs. « Spawn » est
son nom.
L’Eden et l’Erèbe se mènent une guerre froide vaniteuse, afin de récupérer les essences.
Quelle qu’elle soit, chacune leur est précieuse en vue du Jugement Dernier. La sienne le serait
doublement… ayant un pied dans la tombe. Toutefois, il ne s’abandonne pas au plus offrant.
Amnésique au sortir de l’Enfer, il part en quête… à la recherche de son « moi » véritable et de
ceux qu’il chérissait. Il se consume pour mieux renaître. Il parvient à domestiquer la chaîne
qu’il traîne et en fait une arme redoutable… une alliée. Il embras[s]e son côté sombre, ne le
renie pas… d’être plus fort par cette dualité… Il fait siens les destins des infortunés… relève
les damnés.
La symbolique m’accordait tant, qu’il se devait de trôner à mon bras. A travers ses aventures,
je revis mes instants passés… présents et futurs… Quid en cas de divorce ? La séparation ne
salirait point mes ressentis. Ils emplissent irrévocablement ma vie… que je le veuille ou
non… ils m’imprègneront jusqu’à mon terme. Je ne saurais effacer ta mère. Le tattoo me
préservera de toute carence mémorielle. Te s’agissant, ma chair conservera une trace de ta
naissance, au-delà de ce souvenir que je voudrais impérissable. Je ne sais pas quel cachet
indélébile la rappellera à mon bon souvenir et t’appellera à la mémoire collective. Lorsque
mon esprit se sera étin… qu’il cèdera ma trace… il demeurera celle de ton existence en ma
dépouille… des feux nous reliant tous trois… un lien attachant toujours nos enveloppes. Je
n’ai pas trouvé comment emporter un peu de vous dans l’au-delà.
« Pourquoi ne faut-il jamais faire les soldes lorsque ta mère a mangé du chou ? » L’exercice
est déjà difficile en lui-même. Ne connaissant plus ses mensurations du fait de ses rondeurs
nouvelles et évolutives, elle passe un temps incommensurable à trier ce qui peut lui aller… de
ce qui ne peut plus. Elle arpente les magasins à la recherche des rayons grandes tailles ou
spécialisés dans les vêtements dit de « maternité ». N’aspirant pas… ou ne pouvant pas se
changer aisément pour essayer ses trouvailles, elle jauge au pif… pèse le pour… le contre…
la circonstance en laquelle elle pourrait revêtir telle tenue et telle autre. Elle analyse,
décortique le moindre fait, calcule le moindre geste afin de s’économiser… d’économiser…
les vêtements sont temporaires car sui generis à la grossesse… une courte période. Elle se
dilate… ta procréation évoluant à la vitesse d’un cheval au repos. Ce qui lui seyait la veille, la
boudine le lendemain. Aussi, nous faut-il itérer… farfouiller dans tout commerce pour
dénicher de nouveaux habits.
114
A toi que je ne connais pas en corps…
Lorsque la taille convient, il est un second élément déterminant… essentiel… l’aspect du
vêtement. Après l’examen du gabarit, elle inspecte la forme, la coupe ainsi que les couleurs.
Les trois critères étant indissociables, ses choix sont ardus. L’un convenant mais point les
autres, elle épluche chaque accoutrement un à un. Et si, ô miracle, il en est un de convenable,
ses goûts changeant à l’instar de ses formes, en une promptitude pendante, les affaires qu’elle
sait faire et porte en ses bras, ne sont pas forcément celles qu’elle emmènera à la caisse. Entre
temps, son avis se sera modifié. Et, tel le petit Poucet, elle sèmera ici et là, les vêtements
refoulés comme des petits cailloux, jalonnant son chemin. S’il m’arrive de la perdre de vue,
de ne plus la retrouver, il me suffit de regarder s’il est des effets abandonnés puis, de les
suivre pour remonter jusqu’à sa trace. Il lui arrive souvent de décrocher une guenille de son
portant, de l’observer de longues minutes durant, de m’en faire l’article, me dire les avantages
de cette chose… son envie immémoriale et irrépressible de s’en vêtir… pour y renoncer
bientôt et la raccrocher en se disant que tout compte fait, elle n’est pas pour elle.
L’aventure se corse lorsqu’elle a ingéré du chou au déjeuner. Pour compliquer un tant soit peu
le périple, elle largue à intervalles irréguliers des bombes… boules puantes réelles… avec une
innocence… une bonhomie… une hilarité déconcertante. (Comme dit le dicton : « femme qui
pète, femme qui fouette ! ».). Elle semble rayonner en chaque lâcher gazeux… et davantage,
lorsqu’il est susceptible d’incommoder le chaland. Elle se déballonne, s’oublie en chaque
rayon du dédale, dépose son invisible fil d’Auriane. Ne pouvant plus se supporter, elle quitte
les lieux pour se répandre ailleurs. Lorsque je suis à ses côtés, sa jubilation nonuple…
heureuse du piège tendu et de m’embrasser m’y précipitant. Succombant au fruit du débris, je
me sauve en retenant mes cris de dégoût… de ne pas attirer l’attention sur moi… d’être suspété du forfait. Qui croirait que cette petite femme gironde, portant la vie en ses entrailles,
pourrait être l’auteur… l’odeur de cette vilenie ? Elle flatule avec un visage angélique.
D’aucuns lui donneraient le bon dieu sans constipation. La fourbe créature tisse sa toile avec
une fausse naïveté. Je fuis afin de ne pas être attrapé.
Une question me turlupine. Toi qui occupe son ventre, es-tu honorée au passage, des relents
de ses intestins ? Sont-ils hermétiques ou exsudent-ils un peu de sa tempête ? Perçois-tu le
passage des vents ou le bruit de ses courants intempestifs ? Si tel est le cas, je te plains pour
vivre l’horreur de l’intérieur… en première ligne… moindre si l’effet produit, est celui d’un
jacuzzi. Là, il nous faudra te demander un loyer plus conséquent. A moins de trouver un
arrangement… Te serait-il possible de me prévenir d’une quelconque manière, que je ne sois
pas la victime des débordements de son derrière ? Je t’en saurais gré. Tu peux rendre ce petit
service à ton père, non ? De plus, je suis ouvert à toute négociation, craignant pour ma vie. Ta
mère pourrait m’achever ainsi et toucher les indemnités de l’assurance sans être inquiétée.
Car, retrouverait-on la trace du poison en mes poumons ? Rien n’est moins sûr…
« Pourquoi l’insomnie ? ». Sans doute ne connais-tu pas… de ta mère… ce problème. Tôt ou
tard, à mon instar, tu en seras victime. Aussi, vais-je m’essayer à t’en expliquer la raison et
ces fâcheuses conséquences. Chaque nuit, tandis que tu viens de te coucher et que ton esprit
vagabonde, il vient en ces entre faits, par entrechats, un curieux personnage fort sympathique
au demeurant : appelé « marchand de sable ». Le bonhomme danse dans les airs et sème à la
volée, une grossière poudre scintillante. Tes yeux l’embrassant, sitôt se figent et dans cette
myriade de miroirs, perçoivent d’étranges choses… d’étranges lumières. Semblable à une
pluie de minuscules boules de cristal, elles contiennent les singulières aventures de créatures
connues ou non. L’une d’elles se pose au coin de ton œil à l’instar d’une larme. Elle fond et
confond ta pensée. Tes paupières se closent et le contenu de cette perle s’évide… s’immisce
en ton esprit devenu réceptif. Et, alors que ton corps se repose, tu entames ta seconde vie…
115
Journal d’un futur père.
virtuelle celle-ci. Tu prends part au rêve, poursuis ta confrontation existentielle, en d’autres
lieux, d’autres rôles. Au petit matin, tu te souviens – parfois – de tes songes… mais
aucunement du distributeur séduisant, ni de ses éclats.
Libéralisme oblige, le commerçant voit son audience disparaître. Flairant l’aubaine, des
concurrents percent le marché et proposent aux dormeurs une poudre moins onéreuse… ou
contrefaite… de piètre qualité car fabriquée par dumping social dans des pays en voie de
développement… une poudre coupée avec des produits délétères. Ne te souvenant pas du
visage de ton revendeur habituel, tu achètes au premier venu, à un tarif t’emplissant d’un
agréable sentiment… pensant avoir réalisé la bonne affaire. Tu ne tardes pas à déchanter,
ressentant les effets néfastes. Or, il est trop tard. Ta nuit tout entière est foutue. Tu ne trouves
pas le sommeil vital ou tu es empreint d’horribles cauchemars qui te traumatiseront des jours
durant. Afin de préserver son entreprise et sa compétitivité, notre marchand s’en va quérir une
poudre moins chère… fermant lui-même les yeux sur ses vertus pour tromper les nôtres. Il
augmente sa ca-danse, substituant la perte de sa marge par du volume… de maintenir ses
résultats. Il s’épuise et nous, de concert. De fil en aiguille, à force d’en découdre entre
fournisseurs patentés, le consommateur n’y trouve plus son compte puisque des rêves
décousus… médiocres. Quant aux négociants, ils finissent par cesser toute activité, n’ayant
plus suffisamment de ressources pour perdurer.
Il est des sorgues maintenant que je suis victime de ce système perni-cieux et de ses
conséquences. Je ne parviens plus à succomber… ni à dormir ou rarement. Mon esprit est
empli de tourments et mon corps ne peut plus s’abandonner en proie à des aigreurs, des
brûlures infernales. L’enfer est en moi. Des oxymorons me dévorent. Le jour, je rêve éveillé
confondant mes vies et, en mes blanches nuits, je transpire mes journées. J’ai suspendu mon
vol… en perte de mes repères et de ma raison. Le stress me décompose patiemment…
savamment. Il effeuille mes aptitudes, me dépouille. Le marchand de sable en grève… en
crève… s’adonne aux spiritueux. Il noie ses humeurs chagrines par d’autres alcoolisées. Il
m’honore de ses gerbes magnifiques… me répand ses excès. Tout se confond. Son ivresse me
corps-rompt. Je suis las… tellement las. Je renonce à mes prérogatives, une à une, cherchant à
me recouvrer. La poudre assassine tente de m’achever. Heureusement que tu es là… pas
encor… mais déjà mon pilier. Tu es mon repos. Il me suffit de te toucher pour rompre le sort,
défaire l’insomnie. Tu es cette danseuse emplissant la brune…
« Pourquoi la césarienne ? ». D’ordinaire les enfants naissent en passant par le vagin de leur
mère. Il arrive que cet accès vers le monde soit trop étroit… ou que l’accouchement se
présente mal. Il se peut également que les contractions utérines soient insuffisantes pour
propulser le nourrisson hors de son repaire… que la parturiente soit fragile… ou que le travail
s’accomplissant, une souffrance fœtale soit mise en lumière. Il est pratiqué une intervention
chirurgicale appelée « césarienne », consistant à inciser l’utérus pour en extraire le nouveauné. Pourquoi ce nom de « césarienne » ? L’origine historique remonterait à l’Antiquité… la
naissance de César… le Jules. Sa génitrice ne parvenant pas à l’enfanter, il eût fallu pratiquer
une ouverture afin de l’en sortir. La césarienne serait donc une pratique relative à la genèse de
l’empereur romain… La seconde explication proviendrait de son étymologie. Ledit substantif
viendrait du verbe cædere signifiant « couper » puis, de cæsar : « enfant tiré du sein de sa
mère par incision. ».
Nous nous sommes rendus chez la sage-femme pour une nouvelle consultation mensuelle. Ta
mère lui a rapporté les radiographies de son bassin, ainsi que de sa colonne vertébrale. Lui
ayant précédemment déclaré que son dos – et c’est un euphémisme – n’était pas droit, elle
aspirait à vérifier l’étendue des dégâts. En avisant les clichés, la praticienne nous a révélé que
116
A toi que je ne connais pas en corps…
la bascule pelvienne était très prononcée. Aussi, avant que de se prononcer elle-même, elle a
mûrement réfléchi puis, nous a fait la déclaration suivante. Le bassin est dans un tel état, qu’il
n’est certain que tu puisses nous venir par voie naturelle. Afin de s’en assurer, elle va se
mettre dès à présent en relation avec l’obstétricienne devant t’accoucher. Il est de fortes
chances que tu doives nous venir par césarienne. Je t’avoue que le choc fut un peu rude à
encaisser… davantage pour Nathalie. Jusqu’à cet instant, nous nous préparions à t’accueillir
comme tout un chacun. Il est vrai que nous ne faisons rien d’ordinaire… Cette révélation
remet complètement en cause notre travail autour de ta naissance. Car, en ce cas, je ne serai
d’aucune aide à ta mère et ne suis pas certain de pouvoir assister à l’accouchement.
Nathalie s’est excusée d’avoir la colonne en spirale et de me gâcher probablement ce plaisir
unique. Je lui ai répliqué que ce n’était point d’une telle gravité… l’important étant que ta
mère et toi, vous puissiez me revenir saines et sauves. Elle n’est aucunement responsable…
souffrant par surcroît de cette situation… et physiquement… et moralement. Elle se plaint de
maux de dos. Le climat continuant à se vouloir incertain. En ce moment, elle n’est pas à la
noce. Le temps éprouve un grand mal à se fixer, passant du glacial au doux… du sec, à
l’humide. Elle est extrêmement fatiguée… plus que d’ordinaire… à lui déclencher des
contractions. Il est trop tôt. Si elle devait entamer la parturition, ce serait dramatique. Tu n’es
pas viable pour l’heure. Il te manque quelques semaines vitales. En dépit de tout cela, je
m’essaye à rester serein et optimiste. Je ne veux [dé]montrer mon inquiétude, ni somatiser…
qu’elle se repose sur moi et la rassérène. Je me dois d’être impérial… eu égard à la situation.
« Pourquoi les Organismes Génétiquement Modifiés ? ». Le message officiel serait de dire
qu’il faut réduire les coûts de production de l’alimentation… de permettre à tous de pouvoir y
accéder… de pouvoir se nourrir. En engendrant des végétaux capables de croître et de
combattre seuls leurs prédateurs, sans qu’il faille épandre de pesticide ou d’engrais chimique,
l’énergie non déployée ici, pourrait être réinjectée… se concentrer ailleurs. La plante se
suffisant de la terre… ou à elle (s’auto-alimentant de ses gènes), il serait possible de semer
dans les déserts ou les sols très pauvres… de combler les carences actuelles. Au départ, la
doctrine semble noble. A force de connaître les travers du libéralisme, il est aisé de subodorer
que l’idée n’est pas aussi altruiste. Le message officieux paraît en son infamie. Le dessein du
capitalisme étant de s’arroger toutes les richesses terrestres à une seule fin… la sienne, il lui
fallait trouver un moyen de s’arroger la nature (et plus seulement ses fruits). En modifiant
l’ensemble des organismes génétiquement, il brevette les génomes découverts ainsi que les
modifications apportées. Il supplante tout « créateur » en ses prérogatives… du fait de
« l’évolution », il s’octroie ses vertus. Les semences lui appartenant, il est impossible de
cultiver un plant sans être contraint de payer pour la graine mais également pour la plante
engendrée (contenant le génome) étant sa propriété exclusive. La notion du géniteur disparaît
au profit du nourricier.
Ainsi, la deuxième étape n’est-elle pas de banaliser la technique, de la présenter sous son
meilleur jour… de la banaliser et la transférer vers l’animal ? La définition de « l’organisme »
n’entend-elle tout ce qui est vivant ? Un bœuf génétiquement modifié n’appartiendrait plus à
son éleveur mais à celui qui a « créé » la semence. Chaque cellule de son être serait la
propriété – puisqu’un brevet – d’un industriel disposant de droit de vie ou de mort sur la bête
entière. Le paysan ne sera plus qu’un simple salarié devant obéir aux ordres de ce dernier car
sous sa subordination… Ce qui est vrai pour le bovin, le sera pour l’ensemble de la chaîne
alimentaire et, ce qui se prétend philanthrope, est en réalité misanthrope. Ne pourront se
mettre à table que les ceux ayant le pouvoir de négocier avec le monopole. Il est à parier que
117
Journal d’un futur père.
les prix d’acquisition ne tarderaient guère à flamber, foutant à feu et à sang l’Humanité
intégralement. La main qui nourrit l’homme, son monde lui appartient.
C’est la raison pour laquelle il faut boycotter toute alimentation à base de modification
génétique. Il n’est pas démontré qu’elle serait sans danger sur l’organisme qui l’ingère mais,
combien même en serait-elle dépourvue, il demeure la menace de modifications génétiques
sur l’Homme… jusqu’au clonage. De fil en aiguille, partant d’une simple aspiration à changer
un gène d’une plante, nous arrivons en droite ligne… lignée… aux conséquences quant à la
procréation humaine. Car, dans l’O.G.M. l’aspect le plus vil… le plus délétère n’est pas que la
modification en soi. Non, l’idée l’est davantage… laisser germer cette philosophie. Là est le
véritable péril. Ce que nous consentons pour un végétal, nous l’agréerons demain pour nous.
C’est une porte ouverte à l’eugénisme. Pour procréer, il faudra être patenté… payer un impôt
sur ce droit (la procréation censitaire). L’enfant ne sera plus [à] la « jouissance » de ses
parents. Ne pourront se perpétuer que les ploutocrates ayant les moyens de leur prétention…
Consommer un organisme génétiquement modifié, est une caution à la déshumanisation… à
l’uniformisation de l’individu. Ne seraient engendrés que des individus utiles, adaptés à une
situation, une corporation, une tâche, un emploi… Ils ne seraient plus qu’un outil, incapable
d’émancipation, d’une liberté. Ils seraient aisément interchangeables, n’ayant plus de
propension, d’identité propre. Ils ne feraient plus grève, ne se révolteraient ni ne
s’indigneraient. L’être deviendrait un mouton de Panurge, sans fatum. Toute confrontation
serait impossible. L’existence serait dénaturée.
« Pourquoi nos croyances ? ». Elles dépendent de ce que nous briguons… nous espérons de la
vie. Puisque croire c’est ignorer, nous avons besoin de combler nos amnésies par des
axiomes, des postulats susceptibles de nous mener en ces lieux communs où nous nous
attendons. Elles sont un phare, une boussole pour l’explorateur existentiel que nous sommes.
Elles tracent une voix singulière, sorte de guide que nous nous efforçons de suivre à là
l’être… de ne pas nous disperser… de ne pas disperser les nôtres. Elles nous permettent de
nous garder en ligne de mire et de conduite. Elles sont ce bâton de pèlerin sur lequel il nous
est loisible de nous appuyer. Elles sont ce perchoir, l’hune nous conviant à décrocher cette
autre (lune)… ce recul permanent au sein duquel nous nous reposons… un repaire ou repère
essentiel. Elles nous animent.
Il en est de plusieurs types… général ou particulier… religieux ou philosophique. Chacun est
libre de disposer de la combinaison qui lui sied… de revêtir la cotte lui collant à la peau. Elle
dépend de la traversée ambitionnée et du point de chute envisagé. Pour ma part, ne me
retrouvant plus dans les généralités, libertaire, je me suis taillé un « costard » sur mesure…
une philosophie particulière. Nul ne la partage ? Tant mieux, elle n’est pas faite pour cela. Je
n’aime aucune forme de prosélytisme. Aussi, ne m’essaierai-je à te convaincre ou te
convertir… pervertir. Elle m’agrée et me permet en chaque jour qui s’offre, de trouver une
nouvelle exaltation. Je me la suis cousue à fleur, lui apporte constamment les modifications
nécessaires en fonction de mes nouvelles formes… de pensée. Elle est donc polymorphe. Je
ne prétends pas détenir la science infuse mais, une infusion de la vie sui generis.
En ma qualité de libertaire, condescends-moi simplement de te mettre en garde contre les
Fables toutes faites. Trop larges, elles ne peuvent te ravir, ni t’orienter. Trop étroites, elles
finissent par t’étouffer, te parasiter… Ainsi, ne t’y enfermes point. Prends le temps et le soin
d’accoucher sur papier, ton propre vade-mecum. Donne libre cours à ta fantaisie et permetstoi tout. Le monde s’ouvrira à toi. Ne demeure pas percluse dans une exiguïté idéelle. Ne sois
la nourriture spirituelle de quiconque. Ne te laisse pas bouffer par les dogmes-addictes. Il
118
A toi que je ne connais pas en corps…
n’existe qu’une autorité… la tienne. Car, suivant la croyance que tu endosseras, ton existence
en découlera.
« Pourquoi les empreintes digitales ? ». Il peut être deux individus rigoureusement
semblables, issus par exemple d’un clonage. Leurs empreintes digitales diffèreront puisque la
marque du bain amniotique. Il n’en est d’identique. Et notre corps conserve les macules
existentielles. Des empreintes identiques se distingueraient par des stigmates incidents… les
évènements n’étant point absolument palingénésiques… deux causes ne produisent pas
exactement les mêmes effets. Il se pourrait – s’il n’est de hasard – que lesdits sillons gravés
soient des écritures absconses, sortes de hiéroglyphes recelant dans les grandes lignes, le livre
de la vie d’un être. A l’instar de nos antiques disques vinyles, qui saurait les lire, percevrait
l’existence passée, présente… peut-être future d’autrui.
Une question en amenant une autre… ces traces délaissées le sont-elles à notre attention,
sciemment (bien que nous ne sachions les traduire). Ou nos esprits, en leur inconscience,
savent-ils les analyser (étant le saphir) ? Que se produirait-il s’il nous était permis de les
refondre, de les remodeler ? L’individu « empreinté » verrait-il son identité modifiée ? Et,
quelle(s) incidence(s) a une dégradation ? Il est fort dommage que je ne sache pas les
interpréter. Avisant tes doigts lors de ta naissance, en cet autre Champollion, j’eusse pu
appréhender ce que tu me réserves et tenter d’apporter des corrections. Nous nous
épargnerions des souffrances. Elles sont sûrement un mal nécessaire. Il n’est d’existence
exempte. Aussi, m’obéiras-tu au doigt, sans que je n’aie le besoin de délaisser sur ton
postérieur, l’empreinte de mon sort. A tout te dire, je ne m’en sens ni le droit, ni la capacité et
n’en saisis pas la nécessité. J’exècre la violence. Et, à tout te révéler, tu vas finir par lire en
moi comme dans un livrer ouvert… Aussi, te confierai-je sûrement ce journal, lorsque tu ne
seras plus capable de me mener par les sentiments.
« Pourquoi l’amour ? ». Ce sentiment est le princeps, notre fondement ou notre
achoppement… la pierre nous accouchant. Nous venons par lui, étant son fruit. Notre
existence ne tient qu’à ses vertus… à l’amour que nous recevons… à celui que nous
prodiguons. Il nous anime et nous détruit. Il est notre raison d’être… notre moteur. Nos
conceptions dépendent de la manière dont nous l’appréhendons. Il tranche, engendre par
dichotomies successives, nos notions. Il nous insuffle nos valeurs primaires. Il fait battre ou
brise notre cœur. Avant même de comprendre qui nous sommes et pourquoi nous sommes, il
supplante nos ignorances et se fait l’instinct nous poussant à vivre. Il est l’arbre cachant la
forêt, au sein duquel nous nous réfugions et gravons nos premiers émois. Il est ma confiance,
ma réserve, ma pudeur… le tronc de toutes mes émotions… Il est la main ou le pied qui vient
me chercher le soir et m’invite à jouer avec cette inconnue. Il est la voix douce et pénétrante
qui t’apaise en tes ténèbres. Il est ce manteau nous enveloppant et nous conviant à dormir l’un
contre l’autre. Il est ce lien nous unis-sang. Il est celui qui nous relie alors que nous ne nous
connaissons pas… pas encore.
Par rétrospection, le recouvrant en sa source originelle à travers toi, je le revisite et l’embrasse
de mes yeux infantiles. Je saisis l’importance de la tâche m’incombant en ma façon de te le
présenter, de te le transmettre. Il conditionnera tes rapports avec autrui. L’amour ayant six
faciès… oedipien, narcissique, platonique, charitable, sexuel et divin, je risque de te
corrompre en l’ensemble de tes séductions. Certes, la réflexion te permettra de corriger le tir.
Ton comportement de prime abord, instinctif, sera convivial ou distant… chaleureux ou
glacial. Il conditionnera également tes rapports avec toi-m’aime puisqu’une étrangère pour toi
aussi, le temps de t’appréhender. En fonction de la force que je te confèrerai, tu ressentiras un
119
Journal d’un futur père.
bien ou un mal être. Tu auras cette en-vie ou le besoin de t’achever. Ton existence entière
dépendra de cet instant unique où je vais t’imprégner et de l’intensité avec laquelle je vais
m’y employer. Si je me rate, je t’entraîne en ma vile foulée. Je ferai ton enfer ou ton paradis.
Tes missions (humaniste et personnelle) pourraient être ruinées de concert… cet Amour allant
déterminer jusque ton caractère… au-delà de tes sens. Tu seras extra ou introvertie, volubile
ou réservée, gaie ou morose, épanouie ou fanée, altruiste ou misanthrope. Tu oseras la
rencontre ou la fuiras. Ta condition sociale se fixera suivant ton ouverture sur le monde. Or,
elle dépendra étroitement de cet amour que tu porteras… ou plutôt de celui que je vais te
porter… ne pouvant donner qu’à hauteur de ce que tu auras reçu. A priori, il n’est de raison de
s’inquiéter… L’amour pour toi m’emplissant d’ores et déjà, te l’insuffler en sa réciprocité,
devrait être un jeu d’enfant… N’est-ce en ces actes « aisés » que nous échouons le plus
souvent, faute de leur prêter l’attention méritée ? Je ne voudrais pas qu’un jour, tu viennes me
reprocher d’avoir manqué ta vie de femme à cause de ma distraction. Je m’en sais la
propension. Aussi, te promets-je de continuer à te donner mon affection prénatale… de
préparer un terreau fertile, au cœur duquel, je vais m’ensemencer une seconde fois. L’erreur
serait de croire que le travail est accompli, alors qu’il commence seulement… comme mon
amour pour toi. L’églantier s’apprête à recevoir tes printemps, en son nouveau rameau.
« Pourquoi la guerre ? ». Entre l’amour et la haine, il est une faible frontière que d’aucuns
n’hésitent pas à franchir, afin de détruire ce[ux] que nous enfantons. Empreints des anciens
rites païens, cannibales, ils ont besoin de consommer autrui pour se prouver leur vaillance…
leur puissance, en ingérant celle(s) de leur(s) rival(-aux). A l’aune de celui ou de ceux qu’ils
ont défait(s), ils hissent leur estime. Leur amour propre… ou plutôt sale n’est… naît [que]
dans la rivalité exacerbée. A-faim de satisfaire leurs exigences égocentriques, ils entrent en
une compétition dévastatrice, un rapport de force malsain et se prouvent qu’ils sont des néodieux. Dans un bain de sang, ils assouvissent leur soif de vaincre… leurs vices. Ils se
mesurent à l’œuvre d’un pseudo-créateur, pensant l’égaler à la ruiner. Ainsi, préfèrent-ils faire
la guerre à l’amour. Il est plus aisé de prodiguer du mal que du bien, d’agonir que d’encenser,
de gifler que de caresser… de haïr que d’aimer.
Les êtres belliqueux sont frustrés, mal-aimés (par eux y compris) ou pas à la hauteur de leurs
espoirs. Ne s’avisant point adorés dans les yeux de l’autre ou dans les leurs, ils aspirent à
supplanter ce manque par la peur… la terreur. Craints, ils espèrent susciter au moins un
sentiment… un intérêt quel qu’il soi[t]. Leur ego étant démesuré, ils souffrent de ne pas
exister. Ils jalousent leur prochain en tout ce qu’il possède et dont ils ne jouissent pas. Aussi,
cherchent-ils querelle… aussi font-ils souffrir à leur pendant. Ils se sentent moins esseulés.
Il est un nombre incommensurable d’individus sans intérêt. Il est une pléthore de belligérants
hypothétiques... Tu touches les propensions guerrières, presque essentielles. Faut-il en tirer
une conclusion hâtive et prétendre qu’elle est la nature de l’homme ? L’esprit, en âme frappée
d’oubli, aspire-t-il à frapper par une énergie similaire à celle de son inconscience ? Conservet-il la macule de ce heurt incoercible ? Brigue-t-il de s’exonérer de cette géhenne intestine en
la reportant sur d’aucuns ? Par le fruit du mûrissement, d’une réflexion liée à la réalité de la
confrontation (vécu et culture), il est possible de l’annihiler pacifiquement. Est-ce à dire que
les individus doués d’une idiocrase5 conflictuelle, sont vraiment des imbéciles ? A n’en point
douter. Ainsi, ne t’avise jamais de venir m’emmerder…
Le choix de la haine est une question de lâcheté. Il permet de ne pas se remettre en cause, de
transférer ce travail sur « l’ennemi »… la faute itou. Il ne m’est pas nécessaire de chercher à
saisir si je mérite ou non son amour. Je ne l’aime pas parce qu’il ne n’aime pas. Je le hais
parce que l’aimer me serait trop difficile… impossible. Le fait qu’il puisse avoir raison
120
A toi que je ne connais pas en corps…
m’insupporte, donc je le hais que de changer d’opinion… Pusillanime, je me suis longtemps
réfugié dans cet abri délé-taire. Je jouissais du confort de ne pas avoir à m’extraire, à me
dépasser… au-delà de mes aversions, de mes antipathies. Hypersensible, prendre le risque de
dévoiler mes sentiments, eût été me mettre à nu… essuyer un refus… douloureux en cas de
non partage. Blessé dans mon propre amour, j’eusse été atterré. Aussi, prendre les devants et
en vouloir à la terre entière avant qu’elle ne m’en veuille, me paraissait la meilleure défense.
Acculé dans mes ultimes retranchements, mon essence reprenait sitôt ses droits et me
ramenait à la raison. Elle faisait sourdre mes inclinations… Je me suis coupé d’un bonheur
vital, à ne plus savoir comment le frôler.
Je me retrouve… et à faire ces travaux que j’ai maintes fois repoussés au lendemain. J’ai
rendu les armes, l’armure m’étant devenue trop lourde et inutile. Je n’ai pas l’esprit guerrier.
Je me complais davantage en cette paix que tu m’inculques. Il n’est de combat qui vaille la
peine. Les luttes légitimes sont celles qui se font dans la liesse. De l’animosité, je viens vers
l’humanité. Tu m’y emmènes, m’y invites. Je quitte ma bestialité pour ta civilisation. J’ose
franchir les limes en cet autre sens… en ce sens réel. J’apprends à tendre cette joue, qu’à
rendre les coups. J’embrasse le message. A te côtoyer, je me sais devenir sage. Il me faut
néanmoins me dépouiller de mes ultimes réflexes vindicatifs. Là, je serai libre. Invincible,
une-vaine-cible, je serai à contrario d’Achille car sans talion.
« Dis, Papa, pourquoi tu tousses ? ». Parce que ma fille, je recrache l’envahisseur par tous les
pores… tous mes orifices. Depuis une bonne semaine, je suis assailli par des hordes
microbiennes qui tentent de m’étouffer. En temps ordinaire, notre corps est suffisamment
armé pour les repousser. Nos anticorps empêchent toutes substances étrangères de perforer
notre forteresse charnelle. Lorsque l’hiver arrive avec ses frimas et ses redoux, ses alternances
de températures, il met à mal notre organisme. Plus fragile, attaqué de part en part, certains
microbes parviennent à nous pénétrer. Ils se cherchent un abri pour proliférer, se répandre.
Débordés, nos globules blancs ne savent plus où donner du phagocytage… où entamer la
phagocytose. Il nous faut alors une médication appropriée, les aider en leurs ripailles… tuer
bon nombre d’agresseurs. Les cadavres ne pouvant ni se nonupler, ni s’enfuir, les globules
peuvent jouer les fossoyeurs, les charognards… nous en débarrasser. Ils comblent la brèche,
enrayent un nouvel assaut.
Les virus sont des pochettes surprises. Tu ne sais pas ce qu’elles contiennent. Tu peux être
certaine d’une chose. Elles ne sont jamais agréables. Lorsqu’elles libèrent leurs cadeaux, il
s’agit de « plaies », d’affections, d’un déploiement pathologique – au pendant des armées
colonialistes ou impérialistes – dont tu ne sais plus comment te défaire. Leur dessein étant de
te parasiter, de t’exploiter, de te spolier de tes richesses, elles ne te lâchent pas. C’est leur
raison d’être. Seule la mort peut t’en délivrer … la leur… ou la tienne. Une fois dans
l’enceinte, elles n’ont qu’un objectif… s’en rendre maîtresse et la diriger… la digérer.
L’invasion dont je fus la proie, était particulièrement virulente. Tout mon corps était en lutte
et se débattit comme il se devait… comme il pouvait. Néanmoins, la maladie progressa. J’eus
beau me gaver de chimie, je ne trouvais pas le remède. Je ne sus comment l’affamer.
N’aspirant à prendre d’antibiotique (comme son nom l’indique, ce médicament tue toute
forme de vie et, contre une attaque virale, il n’est pas efficace.), je me rabattis sur des
paracétamols. Or, je la repoussai à coups de canif alors qu’elle me menait une guerre
bactériologique.
Je ne vis qu’une solution… la laisser se déliter. Je me repliai et lui abandonnai une partie de
mon bastion. Je lui permis de m’emplir, de se précipiter en ce lieu. Il faut parfois savoir
perdre une bataille pour en gagner d’autres, de définitives. Aussi, l’ayant cantonnée, à renfort
121
Journal d’un futur père.
de vitamines, je me blindai et l’emmurai. Je lui fomentai un contre-siège. N’ayant plus de
matière à ingérer, les envahisseurs finiraient par se bouffer. Mes supputations s’avérèrent. Je
commence à en ressentir les effets bénéfiques. Même si mes narines continuent à pisser des
miasmes, soyons glaire, ma toux se tait… de plus en plus. Mes bronches ne sont plus
obstruées. Je conserve un vieux chat dans la gorge que je parviendrais à domestiquer tôt ou
tard. Famélique, il sortira de sa cachette. C’est de bon augure s’il n’est plus qu’un domestique
errant, mes assaillants se sont retirés ou entament une retraite. Serait-ce la bérézina pour qu’ils
en oublient ou délaissent leurs animaux de compagnie ?
A propos d’enceinte, je craignis pour ta mère. Je redoutais de la contaminer, de vous refiler
ma contagion. En son état, vous eussiez été en danger… en touchant deux pour le prix d’une
– dont une particulièrement sensible car inachevée –, les germes se seraient régalés. Il semble
que Nathalie soit plus forte que moi. Elle est passée au travers. Il y eut une petite tentative,
promptement avortée. A l’exemple de Jeanne d’Arc, ta génitrice bouta les bactéries hors de sa
chair. Elles n’eurent point la joie de t’atteindre. Par contre, je m’inquiète quant aux voix
qu’elle entend. Sont-ce les tiennes ? « Dis maman, pourquoi tu glousses ? ».
« Pourquoi mes vannes à deux balles ? ». Je passe mes jours à faire des jeux de mots laids,
plus laids que ceux des cyclistes. Ce n’est pas que mon esprit ne tournerait pas rond, ou qu’il
contiendrait un petit vélo. Il s’agit d’un besoin irrépressible, une sorte de dopage que je ne
sais contenir. Je me permets de vagabonder, de donner libre cours à mes délires. Certains
jonglent avec un ballon. Je m’exécute avec des verbes. La gymnastique n’est pas la même.
Cependant, elle me procure un plaisir pendant… une sensation de maîtrise. Méticuleusement,
je dissèque tout propos afin d’en comprendre la genèse. Ayant saisi l’anatomie…
l’étymologie de chacun… je joue les apprentis sorciers en les mélangeant. Je tente d’enfanter
un néo-vocable… néologisme ou barbarisme susceptible d’exprimer en ses traits, ses
ascendants… de renvoyer à une idée nouvelle. Lorsqu’il est viable, je prends un pied
incommensurable. S’il ne l’est point, je change la combinaison jusqu’à ce qu’elle daigne
signifier quelque chose. Je mélange les genres, comme d’aucuns modifient la matière…
Je m’essaie tout autant avec des mots épuisés, inusités. Notre langue étant tellement riche, il
m’exaspère que certains se perdent ou ne soient supplantés par des anglicismes inutiles. Les
remettant au goût du jour, j’effeuille d’anciens ouvrages et endosse les fonctions d’un
« archéologue calami24 ». Patiemment, je scrute, je consulte, je dépoussière de vieux écrits, en
extrais des termes oubliés. Je les décortique et tente de leur ré-insuffler la vie. Je fais du neuf
avec de l’occasion… de l’obsolète. Je pousse mon écologisme au recyclage des vieux termes.
Je les emploie – non dans une acception unique ou figée – un sentiment en insufflant une
pléthore d’autres. D’un cliché, j’invite le lecteur à se muer en spectateur, à se faire son propre
film. Il s’agit d’un art moderne en tant que tel puisque de l’enfantement d’un véritable
concept (ma fameuse peinture de mots).
Ainsi, le vocable « balle » est-il de l’argot renvoyant au « franc » [monnaie que tu ne
connaîtras pas. Le franc entendait la notion économique d’une seule nation… la France. Son
remplaçant entend celle contingente du continent, plus large et plus ouverte théoriquement…
l’Europe regroupant quinze pays pour l’heure…]. Le franc avait donc son franc parler. Cela
ne sera pas le cas de l’ersatz, n’ayant guère de langue commune… ou une fausse... ce vomi
anglo-saxon… Deux balles, ce n’était pas très cher. Mes vannes (ou jeux de mot en ce même
argot) étaient offertes, presque gratuites… ce tarif signifiant qu’elles étaient sans prétention
aucune et qu’elles étaient abordables pour le tout-venant… compréhensibles. A deux euros, ce
24
Calami : renvoie au lapsus calami et lapsus linguae.
122
A toi que je ne connais pas en corps…
n’est plus la même affaire… du tout. Je serai taxé d’être présomptueux, imbu de ma
personne… risquant de tuer mon petit commerce. Déjà, ma femme ne rit plus à mes
plaisanteries linguistiques. Elle les trouve trop lourdes. A moins d’un miracle, je crains de ne
plus être prophète en mon pays.
Je ne sais parler, ni écrire autrement. Que vais-je devenir ? Sans mes petites vannes bon
marché pour me condescendre un semblant d’existence, je risque de disparaître à l’exemple
de mes mots. A moins que je ne parvienne à recouvrer un second souffle avec ce journal.
Sera-t-il… seras-tu la bouffée nécessaire ou propice ? Ayant accouché nombre d’expressions,
perdureront-elles au travers de toi… à travers lui ? Mes « vannes » vont-elles s’ouvrir et de
concert, m’ouvrir un champ, une audience, une tribune ? Sera-ce l’opportunité de délaisser
mon artisanat à la papa, pour prendre de l’ampleur… une assise véritable ? Vais-je réussir à
développer mon activité et à ne plus vivoter ? Suis-je à l’aube d’accoucher d’un idiotisme de
qualité ? L’est-il en ces pages ? L’es-tu en ma feuille de chou ? Vais-je pouvoir déposer une
appellation d’origine contrôlée ? A un euro25 l’entreprise, la fortune m’est permise…
promise ?
« Pourquoi partir ? ». Il ne s’agit pas d’une fuite en av[en]ant, ni d’un départ précipité à la
cloche de bois. Non, il est mûri. Partant du postulat qu’il me faut être un peu égoïste, me
recentrer sur mes valeurs familiales (ta mère et toi), je m’en vais en refermant tranquillement
une porte que j’ai ouverte un lustre plus tôt. J’éteins une lumière pour en allumer une autre. Je
ne suis pas triste, ma décision étant sereine, désirée. En tout état de cause, elle n’est nullement
désespérée. Aussi, espèré-je que mes camarades ne le seront pas (attristés). Ce n’est pas un
adieu mais un au-revoir.
J’ai enfin compris qu’il me fallait accepter la fin d’une relation, lorsqu’elle a atteint sa
plénitude. C’est le cas hic et nunc. Expire mon militantisme. Rien n’est… ni ne doit être
immuable. Ce trépas est naturel, point un suicide ou un assassinat. Il n’est pas provoqué. Je
suis empli de cette nécessité de passer à l’étape suivante, au risque de végéter et de
m’ennuyer. Je vais écouter, donner libre cours à mon instinct… mon destin et m’adonner…
soit à mon art littéraire… soit à cet emploi de juriste… soit aux deux à la fois… si tel m’est
une condition sine qua non.
Je retrouverai mes amis en d’autres lieux, d’autres circonstances… ailleurs. Je m’en vais voir
si je n’y suis pas… mieux. Je m’en vais vivre. Je m’en vais semer, planter mes racines en une
nouvelle terre, songeant que par imprégnation, elle sera susceptible de me régénérer. N’ayant
plus d’allant, guère plus d’élan, je veux me faucher pour me permettre de repousser. Il me faut
de nouveaux défis pour me sentir vivant. La routine m’épuise et le quotidien m’enlace… me
lasse de son train-train. J’aspire à sortir de mes rails… de mes gonds… à provoquer un
souffle, une excitation, une rumeur… un frémissement.
Je ressens la nécessité d’entamer une sorte de tour du monde pour recouvrer la joie… d’en
revenir. Depuis que je suis parti à la découverte du Soi puis du Moi, je brigue d’aller plus
loin. Après moi le déluge, je construis cette arche pour ne plus me noyer dans une apathie
délétère. Dès que ledit berceau sera achevé, accouché, nous partirons à l’aventure. Je ne sais si
nous réussirons ou non. Ça ne m’est pas rédhibitoire. La destination n’a point d’importance.
Seul le périple compte puisqu’un moteur. Il aura cette vertu supplémentaire de resserrer nos
liens. Ainsi, ne sera-ce le radeau de la méduse.
25
Projet de loi, permettant à quiconque de créer sa société en investissant seulement un euro pour constituer le
capital initial.
123
Journal d’un futur père.
Ce ne sera pas davantage une galère, confiant en mes capacités à ramer… m’extraire des
situations périlleuses. Je ne suis ni fou, ni sénile (pour l’heure). Ce ne sera pas la traversée du
désert. Ce que j’ai patiemment semé, devrait bientôt germer. Ce n’est point du vent ou de la
poussière mais une encre résistant à l’eau… à celle de mes pleurs. Mes mots seront emprunts
des actes que je n’ai pu accomplir et qu’il m’incombe d’exécuter. Mes vœux sont sur le point
de s’exaucer. Je le sais. Il convient d’être patient, de ne pas tirer sur les jeunes pousses (dans
l’espoir de les agrandir) au risque de les arracher.
L’avènement est proche, au pendant du départ. Dans cette partance physique ou virtuelle (elle
peut être une simple modification fonctionnelle ou statutaire), transpire la promesse d’un
nouveau monde. Je me sens un pionnier quittant une culture moribonde, atrophiée, affamée…
pour se nourrir, se sustenter de celle qui va l’accueillir… ou qu’il saura engendrer. Je lui
reviendrai plus riche, matériellement ou intellectuellement. Je suis un ver en partance pour
l’étoile… en instance de métamorphose. De mon cocon, je tutoie déjà les nues. Je me
subodore fleuretant, papillonnant… Le départ est une promesse en soi… en soie.
« Pourquoi la mort ? ». Question délicate s’il en est. Les sujets les plus complexes donnent
lieu à de maigres développements… de piètres explications. Il convient que chacun se forge
sa propre opinion motrice. A mon humble avis – pas toujours éclairé – la perspective d’une
issue, d’une finalité est nécessaire à double titre pour donner un but à la naissance.
L’échéance à l’emporte-pièce procure une stimulation vitale. Sans elle, ne la redoutant pas,
nous végèterions à l’instar de notre âme et l’empirisme nous serait impossible… impassible. Il
faut une délivrance… une récompense lorsque la confrontation est achevée. Le trépas est
celle(s)-là. Il peut être difficile, pénible de l’appréhender. Suivant le mode opératoire, la
Faucheuse paraît brutale. Il existe quelques façons de périr… assassiné(e)…
accidentellement… naturellement… ou pathologiquement (pour les indirectes)... suicidé(e) ou
euthanasié(e) (pour les provoquées). Ces deux dernières sont rigoureusement prohibées par
les cultes… La mission serait à itérer puisque l’expérience n’aurait pas eu lieu… ou n’aurait
pas pu se dérouler en intégralité.
S’agissant des autres méthodes, elles seraient prédéfinies par l’âme briguant de s’incarner.
Ainsi, nous faut-il la respecter quelle qu’elle soit car un choix « supérieur ». La mort est partie
intégrante de l’existence. Il n’en est pas sans elle. Telle la manière de naître, le mode
d’expiration est cet art indissociable. La vie s’achève, se rompt avec la mort. Elle clôture cette
première, l’aboutit. Plus elle est cruelle, plus l’essence s’affine. Elle est un mal essentiel.
Ainsi, conviendrait-il de ne pas s’en attrister. La mort ne serait pas une fin en soi… de soi
mais sa poursuite… la reprise d’une éternité… une passerelle entre deux mondes comme la
genèse.26 Au lieu d’être celui d’une tristesse profonde, elle devrait être la place d’une liesse…
la rupture étant temporaire. Les êtres noués prolongeront leur communion au-delà. Je le
crois…
Je ne connais pas celle que je me suis promise. A la limite je m’en moque… non que je
veuille en plaisanter. Je veux te signifier par-là qu’elle ne m’effraie pas. Je redoute la
souffrance éventuelle avec laquelle elle m’emportera. Je ne brigue pas que tu raccourcisses
mes jours ou mes ennuis, ni que tu t’attristes lorsque je te laisserai. Je te l’ai dit… il ne s’agit
pas d’un adieu. Il ne faudrait pas se désoler de la fin si l’on part du postulat ou si l’on sait que
la vie fut bien remplie. Il est un temps pour tout. Nous en avons un, rendant précieuse chaque
miette. A défaut, nous le dépensons – plus qu’à nous réjouir – à regretter qu’il puisse
s’achever… nous achever… Nous en profiterions beaucoup plus et l’épuiserions
26
Genèse : n.f. du latin genesis, naissance.
124
A toi que je ne connais pas en corps…
sereinement… Frôler son terme, renforcera nos sentiments réciproques. Ce qui rend toute
chose si belle, n’est-ce point qu’elle puisse se briser ? Sans cette crainte inhérente, que
serions-nous ?
« Pourquoi l’athéisme ? ». De part son étymologie, ce vocable se définit comme un
mouvement visant à se priver de dieu… le « a- » entendant l’idée de la privation… le
« -thé- » venant du grec théos « dieu ». Le «-isme » introduit le mouvement, la pratique, la
doctrine… la profession. (Quoique dans ce dernier cas, ça pourrait être paradoxal,
antinomique…). L’athée dont le dessein est justement la privation de dieu, n’est nullement un
nihiliste. Il ne croit pas en rien (même s’il peut le soutenir). Il ne veut croire en ce créateur, ni
en ses vertus le(s) niant. Qu’il existe ou non, peut lui importe. Ne pas croire en dieu, n’est-ce
pas ne point l’ignorer ? Mais se convaincre de le rejeter. Car dans une évocation de dieu
(qu’elle quelle soit), il est implicitement la conception de son existence. L’athée est donc
l’être qui fait de sa négation théologale, une philosophie… un art de vivre. Je suis celui-là…
aujourd’hui.
Je te le dis car je me suis longtemps revendiqué du nihilisme […et m’en revendiquerai]. Or,
ne croire en rien pourrait être d’une prétention redoutable… signifiant ne rien ignorer… tout
savoir… être omniscient. L’affirmer pourrait être perçu d’une stupidité non paire, notre
existence étant un empirisme destiné à nous permettre d’acquérir des connaissances par
immanence. S’il ne croit en rien, peut-il croire en lui ? Il serait… ou une âme échouée,
échouant… ou un être inexistant. Je l’étais. [Je le serai…]. J’ai appris de la vie. J’ai perdu ma
suffisance. J’ai accepté mon imperfection… temporaire… temporelle…et me suis mis au
labeur. J’ai agréé de vivre en mes joies et mes peines, mes qualités et mes défauts. J’ai
accepté l’idée vitale de la confrontation. J’ai admis mon rôle et de m’y tenir. Il est parfois des
tentations difficiles, susceptibles de me perdre… de me détourner de ma mission. Je pense
avoir acquis cette sapience (ou croyance singulière) apte à me ramener dans l’étroit chemin
qui est le mien.
Mon athéisme ne procède nullement d’une vision romantique de la vie ou d’un orgueil (même
si je l’es-suis). Je n’ai point la volonté ou la prétention de vouloir me mesurer à cette essence
supérieure… ou à son œuvre. Je ne prétends pas que sa création soit inaboutie ou imparfaite…
qu’elle n’a pas fini de la digérer. Ce n’est pas son ambition… d’enfanter la perfection… et
pour cause ! Je me fous de dieu en ce qu’il ne m’est d’aucune aide… à le penser ou à
l’invoquer. Quant à l’évoquer… J’ai probablement vécu ou devrais vivre cette expérience
dans une autre incarnation. Il ne m’est pas utile de le louer. En liesse de mon émancipation, je
ne me veux d’aucun seigneur. Je n’ai donc pas à le tutoyer. Aussi, que m’encombrerais-je de
lui ? Je me suis organisé un schéma existentiel qui me sied pour leurre. J’invite quiconque à
en faire autant… à exister suivant ses desiderata. Mon athéisme, c’est cela… respecter
autrui… en ses choix… en ses croyances. Le considérer parce qu’il est… par ce qu’il est.
Je sens en ton mutisme, cette interdiction. Tu sembles déchirée entre l’envie et la pudeur de
me demander quelle image j’ai de dieu, lorsque je le conçois peu ou prou en mon
inconscience. Je ne te comblerai pas en cette matière et encouragerai ta retenue. Je ne veux
point t’influencer. Pour tout avouer, je n’ai de lui aucune figure mais davantage un sentiment.
Et, de celui-là, je ne te parlerai pas… du moins, pas maintenant. Et puis, il sera amené à
évoluer entre l’instant où je t’écris et celui où tu me liras. Souviens-toi… rien n’est immuable.
« Pourquoi l’intuition ? ». Elle est une connaissance immédiate, permettant à quiconque
d’apporter un postulat, une solution à un problème donné. Des expériences ne pouvant ou ne
125
Journal d’un futur père.
devant être menées, notre champ cognitif étant étouffé par notre métempsyc[h]ose, l’instinct
est l’ultime lien avec notre esprit, hors de toute pensée. Il est son interrogation inconsciente. Il
nous agrée ce savoir nécessaire, savoir qu’il ne nous est pas nécessaire d’expérimenter…
l’ayant déjà fait ou à faire… ne l’ayant pas. La vanité n’étant pas dans nos prérogatives, il
nous épargne un temps précieux et une itération. Ainsi, notre prescience est-elle ce vigile
indispensable… nullement un art obscur ou divinatoire. L’art étant de l’exercer… qui sait la
solliciter, touche la réponse. Qu’en sais-je ? D’instinct…
L’intuition ne nous est une perception extrinsèque. Elle est tout au plus une
propension absconse. Elle nous est propre et naturelle. Les réponses qu’elle nous condescend,
sont nôtres… issue de notre omniscience inhibée. Car, elle sait puiser ses sources en nos lieux
oubliés, devenus hors du commun. Pour un esprit cartésien, elle est appréhensible puisque
irrationnelle de prime abord. Il aura tendance à s’en défaire qu’à la développer… à tort ou à
raison… la raison s’opposant à l’intuition. N’est-ce point une absurdité d’agréer les axiomes
de l’amour et de récuser ceux de son instinct ?
La réflexion pervertit le mouvement intuitif. L’abnégation est l’exercice le plus complexe, en
ce qu’il nous faut nous abandonner à un courant que nous ne maîtrisons pas. Est-il pour autant
mauvais ou redoutable ? N’est-ce pas cette intuition qui redressa l’homme et lui insuffla la
pensée de l’outil ? Depuis que j’ai renoncé à ce rationalisme futile, je m’en porte mieux…
ayant admis l’assertorique… ayant cessé de m’essayer aux démonstrations apodictiques pour
me concentrer sur l’essentiel de mon empirisme. Je fais de mes intuitions, ma raison. Je
prends ce « risque »… ou plutôt fais ce pari. Je cultive cette voie me menant à mon essence…
à mon aisance. Mon esprit est en paix avec moi et ma chair, m’est ce havre de peau au sein
duquel mon âme se plaît à errer. Parfois, les relents du passé tentent de me contraindre, ma
main s’égare. Elle cherche une perche susceptible de me rassurer. Lorsque je n’ai plus pied, je
crains de me noyer, de faillir par abus de confiance. Toutefois, je me lâche de plus en plus.
J’entends ce que mes sentiments me disent. J’ois leur appel. Je me prépare au bonheur… qu’à
son féal plaisir. Aussi, me fis-je à mon instinct, las de le fuir… de me perdre et mon temps.
J’accorde ce crédit à la vie.
« Pourquoi la culpabilité ? ». Elle repose… trouve son fondement sur la faute… lorsqu’étant
commise, elle engendre le sentiment d’avoir mal agi… alors naît sa reconnaissance et à
travers elle, la culpabilité. Elle est dictée par cet examen de conscience, son for intérieur… un
procès du moi par le moi, où le juge est partie puisque se regardant dans un miroir. Mais, ce
sentiment culpabilisant peut être insufflé (certes par soi) par autrui… le tiers se faisant ce
miroir dont le reflet ne nous agrée guère. Ainsi, lorsque le juge est parti, que l’observation de
sa probité ne se fait point, la justice pallie la carence… les règles sociales nous réfléchissent
en leurs pléthores de garde-fous… de sanctions.
Pour une raison inconnue (dont l’intuition me susurre qu’elle serait enfantée par la peur que
d’aucuns confondent mon emploi de preux ou pou), je suis en proie à une culpabilité
permanente, un dérèglement puisque n’ayant commis son fait générateur… la faute. Sans
doute, redouté-je plus encore, la propension de l’homme à attribuer une forfaiture à un
innocent et à le condamner pour cela. Or, qu’est-il de pire que l’injustice et d’être contraint
d’endosser la culpabilité d’un autre ? Aussi, prends-je les devants de ne pas devoir expier…
reconnaître des torts qui ne sont pas miens. Cela doit me conférer un faciès coupable car
induit.
Ce second confondu, a fini par se corps-rompre ainsi que mon miroir. Je n’embrasse plus mon
reflet tranquille mais ce moi enduit d’une coulpe potentielle. Ma probité ne peut plus
s’exercer. Je me sais condamné. Suis-je atteint du syndrome biblique aspirant à ma chute… de
126
A toi que je ne connais pas en corps…
racheter les péchés de l’Humanité ? A choir de ce Père, autant être utile et ne pas tomber pour
rien. Moins dure sera-t-elle ? A moins que je ne brigue inconsciemment qu’il me soit accordé
– après révision de mon procès – la fonction de martyr. Auquel cas, je serai restitué en mon
emploi de philanthrope et pourrai poursuivre ma mission de bienfaisance dans les
consciences.
A propos d’intention, comment puis-je réparer ce miroir brisé, me réfléchissant en deux
visages distincts dont un coupable ? Comment taire les procès que je me fais malgré moi,
n’ayant pas perpétré le méfait, sachant que j’eusse pu le commettre ? Ma vertu étant prise en
défaut, j’entame la mécanique expiatoire… Je suis las de m’envisager en fautif par les
errances de ma pensée parfois sombre. Que ne sais-je me reconnaître ? Pourquoi ma psyché
est-elle à ce point déformante ? Je n’ai de cesse de prouver… d’éprouver ma bonté… de taire
mon côté obscur. Je frôle mon déséquilibre. Une part de moi condamnant la seconde au lieu
d’accepter le paritarisme essentiel. Je ne suis pas entier.
Je touche la direction de mes actions… ma volonté permanente de prodiguer le bien et de
paraître vertueux. Il me faut admettre que ce moi zain m’est nécessaire, lui permettre de
s’exprimer tout aussi librement pour me nuancer. Mon affranchissement – vis-à-vis de ce
sentiment coupable – réside assurément en cette expression. M’autoriser en l’avocat du diable
devrait me permettre de me confronter davantage… d’être plus conforme, serein avec moimême… puisque de me contredire. Mes convictions n’en seraient que renforcées… épurées.
Je saisis que je suis finalement coupable de vouloir être bien car, je ne suis pas juste…
« Pourquoi la Liberté ? ». Elle est la seconde raison d’être. L’intuition de l’amour te conférera
ton princeps sentiment existentiel. Il t’animera. Tu en toucheras les limites, ne t’appartenant
pas encorps. Tu frôleras la Liberté et tu le remplaceras par cette autre ô combien séduisante,
frappée d’un amour absolu. Par un sentiment intuitif puis révélé (je me sens libre) elle te
charmera… avant de te devenir cette aspiration ob-nubil-ante… un état de fait (je suis libre).
L’ayant embrassée, épousée, elle ne cessera de te quitter, plus troublante que quiconque.
Lorsque tu aspireras à voler de tes propres ailes, ce n’est pas le vent qui te portera mais le
souffle de la Liberté. Elle sera cet appel, t’invitant à franchir le pas… le pallier… le pas-lier…
à t’affranchir… ne dépendre que de toi. Elle sera ce compagnon qu’il t’incombera de
protéger. [I]Car[e], il s’agit d’un luxe suprême, n’ayant pas de prix… en ce bas monde. Ainsi,
la Liberté sera-t-elle paradoxalement ton asservissement… d’aucuns briguant t’en spolier…
con-fondre ta cire pour te saisir. Elle deviendra ta lutte incessante, ton combat quotidien. Tu
t’y plieras, redoutant de la perdre et de choir.
Tu la toucheras lorsque tes bras pousseront les miens, qu’ils me dicteront de te lâcher… que
tu puisses te mouvoir… t’émouvoir par tes propres moyens. Prenant conscience de ton corps,
elle viendra t’imprégner, te caresser en tes primes errements. Elle te mènera par le bout du
nez, en te laissant croire que ses choix sont les tiens. Or, ils te seront insufflés par la fuite de
l’entrave… de la contrainte. Ainsi, être libre, n’est-ce pas davantage une notion négative
(puisque nous poussant à obvier toute coercition) que positive (où je fais réellement ce que je
veux) ? Finalement, la liberté, n’est-elle pas un jeu de dupe, consistant à être hors du champ
de ce que nous ne voulons pas, plutôt que d’exister en ce que nous [nous] désirons ? Car, estil possible… est-il donné d’être ce que nous ambitionnons, là où nous l’ambitionnons ? Aussi,
la liberté, n’est-elle pas une chimère, une absoluité pansant l’individu… le poussant à se
penser et accomplir un travail intellectuel émancipateur ? Ce sentiment ou cet état de fait qui
nous ceint avec les traits de la Liberté, n’est-il pas que la simple indépendance ? N’est-elle pas
cette pierre d’achoppement… philosophale… philosophique… susceptible de nous faire
prendre le massicot pour de l’or… des vessies pour des lanternes ?
127
Journal d’un futur père.
Quoiqu’elle s’étale sur les frontons de nos institutions républicaines, qui peut se vanter de
l’avoir – ne serait-ce qu’une fois – réellement tutoyée ? D’où nous vient cette étrange
croyance ? N’est-elle pas un mythe agnostique (sorte d’opium), un leurre inventé de toute
pièce afin de nous enfumer… de nous faire tomber dans le piège du dogme-addicte… de nous
laisser croire que nous serions des êtres libres ? Tandis que nous sommes interdits de règles…
d’obligations… de devoirs nous acculant. L’idée selon laquelle cet absolu serait accessible,
n’est-elle une farce destinée à nous plonger dans l’ignorance (puisque croire, c’est ignorer) ?
Pendant que nous sommes l’oint (béatifiés par cette pommade poisseuse), nous sommes loin
des réalités… Par le biais de ce journal donc de ta genèse, j’y recolle un temps… soi peu… Je
recouvre de mon acuité. Même si ce sentiment m’anime, que j’aspire à passer le reste de mon
temps à écrire, suis-je un homme libre en m’y exécutant ? Nullement… car pour cela, il me
faudrait en vivre… de pouvoir me détacher de toutes contraintes. Or, je dépends des maisons
d’édition et ma liberté s’arrête où commence la leur… Aussi, ne suis-je qu’un instrument. Il
m’incombera que tu n’en sois point un. Mais comment se faire ?
« Pourquoi le matérialisme ? ». La Liberté est cette promesse… une étoile brillante dans les
cieux… dans les yeux des hommes qui daignent relever la tête. Elle est inaccessible. Elle
suscite rêves, espoirs d’affranchissement… de dépassement nécessaires. Même si l’homme
sait qu’il ne la touchera jamais, s’en rapprocher suffit à sa joie. Le matérialisme est
l’ensemble des moyens qu’il met en œuvre, en vue de la frôler. Le matérialisme est de deux
ordres. Il est cette doctrine faisant de la matière le fondement de toute réalité. Il s’oppose au
spiritualisme et rejette l’existence de dieu… de l’âme… d’un au-delà. Il est un besoin ayant
pour dessein, la quête des satisfactions matérielles. Bref, il se calque sur les deux acceptions
de la « fortune ».
Rejetant l’idée du hasard matérialisant pour lui préférer l’idée de rendez-vous essentiels, je
basculais de la seconde définition vers la première… me mis à aspirer satisfaire mes envies
matérielles. Longtemps, je crus qu’en me constituant une fortune, je pourrais pallier
l’ensemble de mes besoins, organiser ce chaos, toucher un ersatz de liberté. Or,
j’appréhendais que ce n’était pas la mission que je m’étais dévolue (étant trop primaire). Je
saisis également que ce n’était pas une voie émancipatrice. J’eusse été dépendant de l’argent
et des moyens de le produire. Bien que me moquant de l’existence ou non d’un logo, je
supposais celle de l’essence et d’un ailleurs… d’une autre réalité. J’embrassais que le matériel
et l’immatériel pouvaient être liés puisqu’un équilibre… l’un n’allant pas sans son opposé.
Rien n’empêchait un être de s’organiser autour d’une incarnation empirique matérielle et
d’une immatérialité transcendantale omnisciente. Cela ne nécessitait pas l’intervention d’un
créateur. L’acceptation originelle d’une vie provenant du néant et retournant à ce même néant,
pouvait parfaitement entendre son contraire… provenant d’un lieu… et retournant en ce lieu
sans que cela ne requière une ingérence divine. Le néant supposant le vide, que ne
supposerions pas le plein ?
J’enfantais cette tierce voie – un oxymore – de « matérialisme immatériel » (mouvement qui
conduit à la matérialisation de l’immatériel ou de l’âme qu’il lui incombe d’enrichir) au sein
duquel l’esprit est engendré par des phénomènes de matérialité (cette fameuse lettre… l’être
de mission)… l’âme étant la substance de l’individu… cette permanence dans les
changements métem-psychotiques. L’être connaîtrait des cycles de matière et d’autres,
contraire… Ainsi, renonçais-je à mes désirs de fortune… pour développer ces valeurs
davantage substantielles. Je compris que la richesse était une imbécilité, une vanité (pour
toutes ces raisons ou intuitions qu’il m’est inutile de réétaler). J’embrassais que la plénitude
résidait dans le dénuement… la liberté itou… en discipline dyogénisien ou cynique. Je
128
A toi que je ne connais pas en corps…
caressais que l’être naissait avec un bagage taré27 dont il lui appartenait de se défaire sa vie
durant (de l’alléger et non pas de l’alourdir)… l’existence étant une expérience négative. Dans
le nûment parve-nu, tu touches enfin ton « étoile ». Sans doute est-ce en ce lieu, qu’est née
l’idée maladroite du paradis.
A titre subsidiaire, tu tutoies entre autre, la raison pour laquelle j’ai renoncé à partir
physiquement et décliner l’offre de moins en moins alléchante qui m’était faite par ma
direction. Certes, je nous mettais à l’abri du besoin. Néanmoins, j’en eusse engendré de
nouveaux… plus futiles encore… des boulets coercitifs. Oui, nous serons plus heureux et ce
sentiment-là, je te laisse le soin de me le décrire…
27
Taré : adj. tiré du verbe tarer.
129
Journal d’un futur père.
Septième mois :
« Je ne suis-je qu’un instrument. Il m’incombera que tu n’en sois point un. Mais comment se
faire ? », te disais-je précédemment. Ainsi, aux « pourquoi », succèdera le temps des
« comment ». Je veux y répondre, m’essayer à les subodorer pour les raisons sus évoquées. Je
veux commencer avec une bille pendante… une bille en tête… « Comment l’univers ? ». Là
encore, je vais te soumettre mon hypothèse. Il t’appartiendra d’y adhérer ou non… Ma théorie
est celle d’une « bouteille » flottant dans un néant infini et contenant un « message ». Pour
une raison demeurant inconnue, une énergie a brisé le récipient et l’a répandu en une pléthore
d’éclats. L’intuition incluse s’est libérée. Elle a délivré la vie.
Dans le tout premier temps – d’à peine accouché – ladite intuition a structuré la matière…
donné sa substance… sa consistance. Une fois le… ou les berceaux apprêtés, elle a préparé
l’immatériel pour des carnations (créant alors le lien entre les deux). D’abord primaires et de
plus en plus évoluées… les expériences passant. Lâchées sur cette énorme (et à la fois
minuscule) bille de vert et de bleu, nos âmes errantes se sont organisées autour d’existences
successives, conduites par des nécessités d’immanences. Tantôt une fleur, tantôt un papillon,
tantôt un poisson, tantôt la proie, tantôt le prédateur, tantôt un homme, tantôt une femme, tour
atours, nous endosserions différentes panoplies aux fins de nous essayer en différents rôles.
Lorsque le schéma existentiel semble avoir livré l’intégralité de ses capacités… qu’il
toucherait ses propres limites… les âmes et/ou l’intuition (à travers elle ?) décideraient de
concert de changer la scène. Elles balayeraient les stéréotypes épuisés… d’offrir une nouvelle
évolution des genres. Elles s’exécutent… exécutent par des catastrophes ou des fléaux. Aussi,
les jours de l’humanité sont-ils comptés au même titre que ceux jadis des dinosaures. Il
viendra d’ici… ou d’ailleurs… des espèces aptes à nous permettre des existences plus
intenses… J’avoue être impatient de m’y essayer… les humains me désespérant par-foi. Il
nous faut nous laver des ères de la souffrance pour en embrasser de plus exaltantes.. de plus
heureuses.
Je sens la fameuse interrogation te brûler les lèvres au pendant de l’esprit de tout un chacun…
est-il d’autres types de confrontation, en d’autres éclats ? Je ne sais pas. Peut-être. Un acabit
d’essences singulières, à notre instar, briguant d’organiser un schéma différent
d’expérimentations, a-t-il enfanté des vies endogènes ? Pourquoi pas. Si nous en fûmes
capables, que n’en serait-il illac et ante ? Si nous poussons davantage la réflexion, sans doute
y avons-nous… ou y aurons-nous accès. L’incarnation nous rendant amnésiques, nous ne
savons plus ce que nous avons expérimenté… ni où nous nous y sommes livrés. Nous n’en
gardons qu’une intuition. Faut-il l’entendre. Je ne te ferai pas l’offense de t’exposer, à
nouveau, ma pensée sur ce sujet. C’est la déraison pour laquelle d’aucuns cherchent à
connaître… à vérifier la genèse de l’univers… ainsi que des traces de vie hors la Terre. Me
foutant de l’existence de dieu (à appréhender ladite énergie ainsi que sa forme), tu peux
toucher combien il m’indiffère de saisir cette matière. Ce savoir ne me semble utile qu’à ceux
n’ayant pas saisi la substance de leur existence. Dans la cause extrinsèque, ils espèrent se
comprendre.
Quant à la « bouteille » et au « message », est-il nécessaire de m’y étendre ? Il ne s’agit pas
d’entendre ces mots dans leur acception commune mais plutôt dans une vue de l’esprit.
Accorde-leur les vocables qu’il t’agréera pour percevoir ce que j’aspire à te révéler. Et ce
d’autant plus que, je ne sais qu’elle était leur nature exacte. Il était un tout… ou plutôt deux,
enchâssés l’un dans l’autre… dont les fragments fusionnels forment une tierce entité… une
cohésion éclatée. Ainsi, étaient-ils deux choses complémentaires ayant accouché d’une
130
A toi que je ne connais pas en corps…
troisième… Ta mère et moi, nous sommes donc sur le point d’enfanter un nouvel univers.
Nous sommes à la veille d’un chaos dont tu seras l’éclat.
« Comment fait-on les bébés ? ». Je savais que la question resurgirait tôt ou tard, subodorant
que tu disposes d’ores de la caboche de ton vieux… de sa pertinence. Ainsi, ne pouvait-il en
être différemment. Ton père étant d’une remarquable intelligence (…en fausse modestie), tu
dois l’être tout autant… Il est plusieurs manières distinctes d’aborder le sujet… crûment
puisque d’une voix… voie biologique ou poétique… donc par un biais détourné. Cette
dernière me tentant davantage de par ma position de porte-plume et par souci de conserver un
peu du mystère. Aussi vais-je m’employer à te dire ce que tu brigues de savoir, sans vraiment
te le dire…
Cela ne se voit peut-être pas… les bébés sont faits avec amour. C’est l’un de leurs secrets. Tu
es l’allégorie du nôtre. Il se peut parfois qu’ils soient le produit d’un accident. Néanmoins,
l’amour devrait venir les submerger. Peu en sont exsangues. Le cas échéant, ils sont un fruit
meurtri… une conception résultant d’un acte gratuit. Rien n’ayant de cause incidente, sans
doute se seraient-ils choisis une existence aseptisée… une course avec handicap. Ce ne sera
pas ton sort. Nous en avons mis tant par crainte du manque, je redoute que tu n’en débordes.
Or, une fillette pissant l’amour… une fontaine à ô… il me faudra te surveiller au risque de
t’acoquiner de bonne heure ! Tu seras suivie à la trace par tous les gars désireux d’étancher
leur soif concupiscente. Ton havre de peau finirait par se muer en berceau. Tu en prendrais de
la graine mais point de la propice… sorte d’ivraie émanant de l’ivresse de manants. L’humeur
consommée, ils te délaisseraient avec tes remords… et les miens de ne pas t’avoir tout étalé.
Il te faudra apprendre à faire attendre les hommes… avant de leur ouvrir tes bras… tes draps.
Etant l’un d’eux, je sais de quoi je parle… et ce dont ils sont coupables… capables. Celui qui
te désirera véritablement, aura cette persévérance… des autres, il te faudra te défaire. Dieu
sait si ta mère m’en a fait voir de toutes les douleurs ! J’ai dû faire preuve de patience et de
sapience… de vertus dont je n’étais pas certain d’en posséder une once. Elle eut beau
m’éprouver, je me suis assagi… aguerri… et l’ai eue à l’usure. Surs de l’amour que nous
éprouvions (que nous éprouvons toujours), nous avons été étreints par ce désir de te mettre à
jour… de te concevoir. C’est ainsi que nous nous sommes enlacés… c’est ainsi que se font les
bébés. S’agissant de la partie plus technique de la conception, nous aborderons le sujet
lorsque tu seras en âge de saisir les tenants et les aboutissants essentiels. Pour l’heure, tu en
sais suffisamment, me semble-t-il.
« Comment sait-on que l’on aime ? ». Je suppose que ton interrogation sous-entend une
relation entre individus. Car s’agissant de ta confrontation avec une chose, en fonction de la
sienne (de fonction), tu fais appel à une séquence mnémonique de sens ad hoc. Ainsi, lorsque
tu dégustes pour la première fois un plat dont tu ignores les saveurs, tu éveilles ta vue de
prime abord… d’observer si l’aspect général te tente. Si tel est le cas, tu poursuis en suscitant
ton odorat, en testant les fragrances… le toucher pour en éprouver la substance. Enfin, tu
excites ton palais par le goûter. A l’aune de tes réactions… de tes comparaisons… de tes
intuitions positives ou négatives, tu sais si tu aimes ou non… c’est-à-dire si tu ressens un
plaisir certain à t’y essayer. Pour un style musical, c’est plus aisé. Il te suffit de prêter tes
pavillons à l’expérience, d’ouïr le morceau. S’il t’écorche les tympans, te casse la tête ou qu’il
engendre de l’acrimonie, tu arrêtes de lui prêter un intérêt. Ta mémoire se rappellera à ton
mauvais souvenir que ce genre t’affecte. A sa simple évocation, tu seras emplie d’un
sentiment de dégoût. Il se peut que les jours passant, l’épreuve s’adoucisse ou qu’un artefact
fasse évoluer tes références, que tu finisses par l’adorer… L’âge est également un facteur
131
Journal d’un futur père.
déterminant. Suivant la tranche et les immanences expérimentées, tu mettras en exergue peu
ou prou… diverses facultés qui te paraîtront suffisantes pour susciter l’appétence.
Concernant les relations entre individus, il en est de même. Egrenant un à un tous tes
instincts, tu cherches ceux susceptibles de te donner faim de l’autre. Ainsi, tu l’épies pour
satisfaire tes absoluités primaires… physiques. Tu humes son parfum, flaire une odeur apte à
engendrer une excitation. Tu ouvres tes oreilles… de capter sa voix. Tu te mets en quête
d’une excuse pour que tes mains puissent le frôler… l’essuyer, c’est l’adopter… Si ta chair
entame un frissonnement, alors tu t’épuises à découvrir la méthode pour le goûter. Tu lui fais
la cour ou l’incites à te la faire, en lui envoyant des signaux non équivoques. Lorsque
finalement tes lèvres s’accolent aux siennes, si ta poitrine bat la chamade, qu’un frisson
parcourt ton échine, alors tu sais.
Les années passant, les expériences se faisant et défaisant les premières fois, il te faudra
partager ses humeurs et le toucher bien plus encorps… plus intimement. Ainsi, tu épuiseras
les inclinations de ton cœur, ne sachant plus que croire entre ses raisons et la tienne. Lorsque
tu ressentiras le manque de son absence, alors tu toucheras ce deuxième et-moi… l’Amour.
Vous épuisant davantage, vous l’élimerez, le réduisant à sa plus simple expression. Si cet
apurement continue à épanouir l’églantier grandissant en ton sein, que le temps ne sait point
l’étioler… si ses bourgeons persistent à saigner… qu’ils enfantent des boules ardentes… des
Phébus en tes entrailles… si ta peau se languit de la sienne alors tu le caresseras en ses
grandes orgues… et de toutes ses barbaries, tu feras ton lit… Il se peut que tu n’en tutoies la
grandeur, l’empire qu’après sa chute… son soupir. Lors, tu n’auras de cesse de le reconquérir,
de le ranimer. Là, tu sauras que tu as aimé…
« Comment sait-on que l’on est aimé ? ». Je suppute que ta référence est cet autre… et non
pas tes parents. Car en ce cas, tu peux t’appuyer sur une présomption irréfragable innée (qui
ne peut être combattue que par l’aveu contraire. Tu es fixée). S’ils t’ont conçue et qu’ils
s’apprêtent à t’accueillir… à te cueillir une fois mûrie, il est fort à penser qu’ils soient animés
par l’amour qu’ils te portent… notamment ta mère depuis neuf mois. Sinon, ils t’eussent
fauché dans ton allant de vie, dans ta conception. Ils eussent mis un terme à la gestation…
Sorte d’Omphalos2, centre de leur monde, il est aisé de mettre des actes sur leurs paroles, des
attentions dans leurs faits et leurs chansons de gestes.
Dans le second principe, ma fille, j’avoue ne savoir que te répondre. Nul ne sait jamais
vraiment. Seule ton intuition peut t’orienter… te montrer ce que tu ne sais voir… ou souhaites
voir. Comment être certain de la véracité d’un sentiment ? Comment embrasser que ce n’est
nullement une illusion… de la foudre jetée aux yeux ? Il est toujours un doute. Il en sera
toujours un. Il demeurera en toi jusqu’à la fin de tes jours. Faut-il s’en plaindre ? Nullement…
cette incertitude te transcende… ainsi que ton hymen. Car seules nos peurs nous obligent à
nous surpasser. Et la crainte de la disparition renforce notre volonté d’existence… parce qu’il
est une fin, nous avons cette autre (faim). Si nous étions repus, satisfaits, chercherions-nous à
nous reparaître… nous satisfaire ?
Il est des indices que nous recevons de notre vie-à-vis. Bien qu’il soit impossible de le
connaître parfaitement (tant mieux), il est des messages indicibles qu’il nous envoie… qu’il
nous appartient de traduire. Je te l’accorde, ce n’est pas limpide. Comment faire la part des
choses ? Comment avoir la conviction qu’il ne s’agit point de fausses pistes… de
manipulations ? S’il était moi, ce serait plus simple. Quoique… Il n’est point évident de
s’estimer (soi-m’aime puisque confondu… déformé par ce lar-zen… lar-saine). L’amour est
théoriquement un é-moi opposé à l’égoïsme… une ouverture sur autrui. Or, je dis
« théoriquement » car l’amour est en général engendré par le reflet que me renvoie mon
132
A toi que je ne connais pas en corps…
prochain. Si je me vois en lui tel que je m’aspire… s’il m’agrée alors je serai empli(e) par
cette liesse et ce narcissisme de m’y embrasser encore. Mon amour propre m’allouera de
l’aimer à l’aune de ce qu’il me permet d’être.
S’il me salit et ne m’octroie pas l’image que j’attends qu’il me réfléchisse, je lui vouerai une
haine… et, n’aurai de cesse de briguer le détruire jusqu’à ce qu’il soit ruiné au pendant de ma
réflexion qu’il a ternie… ou qu’il consente finalement mes attentes. Cet amour n’est-il point
un diktat me contraignant à être ce dominant et non ce dominé ? Est-il une lutte perpétuelle…
un rapport de force ? Mais, serai-je pour autant aimé ? Si je suis le faible, assurément. Faut-il
donc être celui-là pour avoir la « paix » intérieure… l’assurance de son affection ?
La solution est sûrement ailleurs… dans le détachement… l’abnégation. Est-il essentiel qu’il
m’aime à la hauteur de ce que je lui condescends… ou de ce que j’espère ? D’être dominant
ou dominé ? Je crois qu’il convient d’échapper à ces standards bestiaux pour tutoyer le
véritable hyménée. Il convient de déplacer les ébats. Après tout, m’importe-t-il d’être aimé ou
d’en mesurer la force, s’il me permet de l’aimer et que tel me comble ? Et, s’il lui plaît de
partager encor mes jours et mes nuits, de me tenir la main lorsque je ne vais pas bien… j’en
suis ravi(e). Qu’il fasse battre mon cœur et me permette de me sentir en vie, ne suffit-il à mon
bonheur ? Si cela ne me satisfait plus, il me revient de m’en aller… de ne pas en dépendre…
C’est ma réponse… ne cherche pas à savoir. Contente-toi d’exister indépendamment de tout
le reste.
« Comment prépare-t-on une naissance ? ». Toutes les genèses étant singulières, je ne saurais
répondre à cette question. Par contre, je puis te dire comment ta mère et moi, nous préparons
la tienne. Elle consiste à rencontrer une praticienne dont la spécialité est la parturition. (En
notre cas, il s’agit d’une sage-femme.). Car, il ne te faut pas croire, ma fille, que tu vas
demeurer en ton abri, ad vitam aeternam… faire de son ab- ton domaine… tu as en cette
matière un concurrent sérieux. S’il devait en être ainsi, tu n’aurais pas aspiré à t’incarner.
Cette vie-là se passe ailleurs. Il va te falloir sortir et lâcher un peu de lest à ta mère. Nathalie
commence à se désespérer de grossir à n’en plus finir… d’avoir à te porter. Tu deviens lourde
et son dos en spirale commence à gémir… à la faire souffrir. Elle aimerait pouvoir se libérer,
ainsi que ses entrailles volumineuses. Partant de ce fait apodictique, nous réfléchissons à la
manière dont nous allons t’enfanter puis, t’accueillir.
En effet, contrairement à ce que d’aucuns du corps médical prétendent, il n’est point que cette
sotte sorte d’accouchement, consistant pour la maman à monter sur une table de travail au
pendant d’un condamné à mort s’apprêtant à recevoir sa dose létale (donc à purger sa vie), ou
comme ce fou que l’on sangle afin qu’il engendre sa manie dans ses beuglements. Tu nais
certes… mais n’es ni la mort (puisque son contraire)… ni une folie (puisque mûrement
réfléchie). Et la position horizontale ne nous paraît pas adéquate. Aussi, sommes-nous en train
de cogiter quant à une autre station – notamment verticale – plus adaptée. Acquiesçant le
principe de la pesanteur, que ta génitrice ferait-elle un travail inutile et fastidieux pour
t’extraire ? Cette histoire est la nôtre. Nous ne laisserons personne l’écrire à notre place.
Quoique heurtée dans ses habitudes, la médecine devra s’adapter à nos desiderata et non
l’inverse.
Le travail de la sage-femme n’est pas uniquement de te mettre au monde mais de nous
permettre d’accoucher de nos envies concernant ta naissance. Elle nous informe depuis
l’instant où les premières contractions se feront sentir jusqu’à celui de la délivrance… de ton
émancipation. Elle nous dépeint la succession des évènements pour que nous ne soyons ni
dépassés, ni affolés. Il ne faut pas confondre action et précipitation. Ainsi, nous aide-t-elle à
tracer notre voie, en abordant chacune des étapes, en nous demandant comment nous briguons
133
Journal d’un futur père.
la franchir. Par une ceinture pelvienne reconstituée de ses deux os iliaques et d’un poupon,
elle nous permet de visualiser ton périple. A l’appui de ces connaissances transcendantales,
nous définissons le schéma immanent suivant… dès que ta mère ressentira des contractions
proches et intenses, nous requérrons l’appui de la praticienne. Elle viendra en notre domicile
surveiller l’évolution des opérations, notamment la dilatation du col de l’utérus. De ce fait,
nous demeurerons à domicile, en un milieu connu donc apaisant, jusqu’à ce qu’elle décide du
moment opportun pour nous rendre tranquillement à la clinique.
Il nous reste à définir avec l’obstétricien l’accueil. Je dis obstétricien et non plus
obstétricienne puisque nous avons décidé de changer de lieu. En cas de césarienne, je n’eusse
pas été le bienvenu. En cet autre, je pourrais être aux côtés de ma femme et surveiller le fil du
dénouement… épisode par épiscope… mais surtout je pourrai t’accueillir et m’occuper de toi
comme il se doit. Dans l’absolu, nous ne souhaitons pas cet amen. Nous préférerions que tu
nous viennes par valse naturelle. Nathalie désirerait n’avoir qu’un cathéter… de pouvoir
vaquer au lieu d’être tenue par une perfusion, ainsi qu’un monitoring. Elle aspire à pouvoir
prendre un bain… de se relaxer… qu’elle ait perdu les eaux ou non… pouvoir déambuler
jusqu’au moment fatidique pour que la pesanteur officie. Elle veut accoucher accroupie… sur
un tabouret ad hoc… que tu choisses du nu sans effort. Ce n’est point aisé pour celui ou celle
devant te réceptionner. Si cette pratique était davantage enseignée dans les écoles, elle ne
serait guère redoutée… une estrade serait érigée que nul n’ait à se plier en quatre ou en pattes.
Nous serons bientôt avisés puisque nous rencontrerons ce brave homme à l’occasion de
l’ultime échographie. Nous fixerons les limites du litige. Nous avons prévu de visiter les
lieux. Nathalie pourra se projeter… s’en imprégner et découvrir les équipements.
Je te dirais que ma préparation se fait aussi par le biais de ce journal. Voici maintenant six
mois que je t’ébauche… t’effeuille à feuille… t’envisage en nos conversations virtuelles.
J’apprends à t’appréhender… à ma manière. A contrario de ta mère, je n’ai mis aucun faciès,
aucun physique sur mes mots. Je n’ai de toi qu’une silhouette obscure d’une adulte, plongée
dans les ténèbres et dévorant ce manuscrit à la faible lueur d’une lampe (c’est la raison de ma
rigueur). Je ne te sais ni blonde, brune, rousse ou châtaigne. Je ne sais de tes traits que ceux de
ton caractère piquant, s’affirmant au fur de mes démesures. Je n’aurais de déception lorsque
tu nous viendras. Tu seras toi, suffisant à ma liesse. Je crains que ta maman n’ait
paradoxalement un travail de deuil à accomplir, si tu n’étais point comme elle t’a imaginée.
Le bébé qu’elle tiendrait dans ses bras, ne serait pas le « sien »… du moins pas de suite. En
cela, la préparation peut être un inconvénient. Je crois qu’il convient de ne pas trop la pousser
(sans jeu de mot)… de laisser les évènements se dérouler librement.
« Comment devient-on adulte ? ». Si je m’en tiens à l’étymologie, l’adulte (adultus) est celui
qui a grandi. Ainsi, faut-il entendre celui dont la croissance est achevée… celui arrivé à
maturité. La première hypothèse ne prend en compte qu’une unique considération physique…
de nubilité. Etant enfant, j’ai longtemps cru que la majorité engendrait ce mécanisme…
qu’elle m’entraînerait irrémédiablement en cet état de fait… que je me réveillerais le jour de
mon anniversaire, c’est-à-dire de mes dix-huit printemps, un homme. Je ne pouvais y
échapper. C’était une fatalité à l’instar de la mort. La vie était ainsi faite… fête… de joie et de
peine… d’étapes incurables. Aussi, ne fis-je aucun effort… ni affectif… ni intellectuel pour
m’y conduire. Sentant le couperet de la sentence, j’y allais à reculons – pour mieux sauter le
sévice militaire – pas très pressé d’achever ma puberté. J’étais tellement heureux en cette
insouciance que, lorsqu’elle me quitta, je ne sus plus les saveurs du bonheur. J’ai donc lutté
pour demeurer un gosse… cultivé ma puérilité. Cependant, je fus promptement en décalage
134
A toi que je ne connais pas en corps…
entre mon âge et mes idées. Je fus contraint d’abdiquer et renoncer à contre-cœur, à mon
enfance.
Je saisis avec violence qu’en sus du physique abouti, il était d’autres notions indis-sociables…
affective et intellectuelle. Afin de tromper mon monde, je me concentrais sur l’entendement…
étouffais l’é-moi. Je développais mes facultés de compréhension… délaissais celles de mes
sentiments. Je m’enfermais en cette coquille protectrice, en une cellule. Je refusais la société
et ses contraintes inhérentes. Ainsi, mon esprit se plia-t-il aux exigences morales, tandis qu’en
mon cœur je fis perdurer l’existence du marmot. J’y parvins sans mal, sans heurt, jusqu’à ce
que le trépas de mes trente glorieuses fût annoncé. Le temps m’avait rattrapé. Il me fallait
quitter mon cocon familial, mener mes propres errances. La sapience m’accueillait… me
cueillait dans la fleur de l’âge. Une bombe à retardement. Je subis les éclats de la crise
d’adultescence. Je fis not’amant l’expérience du sexe et devins malgré moi, un Don Juan. Ne
pouvant pas assumer ce rôle, elle fut amère… brisé que de le devoir lassablement et rompu au
point de ne plus savoir éprouver. Je me brûlais à ce feu d’arti-fils. Je parvenais malgré tout à
sauver l’enfant que je suis toujours. Sans doute, m’a-t-il épargné à son tour… en mes tours.
Ces définitions relatives à la maturité étant imparfaites, il convient d’en introduire une
tierce … celle de la responsabilité. Il me semble que l’on devienne adulte lorsque l’on est
responsable, c’est-à-dire lorsque l’on est en capacité de répondre de soi et de ce[ux] qui en
découlent. Ainsi, l’une de ces aptitudes, n’est-elle la naissance d’un enfant ? Etant cet autre, je
vais cesser mes puérilités – je crois – lorsque je vais devoir t’assumer… lorsque tu naîtras. Tu
vas me rendre raisonnable en me mettant – certes au pied du mur – ce pied au cul nécessaire
par tes attentes… attentes auxquelles je ne veux pas me dérober. Tu vas m’adouber, me
conférer cet adultisme. Tu vas m’empêcher de végéter, de me scléroser. En sens-je les primes
effets bénéfiques et cette disposition créative y menant ? Je n’ai jamais été aussi à l’aise avec
ma plume. Je suis empli… et d’agréables sensations en cette matière. Ce journal, sera-t-il
l’ouvrage de la maturité ? Ai-je répondu..?
« Comment la rencontre ? ». Cette question est essentielle car elle fait référence à la
rencontre de l’autre. Elle fait mention à la rencontre du soi. Elle est le dessein de l’existence.
Le temps imparti nous sert en cela… qu’en cela… à mener cette aventure permettant de nous
tracer. Aussi, la vie est-elle avant tout le voyage du moi amnésique vers le moi espéré.
Lorsque les deux se rejoignent, qu’ils se fondent… te fondent, le périple s’achève. Ainsi,
sommes-nous aveugles… des êtres à tâtons dans l’inconnu. A force de nous heurter à des
murs incompréhensibles, nous finissons par en trouver la clé… l’ouverture. De fil en aiguille,
nous tissons notre tapisserie, notre image [e]spinale. Nous tutoyons en ce néo-truisme de
l’Ulysse heureux ayant accompli son Odyssée… le plaisir de l’accomplissement. Le retour
est-il la mort et sa joie… celle de son âme s’en retournant en son au-delà… se retrouvant ?
Quant à la sénescence du roi, elle est l’expression de la finalité… de la fatalité.
La rencontre se veut en ce recouvrement de notre acuité, quand nous cessons de ne plus
appréhender. Le flou s’évanouit et nous met en lumière… en couleur. Quand nous en
percevons les premières lueurs semblables à celles du Phébus en son aube, nous savons que
nous sommes sur la bonne voie. Si, a contrario, nous sommes ceints de ténèbres, alors nous
nous éloignons. Il s’agit du songe du coma… de la vision du tunnel… et de cet éclat en son
extrémité. Etant la réminiscence de notre naissance, elle nous paraît lorsque nous nous devons
de nous accoucher derechef. Elle est notre fil d’Ariane, notre guide dans le dédale. La lumière
sourd lorsque nous touchons l’issue. Elle est un réconfort… un apaisement… une évidence.
Tel est l’allégorie platonicienne de la caverne, son expression. Dès que tu parviens à te libérer
135
Journal d’un futur père.
de tes chaînes… de tes gênes… tu caresses ta réalité et non plus les silhouettes monstrueuses.
Tu n’es plus l’ombre de toi-même. Tu es en ton zénith.
La rencontre avec autrui est différente, en ce qu’elle se produit dans ton obscurité. A l’instar
de l’Amour, il n’est point de norme en cette antichambre. Elle peut se produire n’importe où,
quand et comment ? Elle te tombe dessus, soit que tu l’aies provoquée, soit à brûle-pourpoint.
Elle te consume ou t’éblouit. Tu la confonds avec cette autre. Son éclat est moins coruscant.
Elle n’en est pas moins vitale… faire le chemin à deux, peut-être plus sécurisant…
rassérénant… Elle atténue le dam de sa flamme. Elle permet de voir un peu plus loin que
soi… de s’ouvrir. Si ton interrogation entendait que je te confère un secret, j’ai le regret de te
dire qu’il n’en est point. Elle se fera telle que tu l’as envisagée pré-natus. Je ne sais point les
surprises que tu te réserves. Elles font partie de la rencontre. Seule ton âme en connaît les
réponses…
« Comment perd-on sa virginité ? ». Je ne suis probablement pas le plus informé en cette
matière, le plus compétent pour te renseigner. Etant du sexe opposé, je suis plutôt supposé
dérober la vertu des jeunes filles en fleur. Ayant commercé bien tardivement, je n’ai jamais eu
à m’y essayer. Je n’ai couvert que des femmes accomplies, ayant déjà donné la vie…
l’envie… avant de connaître Nathalie. Il n’est qu’elle pour m’avoir attendu. En revanche, je
puis te parler des hommes. Il n’est rien de comparable, en ce que ce genre ne subit aucune
déchirure lors du coït. Un garçon perd son innocence à la force du poignet, entre les mains de
la veuve. Lorsqu’il s’exécute entre les reins d’une femme, seuls le plaisir et l’excitation
diffèrent… étant nonuplés. Le sein d’une maîtresse, lubrifié par ses humeurs concupiscentes
n’a rien de commun avec la cal sèche d’une dextre. Quant à sa chaleur… Mais, je m’égare.
S’agissant du stimulus, il est l’ennemi du puceau… animé… agité par ses testostérones, le
jouven-sot ne parvient pas à se maîtriser. Il succombe à son désir de stupre, soucieux de
percer en-faim le mystère de la source originelle. Aussi, la première fois qu’il y mène son
ithyphale, celui-ci vomit à peine après s’être abreuvé. Il dégorge ses liqueurs. Profane, il cède
à l’ivresse des profondeurs, manu militari, sans se soucier du ressenti de sa partenaire.
Je suppute quel doit-être le choc d’une demoiselle. Son hymen se déchire, lui conférant la
sensation d’abandonner une partie d’elle. L’acte revêt sans doute une importance que ne
touche pas son partenaire et qui conditionnera ses rapports futurs avec ce sexe opposé. Elle
doit avoir l’impression de n’être qu’un puits expiatoire (eu égard à sa culture judéo-chrétienne
mais également à sa souffrance éprouvée, comparée à la jouissance de son amant.). Sans
doute se sent-elle sa[il]lie. Cela dépend de son galant. Car, si ce dernier ressent le trouble de
sa partenaire… sa peur… s’il sait se faire doux… calme… attentionné… prévenant… s’il
joue de son corps comme d’un instrument avec une minutie infinie, il se peut que la déchirure
n’en soit pas une. Ainsi, ne faut-il pas choisir un porc. Ma fille, en fonction du berger que tu
te choisiras, tu verras des étoiles ou te feras manger la laine sur le dos. La perte n’est pas, par
conséquent, le vocable approprié car il s’agira… ou d’une spoliation… ou d’un présent. Dans
tous les cas, cette fleur charnelle (ou virtuelle) est cueillie. Seuls l’art et la manière changent.
Il conviendrait, me semble-t-il, de parler de détachement. La question devrait être… comment
se détache-t-on de sa virginité ? Je dis « virtuelle »… l’une des acceptions du mot
« virginité » se rapportant à la candeur. Ainsi, une jeune femme aspirant à ce que son
innocence soit cueillie, se détache-t-elle de son ingénuité et se livre-t-elle en pâture. Nimbée
de passion ou acculée d’accès, elle permettra le détachement de sa chair… la cueillette de son
hymen.
Quel est le facteur déclencheur de ce détachement ? J’avoue ne pas savoir. Je subodore qu’il
soit lié à la métamorphose que subit la femme au cours de son existence. L’homme étant plus
136
A toi que je ne connais pas en corps…
physique, il se contente de succomber à ses pulsions, sans s’interroger. Son corps n’évolue
pas fonda-mentalement. A contrario, je crois qu’une fille (femme devenue) ressent le besoin
de mettre une cohérence sur ses pertes mensuelles et ses transformations… de ne pas laisser
sa douleur cyclothymique comme une vanité… mais de lui conférer une réalité. Le fait qu’elle
puisse donner la vie doit être déterminant… prépondérant… Je te laisse le soin de me
renseigner quant à ce sujet. Pour une fois, je serai l’élève. Je profiterai de ton expérience,
pourvu que tu daignes m’enseigner à ton tour. Qu’en dis-tu ?
« Comment je m’appelle ? ». Tu vas l’apprendre très vite… à tes dépens… si tu ne files pas
droit, ma fille ! Aussi, n’ai-je pas à te le révéler, bénéficiant toujours de la présomption
d’innocence… même si parfois, je te sais désireuse d’entamer les hostilités en lardant les
flancs de ta mère, de tes pieds, mains et tête pointus… Je me souviens de ce plaisir infantile
éprouvé lorsque j’appris – sans doute par hasard ou par la volonté de mes parents – leurs
prénoms. J’eus l’impression que le monde changeait de visage, qu’il s’ouvrait. Je me riais
d’eux, non par moquerie mais parce que j’avais à peine conscience du mien. Quid du leur ?
Ne sachant comment réagir, je souris niaisement. Cette révélation m’emplissait et me
déstabilisait de concert. Un frisson me parcourut. Pour moi, ils se nommaient « maman » et
« papa »… il en avait toujours… et en serait toujours de la sorte. Je sus que ce ne le serait pas.
J’étais perdu. Je découvris par cette déclaration qu’ils avaient été enfants… qu’ils n’étaient
donc pas éternels. Cette connaissance me fit embrasser celle de la fatalité de chacun… de
toutes choses. Cette simple évocation me fit toucher celle de l’existence… de vivre avec ce
savoir inconscient du trépas. Elle me fit tutoyer les liens familiaux. Je sus que mes parents en
avaient, et ainsi de suite… qu’un jour, je serai à leur place. N’étant pas pressé que tu prennes
la mienne ou que tu puisses déjà le toucher, je me réserve le droit de te donner cette
information plus tard… lorsque tu entameras ton détachement.
Ton prénom ? Pardon, je n’avais pas compris l’interrogation en ce sens. Il est vrai que ces
derniers temps, j’ai cette fâcheuse tendance à tout ramener à ma personne… ta genèse me
ramenant à la mienne, bouleverse mes propres repères. Elle me bouleverse. En sus de prendre
du grade… d’en prendre pour mon grade… Bref, revenons à nos prénoms ou plutôt au tien
qui, sache-le, vaut mieux que deux tu Laura… l’Aura. Quoique… En effet, nous avons décidé
ta mère et moi, de te prénommer « Auriane ». Comment l’avons-nous arrêté ? Par dichotomie.
Nous sommes partis d’une feuille blanche que nous avons noircie chacun de notre côté, de
prénoms tant masculins que féminins, ne sachant de prime abord, quel serait ton sexe. Puis,
nous les avons confrontés, rayant ceux qui ne convenaient guère à l’autre. Il en resta deux…
le premier évoquant la lumière (ce que tu allais être pour nous) sans grande conviction et
l’insecte au cul reluisant… le second eut le désavantage de rappeler au mauvais souvenir de ta
mère, sa rivale (mon ex relation) car très proche. Nous étions bredouilles, lorsque pour une
raison inconnue, son esprit lui insuffla un dernier. Elle entreprit des recherches, certaine que
ton âme le lui avait susurré. Elle s’y exécuta, prétendant que le prénom conditionne également
l’existence.
Dans son orthographe le plus vulgaire, « Orianne » puise sa source dans l’or. Ce qui ne la
satisfit pas complètement. Certes, tu seras notre bijou. Cependant, il lui sembla qu’il te
manquerait une dimension. Elle tomba sur cet autre (que nous retiendrons finalement) dont
l’étymologie s’ancrerait sur l’aura. Ainsi, Auriane dans cette configuration, suscite-t-il l’idée
d’une aura en or. Lui ayant donné sa substance, elle me le soumit. Je trouvai qu’il sonnait
agréablement, en sus d’être original. Ce n’était pas pour me déplaire. Nous entérinâmes. Tu
seras donc nimbée dudit halo doré… ou ne sera pas, peu importe. Nous verrons bien. C’est
137
Journal d’un futur père.
notre pari plutôt qu’une ambition. Puisse-t-il te convenir comme il nous sied. Dans le cas
contraire, tu sauras à qui te plaindre…
« Comment la démocratie ? ». L’exercice est périlleux tant en lui-même, qu’en son
expression. A l’origine, elle est ce pouvoir conféré au peuple… soit de manière directe (sans
organe représentatif)… soit de manière représentative (par des élus). Quoique sa définition
soit on-ne-peut-plus-simple, elle est complexe en ce sens où elle est l’éma-nation d’une
majorité. La ou les minorités se voient donc écrasées par ce rapport de force inique. Ainsi,
sommes-nous loin du fondement de la société au sein de laquelle la raison du plus faible doit
prédominer. Et, a contrario, elle ne doit pas être le diktat d’une minorité se heurtant à une
majorité. Pour qu’elle soit, faudrait-il qu’elle porte toutes les exigences dudit peuple.
Comment faire lorsqu’elles sont radicalement opposées ? La réponse peut se trouver dans le
consensus social. Faut-il qu’il ne dénature pas l’opinion de chacun… nul ne s’y retrouverait
plus. A moins que la démocratie véritable ne soit cela… un centre de gravité extérieur, une
tierce voix portant la parole de quiconque, où la cohésion se fait dans le mécontentement
général. Or dans ce cas, quelle est la cohérence de la collectivité ?
La démocratie et la société sont-elles antinomiques ? Non… le sont ce que nous faisons de
chacune d’elles par nos relations… nos ambitions au pouvoir. Car, la solution peut également
se trouver dans le schisme… la possibilité pour une minorité d’engendrer un nouveau schéma
sociétal, de s’organiser indépendamment… ailleurs et autrement. Le fait générateur serait la
démocratie… démocratie enfantant naturellement la société… l’une découlant de la
seconde… ou interpénétrée… étant réciproquement sine qua non. C’est la notion du droit
sociétal dont je ne te ferai pas l’injure de te développer les principes… de radoter. Je ne suis
pas suffisamment sénile pour m’y essayer. Ce droit demanderait un effort de refondation
complète du monde, ainsi qu’une philanthropie exemplaire. Est-ce pour autant utopique si
chacun y met de la bonne volonté ? Ce qui l’est par contre, n’est-ce cette prétention ou plutôt
cette coercition nous imposant de vivre tous ensemble et de ne pas pouvoir choisir nos
modèles ? Est-il démocratique que de devoir nous taire, de nous voir censurés ?
Je te parle de ce problème en connaissance de cause, ayant dû hier user de cet exercice de
bousingot.28 Ta question est donc étrangement de circonstance. Lirais-tu en moi comme dans
un livre ouvert ? Percerais-tu mes pensées ? J’ai touché le pompon (point la fortune) en m’y
essayant. Ayant trop de pré-candidats aux élections professionnelles pour le nombre de sièges
à pourvoir au comité d’établissement, j’ai aspiré à trancher démocratiquement, en faisant
voter l’ensemble des syndiqués. Ainsi, les ceux obtenant le nombre de voix le plus important,
se verraient-ils inscrits en tête de liste de notre syndicat. Quant aux autres, ils eussent été des
candidats suppléants ou proposés à d’autres mandats. A la base, ils étaient tous d’accord avec
le principe puisque paraissant légitime. Le dépouillement clôturé, les résultats communiqués,
il n’en fut plus de même… les perdants mis en minorité, les contestèrent. Ils remirent en cause
leur véracité, subodorant une tricherie. Ils invoquèrent le complot, ne songeant pas un seul
instant à se remettre en cause… ni à comprendre pourquoi ils n’avaient pas été élus. L’une
d’entre elles, blessée dans son honneur, se commit en remerciant les votants de l’avoir
évincée, malgré son investissement depuis des lustres. S’était-elle réellement exécutée pour la
cause commune ou davantage pour la sienne ? A en croire sa réaction, le doute est permis.
Qu’attendait-elle des remerciements ? Une abnégation ? Une seconde nous déclara quitter
l’organisation, s’empressant de se mettre en contact avec une autre. Je pensais son acte
incohérent voire apolitique. Avec le recul, je saisis en tant que minorité désignée, elle avait ce
28
Bousingot : n.m. chapeau que portent les marins ; républicains de 1831, 1832 remarquable par son costume,
par sa barbe, etc. (vocable péjoratif).
138
A toi que je ne connais pas en corps…
droit à la scission et d’engendrer un schéma lui seyant davantage… Je ne compris pas qu’elle
nous déclara être ses ennemis. Certes, la convoitise mue l’amour en haine… Ne se voyant
plus dans notre regard tel qu’elle se désirait, elle nous honnit. Or, nous ne pensâmes pas à mal
mais à l’intérêt de tous. La titulariser malgré l’avis général, eût tué le collectif.
Il eût été juste qu’elle restât avec nous en des fonctions au sein desquelles elle avait toute sa
place. Elle s’y refusa. Tant pis pour nous, tant pis pour elle. Nous avons tout… tous à y
perdre. Ce choix est sien et je me fais fort de le respecter… au-delà des rancœurs et de la
passion… de ce que nous pussions lui reprocher... C’est la démocratie ma fille, tel qu’entendu
aujourd’hui, en toute son imperfection et ses travers… cet exercice délicat sur le fil du
rasoir… excisant les minorités parce que non domestiquer… Ai-je répondu à ta question ? Je
ne sais. Je m’y suis pourtant évertué… Tu feras cet apprentissage. Tu t’y confronteras avec
peut-être une amertume pendante à la mienne. Sans doute, en auras-tu une vision différente.
C’est la démocratie…
« Comment se détendre ? ». L’idée est de parvenir à relâcher la pression… à se relaxer. La
détente est l’art – plus que l’action – d’échapper à toute forme de contraction (le préfixe
« dé- » entendant l’opposition, la séparation, l’éloignement.). Pour y parvenir, il convient de
créer une rupture avec le quotidien, d’obvier toute habitude coercitive, de se plonger dans un
« bain » de tranquillité. Là, tu te laisses porter par le courant calme. Par exemple, en ce jour
dominical, ta mère et moi, nous sommes allés nous promener dans les bois… pendant que le
loup… Le soleil étant au rendez-vous, le ciel arborant un bleu azur, le vent s’étant tu et l’hiver
entamant sa retraite, nous briguions de marcher paisiblement au cœur de la forêt… de n’avoir
pour nuisance que le chant des oiseaux s’apprêtant à convoler en justes noces… à voler le
cœur d’une promise. Nous aspirions à nous éloigner des tumultes de la ville. Au fur et à
mesure de nos pas, nous avons ressentis une plénitude nous envahir. Le stress cessait son
harcèlement. Main dans la main, nous avons caressé la quiétude. Nous avons profité de nos
ultimes instants de repos, subodorant la tempête devant bientôt nous empreindre. Nous
jouissons de ces deux derniers mois, avant de prendre vingt ans de bouleversement.
Je suis assailli de sentiments ambivalents. D’une part, je suis pressé que tu nous viennes…
que je puisse enfin toucher les plaisirs de la paternité. De l’autre, je saisis que ta genèse ne
sera pas une détente. Je redoute ton omniprésence et un accaparement à ne plus pouvoir
souffler. Tu t’annonces à grands renforts de tambours… à coups de pieds… de poings… de
tête… en véritable ouragan déployant d’ores une énergie incroyable. Es-tu nerveuse à
l’approche du grand jour ? Ou naturellement à l’instar de ton vieux ? Ayant constaté que,
lorsque Nathalie était lasse de déambuler, tu l’étais à son pendant. Elle a joint l’utile à
l’agréable … de dégourdir ses jambes, elle a engourdi ce sein qu’elle ne sait asseoir. Alourdie
d’une douzaine d’indésirables, elle a traîné ses râbles à t’en taire. Elle s’est risquée à la
gadoue, pour éteindre son petit bout. Elle gît dans la banquette, telle la chevillette. Ayant chu,
elle livre sa chair au loup. Pour l’heure, il n’y est pas. Sans doute sommes-nous parvenus à
nos fins… à t’épuiser enfin.
J’en conviens, cette gestation n’est pas davantage une sinécure pour toi. Ton espace vital se
réduit comme neige au soleil. Tes printemps se préparent dans une peau de chagrin. Pour toi,
il n’est plus question de détente mais au contraire, d’un repli organique. Ta mère plie sous le
poids… ploie sous les plis. Elle n’est plus que ce magma de vie prêt à exploser, à déchirer son
corps. Tu es la pierre de ses achoppements. Elle est celle du tien. Ni l’une, ni l’autre, vous n’y
êtes pour rien ni y avez été préparées. C’est ainsi, il vous faut partager la chair… la chère. Or,
dans cet effet-mère, comment trouver l’ac-corps pour que la couche, vous mette toujours l’eau
à la bouche et ne devinssiez ennemies ? Car, je vous souhaite toutes deux entières… point en
139
Journal d’un futur père.
pierre. Un casus belli intestin ne servirait les intérêts de quiconque… et votre amour est trop
grand pour vous y résigner. Vous vous devez donc de prendre votre mal en sapience… Vous
touchez la faim des hospitalités. Que laveriez-vous votre linge en famine ? Continuez à vous
nourrir… à vous remplir réciproquement. Prenez du bon temps en partageant les derniers
instants de ce statu quo. Et, vous me laisserez en paix…
« Comment enfante-t-on sa rivale ? ». Comment sa propre chair peut-elle te faire « un petit
dans le dos » ? Ta mère, sait-elle qu’en cette ingénue, sommeille un démon ? En tes coups,
prépares-tu la douce à ta félonie (puisque des coups en douce…) ? Pour la prime fois, je
t’interroge et te presse d’une pléthore de questions. Je te sens déjà te détachant de l’innocence.
Je le lis dans les épanchements du ciel accouchant du soleil… dans la nuit se déchirant pour
engendrer le jour. J’appréhende qu’en le lit de Nathalie, tu ne fasses le tien. Ainsi, te
subodoré-je mon sucre d’orge en ta fausse candeur, venant la larme à l’œil nous mander
d’entrer en nos drapés de soi sous un prétexte fallacieux… ton esprit perverti par les pensées
d’Œdipe te poussant à évincer cette génitrice, pour t’enrober de son amour. Là, couchée entre
nous deux, lui tournant le dos pour mieux l’évanouir de ton mépris, tu brigueras son statut
d’épouse. Il m’incombera de te dispenser ce mal nécessaire… de t’éconduire en tes
quartiers… de détourner tes pas et ne pas céder à ton caprice se muant en ire. Il me faudra
t’abandonner en ce bain de sanglots et, bien que je t’aie donné le jour, te contenir dans
l’ombre. Je ne suis pas ton Phébus, juste cette lune apte à éclairer tes primes heur[e]s.
Je me fends, petit faon, de cette explication pour te faire toucher que je ne dispenserai point
que du bien. Je serai juste… des blessures, je t’infligerai… en guise de vaccin. De ces
cicatrices, tu guériras et apprendras plus que de mes caresses. Je ne te dis pas que tu n’en
recevras pas. Je t’en ferai que ta peau ne pourra en supporter. Mais, je te chérirai en-fant, et
non en femme. Mon amour prodigué, le sera en ce sens… n’aura que cestuy-là. Ainsi, ne
cherche pas à lui conférer une acception différente. Le sachant, puissions-nous nous
épargner… et des souffrances… certes utiles. Je préférerais passer mon temps à t’embrasser
qu’à te nier. Je suis lâche et je ne sais si j’aurai la force de t’enseigner… de te ceindre de mes
règles. Je ne suis guère à l’aise dans la fonction du méchant. Je le suis si peu que, je ne sais
comment achever ce paragraphe relatif à la rivalité future et irrémé-diable avec ta mère. Je ne
peux te tutoyer en démon. Tu m’as semblé, jusqu’alors, un ange. Sans doute, me faut-il frôler
ton côté obscur pour mieux t’envisager au plus près de tes ré-alités. Comment puis-je
t’imaginer en une petite peste se répandant en quatre cents coups ? De plus, je ne les ai pas
comptés… et sais combien nous avons déjà reçus… et combien il te reste à distribuer.
Le sage – paraît-il – est celui pouvant anticiper. L’ai-je été ? Ou pas assez ? Au pire, il me
reste deux moi[s] pour m’avertir… un peu plus. Est-ce à dire que, pour rattraper ce retard, il
me faudrait te voir en poison. Est-ce là le prix de l’antidote ? Je ne peux m’y résigner…
d’autant moins, que tu viens en mes rêves en ce bébé adorable, arborant les traits de ta mère.
Tu aurais son minois… ses fossettes… son petit nez mignon… ses cheveux zains. Et, tu as
mes yeux gris bleus… gris métal… mes mimiques. Comment un tel être possédant les
qualités de l’une et de l’autre, pourrait-il être possédé ? A moins que le propre des diablotins
ne soit de paraître en chérubin, pour mieux tromper leur[re] monde. Comme tu seras fourbe !
Et si tu ne devais pas l’être, tu le devras à ce père ô combien vilain… J’ai prévenu ta mère.
Elle s’apprête et en cette jalousie…
« Comment entamer agréablement la journée ? ». J’avoue être embarrassé par ta question car,
j’aspire à ce que tu ne mettes en pratique les conseils qu’après un quart de siècle. Je brigue
que tu lises les lignes suivantes, tes vingt-cinq ans révolus… le plus tard possible. Je préfère
140
A toi que je ne connais pas en corps…
te prévenir que ma conception en cette matière est concupiscente. Comment mieux
commencer la journée, sinon dans une danse lascive avec sa femme ou son mari ? En ce qui
me concerne, je sais que le jour me sera délicieux si je puis jouer de la chair de ma moitié…
avec harmonie. Le flûtiau dressé par la grâce matinale, poco à poco, je sens monter en moi…
en émoi, un air grivois. L’instrument se fait baguette, vient me taper le gaster. Aux podes, il
se relève pour devenir ce hérault. Tambour battant, il annonce avec un filet d’humeur
indicible, l’envie de commercer du roi. Mes mains se mettent en branle. La jouissance les
dévore à l’instar du virtuose. Elles se promènent çà et là sur les cordes sensibles de Nathalie.
Par petites touches, elles lui imprègnent les notes, lui jouent la sérénade. Sa peau est une
harpe que mes doigts montent et redescendent. Bientôt, un premier timbre m’est donné. Le
« la » ou le las me signifie l’agrément ou le refus du concert. Si je suis consentis, je poursuis
l’allégro pour le mener vers un fortissimo. La corne m’use. Mon épouse prend le relais. Le
tuyau sur la hanche, l’outre passée… dépassée requière une dextre experte pour la vider. Le
manche en revue, la guitare me démange… elle me gratte un petit peu. Nathalie me soulage et
s’arrange… pour épuiser mon sérieux. D’un geste énergique, elle empoigne ma maraca et
empreigne le rythme. Je me cale dessus… donne de la caisse. Je suis tout ouï[e]… tout oui.
J’aspire à lui rendre la pareille… l’appareil. Je pars à la recherche de son bouton. Du majeur,
je l’ajuste… de le mettre dans le ton. Je le titille en quête de nouvelles cordes. Si elles sont
dans les miennes, il ne tarde pas à postillonner.
Semblable à une rose s’ouvrant, perlant l’aiguail, son sein affleure de peau. Son pétale unique,
ô combien délicat, se déploie. Je le butine de mon doigt, en fait sourdre le nectar. Lorsque,
enfin, il étale son intimité, j’en effleure la base afin de le cueillir. Là, de la pointe de l’ongle,
je frôle son pistil gorgé de désir. Il n’est qu’à le caresser doucement pour le faire frémir.
Nathalie se sent partir. Elle s’accroche à mon perchoir en oiseau blessé. A gorge déployée,
elle s’apprête à s’envoler quoique fragile. Encore quelques efforts, elle sera aguerrie. Le ciel
se promet bientôt. Elle en avise l’horizon. Elle s’encourage, d’abord timidement puis un peu
plus. L’émulation, l’excitation et la promesse de l’éther lui donnent des ailes… ou plutôt de la
voix. Haute perchée, à présent, elle s’ébat. Puis, elle se lance dans le vide qu’elle emplit de
ses cris. Un aigle royal deve-nu, elle se perd en ces autres… nues. Je l’emmène en l’Eden ou
Jardin des Hespérides (perdre les siennes… de rides). De sa gorge jaillit une lyre… un oiseau.
Je la laisse haletante… à le temps pour le second assaut… Avant de reprendre ma cour, je lui
permets un maigre repos. A terre, la chair toujours frissonnante de plaisir, je
l’embrasse… m’embrase à ses ardeurs. Le bâton de sureau prêt à épancher son sirop, arcbouté d’un désir incommensurable, rougeoyant d’une extase promise, je me plante en sa
grève, m’apprête à la greffe. Semblable à un fourreau ajusté à ma démesure, doux au pendant
du velours, j’entre en son sexe, mon épée de chair renonçant à la guerre. J’hésite en cor… vais
et viens en une luxurieuse hésitation… ne sais si je dois délaisser ma lame en cette âme. La
dame en sa toison m’endort. En un dernier coup de rein, je lui donne… lui rends ma raison…
enivré de ses liqueurs, je perds les miennes et les mêle. Ceyx recouvre son Alcyoné. La
jouissance me mue en ce second cygne. Je rejoins ma tendre dans les cieux coruscants, un
messire couvert de cire, arraché au dam. Nos plaintes se fondent et confondent les chastes
pavillons. Nimbés de la pureté du lys, liliale sera notre Odyssée.
Comme on fait son lit, on se couche. Comment achève-t-on délicieusement la journée ? De la
même manière…
« Comment jouer avec son père lorsqu’un monde vous sépare ? ». L’exercice n’est pas
évident, d’où l’intérêt de faire appel à des professionnels susceptibles de nous épauler. Ainsi,
la sage-femme que nous rencontrons fréquemment, ta mère et moi, nous a-t-elle donné
141
Journal d’un futur père.
quelques clés dans ce dessein. Par un habile jeu de mains (point vilain) apposées sur le girond
de ta mère, il m’est possible de t’interpeller… de te convier à l’amusement. La première fois,
t’en souviens-tu, ce ne fut chose aisée. Je redoutais de te frôler in utero, par crainte
d’appréhender l’événement avant son avènement… ou de dénicher une sorte d’alien dans le
ventre de ma femme. Lorsque j’étais enfant, j’aspirai à devenir vétérinaire. Il suffit d’une
piqûre pour étouffer dans l’œuf ma vocation. Aussi, ne suis-je guère téméraire en cette
matière. Tout ce qui se rapporte de près ou de loin au sang et à la douleur d’autrui, me fait
fuir.
La prime fois, disais-je, j’approchais timidement ma dextre… puis ma senestre… tout en
retenant mon souffle. Accolées, un frisson parcourut mon être. J’attendis plusieurs secondes
(paraissant des heures), jusqu’à la suffocation. Là, je respirais de ne rien ressentir. Etais-tu
trop petite ? Subodorais-tu ma gêne ? N’étais-tu pas aguerrie ? Je ne sais… Ton apathie me
comblait. Les jours passant et se ressemblant, je pus parader et dissimuler ma peur. Je posais
mes paumes sur le sein de Nath-au-lit… de l’en caresser. Je m’amusais comme un gosse, bien
plus que toi visiblement. J’accomplissais les gestes appris, sans grande conviction, mais
heureux de n’obtenir aucun résultat. Or, un soir, tu me trahis. Sans doute habituée à mon
manège, tu briguas de te manifester… de participer à ma liesse. Tu m’interrompis par un coup
léger. Ne sachant ce que j’avais perçu, je restai interdit. Etait-ce un gaz fuyant… une bulle de
pet errant dans les entrailles de ta mère… ou un signe de ton destin ? Un deuxième appel ôta
mes doutes et m’emplit d’une kyrielle d’autres. Je te tutoyais in fine. Je retirai mes mains par
réflexe, que par volonté réelle, avant de m’y essayer derechef.
Ayant appris à nous connaître, au moins à nous pratiquer au fur et à mesure des mois, nous
nous retrouvons chaque soir – sans fausse pudeur – afin de nous distraire. Il semble que tu
boudes lorsque je suis absent… que tu t’agites peu ou prou… semblant bouder… ou me
sollicitant. Serais-tu en manque ? Lorsque je réponds à tes attentes, l’utérus de ta mère devient
un champ de foire, un lieu de joie. Après avoir dûment vérifié à travers mes vibrations qu’il
s’agit de moi, tu viens frapper à l’intérieur de ma paume, pour me dire que tu es prête.
J’effleure de la pointe de mes doigts, par pressions légères, la peau de ta génitrice. Je la
parcours en différents endroits. Je marque une pause… que tu me trouves… me touches.
Après t’être exécutée, m’avoir répondu par le nombre de mes impulsions, je reprends mon
vagabondage sensuel, jusqu’à épuisement… que tu n’en puisses plus. Je fais d’une pierre,
deux coups.
Aux dires de Nathalie, il semble que tu les suives (mes mains) comme leur ombre. Elle sent
tes allées et venues… me déclare te suivre à la trace… te tournant… te retournant en elle. Tu
t’amuserais tant, qu’elle touche ton excitation au-delà de tes horions. Elle commence à
jalouser notre communion. Il paraît que tu désires élargir le nombre de nos audiences.
Paradoxalement, il n’y en aurait plus que pour moi. Dès que tu perçois ma voix, tu te mettrais
à t’agiter pour me mander. En sera-t-il de même lorsque tu me rejoindras, que tu quitteras ta
chair promise ? J’avoue être ému par cette symbiose, si elle est exacte. Que n’en serait-elle ?
Est-il possible que tu aies déjà compris certaines choses de la vie, quoique ne la vivant pas
véritablement ? Est-elle pour toi cette partie – avec ou sans surprise – que je t’insuffle par mes
caresses ? Que comprends-tu de ce que je t’inculque a priori ? Comment m’envisages-tu ?
Mes interrogations, lasses, demeureront probablement sans réponse. N’est-ce pas un comble
alors que je m’applique… je m’évertue à répondre aux tiennes ?
« Comment le voyage astral ou la décorporation ? ». Ce dernier terme est utilisé par les
scientifiques, bien ennuyés par le phénomène. Se refusant à le reconnaître jusqu’alors, ils ont
dû s’exécuter du bout des lèvres, après que des patients – par des artefacts – aient déclaré
142
A toi que je ne connais pas en corps…
avoir quitté leur corps temporairement, flotté au-dessus de lui. Bien qu’anesthésiés, ils ont pu
décrire les faits et gestes des chirurgiens les opérant, avec une précision telle, qu’il leur était
impossible d’affabuler. Après maintes recherches, les savants ont découvert que ladite
décorporation s’effectuait lorsque le patient subissait un choc électrique au cerveau, comme
par exemple lors de l’excision d’une tumeur cérébrale. L’être se voit projeté violemment hors
de sa chair.
Ils se refusent toujours à lui donner son nom princeps de voyage astral, niant l’existence d’un
au-delà. Or, le phénomène n’en est pas un (ou alors un épi-)… ce périple se pratiquant depuis
des lustres, pour ne pas dire la nuit des temps. Au cours de certains rêves, nous en faisons
inconsciemment… nous quittons notre enveloppe pour nous rendre ailleurs, à l’instar d’un
astronaute quittant sa navette pour flotter dans l’espace. Un cordon invisible nous relie au
vaisseau, au pendant de notre mère. Nous parcourons l’astral, c’est-à-dire ces lieux infinis au
sein desquels nos âmes perdurent. Nous y recevons des signes, des messages essentiels
nécessaires à la continuité de notre confrontation. Ainsi, notre intuition se remplit-elle pour
mieux nous guider ultérieurement. C’est la raison pour laquelle des endroits ou des
évènements nous sembleraient familiers lorsque nous les visitons, ou bien qu’ils se déroulent.
Ces voyages ne sont pas qu’incidents. Il est possible de les maîtriser. Je puis t’en parler en
toute connaissance de cause. J’ai pratiqué à maintes reprises et ce, consciemment. Pour se
faire, il convient de s’allonger, de s’installer dans une position confortable et de fermer ses
châsses. Il faut parvenir à vider son esprit de toute pensée et de toute crainte. Là, tu imagines
ta chair semblable à une éponge dont tu serais l’humeur contenue… un fluide ou un liquide.
Te sentant cela, tu conçois que tu puisses t’extraire de cette éponge. Elle t’a absorbée, aussi
peut-elle te libérer. Pense que ton corps te transpire, que tu sourdes par tes pores. Ou que tu
sois l’air expulsé par tes bronches… filant par ta bouche. Si tu ressens une douleur à la
nuque… des picotements en tes extrémités, ne te contracte point. Au contraire, lâche-toi car
c’est de bon augure… le voyage s’entame. Laisse-toi porter. Tu ne risques rien. Tu seras
collée au plafond. Tu erreras dans la pièce te contenant. Ne cherche pas de prime abord à en
sortir… chaque chose en son temps. Imprègne-toi des sensations et cherche à conduire ton
« envol ».
De te décrire la procédure, je me décorpore. Je me sens partir. A force de m’y essayer… et
encore… j’ai fini par apprendre à jaillir et diriger intuitivement mes vagabondages. Sans
doute me crois-tu fou… ou ne me crois-tu pas, tout bonnement. Je ne saurais t’en tenir
rigueur. Je sais simplement ce que j’exécute et ce que je vois. Il ne s’agit ni d’onirisme, ni de
démence. Cette faculté est innée… elle n’est en rien diabolique ou surnaturelle. Faut-il la
percevoir, la mettre en exergue, tenter de la rendre accessible. Ainsi, me suis-je rendu en des
parages extraordinaires, dont je te parlerai un jour peut-être si tel t’agrée. Si tu me poses la
question, il est à penser que l’idée te seye a priori. Aurais-tu à l’esprit que nous puissions nous
rejoindre dans l’astral, avant ta naissance ? Ce serait merveilleux. Inconsciente par
intermittence, ton âme ne se contenant pas complètement, se peut-il que tu t’y trouves lorsque
je m’y rendrai ? Il faudra que je m’y contraigne, ayant délaissé l’exercice depuis des
semaines… hors en cet instant. N’ayant plus de destination, j’ai cessé de voyager pour me
concentrer sur de nouveaux centres d’intérêts, telles l’intuition et la méditation. Il semble que
la sagesse me perce. Elle supplante ma fougue et ma verdeur par une tranquillité, un flegme,
une patience… une sérénité salutaire. Assurément, je deviens père…
« Comment est-on ou devient-on soi-même ? ». La réponse est contenue dans l’ensemble de
cet ouvrage… en chaque paragraphe, il est une pièce du puzzle. Je pensais que ça te serait une
évi-danse… que tu avais saisi ma ronde. Comme je te l’ai révélé, j’étais persuadé de venir à ta
143
Journal d’un futur père.
rencontre par ce journal. In fine, tu as été le prétexte de la mienne. Chemin faisant, je t’ai
parfois perdue de vue pour me concentrer sur la voie de ma propre découverte. Je suis parti
confiant, sans aviser l’ampleur de la tâche. Or, la macule fut énorme à nettoyer. Je ne touchais
pas qu’il me resta tant de travail à accomplir. A me retourner, j’en ai le vertige. Ne pas avoir
embrassé ce vide préalablement, m’a permis d’avancer étape par étape, sans prendre peur.
Aussi, la route s’est-elle tracée… m’a-t-elle empli naturellement. Je sais que je touche la fin
de l’aventure. Je commence à cerner le paysage et, de concert, le personnage… non grata.
Qui ou que suis-je ? Ton interrogation est pertinente. Il me semble que je sois dans
l’incapacité de te le dire. Non pas que je me sois devenu opaque. Il me passe des sensations
indicibles, notamment celle d’être en phase avec moi. M’évertuer à te faire une description
serait une vanité. Tout est clair, limpide en mon esprit. Or, il est impossible de traduire ma
[siné-]cure avec des mots. Ce manuscrit coercitif, ce rendez-vous (presque) quotidien m’a
permis de me mettre au mur – oui – de mes lamentations… voire en difficulté, m’obligeant à
m’extraire… de devenir visible. La lumière ne m’effraie plus. Ainsi, ces écrits te mèneront-ils
à moi mais de surcroît, pourvu que tu en tires tous les morceaux, tu reconstitueras le cassetête… la carte apte à te dévoiler. Puisse ce livre être la clé de tes chaînes.
Tu m’as permis de faire le tour du propriétaire. A présent, je sais les qualités et les défauts de
la demeure. De les tutoyer m’autorise à entreprendre les derniers travaux adéquats. Je ne suis
plus hanté par la folie des grandeurs du castel mais celle d’un petit mas[t] cocasse… de
cocagne à l’hune duquel j’aperçois mes horizons. Ce n’est guère prestigieux. Toutefois, j’y
suis chez moi et gît… suis bien. Je cerne… je me cerne davantage en ce que je me suis
prédéfini. J’ai cette sérénité et cette joie vitales. Ainsi sois-je.29 Cela me suffit en cette en-vie.
Bien qu’amnésique, je lui fais confiance et implicitement, je me fais cette confiance. Je sais
enfin… que je ne sais rien. C’est la substance de l’existence… sa condition sine qua non. S’il
n’en était pas ainsi, je ne serais pas là… Je reprends donc mon bâton de pèlerin… d’achever
ma quête… mon en-quête.
Tout cela pour t’itérer que ta question trouvera sa réponse à l’expiration. Je te l’ai déjà dit. Tu
ne m’écoutes pas. Je t’en avais parlé – certes par un biais – lors de ton interrogation
concernant la rencontre. Je t’avais fait une réplique similaire. Ne t’en souviens-tu ? Que
m’évertue-je à repartir ? Les mômes seraient-ils comme les vieux ? Perdraient-ils la mémoire
en route ? Là réside la preuve de mon truisme existentiel. Pour « mémoire », la vie est un
cercle vicieux… débutant par un oubli que nous nous évertuons à combler… à l’instar du
tonneau des danaïdes. Nous l’emplissons au pendant d’un sablier… sablier que l’existence va
égrainer… évider pour nous replonger dans l’oubli. Apuré, dépouillé du superflu, arborant
juste le fruit de notre expérience pour masquer notre nûment… numen… nous nous en
retournons accompli. De cercle en cercle, ainsi va la vie… Voilà qui je suis.
« Comment expliquer la cyclothymie de ta mère ? ». Comment expliquer sa tristesse
actuelle ? Je l’ai interrogée à ce sujet. Elle ne sait me répondre. Ainsi, qu’en saurai-je ? Toi
qui es au cœur du cyclone, sans doute en saisis-tu davantage. Non ? Dans ce cas, j’ai bien
quelques ébauches de réponse dont tu me diras ce que tu en penses. Ma première version
suppose que ta mère ait inventé un « baby-blues » prénatal. Ayant rêvé de toi, elle se voit
contrainte de faire déjà le deuil de la fillette blonde qu’elle imaginait… espérait. Elle t’a
aperçu la brune en cette autre. Tu n’es… naîtras plus le bébé qu’elle envisageait. Pourvu
qu’elle ne rêve point de toi en rousse ou châtaigne. Je crains qu’elle n’erre de blues en
blues. Je connais la musique… A propos de deuil, il s’essaye à faire celui de ce corps dont
29
Ainsi sois-je : (renvoi à la prière…) que je sois ainsi et, qu’il en soit ainsi.
144
A toi que je ne connais pas en corps…
elle ne touche plus les formes… qui ne cesse de se déformer. Elle redoute que je ne finisse par
ne plus l’aimer, ne s’aimant plus elle-même.
Ma deuxième thèse est liée à son environnement. Etant constamment enfermée (éprouvant du
mal à se mouvoir), elle ne peut profiter du printemps précoce. Enceinte et ceinte de chattes en
chaleur enviant sa situation, elle ne cesse d’ouïr à longueur de journée, leur plainte lascive.
Par empathie, elle ressent leur désarroi. Pour peu que tu t’y mettes de concert car empreinte…
la maison devient bleue… cette ecchymose à l’âme. Elle se noie dans le vague de sa
disharmonie. En chœur, la junte matriarcale geint… s’entraîne dans un abîme dont j’éprouve
grand mal… grand mâle à l’extraire. D’ailleurs, ne dit-on pas des gonzesses, qu’elles sont des
pisseuses… puisque chialant inlassablement. Ainsi, est-elle dans son état normal ?
Ma troisième supputation est ce bonheur continuant à lui faire peur. Redoutant les étapes a
priori de son existence, l’heur devant bientôt l’emplir… l’effraie. Ne trouvant plus le
sommeil, elle cède au malheur… s’y complaît… Elle s’y vautre. Cet abandon à la tristesse
finit par la ravir et la ramener à la joie. Plus elle pleure, plus elle frôle une liesse incongrue
dont elle ne sait comment se défaire. Elle puise son euphorie et l’épuise. Ses larmes sont
l’expression d’une fatigue. Elle est pressée d’en finir. La délivrance lui devient urgente. Elle
est prise en otage entre deux feux… la peur d’accoucher… et celle de demeurer en cet état.
Elle n’avise plus de solution. Ce qui devait être une plénitude devient un problème insoluble.
Ma quatrième supposition est l’indifférence. Il est deux êtres en ta mère… l’un joyeux…
l’autre amer. Atours de rôle, elle change sa panoplie… revêt l’une pour mieux frôler l’autre.
Ainsi, est-elle heureuse un jour, malheureuse le lendemain. Elle est cette alternance essentielle
à son équilibre. Il n’y est plus de cause à ses états. Elle est… hait tout et son contraire. Dans
l’avers-atile, elle avise les deux côtés de la médaille, lui permettant de se rassurer. Au bonheur
devant la noyer, elle exclut de lâcher prise… de se laisser emporter. Elle lui oppose une faim
de non-recevoir par un courant… un torrent de larmes à l’aune d’icelui. Au malheur, elle
esquisse un large sourire… de le mépriser… lui montrer les dents. Elle se défend à son
corps… s’évertue à se refuser. Elle est toute en retenue épidermique. Aujourd’hui, ce n’est
pas le jour de l’hymne à la joie.
Ma cinquième théorie est celle des larmes de joie… qu’elle rabat. Elle est heureuse sans s’en
apercevoir. A l’instar de l’imbécile ? Dis donc, veux-tu avoir un peu de respect pour ta mère !
Non. Probablement, me méprends-je quant à ses humeurs ne sachant pas les voir, ni les
comprendre. En fait, ses pleurs expriment ce bonheur dont elle éprouve quelques difficultés à
cerner les contours n’y étant pas habituée… aguerrie… ni tout à fait guérie de ses maux
d’antan. Il lui faut un peu de temps pour saisir qu’il ne lui est plus nécessaire d’en verser. Un
sourire d’elle suffit à me ravir. Je peux me passer du reste… du reste, je puis me passer du
chagrin. Alors, à ton avis, pour quelle(s) raison(s) ses yeux s’évident-ils ? Il est sûrement un
peu de vérité en toutes. Elle nous le dira… confirmera peut-être un jour lorsqu’elle parviendra
à maîtriser ses émotions.
« Comment trouve-t-on l’inspiration ? ». Bien qu’elle soit une mine d’or (car une source
nécessaire pour d’aucuns), il n’est pas de moyen connu de la prospecter. Elle ne pousse pas
dans les prés ou à chaque coin de rue. Il est impossible de la cueillir… ni sans se baisser…
s’abaisser. Bien au contraire, elle vous cueille suivant son bon vouloir. Elle est une hétaïre
choisissant l’art, la manière et l’instant de vous séduire. Il ne sert en rien de la payer. Elle
vient lorsque vous vous renoncez en vos orgueils. Elle est une fleur sauvage dont il est
illusoire de s’essayer à la cultiver. Apportée par un vent singulier, cette aubépine fleurit dans
la misère… oasis venant narguer la stérilité. Elle se nourrit des pensées amères… germe dans
les esprits pauvres qu’elle alimente et embellit sitôt.
145
Journal d’un futur père.
Aujourd’hui par exemple, elle ne daigne pas me combler. Elle reste en bouton… me refuse sa
fragrance. S’il n’était ton interrogation – liée à tes oublis éphémères – pour me solliciter, je
serai bien en peine. Je suis toujours envahi par cette envie de te conter quelque chose… ou
fleurette. Ma fontaine est expansive… ex-pensive en ce jour de repos hebdomadaire… bien
trop pour que l’égérie me condescende… se noyant dans un verre d’eau. Il m’a fallu sortir,
aérer mes méninges, aviser une toile pour trouver un trait à apposer sur la mienne. Je n’ai
qu’une piètre couleur à diluer. La peinture m’est difficile. Je ne trouve ni le geste, ni les
pinceaux. Suis-je trop repu ? N’ai-je plus assez faim ?
J’eusse pu m’adonner à ce second exercice de la musique… de charmer la courtisane. Il
semble que je n’en ai plus en mes doigts… mes notes ne l’amusent guère. Ma lyre est trop
lourde pour se faire un oiseau. Elle est parée de massicot. Une morne sur mon âme
m’empêche d’entrer en lisse. Mes mots sont un couteau effilé. Ils ne parviennent pas à me
tirer… sinon en longueur. Je crains d’avoir épuisé qualitativement mon puits à force de lui
mander d’être prolifique… chaque jour depuis un semestre… de déborder pour étancher ma
soif de toi. J’espère que demain ce phœnix sera au rendez-vous. Je n’ose croire qu’il puisse
m’abandonner au dam de la page blanche. Il est encorps deux mois nous sé-parent…
séparant… toute une vie. Je ne conçois pas d’être écarté de toi, contenu en ce mutisme…
d’être enfermé en de telles matamores. J’ai péché par excès sans doute… sans doute l’ai-je
arrosé excessivement et avec précipitation…
Sans doute conviendrait-il que je fasse carême… que nous revienne la saison sèche. La pluie a
reparu et pourrit à la racine, mes lauriers. Ma nourriture est insipide à ma Théo- [a]gonie…
les muses me fuient ou se meurent. Les ai-je noyées ad mortem aeternam ? Mea culpa… Je
pensais les divines éternelles. Il ne suffit pas d’être oint par l’inspiration pour la croire si
proche et d’une indéfectible fidélité. Ai-je omis de continuer à la courtiser, de me répandre en
compliments ? La belle s’en est allée. Je courberai le dos… de la faire revenir… la violenterai
de mes silences… me ferai rare. Si ce n’est demain, ce sera un jour prochain. J’ai saisi la
leçon… Ma fille ! Ne vois-tu rien ? Bien qu’envolée, ses rémanences ou la persistance de son
parfum a suffi pour la coucher… l’accoucher sur le papier. Je sens qu’elle me revient…
entame sa floraison. Apprêtons-nous à l’accueillir. Elle s’en vient nous recouvrer… nous
recouvrir de ses bontés.
« Comment l’avenir ? ». Pour le comprendre et saisir comment il se peut, il convient de le
définir. Ce n’est point aisé. Il peut être ce qui adviendra… ou pourrait advenir. La notion n’est
pas la même… l’une étant une anticipation, antichambre d’une certitude… l’autre, une
hypothèse (susceptible de se vérifier ou non.). L’avenir est-il le premier ou le second ? Est-il
un prolongement du passé et du présent… une continuité du temps ? Est-il une rupture au
pendant d’une tierce voie ? Est-il une subtile combinaison de deux ? A mon humble avis,
l’avenir est l’expression du doute… de l’ignorance à l’instar de tout dieu. Car s’il était une
évidence, il ne serait pas… demeurant un présent. Il puise sa substance dans nos irrésolutions.
Il est cette lueur venant illuminer notre obscurité… une chandelle déchirant l’en-nuit. Il nous
confère un objectif… un but à atteindre… une existence. Sans lui[t], sans sa luisance, serionsnous animés par cette volonté d’atteindre le jour suivant voire celui d’après ? Courrions-nous
après la vie ? L’avenir est le moyen de se libérer du spectre de la mort. Il nous effraie mais
nous fascine simultanément. Il est ce possible… ce lieu où tout nous est permis.
Ainsi, faut-il l’envisager ? Non… il n’est pas de par sa définition (en ses acceptions
dualistes). Il sera… éventuellement. Le présent m’étant contraignant puisque sur le fil, que me
faut-il me projeter davantage, donc dans ce vide ? Je ne sais de quoi l’instant est fait. Qu’en
146
A toi que je ne connais pas en corps…
saurais-je de celui qui le post-cèdera… possédera30 ? Ai-je à m’en inquiéter ? Si je suis
confiant en mes aptitudes, je me sais capable de tourner toute situation à mon avantage…
seul. Je ne suis pas l’objet « d’insecure »… in-se-cure31… nécessité de me guérir, de guérir
ce moi donc d’avoir une perspective de soulagement… de salut… une rémission. Et puisque
être, ce serait se choisir un libre engagement, je choisis la manière dont je vais donner corps à
mon existence… ma destination. Si je n’ai pas cette confiance, je suis empli par l’incertitude
de mon choix. Bref, dans ces deux cas, ne pas considérer l’avenir me permet la sérénité.
Oui… Il est cette relation à « Dieu ». L’avenir me renvoie face à mes croyances. Si j’ébauche
le futur, je confère une existence à un Créateur car je conçois l’idée du destin. L’avenir est
une prière inconsciente ou non, faite d’amadouer les volontés éthérées… impénétrables. Il est
un discernement… un avertissement… permettant de guider mon présent vers ce chemin
irrémédiable. Je ne subirai pas la rupture. Et, si l’essence précède mon existence… qu’il est la
lettre de mission que je me suis fixé… que je me dois de suivre… il me rassure… de ne pas
me laisser face au néant. Il est ce que je me suis permis d’être, puise sa substance dans la
perpétuité de mon passé et présent. Il est conforme à mes exigences supérieures. Il est cet
« avenir » parce que j’ai oublié ce que je me devais d’accomplir.
L’avenir est par conséquent une destinée… soit une destination… soit un destin. Il est en tous
les cas intérieur à l’être car un ac-corps… qu’il s’accorde ou non avec la volonté. Le problème
de l’existence est de parvenir à tutoyer son destin… d’en faire une destination. La réponse à ta
question renvoie à celle de la vie. L’avenir te sera promis tant que tu ne te seras pas
accomplie. Agrée-le ou ignore-le… loue-le ou honnis-le… il te sera cette compagnie
omniprésente dans l’ombre ou la lumière. Il précèdera chacun de tes pas…
« Comment devient-on riche ? ». Tout dépend de ce que tu mets derrière ce terme de
« richesse », contenu en ta question. S’agit-il de valeurs pécuniaires, matérielles, morales,
spirituelles ? La réponse ne sera pas du tout la même… voire diamétralement opposée. Si tu
utilises le verbe devenir, entend-il que tu te fondes sur le principe républicain selon lequel tout
être naîtrait libre et égal à tout autre ? Ce postulat n’est pas apodictique car une aspiration…
une richesse qu’aimeraient atteindre les citoyens de notre nation. Les êtres, s’ils disposent des
même droits, ne jouissent pas pour autant des propensions… ni d’un bagage patrimonial
pendants. Les fortunes ne sont pas donc pas identiques et ce, dès l’origine. Il en est naissant
nantis. Faut-il s’en plaindre ? Je ne le pense pas… nos différences tendent à faire cette
richesse commune (et non pas individuelle… individualiste). L’uniformisation achève toute
motivation, quelle qu’elle soit… qu’en soit le domaine. Elle n’est une émulation que pour
ceux ayant des problèmes d’ego ou existentiels. Toutefois, il serait juste que la société puisse
corriger les handicaps. C’est sa définition… son essence. Cette correction ne mettrait-elle pas
notre existence en péril en déformant nos expériences ?
S’agissant de la liberté, elle est une illusion. Je ne te refais pas la démonstration. Par
conséquent, l’homme n’est pas libre de ses engagements Il peut le croire. Il s’ignore. Ainsi,
s’il n’est… naît pas dans tes prérogatives que d’être riche d’une valeur [non] donnée, il serait
vain d’y prétendre. N’étant pas son destin – quoique sa destination – il s’égarera (futur)… Il
t’incombe d’être ce que tu t’es originellement fixé… non de modifier ton parcours. Cette
volonté te perdrait. Sache que tu ne possèdes pas cette profusion parce qu’elle ne t’est pas
nécessaire… ou parce que tu l’as déjà tutoyée… intimes, suffisamment, pour ne plus avoir à
en faire la démonstration… Souviens-toi, il nous appartient de nous émanciper du bagage
30
31
Posséder : dans le sens de tromper, d’abuser.
Insecure : n.f. anglicisme signifiant insécurité.
147
Journal d’un futur père.
encombrant, en nous débarrassant du superflu… en y renonçant. La richesse embrasse
l’abondance… la surenchère. Elle est un boulet entravant toute progression… une
obnubilation… une manie léthifère. Elle nous corps-rompt. Elle n’est nullement la marque des
audacieux mais des otages… la hardiesse étant de la mépriser, point d’y succomber.
Il nous appartiendrait donc d’être pauvres... matériellement. Et, je me fais fort de demeurer ce
pauvre… con. J’espère avoir la force de m’y tenir et d’arborer en mes yeux de la hauteur.
Quant à l’aspect pécuniaire, je viens de l’évacuer, sans crainte, regret ou peur d’en manquer…
le fait de ne pas en avoir, nous mettra à l’abri de ses revers ou de ses tentations. Moins dure
sera la chute puisque déjà à bas. Et, si nous ne serons pas fortunés, nous n’en serons pas
moins heureux… nous nourrissant les uns des autres. Je ne fais nullement l’apologie du
cannibalisme mais vante les vertus de la famille. Il ne s’agit pas de se vampiriser, à l’instar
des fourbes capitalistes. Laissons-les se bouffer la gueule, se sucer le sang, nous n’avons rien
à retirer de leur curée… surtout point d’envie. Nos ripailles sont probablement bien modestes
mais ô combien saines ! La qualité de vie prévaut… saillit toute quantité. Et, dans le regard de
ta mère, il est plus de trésors que tout l’or de la Terre. Je suis pourvu, oui, de son amour… et
tantôt du tien.
« Comment l’homosexualité ? ». J’avoue ne pas être le plus aguerri pour t’en parler. Non pas
que je sois homophobe mais j’ai quelques problèmes d’appréhension avec ce penchant. Notre
culture judéo-chrétienne nous a toujours montré l’homosexualité comme une tare… un
phénomène contre « nature ». Ainsi, les homosexuels ont-ils été voués aux gémonies, tant et
si bien que les nazis ont tenté de les exterminer avec la bénédiction de l’autorité papale
d’alors. Quoiqu’athée, il m’en reste des séquelles… j’en suis imprégné. Les idées xénophobes
se répandent plus promptement et sûrement que toute autre. Je reçus quelques éclats de ses
voies ou voix « impénétrables ». Elles m’ont pénétré bien au-delà du raisonnable. Les
relations au sexe y sont compliquées… entachées de tabous car relatives à la genèse de
l’homme. Le sexe est une arche sacralisée. Tout usage contraire à la loi dite « Naturelle » est
décrié… déclaré amoral ou anormal… démoniaque.
S’agissant de la Nature, l’affirmation d’a contrario est fausse… nombre d’espèces animales
ont des comportements homosexuels. C’est dans leurs mœurs… certes, non déviées par des
croyances, des ignorances. Je pense que le problème des religions vis-à-vis de
l’homosexualité, est un souci d’ordre hégémonique. Elles détiennent leur pouvoir d’une
patente sexuelle… en maîtrisant les relations… de l’enfantement jusqu’à la sanction. Le
déduit sans procréation possible n’est pas maîtrisable. Aussi, perdent-elles de leur emprise…
de leur empire. Chaque être ne lui fournissant de la chair à ses canons, est… soit considéré
comme un sous-être… soit perdu car apte à s’émanciper. Elles perdent de leur superbe et ne
peuvent plus exercer ni leur ingérence, ni leur action parasite. Leur fond de commerce est mis
en péril.
Quant aux scientifiques, ils tenteraient de l’expliquer à travers de théories dont la première
serait liée aux gènes, une mutation d’iceux (hypothèse de la tare dont l’être n’est pas
responsable). La seconde, psychologique, voudrait qu’elle soit le produit de notre construction
par nos primes rapports avec la sexualité, notamment au stade anal et notre complexe
œdipien. Suivant nos ressentis lors de nos expérimentations, nous adopterions telle tendance
ou telle autre. Or, cette mécanique causale vient se heurter à l’essence et à l’existence. Dans
les deux cas – qu’en soit la précédence – elle achoppe sur l’indépendance de nos choix
essentiels ou existentiels. Embrasser l’homme en cette ex machina signifierait que nous
réagirions tous de manières pendantes… tel facteur enclenchant ou déclenchant tel effet. Nos
148
A toi que je ne connais pas en corps…
différences prouvent que nous ne sommes pas asservis à cette logique… à une logique. Il n’y
a point de certitudes.
Pour ma part, j’en ai une vision plus poétique. Je crois que l’homosexualité n’est pas une
fatalité mais une volonté. Elle n’est en rien dégradante ou perverse. Elle est juste différente
donc humaine. Et, face à la misanthropie ambiante, elle n’est pas une sinécure. Certes, la
société se doit d’être imparfaite, de conserver son humanité… Il conviendrait qu’elle évolue
et mette davantage d’intelligence dans ses imperfections. Je ne sais pas si j’ai répondu à tes
attentes. Si elles étaient de m’interroger quant à ton éventuelle homosexualité future, je ne te
répudierai pas. Si tel est ton plaisir, ton choix sera le mien (même si je n’ai pas fait celui-là).
Tu demeureras ma fille, quoiqu’il en soit. Tu eusses été un garçon, ma réflexion et ma
conclusion eurent été les mêmes. Chacun fait ce qu’il veut avec son cul…
« Comment la citoyenneté ? ». Le citoyen est l’individu vivant dans la cité. Etre citoyen, par
conséquent, c’est s’intéresser à la vie de la cité. Par extrapolation, cela signifie prendre part à
la vie de sa ville, de son département, de sa région, de son pays, de la planète… ne laisser
quiconque décider à notre place… agir en notre non. En ces temps belliqueux, où la guerre
rôde avec sa féale faucheuse, se fait de plus en plus menaçante, il est important d’être citoyen
et d’exprimer ses opinions. Sous couverts dogmatiques (au nom de la Bible, d’un Testament,
du Coran ou de la Torah), quelques dirigeants imbéciles aspirent à mettre à feu et à sang la
planète… à restaurer ce qu’ils nomment pompeusement « le bien » (et dont ils s’arrogent
d’être les apôtres). Mais officieusement de pomper les ressources naturelles dont ils ne
disposent pas. Il eût été vital que les citoyens s’exprimassent sur ces sujets… se fassent
entendre et crient haut et fort combien les querelles de clochers… de clergés nous font chier.
Les chantres élitistes de la souffrance ne nous mèneront pas en leurs croisades iniques. Nous
sommes las de leur géhenne et tombereaux de haine. Qu’ils nous foutent cette paix à laquelle
nous aspirons et qu’ils sont incapables de nous consentir. Nous avons ce devoir d’empêcher
des fanatiques dogmatistes, de nous mener en leur enfer. Le temps est venu de calmer leurs
ardeurs vindicatives, de ne plus leur accorder une quelconque autorité. Cela doit passer par
une séparation de toute Eglise avec tout Etat. Laïque cité… laïcité est la solution… les droits
de l’homme… et du citoyen. Nos démocraties sont en péril parce que nous n’avons pas su les
entretenir. Exerçons nos prérogatives, ayons ce courage de recouvrer notre souveraineté
populaire, de lui donner corps… cor et cri… en supprimant tout mandat représentatif. Soyons
décideurs, acteurs de nos vies à l’instar de nos envies. Nous avons trop longtemps fermé nos
yeux et nos bouches. Ils ne comprennent pas que nous puissions… que nous nous devions de
les ouvrir. Ils ne sont pas le nombril du monde. Coupons le cordon.
Il nous incombe de [nous] manifester quel qu’en soit le moyen, de nous réapproprier ces lieux
que nous avons abandonnés à l’intolérance… Comment la citoyenneté me demandes-tu ? En
apprenant à dire ce que tu penses et en ne laissant quiconque te fermer ton clapet. Tu
n’appartiens qu’à une seule personne… à toi-même. En te taisant, tu t’abandonnes… tu te
renonces. Ainsi, ne faut-il pas t’étonner d’être embarquée et contrainte de faire une guerre
dont tu ne voulais pas… En ta qualité de femme, de berceau de l’humanité, il t’incombe de
faire cesser la folie des mâles… de tes fils en les empêchant de s’entretuer. Le droit à gérer
singulièrement son existence, le droit à sa propre conquête primant sur tout autre, nul ne
devrait pouvoir y porter atteinte. L’obligation du citoyen ou de la citoyenne est de se faire
respecter… ainsi que cette vie souveraine. Finalement, ta question en appelle maintes…
comment l’expression, comment l’éducation, comment le respect et la compréhension de
l’autre, comment le droit, comment l’existence, etc. ? Or, je suis bien trop usé par tes
149
Journal d’un futur père.
interrogations pour pouvoir y répondre. Laisse-m’en quelques-uns… unes… au risque que
nous n’ayons plus grand chose à nous dire… de primordiale entends-je…
« Comment la fragilité de la trompe des éléphants ? ». Ecoute ma fille, tu es bien mignonne
mais je t’ai demandée de ne plus m’importuner avec tes questions. Et ce d’autant, que je ne
les comprends plus. L’exercice devient – au-delà d’être pénible intellectuellement –
n’importe quoi. Il n’a plus ni queue, ni tête. La fragilité chez l’éléphant – me semble-t-il –
n’est nullement sa trompe… davantage ses défenses pour lesquelles il périt car convoitées.
Ton interrogation trompe… tombe comme un cheveu sur la soupe. Et, je puis te dire qu’il
n’est pas mien… ayant le crâne aussi lisse que tes fesses.
A moins, petite impertinente, que tu fasses allusion à ma maladresse. Tu évoques sans doute,
la chute – non pas de mes cheveux – des bibelots de ta mère. Effectivement, les éléphants
miniatures de sa collection ont la fâcheuse tendance à ne pas tenir sur leurs quatre pattes
lorsqu’on les touche et choient énormément… ce qui est logique du fait de leur énormité…
tant dans la vulgarité du trait, que leur masse. Et, par un phénomène étrange, ils se reçoivent
sur la trompe… trompe qui cède immanquablement. Il me faut user de la glu pour masquer
mes forfaits. Ainsi, utilises-tu une métaphore pour évoquer le talon d’Achille… le mien à
travers celui du pachyderme. Ne me comparerais-tu point, par là même, à celui-là dans un
magasin de porcelaine ?
Permets-moi quelques remarques. Suis-je visé par tes propos, c’est-à-dire une sorte de
chantage voulant que tu ne dises rien à ta mère moyennant quelques grâces ? Es-tu en train
par des biais détournés de m’interroger quant à mes faiblesses… mes défauts ? Tu es mal
tombée (c’est le cas de le dire). Je suis parfaitement intraitable s’agissant des maîtreschanteurs… à moins que tu ne sois raisonnable dans tes prétentions... Ton évocation à
l’éléphant n’est pas anodine. Je suis reclus dans ce matriarcat de poids. Non, je ne dis pas ça
pour ma femme !? Je te rappelle que ses récentes propensions à l’embonpoint, sont dues à ta
présence en ses flancs, que tu ne te prives pas de larder de coups, petite mutine. Aurais-tu en
cela le caractère de ton père… d’une révolutionnaire ? Ne t’essayerais-tu à m’attendrir ? Ne
nous diviserais-tu, Nathalie et moi, afin de mieux régner ? S’agissant de mes carences, je t’en
ai déjà trop dit. Tu as profité de la situation pour me tirer les vers du nez… de la trompe. La
seule question que tu eusses dû te poser, est : « Comment ma main sur ta tronche lorsque tu
vas sortir de ton abri ? ». Car, crois-moi, tu vas toucher tes propres faiblesses et sentir toute la
puissance du mâle solitaire. Ta génitrice hésite à faire un autre gosse. J’avoue ne plus être tant
certain d’en vouloir encore. Pour peu que ce soit une nouvelle gonzesse, je toucherais le
fond…
150
A toi que je ne connais pas en corps…
Huitième mois :
Voilà ma puce, le temps est venu de reprendre le cours normal de notre rédaction. Les jours
nous séparant l’un de l’autre deviennent de plus en plus incertains. L’hiver se retire et nous
entrons dans l’ère de l’expulsion possible… à chaque instant… même s’il nous reste deux
mois, théoriquement, avant de pouvoir nous toucher. Je suis toujours étiré entre une
impatience et cette résignation… la volonté de te faire grandir prématurément, de tirer sur ta
chair laborieuse comme sur de jeunes pousses… au risque de t’arracher de la promesse… et la
sagesse d’attendre la maturité. Aussi occupé-je sainement mon oisiveté… de ne plus subir la
torture des heures. Je m’attèle à ce journal mais également, à la préparation de ta venue. Avec
tes futurs grand-mère, oncle, tante ainsi que ta mère, nous avons fait de la place en nos
pénates et dressé ta couche. Nous avons rangé tes premiers ori-peaux en une commode
achetée pour l’occasion. Il n’est plus que le matelas, quelques jouets pour achever… entamer
notre tâche. Tout est prêt et nous, pauvres bêtes, le sommes de concert.
Cet après-midi, nous nous rendons chez la sage-femme pour une consultation mensuelle. La
semaine prochaine, nous viendrons à ta rencontre, en ce troisième et ultime rendez-vous,
avant de nous embrasser in vivo. Sais-tu à quel moment tu nous trouveras ? As-tu arrêté une
date ou sera-ce à l’instinct ? Es-tu anxieuse ? As-tu conscience… et de l’irrémédiable ? Saistu d’ores qu’il te faudra, tôt ou tard, sortir de ton repaire ou en seras-tu évacuée malgré toi ?
T’es-tu acquittée de tes derniers loyers ? Je pense que tu ressens en toi cette fatalité, ou par ce
lieu devenant de plus en plus é-Troie. Ta mère est fort ronde et sa culotte de cheval ne tiendra
guère longtemps. Sa peau est bandée, parée à décocher tes traits. Elle est tendue à s’en
déchirer et les doigts du destin ne tiendront point tant ils sont entamés. Des contractions
l’assaillent de plus en plus. Nos jeux ont évolué. Tu ne viens plus chercher ma main pour t’en
distraire mais te placer en dessous, quérir une protection ou un réconfort… une chaleur. Je te
sens appréhendant cet événement dont tu ne maîtrises pas tous les tenants.... Tu mandes ma
présence et la douceur de ma voix. Il suffit que je te dise deux mots pour qu’aussitôt tu me
viennes.
La Miss tigrée s’est octroyé la jouissance de ton lit. Passant entre les barreaux, elle pénètre en
ta cellule, la défend corps et âme… bec et ongles… toutes griffes dehors contre cette rivale
aspirant à entrer en lice… en lys. Elle ressemble à un tigre en sa cage. Nous lui en boucherons
l’accès et la fièvre qu’elle ne vienne pas te déranger en la fragilité de ton repos… qu’elle ne te
dépouille point ou n’aspire à en découdre avec toi. Je ne subodore pas sa réaction, ni celle de
sa liliale comparse. Comment vont-elles percevoir ta présence ? Seront-elles jalouses de ce
que tu es ou parce que nous aurons moins de temps à leur consacrer ? Ebauchent-elles ta
naissance ? Ont-elles perçu tes coups lorsqu’elles se perchent sur l’abdomen de Nathalie…
qu’elles t’écrasent de leur poids ? Savent-elles intuitivement que les entrailles de leur
maîtresse te recèlent ? A ce propos, pourquoi parle-t-on de maître et de maîtresse ? Car, elles
ne sont ni nos esclaves, ni nos élèves.
S’agissant de ta naissance plus particulièrement, nous l’ébauchons à l’identique… c’est-à-dire
au travers de nos interrogations avec la praticienne. Nous commençons à la connaître… les
contacts sont par conséquents plus ouverts. Concernant les phénomènes mécaniques, nous
devrions être aguerris puisque nous avons abordé… épuisé les thèmes de la mise au monde.
J’ai été surpris par deux choses. L’une se rapporte à ta sortie. Tant que tu demeures dans le
ventre de ta mère, ton cœur est formaté aux échanges par le cordon ombilical. Lorsque tu
prendras ta première inspiration, tes poumons vont se déployer à l’instar de deux sacs et vont
entraîner une modification des pressions cardiaques, ainsi que sanguines. Ta circulation sera
transformée, inversée en certains ventricules. Des veines, des artères et une paroi cardiaque ad
151
Journal d’un futur père.
hoc vont se refermer… coagulées par le sang devenu inerte. Je me demande quelles seront tes
sensations en cet instant précis. Peut-être que, par une expérience de « rebirth », je pourrais
m’essayer à parcourir ma mémoire...
L’autre est propre au placenta. La sage-femme nous a demandés ce que nous souhaitions en
faire. L’image m’ayant sitôt habité, est un bocal rempli de formol dans lequel baignerait cette
poche percée… méduse moribonde… afin de la conserver. Puis, elle a poursuivi en nous
expliquant que nous pourrions l’emporter – si tel était notre désir – pour l’enterrer par
exemple dans notre jardin. (Dans le cas contraire, il sera détruit. Depuis le S.I.D.A., il ne peut
plus servir à faire des pommades. Dommage !). Je me suis mis à éclater de rire… Tout en
conservant son calme, elle m’a rétorqué que cela se faisait, dépendamment des coutumes.
D’aucuns l’enterreraient donc et y feraient pousser un arbre symbolique par-dessus. Le
placenta étant le compagnon du bébé durant neuf mois, cette perte soudaine pourrait être un
traumatisme pour lui, au pendant d’un frère ou d’une sœur jumelle disparaissant. J’ai regardé
Nathalie et n’ayant pas de jardin, je lui ai suggéré que nous le ramenions à ses parents… un
cadeau ? Chiche. Je suis curieux d’aviser la tête de son père, déballant, appréhendant cette
chose séchant et exhalant quelques relents bien sentis. Je me vois mal lui expliquer ce dont il
s’agit ainsi que nos motifs. Ta mère m’a susurré que nous tentions également l’expérience
avec les miens, quitte à acheter l’arbuste. A placenta, quand tu nous tiens ! [Pour la petite
histoire, il finira au rebut comme mes copines amygdales, végétations, appendice… Je n’ai
rien gardé. Dommage ! Percés d’un fil, c’eût pu être une belle guirlande de noël. Et tellement
original !].
A l’heure ou pigeons et corbeaux entament de glousser, de batifoler, de convoler en de justes
noces… à l’instant où les oiseaux à peine éveillés s’emplissent des délices, s’enlisent des
désirs du printemps… qu’ils se courtisent sur les corniches d’Epinal… en autant d’images…
j’arrive en ce chef lieu, donner un cours sur le contrat de travail à de nouveaux élus
prud’homaux. Je suis un peu en avance. Je profite du calme pour me relaxer et respirer l’air
délicat des Vosges… entre deux voitures ou camions défilant dans la rue. Je frissonne transi
par la différence de température entre ma bonne ville et celle-là. Je suis seul. Cette solitude
m’entraîne à te recouvrer par la pensée, toi t’apprêtant à jaillir des entrailles de ta mère, les
pieds dans les starting-blocks, quoique ayant deux mois d’avance.
Depuis la consultation d’hier soir, je suis perturbé. Mon hilarité s’est effacée. La sage-femme
est venue à ta rencontre, pour vérifier si tu te développais toujours normalement. Elle a pris
ton pouls. Or, elle fut fortement surprise de le saisir aussi distinctement. Elle a donc aspiré à
palper la matrice de ta mère. A peine s’exécutait-elle, je lisais sur son visage une sorte de
panique. Elle itéra, prit davantage de temps afin d’assurer son verdict. Le col de l’utérus est
déjà en retrait. Tu as changé de position, adoptant celle de l’accouchement. Tu as la tête en
bas. Par conséquent, ton cœur est à fleur de peau de ta génitrice. Pour ne rien arranger,
Nathalie fut la proie de contractions inquiétantes. La praticienne lui a ordonné de se reposer…
de tenter de te contenir – si tel est possible – un bon mois encorps. Pour l’heure, tu n’es pas
complètement achevée. Une naissance aujourd’hui poserait quelques complications
pulmonaires.
Je me suis endormi péniblement… inquiet de ta venue prématurée avec toutes ses fâcheuses
conséquences pour toi… et pour nous d’avoir à courir nuitamment à la clinique et à titre
subsidiaire de ne pas pouvoir assurer mes engagements. Mes sorgues furent agitées. Je fus
dévoré entre chien et loup. Mes songes ne furent nullement réparateurs. A mon réveil, je me
suis sitôt enquis de vos états respectifs… de l’évolution des spasmes. Ils s’étaient arrêtés en
soirée, ne semblaient pas briguer au mâtin… matin reprendre leur travail. Leur grève fut la
152
A toi que je ne connais pas en corps…
bienvenue. Je partis inquiet, recommandant à ma brune, de me prévenir dans le cas où ledit
état se modifierait. J’étais à l’aube, au pied de la montagne à contempler les piafs cou contre
cou (cou cou rou coucou), attendant que mon contact me rejoigne et se fasse connaître.
Le cours s’est parfaitement déroulé. Bien qu’appréhendant de ne pas avoir pu réviser
préalablement (pris de court)… ni de l’avoir essuyé à blanc… je tremblais un peu. Je n’étais
plus certain de mes capacités pédagogiques. Mon esprit tentait parfois de vagabonder, de
s’évader. Il me fallait le ramener dans le manège. Il semble que je parvinsse à maîtriser la
harde. Les stagiaires semblent avoir été ravis de ma prestation. Ils ne se seraient pas aperçus
de mes craintes. A l’issue, ils m’ont applaudi. J’étais gêné… non habitué à ce genre de
démonstration. Je les ai salués avant de prendre congé… de promptement rentrer chez moi. Je
n’ai pas vu la journée s’écouler. Je suis enfin de retour, auprès de vous. Je ne suis plus seul et
rasséréné. J’espère que la nuit prochaine sera plus calme. Que nous réserves-tu ?
Deux êtres me partagent… ta mère et toi. Je viens de saisir la souffrance de ma femme, en ses
larmes. J’appréhende la douleur future de ma fille, si tu devais nous venir hic et nunc. Or,
pour taire l’une, il me faut agréer l’autre. Nathalie est fatiguée de son embonpoint croissant,
ne semblant plus avoir de cesse. Elle est lasse de porter ce fardeau… et de recevoir des coups.
Cette torture lancinante, quasi perpétuelle… sorte de harcèlement… l’achève… la rend folle.
Je ne l’ai pas perçue. L’incident de mardi m’a éclairé. Avec le recul, j’ai embrassé son
martyre. Ma crainte de ta naissance prématurée, était pour elle une réjouissance, car un
semblant de réponse à son mal-être… une délivrance anticipée. Quoique te contenant, elle est
prisonnière de ta chair. C’est la raison pour laquelle elle regarde à travers tes barreaux…
s’espère (se désespère) bientôt libre. Ma peur est sa liesse… plus qu’une intuition… Un
espoir lui fait dire que tu nous viendras avant terme. A force de s’en convaincre, elle songe
inconsciemment pouvoir t’influencer… provoquer l’accouchement salvateur. Elle ne se sent
plus le courage d’attendre un mois encorps pour ton confort… pour ta santé. Ainsi, bien que
la sage-femme lui ait recommandée de ne plus produire ou de limiter ses efforts, s’est-elle
rendue en ville cet après-midi. Aspire-t-elle à déclencher derechef la mécanique libératoire ?
Quant à toi, si tu devais t’émanciper avant ta maturité… avant tes huit mois révolus… tu
pourrais être notamment atteinte de troubles pulmonaires et mise en couveuse jusqu’à
l’entéléchie. Nous n’aurions pas la jouissance de ton être. Nous viendrions te voir en ton
bocal, peut-être te nourrir à l’instar d’un poisson hors de son eau. Enchâssée dans cette cellule
devenue étroite, étouffant sûrement ou éprouvant de la claustrophobie, tu brigues de t’en
échapper. Il nous incombe donc de t’apaiser et te retentir malgré tes desiderata… que tu ne
sois pas un danger pour toi-même. Ta mère y renonce épuisée. Et la persuader du contraire
(de continuer à se faire violence), la contraindre à s’exécuter, n’est pas chose aisée.
Entendrait-elle que je lui préfère sa fille… avantageant ton bien-être, au détriment du sien ?
Enfin, en ma qualité de père, ai-je un quelconque pouvoir ou un droit prépondérant ? Je ne
m’en connais… ni ne m’en reconnais un. Son corps fabrique mon sang. Ainsi en a-t-il été
décidé en d’autres temps… d’autres lieux. Quel état me faudrait-il choisir ?
J’ai décidé de ne prendre aucun parti… étant autant lié au bien-être des deux. Le destin
accomplira son œuvre. Il fera ce choix, s’il y aspire. Dans l’absolu et la sagesse requise,
j’aimerais qu’il ne privilégie personne, qu’il s’évertue plutôt à éteindre les tourments de
chacune, en faisant un transfert… t’ôter ce surplus d’énergie t’excitant pour le condescendre à
ta mère… qu’elle soit davantage armée et mène cette bataille contre elle-même. Je me sens
impuissant – n’est-ce pas un comble lorsqu’il s’agit de procréation ? – ne pouvant l’aider en
ce combat qu’avec mes mots et ma tendresse. Que ne puis-je la soulager physiquement,
hormis par une attention et des gestes rôdés ? Nous eussions été des hippocampes, j’eusse
153
Journal d’un futur père.
porté nos couleurs en mes flancs. Je me serais arrondi de tes formes… Nathalie m’aurait refilé
le bébé. Idéalement, il eût fallu que nous pussions le porter à tour de rôle… qu’à tour de reins.
Je tourne en rond depuis des jours, semblable à la Miss tigrée à l’intérieure de ta carrée.
J’éprouve le plus grand mal à trouver quelques sujets, à partager avec toi. J’ai pratiquement
achevé mon enfantement. Je suis ce papillon ayant quitté sa peau de larve, faisant sécher ses
ailes de sire au soleil. J’attends de pouvoir prendre mon envol. Je n’attends plus que toi.
L’attente me devient longue et pénible. Elle me semble ne pas avoir de fin. J’ai celle-là…
cette faim de parcourir le monde en ta compagnie, de l’embrasser avec mes yeux nouveaux.
J’ai hâte de le redécouvrir. Je sais que ta présence transcendera ma perception.
L’incertitude quant au jour de ta naissance, m’alourdit, m’atterre… me contient au tapis des
feuilles mortes, tandis que la frondaison s’apprête. Les arbres arborent leurs plus délicats
bourgeons. Ils sont prêts à éclore, à exploser en une myriade de coloris… de joie. Que
n’irions-nous les tutoyer ? Que n’irions-nous festoyer ? Tout est en genèse. Mon bouton de
chair, il ne manque que toi… désespérément. Je suis cloué en ce calvaire… que les cieux se
promettent. Ils ont étendu en leur azur, l’étendard de notre regard. Ils ont revêtu le bleu de nos
châsses. De châsses en échasses, il n’est qu’à tendre la main pour le cueillir. Achève ta
métamorphose, entame la symbiose, sourds de ce puits que je puisse te chérir, te prendre sous
mon aile. Le jardin des Hespérides nous espère. Ma nymphe, dépêche-toi.
Le temps s’étire en longueur et se ramasse en promptitude à cause de ta contingence. Tantôt,
il me nargue semblant se refuser. Tantôt, il s’offre bien volontiers. Je suis déconcerté de ne
pas appréhender… de ne pas percer sa volonté. Il me mène en bateau… sur tes eaux… au sein
desquelles tu joues les petites sirènes. A ton chant entraînant ou repoussant, je succombe. Je
suis cet homme à l’amer… j’essuie cet homme à la mer. En chat échaudé, je crains tes froides
humeurs. Comment puis-je les réchauffer ? Comment puis-je me réchauffer ? Les vents ne
cessent de souffler… de trompeter d’échoi. Il n’en est aucun pour t’échouer entre mes bras. Ils
te contiennent au cœur de leur tourment.
Je tourne en rond, te dis-je, à ne savoir que faire en t’attendant. Me faut-il te jeter à l’au…
hors de l’au-delà ? Me faut-il renoncer à mon navire pris dans la tempête… ou jeter l’encre et
arrêter de tenir à jour… le jour, ce journal de bord ? Me faut-il tuer le temps se jouant de
moi ? Me faut-il dans mes gréements, condescendre l’auster[e]32 tourbillonnant au risque qu’il
me déchire, ainsi que mes pages devenant insipides ? Me faut-il m’éteindre que de ne pouvoir
t’étreindre ? Est-ce ma lumière qui se fait un phare-d’eau… feu Saint-Elme te perdant…
t’éloignant… te retenant en ton abysse ? Il me reste deux moi[s] pour découvrir cette autre.
Oui, je me dépêche…
Vaisseau à la dérive, elle s’accroche à mon amarre. L’aube n’est pas encore là. En sa chair, le
Phébus brille déjà. Emoustillée par les caprices d’Eros, sa main emplie de désir s’en vient à
ma recherche. Ayant trouvé son il, malgré les eaux qui nous séparent, elle affale les voiles…
en mon dos, je sens ses ardeurs concupiscentes. Ses doigts se posent sur moi, partent à ma
quête (deux fois). Ils m’explorent aux fins de saisir la teneur de ma terre. Est-ce celle
promise ? Des ongles, ils me frôlent. De la pointe, ils me caressent. Ayant recon-nu le repaire,
ils s’abandonnent. Les paumes de mon exploratrice laissent leurs empreintes, semblant
marquer leur territoire. Imprégné de son odeur, je lui appartiens.
32
Auster : n.m. vent très chaud du midi.
154
A toi que je ne connais pas en corps…
Dans ma nuque naît une bise. Son souffle me lèche le cou. Sa respiration s’accélère. Ses
humeurs sont chargées d’aiguail… de la moiteur de sa source en-péché. Il ne fait aucun doute,
que ma brune aspire à la conquête. Conquis, « j’t’adore », voudrais-je lui susurrer. Je suis bien
trop las pour répondre à ses assauts. Il serait irraisonnable de l’encourager, au risque de
provoquer ta perte. Aussi, fais-je le mort, pensant que mon prédateur me délaisserait. La
feinte repousse la première charge. Alors que je ne m’y… ne l’y attends plus… elle revient à
l’attaque… plus émoustillée par mes fragrances et celles du déduit hypothétique…
hypnotique.
Elle me retourne.. de m’offrir à la sienne. Ses lèvres sont brûlantes… chaque baiser paraît me
marquer du sceau de son fer. Je frissonne. Je suis découvert. Je suis perdu. Mon corps est le
sien… mon corps et le sien ne font plus qu’un. Mes mains répondent à ses provocations. Je
rends bisou pour bisou. Je suis débordé. Le plaisir décuple ses envies. Jouit-elle du don
d’ubiquité ? Elle me dévore à pleines dents… pleine dedans. Je crains pour toi… que ta mère
déchaînée ne provoque ton naufrage… ton éviscération. Je tente de l’apaiser… de l’acculer…
de lui faire cesser ses jeux d’aruspice. Rien n’y fera. Elle est possédée. Un raz nous
emporte…
Lorsque nous émergeons, le jour est levé. Le soleil n’est plus en elle mais au dehors. Ta mère
me déclare alors avoir débordé à l’instar d’un cratère… une humeur abondante et chaude a
coulé le long de ses cuisses. Elle ne sait ce dont il s’agit. Les draps sont mouillés. Sans aucune
certitude, elle subodore que ce serait un rejet circonstancié, lié à nos ébats. Je lui objecte que
l’épanchement est plus conséquent que ma [re-]production artisanale… ma petite liqueur de
vie. Il paraît cristallin, très fluide. Elle est la proie de contractions, allant et venant
aléatoirement. Nous ne rions plus. Dans l’expectative, nous nous préparons à te recevoir. Sous
quel délai ? Nous ne savons guère. Cela peut prendre plusieurs heures, jours ou semaines. La
perte du liquide amniotique n’est pas annonciatrice d’immédiateté… si tant est qu’il est fui.
(Ta mère ne s’oublierait-elle parfois ?). Tu jouis encorps de réserves. Sous quelle forme
émergera l’annonce faite au mari ? Je n’en sais fichtre rien ! Je suis derechef assailli de
craintes et de doutes. Je conserve en ma ligne de mire, la maternité. Les spasmes ont cessé
pour le moment…
Nous ne prêtons pas d’importance aux évènements mineurs. A l’instar du syllogisme, la partie
majeure n’a de sens et d’essence que lorsqu’elle daigne à la mineure de lui condescendre une
conclusion. Ainsi, nous ne prêtons point attention au battement d’aile d’un papillon mais au
cyclone qu’il a engendré. Nous faisons peu de cas d’une boule de neige dévalant le flanc de la
montagne, hormis lorsqu’elle enfante une avalanche. Si nous étions plus attentifs à ces « petits
riens », nous pourrions probablement anticiper la conclusion, l’appréhender avec sérénité.
Est-ce là le pouvoir des médiums ? Ainsi, le jour de mes trente-deux printemps, alors que je
m’apprêtais à sortir pour me rendre à un entraînement de boxe thaïlandaise, je fus retenu in
extremis par un appel téléphonique. J’eusse pu l’ignorer nier le droit à mon interlocutrice de
me retenir… ou décrocher. Si d’aucuns m’avaient susurré, inspiré, révélé… si j’avais pu
toucher que ma simple réplique « Oui ? Allô… » me muerait neuf mois plus tard en époux et
neuf mois encore en père, aurais-je seulement caressé le combiné ? Dans le cas présent, je n’ai
point de regret… au contraire. Je suis un homme comblé, très heureux de l’intuition m’ayant
contraint à revenir sur mes pas pour répondre. Je le fus moins la nuit où j’appris de cette
manière, le décès de mon grand-père. Est-ce à dire qu’il convient de nier les appels nocturnes
pour n’agréer que les diurnes ? Que me suis-je moqué de ce directeur des ressources humaines
me lâchant un soir : « Vous avez vocation à travailler avec nous… » ? Je trouvais sa phrase
stupide… ou plutôt ironique. Je pensais qu’il me manquait de respect. Comment un
155
Journal d’un futur père.
syndicaliste digne de ce nom pourrait-il accepter de passer de l’autre côté du rideau, pour
rôder dans les coulisses du pouvoir ? Son rôle n’est-il pas de demeurer ad vitam aeternam un
contre-pouvoir ? Ne se doit-il pas d’être un martyr ? Qu’irait-il se commettre en ces lieux
pervers ? Cet homme reconnaissait prématurément la valeur de mon labeur, ainsi que mes
qualités intrinsèques. Il briguait mes compétences du terrain, que nous allions ensemble plus
loin. Que ne l’ai-je écouté ? Je me serais épargné durant des mois cette vanité… ce recul
stérile pour mieux sauter. Effectivement, ma place est là… C’est mon destin… que je m’y
refuse vigoureusement ou non. Et, ce n’est pas trahir la cause (quelle cause de surcroît ?) que
d’être là où je me dois d’être. L’erreur n’était-elle pas cet immobilisme… cette cécité pour
demeurer en cet état confortable… de me renoncer pour autrui… ou par peur de franchir un
pas de géant ? J’ai contesté l’évidence et la raison pour des motifs fallacieux.
Ainsi, qu’ai-je accepté d’unir ma force à celle de collègues désireux de monter une section
syndicale dans notre établissement, alors que je bossais en cet endroit juste pour gagner mon
pain quotidien… mes espoirs étant de vivre de ma plume ? Quelle folie m’a poussé à leur
répliquer par l’affirmative, tant et si bien, qu’ayant trouvé la poire idéale, ils se sont désistés,
faisant de mon être leur bouclier ? Qu’ai-je par fierté poursuivi ma mission jusqu’au bout
quoique esseulé ?
Mon combat victorieux contre Goliath fit des émules… et des envieux. Je fus bientôt sur tous
les fronts. Ne sachant dire non, je devins conseiller prud’hommes. Mon orgueil itéra de me
pousser en avant… ayant perdu une bataille ainsi que la face… je me fis fort (plus fort) de
gagner la guerre… après ma vie. De fil en aiguille, je me cousus de fil blanc, cette réputation
de juriste compétent en droit social. Là, je rencontrai ta mère. De ce fait, puisque dans la
couture, si l’on fait un ourlet… un raccourci… de ne pas être un écrivain mais un simple
plumitif, me cède d’être marié, presque père de famille et d’avoir par mes expériences
autodidactes, des compétences en droit du travail m’attribuant un statut de technicien
supérieur. Ayant quitté Paris vingt ans plus tôt pour suivre mes parents, je vais retrouver la
capitale. Comment ne pas croire au destin avec un parcours aussi chaotique, alambiqué ? Je
n’ai pourtant pour diplôme qu’un baccalauréat d’électronicien et dois audit fatum, d’avoir
quitté précipitamment mes études pour entrer dans la vie active. Mes ambitions de pilote,
d’ingénieur, de gendarme – j’en passe et des pires – n’ont pas fait le poids devant la desti-née.
Parce que je devais être… par ce que je devais être, je suis… j’essuie les revers de fortune…
parce que je suis têtu et n’ai pas condescendu de l’entendre, je me suis égaré. Fils prodigue,
me voici sur le chemin du retour après maintes traverses. Je ne serai sûrement jamais
célèbre… connu ou reconnu… ni fortuné. Ma plume ne me nourrira probablement pas. Elle
sus-tentera mon côté sombre… indispensable… ma schizophrénie… schizo-frénésie.
J’ai retrouvé l’héroïne de mon feuilleton favori… « les tribulations d’Auriane in utero ». Cette
dernière échographie ne fut pas aussi magique. Etait-ce parce qu’il s’agissait du dernier
épisode ? Etait-ce parce qu’elle fut moins longue ? Etait-ce parce que je suis blasé – déjà – de
l’exercice ? Etait-ce parce que tu es une grande pré-enfant maintenant et qu’il était plus
difficile de te cerner dans tes ténèbres ? Certes, ce rendez-vous était davantage axé sur
l’expression auprès de l’obstétricien devant t’accoucher… de nos aspirations. Nous fûmes très
en retard, ta mère éprouvant quelques difficultés pour émerger de son sommeil chaotique
puis, pour se préparer… Comme beaucoup de femmes tu me diras… tu me le diras plus tard.
Ainsi, la journée s’est très mal entamée… à la bourre… pris dans un trafic engorgé… le cœur
de la ville saturé par les forçats du travail… ne trouvant pas le cabinet du praticien, j’avais un
mauvais pressentiment. Le docteur sut nous mettre à l’aise, nous faire oublier les incidents
liminaires. Son cabinet se situant au niveau de l’eau (la Meurthe), le temps magnifique, la
156
A toi que je ne connais pas en corps…
jovialité de l’homme, sa bonne humeur, son humour malgré un rhume agaçant, concoururent à
nous décontracter. Au fur et à mesure de la conversation, nous fixâmes les limites du litige…
trouver un consensus entre nos désirs… le cadre de la loi et les habitudes des médecins. Tu
devrais nous venir dans de bonnes conditions.
Les augures se sont donc inversés pour devenir de bons. Nous avons passé une heure avec lui,
cumulée à notre retard… les patients après nous (le déluge ?) devenaient fous. Je ne sais si sa
bonhomie pourra les calmer, ni si elle perdura… car probablement mise à rude épreuve.
Comme dirait le pingouin « Peu m’en chaut. ». Il m’importe davantage l’état d’esprit dans
lequel Nathalie se trouve aujourd’hui. Elle appréhende moins la délivrance, bien que le
bonhomme nous ait dit que tu nous viendrais à terme. Ta mère n’a pas encorps perdu les eaux
(ma production était donc conséquente). Ta taille et ton poids sont raisonnables. De ce fait, tu
passeras sans mal dans son bassin tordu, sans la déchirer.
Il me reste donc du temps pour continuer à te découvrir, au pendant de ce nourrisson dont on
ôte les couvertures… de l’embrasser dans son sommeil. S’agissant du tien, est-il imprégné des
cauchemars de ta mère ? Les ressens-tu d’une quelconque manière ? Tu es tellement agitée, la
nervosité ne peut pas être seule responsable. Il semble que tes horions dispensés avec
opulence, soient le produit de tes mains. As-tu adopté la position du poirier pour mieux
atteindre le foie ou la vessie – comme une lanterne – de ta génitrice ? A-t-elle regardé des
films d’arts martiaux en cachette ? Elle est riche de tes coups en tous les cas. Et
réciproquement… tu es riche de sa sustentation.33 En dépit de tes menues proportions, il y a
du gras autour de l’os. Parfaite panmixie ou synthèse de nous… tu es nerveuse comme ton
père et, forte comme…
A propos de la position, elle n’est nullement synonyme d’un appel soudain de la nature à
l’émancipation. Tu t’es positionnée de la sorte car en quête d’espace. Elle ne signifie pas une
volonté de t’extraire de la chair de ta mère. Tu bougeras pour en changer. En avril, tu ne
devrais pas te découvrir d’un fil. Tu préfèreras sans doute mai pour sortir comme il te plaît.
Soyons philosophe. Tu as bien raison. Dans le ventre de ta mère, il y fait plus chaud. Le
printemps surpris en son milieu, devrait être plus chaleureux. La saison sera plus adéquate.
Les microbes devraient t’épargner… J’espère que ce journal aura une fin. Je suis las de la
traversée. Prends ton temps mais pas tes aises. Je n’en sais plus le bout.
Ce matin, je suis collé au lit comme une mouche sur une pellicule adhésive pendouillante. J’ai
beau m’évertuer à m’en sortir, à remuer en tous sens, je ne parviens pas à m’en extraire. Et,
tandis que mon corps demeure immobilisé, étreint de fatigue, mon esprit s’envole et
vagabonde. Il vient te retrouver. Je regarde l’heure défiler en toutes ses minutes… battre mon
plancher… ces soldats criards s’apprêtant au dehors à guerroyer au nom du vilain. Je
privilégie notre amour naissant à leur guerre inique. Je me demande si tu nous viendras… tôt
ou tard. J’ai fait un pari avec ta mère. Je ne te dirai pas lequel, que tu ne triches pas… ne
tentes d’avantager l’une plutôt que l’autre. La période sera déterminante… Sera-ce – pour
reprendre l’expression militaire – au temps pour moi… celui d’été ou celui d’hiver ? Tu me
diras, ça n’a point d’importance… Détrompe-toi ma puce. Imaginons qu’une femme enceinte
de jumeaux, se mette à enfanter avant le passage puis, après. Quoique les deux frères soient
nés à cinq minutes d’écart, plus d’une heure les séparera. A contrario, lors du passage de
l’heure d’été à l’heure d’hiver – conformément à la bible – le premier né sera le dernier et de
loin… le second se retrouvant avec une heure de moins. En extrapolant, imaginons qu’une
tierce femme accouche une heure après, l’aîné théorique des jumeaux et ce bébé seront – pour
33
Sustentation : n.f. aliment, nourriture suffisante... action de se sustenter.
157
Journal d’un futur père.
l’état civil – nés en même temps… Je pourrais poursuivre mon délire en extrapolant sur la
notion de clone civil. Je ne suis pas sûr que tu me suives. Chiche ? Alors, allons y… Pense
que des jumeaux aient aspiré à épouser des femmes ayant le même prénom… un âge pendant.
Elles deviennent de fait, comme il fut dit de monsieur La Palice, identitairement identiques.
Elles conçoivent leurs enfants au même moment et se retrouvent enceintes simultanément.
L’une attend des jumeaux, l’autre un seul gars. Pour reprendre la démonstration, les jumeaux
de celle-ci naissent au moment du passage de l’heure d’été à l’heure d’hiver. Une heure
sépare ses garçons. Le second devient l’aîné pratique. Celle-là, sa belle-sœur, enfante une
heure après, donc à la même heure que le premier des jumeaux. Pour peu qu’elles aient décidé
d’appeler leur garçon de façon similaire, ils deviennent des clones civilement parlant, alors
qu’ils ne se ressemblent pas et n’ont pas les mêmes parents. Tu me rétorqueras que, par leurs
pères respectifs, ils sont dissociables. Toutefois, s’ils se prénomment Jean-Luc et Jean-Pierre,
tous deux seront nés de Jean… C’est tiré par les cheveux. Avise mon crâne glabre et tu
saisiras le fond de ma pensée. Ca ne peut pas être différemment.
Je parviens enfin à me lever. On ne peut pas dire que je sois animé par l’envie. De l’heure
futile – tu as raison– je me demande en quel monde tu vas nous venir. La guerre se prépare,
orchestrée par un dément. Je ne rentrerai pas dans les détails. Je vais m’essayer à te donner
mon avis sur la question. La force ne peut jamais se légitimer… ni le recours à la violence.
Les bains de sang ne règlent pas les problèmes. Ils les taisent un temps. Ils font entendre la
raison du plus « fort ». Ipso facto, le plus faible a toujours tort. Il n’est de solution durable que
dans la paix. Seules les idées légitimes et légitimées peuvent s’imposer. Or, la « première »
puissance mondiale a perdu ses esprits le jour où elle a élu à sa tête, un imbécile. Il a une
vision très manichéenne (puérile) de notre monde. C’est blanc ou noir. Il n’existe aucun
contraste intermédiaire. Croyant fermement être le bras séculier du blanc, tous ce[ux] qui ne
sont pas avec lui, sont donc noirs et contre lui. Depuis que son pays s’est fait arracher deux
doigts, il est fou furieux. Il veut en découdre… laver son honneur. Il invoque la justice divine
et croit fermement que cela lui autorise des ingérences dans les états inféodés, de partir en
croisade. Par sa manie, il mue la pseudo-démocratie de son état fédéral, en un régime totalitaire. Par le biais de la terreur policière (puisque le shérif du monde), il impose son idéologie
belliqueuse. En dépit de ses défauts, ton futur pays a eu la sagesse de s’interposer… de freiner
les deliria tremens de cet homme. Il tente de le raisonner, avec l’aide essentielle de
l’organisation de nations unies. Le psychotique s’est apaisé, reconnaissant encore l’autorité de
cette mère. Toute-foi, aveuglé par la sienne (de foi) et ce complexe œdipien qu’il refuse… il
est sur le point de la renier. Sa désobéissance risque de nous plonger dans le chaos. Car la
génitrice sera contrainte de le punir… ou de se voir assassinée. La crise est grave. Des conflits
à l’échelle mondiale ont éclaté pour moins. S’il est un logo, qu’il ramène ce fils prodigue en
sa maison… en sa raison. Sinon, que dieu blesse l’Amérique… en son orgueil narcissique.
Pendant que je t’écris ses graves lignes… ou m’escrime et mène ce combat contre moimême… ta mère se détend en écoutant son artiste favori. Pour paraphraser ce poète : « … tu
sais ma môme que j’suis Auriane de toi. ». J’espère pouvoir te le dire de vive voix, que de
n’être un fantôme… ou réduit au silence.
Je suis de nouveau au pays des clochers pointus semblables à la fourche du diable… plutôt
qu’à la maison de dieu. Je me suis levé à l’aube… de pouvoir t’écrire… et être à notre rendezvous idéel… bien que je sois loin. Le jour nais-sang m’observe de son œil coruscant… et
pourtant mort. Sa cécité ne l’empêche guère de me surveiller du coin… de ressentir ma
présence. Il s’apprête à se lever. Il ouvre doucement cet autre, plus lumineux et cachera celuilà. L’heure des damnés supplantera alors leurre nocturne. Il leur faudra se rendre en ce
158
A toi que je ne connais pas en corps…
purgatoire quotidien, éprouver… et prouver qu’ils méritent de vivre un jour de plus… un jour
de moins. De flèche en église, mon errance me ramène à la triste réalité de ce va-t’en-guerre,
digne fils de son père. Pourvu qu’il l’abandonne et le fasse choir. Ce serait l’unique moyen de
l’achever bras en croix, plutôt qu’il nous en-tombe. S’il est un dieu, qu’il serve à cela. Le
belliqueux que j’ai lu si fier… en Lucifer… perdra sa lumière pour s’éteindre enfin. Il nous
foutra cette paix dont il ne veut point.
Je pourrai me reposer. Ces jours derniers, mes rêves ont été perturbés par l’hyperactivité de
cet idiot, bien plus que par les agissements du dictateur qu’il espère combattre. Le peuple
s’est choisi un bourreau et se plaît à vivre en cellule. Il lui appartiendra de s’en défaire ou de
mander une aide. Ce n’est pas le cas. Qu’irions-nous faire – par la force de surcroît – un
« bonheur » dont le principe est nôtre et dont ils ne veulent pas ? Si nous condescendions à
ces considérations soi-disant supérieures à toutes autres, ne nous faudrait-il pas accepter une
ingérence des dictatures en nos démocraties imparfaites et agréer qu’ils nous choisissent un
despote ? Nous n’aurions plus l’indépendance de choisir torture à nos pieds… entre la peste et
le choléra. Car il s’agit bien de cela – non pas d’élire nos vies mais notre mort–. Or, j’ai pris
ce parti peut-être fou, de ne pas périr sous les bombes ou à la pointe d’un canon. De toute
manière, je ne serai pas canonisé. Je préfère partir entre les bras de ta mère… et pour l’instant
je n’y suis pas. Ca me fera vivre jusqu’à nos retrouvailles.
Je disais que mes songes furent perturbés. Et cette nuit, j’ai rêvé à la brune, que nous nous
quittions pour une sombre raison. En est-il d’éclairer ? Je passais mon temps à zoner… en
zombie… plus mort que vivant. Je recouvrai ma vie antérieure, d’avant elle, passant de draps
en draps, ou de veste en veste, tentant de caresser à nouveau un semblant d’amour…
suffisamment illusoire pour me permettre de l’oublier. Tu n’étais pas encore là… même pas
ébauchée. Pourtant, la douleur l’était… m’emplis-sang à tout instant… me vidant le suivant.
Bon « -ant » mal « en », je végétais. Je me contraignais à vivre dans l’espoir de la reconquérir
un jour… de toucher ma bêtise… de me rendre compte combien elle m’est essentielle.
Inconsciemment, je savais sa nécessité et cette rupture, une connerie. Il me fallait l’admettre.
Blessé dans ma hauteur, je pus retomber sur terre. Rassure-toi, l’histoire se finit bien. Nous
nous réunissions pour ne plus nous quitter. Le profil bas, je retournais la chercher. Elle
daignait me redonner sa main… puis un petit bout.
Je ne saisis pas le moteur de ce rêve… étrange et perturbant. Ta mère, a-t-elle fini par me
troubler avec ses craintes… propos relatifs à une séparation future ? Ai-je vécu de manière
onirique, les démons de la quarantaine ? Les ai tutoyés qu’ils ne m’emportent jamais, à
l’instar d’un exutoire virtuel ? En dépit des apparences, suis-je davantage angoissé qu’elle à
l’idée que nous puissions [nous] rompre ? Etait-ce un moyen inconscient de jauger notre
amour ou celui que j’ai pour elle ? Je suis sans cesse pétri par la pensée qu’elle puisse
m’aimer plus que moi… que je ne la mérite pas. Ainsi, culpabilisé-je de ne pas être à l’aune
de ce qu’elle attend de moi. En est-il de même pour elle ? Se pose-t-elle moins de questions ?
Se contente-t-elle de vivre… simplement ? Quoi qu’il en soit et en sera, cette expérience fut
salutaire. Elle m’a rasséréné. Je sais comme je tiens à elle et frôle la réciproque. Libéré de
mes angoisses, je puis envisager de m’abandonner à l’extase qu’à ce bonheur simple… trop
petit pour nous trois.
Le jeu de mains a commencé, ma fille. La sapience n’étant ni l’apanage de l’un, ni de l’autre,
le « couillu » dégoulinant de morgue a envoyé trois missiles au petit mâtin… trois missels…
puis trois nouveaux dans l’après-midi. La réplique ne s’est guère fait attendre. Le « chien » lui
a expédié, en signe de bienvenue en enfer, la poudre. Nous sommes dans une situation
nompaire22… réduits à compter les coups avec nos banderoles de paix. Je suis sûr que ces
159
Journal d’un futur père.
deux-là s’aiment à la folie, sans le savoir… ou oser se le dire. Leur haine est une façade. Elle
aura un prix bien lourd. Les sacrifiés seront légions… civils notamment. Les hérauts entament
leur marche funèbre… répandent la mort tambour battant. Que ne viennent-ils la fleur au
fusil, déclarer leur flamme que de brûler les villages… violer les femmes ? J’eusse apprécié
qu’ils se jetassent des roses à la tête, sans sommation… ni procuration… par messagers
interposés. Car, il est facile d’envoyer des pions pour mâter sa dame. Il est plus difficile de s’y
essayer personnellement.
Hier, j’ai failli connaître un sort similaire. Mes camarades sont devenus tout aussi fous. J’ai
évité le pugilat in extremis. Je ne sais plus les miens. Ils ne parviennent plus à se parler sans
aboyer. Sont-ils emprunts de cette atmosphère délétère ? Ont-ils des craintes impalpables ?
Que ne parlent-ils pas franchement, gardant des non-dits nourrissant l’incompréhension ?
Montrent-ils les crocs plus apeurés que farauds ? Je vais quitter le ring, les abandonner à leur
libre arbitre. Que feront-ils de mon bébé (du syndicat créé)… devant me concentrer sur cellelà… sur toi. Le monde leur appartient. Ils ne savent qu’en faire. Jèteront-ils l’eau du bain et
mes pensées avec ? Vont-ils découdre ce que j’ai tissé par appréhension de ne pas savoir
comment poursuivre le métier ? Vont-ils remettre en cause l’ouvrage ? Je pourrais me
contenter de déclarer que cela n’est plus mon problème. Il n’est pas dans mes habitudes de
semer le vent de la discorde. Je veux tuer dans l’œuf, cette tempête s’apprêtant à ruiner nos
efforts. S’ils ne sont pas sages pour entendre le message, advienne que pourra. Ils hériteront
de ce qu’ils méritent.
Au soir, il était impossible d’échapper au conflit… jusque dans les canards… tous les
médias… toutes les chaînes de télévision se gargarisaient de la guerre. (C’est bien connu… où
il y a de la chaîne… il n’y a pas de plaisirs.). Après le défilé des militaires (commerciaux
vantant l’émérite34… vendant leur culture, leur ordures, leur torture… leur mort-sure),
marchant dans leurs pas, vint celui des experts et des charognards. Qui de savoir lire dans les
mares de sang… de subodorer la suite des opérations. Qui de deviner les interventions futures
des chirurgiens de cette guerre esthétique. Là, il faudrait une prothèse… là, une ablation. Je ne
comprends pas qu’un pays se déclarant pacifique, comme le nôtre, puisse cautionner ce forfait
en regardant impassible, sans tenter de séparer les belligérants… dénoncer leur imbécillité.
Qu’il puisse même en vivre. Le mercantilisme se vend chèrement entre deux explosions. Je ne
saisis pas davantage que nous puissions nous délecter de ces clichés. La campagne ne se fait
pas sur le terrain mais à travers eux par le biais de la manipulation savamment orchestrée. S’il
n’était de relais, il ne serait de bataille. La boîte de Pandore n’a plus d’intérêt étant une vitrine
publicitaire.
Aussi, pour me vider l’esprit de mes propres combats, je me suis mis en quête d’images peutêtre plus objectives. Mes yeux se sont arrêtés sur un film narrant l’abolition de l’esclavage au
sein de ce continent, devenu hier, incontinent. J’ai embrassé l’horreur et la bestialité sur
lesquelles se sont construites nos civilisations. J’ai compris qu’elles se bâtissent dans le retrait
de la vie. La guerre et l’exploitation sont ses béquilles. Il faut des inno-sangs pour qu’il y ait
des mains pleines. Les nations n’ont su… ne savent se fonder que sur nos sacri-fils. Et, s’il
n’est d’enfants pour endiguer cette philosophie misanthrope, pour rompre avec la manie de
leurs pères, il en sera toujours ainsi. Ma fille, je t’espère plus avertie que moi… plus
intelligente qu’eux… et ta fille bien plus… de briser ce cercle vicieux. Je t’espère moins
vile… moins servile… mais surtout moins avide… à-vide intellectuellement. N’agrée que ton
fils soit mué en cette chair à canons (militaires ou religieux… même combat.).
34
Emérite : adj. du latin emeritus : qui a accompli son service militaire.
160
A toi que je ne connais pas en corps…
Je suis projeté douze ans en arrière, au moment où j’effectuais mon sévice militaire… que je
m’acquittais de ma dette envers la nation française. Ayant bénéficié à titre gracieux, de son
éducation soi-disant « gratuite », il me fallait en contrepartie… patrie… faire don de moi au
moins une année. [S’agissant des femmes, elles s’en libèrent en enfantant la main-d’œuvre
bon marché, exploitable à merci, dont a besoin notre industrie ou notre bourgeoisie.]. A la mijanvier, le père du fameux crétin – alors président du « nouveau » monde – entamait les
hostilités. Il entrait en tempête dans le désert. [Je mets nouveau entre guillemets, la nouveauté
résidant dans l’art et la manière d’administrer le monde… par la violence et une belligérance
permanente. Telle est… hait sa culture. Elle s’explique historiquement (sans se légitimer) par
le fait que les pionniers furent des affamés du vieux continent, partis à la conquête d’une vie
facile et qui, par la force, s’arrogèrent les terres des autochtones. Par un véritable génocide, ils
les ont exterminés à les réduire en une peau – certes rouge – de chagrin.]. A cette époque,
notre pays éteint (depuis des siècles puisque plus éclairé par ses lumières.) participait à
l’assaut. Il aspirait à sa part de gâteau… la spoliation du pétrole et la reconstruction du pays
rasé par ses bombes. Le principe est habile… détruire une société… puis la contraindre à
financer sa reconstruction par le biais unique des entreprises des vainqueurs. Le pays vaincu
est tenu par sa créance, comme je l’étais.
Ainsi, comme je te le disais – avant de m’égarer – j’effectuais mes obligations ci-viles… ma
conscription. J’étais à peu près tranquille… jusqu’au début du mois de janvier… lorsque la
France entra en guerre. Un gradé fit irruption dans la carrée. Il m’ordonna ainsi qu’à mes
« frères » d’arme, de plier tous nos bagages pour être embarqués. Je lui mandais où nous
devions nous rendre. Il ne daigna pas nous répondre. C’était un secret… de polichinelle… une
rumeur circulant, nous voulait en Asie occidentale. Je m’exécutai. Avant de partir, je
téléphonais à ma mère pour la prévenir de la situation. Elle se mit à pleurer. Je tentais de la
rassurer en lui jurant, où que je sois, de me débrouiller pour l’informer… lui donner de mes
nouvelles. Je raccrochai la trouille au ventre… me rendis sitôt au point de chute… de ma
chute probable. J’attendis des heures sous le cagnard, immobile, aux ordres contradictoires.
Tantôt nous partions, l’instant d’après nous restions à la base. Finalement, je regagnai mes
quartiers. J’y fus cloîtré jusqu’à l’expiration du conflit… soit deux semaines à peine.
L’itération stupide du fils me renvoie à cette époque. A sa réminiscence, mes viscères se
resserrent. Devrais-je, en ce jour, plier bagages pour être expédié au cœur de ce casus belli. Le
gouvernement ainsi que les militaires pourraient aller se faire foutre. La position actuelle de
mon pays – même si elle n’est pas très claire – me sied. Mon aversion pour l’uniforme, les
armes et les ordres, me pousserait à la désertion… ou au peloton d’exécution… qu’à prendre
le fusil. Je n’irais pas défendre les intérêts d’une aisance oisive me laissant crever. J’eusse
peut-être pu remplir mes obligations, à la condition de réciprocité. Ce n’est pas le cas. Aussi,
qu’elle s’en aille se faire occire… ou qu’elle crève à mon pendant. Cette société n’a plus de
corps car violée par les libéraux. Les plus viles d’entre eux, sont ceux menant aujourd’hui le
combat inique (consistant à détruire pour ré-ériger suivant ses principes… s’ouvrir par le
feu… le monopole d’un « nouveau » marché. Il ne s’agit pas de libération d’un peuple
opprimé mais de l’asservir à sa production.). Ladite position de mon pays me rassure… un
espoir qu’il ne soit pas intellectuellement… complètement fini. Ma fille, tu y « aura » sans
doute un avenir. Et, comme il semble que la connerie soit héréditaire, je puis prétendre
pouvoir t’en exonérer. N’est-ce pas formidable ?
« Pour vivre heureux, vivons cachés. ». Je crois que cette maxime est primordiale. La
princeps. Je ne sais pour quelle raison mais notre entour a souvent une fâcheuse propension à
l’ingérence. Ainsi, d’aucuns ressentent ce besoin d’immixtion au sein de notre existence, de
161
Journal d’un futur père.
trouver un motif à chacun de nos faits et de nos gestes. Cela peut procéder d’un bon
sentiment. Cependant, il engendre plus de mal que de bien… et je ne suis point en péril (ai-je
mandé une aide ?). Ta mère vient de me révéler que je l’aurais épousée pour oublier un ancien
amour… par ce contrat j’aurais mis une barrière entre cette ex et moi. Lui dire est une
connerie… une vilenie. Qu’elle puisse le croire l’est encore plus. Nathalie n’est pas un
bouche-trou et la cause pour laquelle je l’ai demandée en mariage, n’appartient qu’à moi…
qu’à nous. Je ne veux, ni n’ai l’intention de me justifier. A l’heure où elle entamait de se
lâcher, cette déclaration l’accule dans de nouveaux retranchements inopportuns… dont nous
nous serions passés volontiers. Je suis las d’être passé au crible, inspecté sous toutes les
coutures. Si je me suis fourvoyé, j’en assumerai les conséquences. De toi à moi, je n’ai été
aussi serein… aussi sûr de moi. Je vais achever ce journal et par là-même, je cesserai mes
confidences. Ce départ pour le centre de la France sera salvateur… un abri pour nous trois.
Je suis déçu que les miens puissent manquer à ce point de subtilité. Je le suis également que
Nathalie puisse cautionner ce genre de propos stupides. Elle ne sait pas lire en mes yeux, ni en
mon cœur, l’adoration que j’ai pour elle. La mettre en doute sur des « on-dit », n’est pas une
preuve de confiance... pas même une présomption simple. Pourtant, il est évi-dent que je la
dévore du regard et que je me sustente d’elle. Est-elle atteinte de cécité ? Ou se joue-t-elle de
moi… de me pousser à lui dire ce qu’elle brigue d’entendre ? Je puis me regarder dans un
miroir, même si je côtoie toujours cette pseudo-amie. Je n’ai aucun prétexte, ni intention de la
renier. Que le ferais-je, bien qu’elle me fit souffrir ? La vengeance est une dépense d’énergie
inutile (tant intellectuelle que physique.).Je ne veux pas m’abandonner à cette bassesse et
préfère pardonner ou oublier. Elle souffre bien plus que moi de la situation. J’ai trouvé ma
moitié et, elle me comble (quand elle ne me cherche pas vainement querelle). Qu’irais-je me
perdre à enfoncer une personne, à terre et atterrée, une femme de surcroît ? Je n’ai pas reçu
une telle éducation…
Mon épouse m’insulte lorsqu’elle me pense succombant à l’antérieure de nouveau. Elle me
croit dépourvu de passion à son égard et bête pour replonger dans ce désarroi qui me défit. Ne
pas aspirer à me venger, ne signifie pas que je lui prête de la pitié. Je n’ai conservé que de la
sympathie. Ta génitrice ne le comprend pas. Que faudrait-il haïr les êtres que nous n’aimons
plus ? Non, je ne désire plus choir dans la géhenne. Cela m’a coûté un temps précieux…
gâché deux années de ma vie… deux ans durant lesquels j’ai nourri une aversion pour une
punaise et n’ai pu me confronter à mes immanences. Car, elle demeura en mon esprit durant
toute cette période… durant celle-là je ne pus séduire, ni l’être. Elle fut une obsession… une
folie. Il n’était pas un jour s’écoulant, sans que je ne fomentasse la manière de la châtier. A tel
point, qu’elle devint un art… ruineux moralement. Elle le fut jusqu’à ce salut. Un soir où je la
croisai sur un quai. Elle paraissait tourmentée, plus gênée que moi. Elle me fuit, apeurée
d’avoir à me confronter. En cet instant, je saisis la stupidité, la faiblesse de ma réaction… ni
qu’elle avait valu ma peine. Que m’étais-je laissé bouffer par cette psychose ? J’ébauchais que
nul ne pourrait jamais plus me polluer, d’aucune façon. Aussi, n’en veux-je à ta mère… ni à
autrui. Je ne saurais lui tenir rigueur de ne pas me comprendre. Elle finira par saisir ma
position lorsqu’elle aura fini de faire ces deuils lui incombant et excuser. Elle sera alors
émancipée… comme je le suis. Je suis en paix. Elle le sera.
J’ai quitté la capitale dogmatiste pour m’en retourner auprès de toi et de ta mère très
brièvement… le temps d’un week-end. Je suis au pays de la sidérur-gît et de la mine… ou du
moins de ce qu’il en reste. A l’instar des mœurs, l’industrie connaît ses modes économiques,
indépendantes des êtres. Après en avoir achevé une kyrielle par son labeur pénible, elle les
laisse crever sur le bord de la route, pour s’en aller ailleurs, sans état d’âme. L’économie
162
A toi que je ne connais pas en corps…
mène une guerre perpétuelle, avec son lot de morts et de cadavres. Or, à contrario de toute
autre, il n’est personne pour l’arrêter dans sa marche funèbre. Il n’en est que pour l’alimenter
et jouir de ses vertus. Nul ne descend plus dans la rue (ou si peu) pour la dénoncer… pour en
dénoncer les exactions. Elle a divisé les individus, les a isolés pour mieux régner. Et, ce règne
est sans doute le plus léthifère 10 que nous ayons connu. Il fait des dégâts jusque dans nos
rangs résistants. La collaboration n’a jamais eu autant de sens qu’en ces dernières années.
« Plus jamais ça ! », mon cul…
Je devais t’écrire hier soir. Je fus absorbé par la misère et les malheurs d’un ami. Je l’ai vu – à
nouveau – se détruire sous mes yeux, sans lever le petit doigt. Je me suis évertué à le
rasséréner, à le réconforter vainement. Son esprit est noyé par une pléthore, une humeur
abondante… celle de ses questions sans réponse qu’il ressasse sans cesse à ne plus pouvoir en
rester étanche. Le vase rempli à ras, a débordé une fois de plus en cette triste soirée. Les
spiritueux ont été la goutte de trop. Je ne sus – ni ne sais – comment interrompre sa fuite…
son épanchement. Il est brisé par la vie et les morceaux ne semblent plus pouvoir se recoller
entre eux. Il se couche aviné chaque matin dans l’espoir de ne pas se réveiller. Est-ce
l’instinct qui le retient ? Ou le regard de son entourage à travers lequel il survit un peu ?
Il devait reprendre le flambeau… continuer à hisser nos couleurs… poursuivre mon « œuvre »
syndicale… amener cette « enfant » à son adolescence. Il ne s’en croit pas capable, ni pourvu
des capacités nécessaires. Il a échoué dans l’éducation de ses quatre gosses… se pense un
mauvais père. En est-il seulement de bon ? En cette matière ne sommes-nous pas tous logés à
la même enseigne ? Aussi, aspire-t-il à lâcher l’organisation pour continuer le combat, seul.
Ce sera une boucherie, à n’en point douter. Que puis-je y faire ? C’est sa volonté. Il craint pardessus tout que je lui en veuille de ne pas me remplacer. Comment le pourrais-je ? Je quitte
également le navire… n’ayant plus la foi. Quant à la sienne, elle est cette souffrance
permanente, au sein de laquelle il conviendrait de s’épanouir. Elle est ce non-sens, le
paradoxe lui déchirant les méninges comme un vulgaire papier… une bulle vulgaire. Pour
avoir subi, supporté ce calvaire, s’il ne se suicide pas avant le trépas mérité, en bon
samaritain, il aura sa place au paradis. Certes, il a volé, escroqué parfois… par-foi. Il a
remboursé sa dette avec quelque pater et ave, les forfaits sont amnistiés. Il se devait de payer
ce droit d’exister, d’en trouver les moyens, coûte que coûte. Les tables de l’aloi, ne
dépendent-elles pas de la fortune ? Elles le devraient…
Je l’ai délaissé après qu’il ait commandé une énième bière. Je pensais que deux anisettes, une
bouteille de vin, un colonel, une liqueur de poire et deux demis, au cours d’un repas, lui
eurent suffi. Il avait grand besoin de parler… de se vider de la tête. Ainsi, eut-il cette grande
soif. Ses problèmes ne sont pas pour autant résolus. Il les a oubliés… au moins pour un temps.
Je ne sais en quelle condition je vais le retrouver ce jour. Le cocktail fut-il suffisamment fort
pour le terrasser et lui permettre quelques petites heures de repos ? Car, nous aurons une
journée chargée… à l’instar de sa langue qu’il ne sait délier qu’à fortes doses. Il ne s’agit pas
d’homéopathie mais d’homo-apathie. La cure n’en est pas une mais un abrutissement. Quoi
qu’il advienne, quoi qu’il nous arrive, j’espère que nous resterons amis. Le sommes-nous ?
Un ami est celui sur lequel tu peux compter… qui sait te dire lorsque tu déconnes. Je
l’abandonne et ne parviens pas à me faire entendre. Nous resterons donc ce que nous sommes.
Il viendra me voir de moins en moins souvent et j’irai le voir… à n’en pas douter.
Je suis revenu en ma Lorraine d’adoption. Je suis de retour chez moi. J’ai déposé mes valises
pour de bon… jusqu’à ce que tu naisses. J’effectuerai quelques déplacements sur Paris. Il
s’agit d’une seule journée. Ensuite, je te serai dévolu… entièrement. J’ai renoncé au pays du
ch’tit Quinquin pour lui préférer le tien. Je ne suis pas rentré seul. J’ai ramené dans mes
163
Journal d’un futur père.
bagages, un rhume carabiné. Mon cher collègue (que j’ai retrouvé en petite forme) a eu la
brillante idée de rouler la fenêtre ouverte pour sécher un clope ou avec la climatisation sur la
position la plus froide, ayant trop chaud. Forcément, les degrés accumulés transpiraient et
l’empreignaient d’une ardeur inopportune. J’ai donc pris des courants d’air en plein nez… une
froidure chargée. Les microbes n’ont pas tardé à me prendre d’assaut… faire le siège de ma
forteresse. J’eus beau couper l’infernale mécanique… trop tard. Je sentis l’invasion… la
ressentis en pleine figure. Mes yeux se mirent à pleurer, ma gorge devint irritante et mes
narines pissèrent une humeur tantôt épaisse, tantôt glaire… le blanc (transparent…) d’un œuf
frais. Je pensais être la proie de vils pollens résidant dans le filtre de la ventilation non
nettoyé, la soufflerie me les crachait au visage en une nuée pathologique mais presque. Après
consultation chez l’allergologue et maintes vérifications de sa part, l’attaque est virale. Je me
médique… de ne transmettre, ni à ta mère, ni à toi, mes miasmes et vous contaminer. Je
garderai pour moi, tant faire se peut, l’apanage d’être malade et de détruire ma flore… ma
légion d’anticorps en cette bataille chimique.
A propos d’enfer – puisque essuyant un feu nourri qui ruine mes voies oto-rhinolaryngologiques et bronchiques – j’en tutoie un second… le temps. Encore et tout jour. Il ne
semble plus avoir de fin. Il me nargue, m’inspire une sorte de cyclothymie assujettie à ses
propres alternances de brièvetés et de longueurs. Je n’en vois plus le bout. Nous te pensions
prête à sortir. Neuf mois de gestation pour accoucher d’une crevette, n’est-ce pas exagéré ? A
l’ère où les avions dépassent le mur du son et les fusées nous envoient en l’air… par-delà la
terre… en cette période où les évènements interviennent à une vitesse vertigineuse et
l’information nous vient à haut débit… que nous faut-il patienter aussi longtemps pour un
enfant ? Qu’est-il besoin de cette rapidité de mouvements, si les primes d’entre eux sont
laborieux ? Les scientifiques, prompts à vanter leurs aptitudes et saisir les méandres de la
conception, que ne parviennent-ils à inventer un accélérateur à embryon ? A t’attendre, je
finis par me lasser. J’ai la sensation d’être impuissant… Je me sens réduit à un point tel, qu’il
arriverait une infortune voulant que tu ne sois pas des nôtres in fine, je n’aurais ni la force, ni
la volonté d’itérer. Ta mère itou. Sa décision paraît irrémédiable. Elle dit préférer adopter que
de devoir supporter à nouveau des maux… des affres similaires. Elle est heureuse de vivre
cette expérience unique mais, n’aspire pas à la bisser. Et elle n’a pas accouché. Elle est
impatiente de la délivrance… de recouvrer son corps. Elle brigue d’y être seule… de pouvoir
en reprendre la maîtrise… en retrouver l’autonomie… la jouissance… de pouvoir se mouvoir
comme elle le désire. Changera-t-elle d’avis ? En changerai-je avec le recul ? Je ne sais. Nous
sommes au cœur du tourment, incapables de relativiser. Or… hors ce temps félon… il nous
apparaîtra moins vil et pansera… pensera nos blessures présentes. Il n’en laissera que des
stigmates plaisants, propices au don d’une suite. A moins que nous soyons en proie à cet
instinct de perpétuation, celui-là même qui nous rend impatients…
C’est tout de même incroyable cette renommée. Je ne peux plus me présenter en un lieu, sans
qu’il ne me soit demandé des nouvelles de ta mère et de toi. Il n’en est plus que pour vous.
Tout le monde se fout de savoir comment je vais, si mon rhume ne m’affaiblit pas ou si je ne
suis pas indisposé par la fièvre. Il ne veut savoir que ce qui te touche… se rapporte à
mademoiselle. Ainsi, m’interroge-t-il quant à ta date de naissance présumée (inchangée
jusqu’alors), ton sexe, ton prénom, tes mensurations (eh oui, déjà…), ou quant à
l’échographie (était-elle bonne ?). Il me supplie de lui révéler si tu bouges, si ta mère brigue
de t’allaiter, si tu es la première de nos marmots… ou marmotte pour l’heure. A ce rythme, il
finira par en connaître plus que moi te concernant. Tu jouis d’une présomption irréfragable de
bonne gueule. C’est mieux que l’inverse… et plutôt flatteur que tu l’intéresses d’ores. Tu
164
A toi que je ne connais pas en corps…
bénéficies de la réputation de ton père. Je crains comme toute mode, qu’il ne t’oublie
promptement. Or, ne serait-il paradoxale d’être « has been » quoique pas née ou à peine ?
Nous devons retourner cet après-midi chez la sage-femme. Idem… il n’en sera que pour toi.
Nous aurons quelques mots à dire. Tu seras donc le cœur de nos préoccupations… de nos
propos. Auriane par-ci, Auriane par-là. Tu me lâcheras que, si nous nous rendons chez la
praticienne, c’est à cause de toi. J’en conviens. N’est-ce pas un peu trop d’un coup ? Tu
risques d’attraper la grosse tête, de ne plus passer dans le bassin de Nathalie. J’ai l’impression
qu’il est bien tard pour s’en inquiéter… qu’il le soit également pour te protéger contre la
dilatation des méninges. Il me semble que tu aies déjà choppé le melon… que ton crâne a
enflé (d’intelligence sûrement mais davantage par l’effet de l’eau.). Tu me snobes… refuses
de jouer avec moi. Tu me boudes… demeures absente. Il est vrai que je n’ai guère été présent
ces derniers jours, eu égard à mes obligations représentatives. Ce n’est nullement une raison.
Je redoute que ton intuition ne te fasse toucher l’intérêt que nous te portons et que tu en
uses… en abuses. Serais-tu déjà en train de nous tester ? A moins que tu ne sois emprunte par
la fatigue de ta mère…
« Est-ce de la jalousie ? », me demandes-tu. Suis-je jaloux de ne plus être le centre du
monde ? Prends-je conscience de ce que, par mon « grade » de père, je perds
irrémédiablement mon statut idéal de gosse ? J’ai réellement renoncé à la convoitise depuis
longtemps. Ce nouveau rang n’est pas pour me déplaire. Il l’eût été si je n’étais pas parvenu à
cet épanouissement présent. Sans doute sont-ce les accès de la fièvre ou de la fatigue qui ne
me condescendent plus de prendre plaisir à répondre aux sempiternelles interrogations liées à
ta conception. Je ne me sens plus aussi fringant. Est-ce le poids de l’attente qui écorne ma
jouvence ou celui de la sagesse ? Ai-je besoin de repos ? Je n’ai pas pris de congés depuis
l’entame de cette année. J’attends ta naissance pour en poser… me reposer. Ceci explique-t-il
mon impatience ? Oui, j’ai ces hâtes. Ne vais-je pas le regretter ? Il n’est pas certain que je
puisse disposer librement de mes nuits. Pour peu qu’une petite fille – faisant parler d’elle en
ce moment – brigue de s’y exprimer… Je ne suis pas sûr de caresser cette léthargie tant
espérée.
La préparation est quasiment achevée. Il n’en reste qu’une avant ton arrivée. Comme je l’ai
craint, tu fus l’objet de notre discussion. Le thème du jour fut ton allaitement. Nous avons
discouru des avantages et de ses inconvénients… de la manière, le processus du lait maternel
(le stimulus, la fabrication, sa mutation, sa production…), les transformations mammaires,
etc. Nous avons abordé ton alimentation future… petits pots ou non. Nous avons conversé du
séjour à la clinique, sa longueur et l’éventualité qui peut m’être offerte de rester avec vous. Je
n’ai pas encore réfléchi à la question. Il y a chez nous deux autres bouches affamées… deux
« minoutes » à nourrir que je ne peux délaisser… ainsi qu’un piaf. Ils ne comprendront pas.
Par contre, ta mère a émis le souhait de ne pas recevoir de visite là-bas… ou très peu. D’un
naturel pudique, elle veut pouvoir t’allaiter en toute quiétude, c’est-à-dire sans regard braqué
sur sa poitrine, risquant de la bloquer. Il nous faut informer les éventuels visiteurs de son
vœu… l’hôpital étant un lieu public… Personne n’appelle avant de passer. La venue est
culturellement fortuite. Ce sera difficile à gérer, puisque guère la coutume. Je pense qu’ils
accéderont à sa requête sans se braquer… qu’ils ne la considéreront pas en affront.
J’ai passé la matinée avec ton futur parrain. Je suis ravi. Il est mal en point à mon pendant.
Etant donné qu’il fut l’auteur du forfait… celui qui mit en branle la machine à enrhumer, ce
n’est que justice. Nous nous sommes retrouvés après une séparation de deux jours. Il avait
l’air d’être en meilleure forme, en dépit de la maladie. C’est te dire dans quel état les
spiritueux l’avaient mis. A ce sujet, j’ai eu un ami au téléphone… le secrétaire du Comité
165
Journal d’un futur père.
d’Entreprise. Il cherchait à le joindre. Apparemment, notre amateur d’humeurs alcoolisées a
fait des siennes à l’hôtel. Je l’avais abandonné en une ivresse prometteuse, las d’ouïr sans
cesse ses radotages ânonnés… l’alcool l’entraîne inlassablement dans un manège similaire.
Dès qu’il perd ses esprits, ils tournent en rond quoique ne tournant plus… rond. Subodorant
ses exploits, je l’avais interrogé le lendemain. Il ne se souvenait de rien… le delirium tremens
ayant des vertus amnésiques. C’est sans doute la cause pour laquelle les curés s’avinent. Ils
absolvent les péchés de leurs ouailles, ne se souvenant plus des précédents. Apparemment,
disais-je, notre « compère »35 s’en est vivement pris au personnel de l’établissement, ainsi
qu’à des clients. L’affaire serait suffisamment grave pour qu’il y soit interdit de séjour. Mon
camarade secrétaire étant un habile orateur a réussi à rattraper le méfait en expliquant que le
bonhomme était plus bête que méchant… qu’il traversait une mauvaise passe expliquant ses
débordements. Etant donné qu’il fonctionne à l’affectif, il redoute notre départ. Il me
considère comme son fils (c’est flatteur mais source d’ennuis…). Aussi, s’enivre-t-il ne
sachant comment éteindre sa souffrance… la perte se profilant. Pour interrompre le courroux,
il a donc juré de ne plus boire. J’utilise volontairement le verbe « interrompre » au lieu
« d’arrêter », car il s’exécute pour la énième fois.
A propos de justice, je fus de faction cet après-midi. Il s’agissait de ma dernière audience. Je
vais devoir démissionner eu égard à ma mutation proche. Me voulant disponible pour
t’accueillir et devant bientôt quitter la région, soucieux de joindre l’utile à l’agréable (un
camarade se languissant de redevenir membre du conseil), il serait idiot de demeurer en la
fonction. Nous avons des affaires de plus en plus tortueuses et de moins en moins
intéressantes. Je suis usé par la fonction. Je pense avoir donné… fait mon temps. Il est venu
celui de tourner la page… de me plonger dans ce nouveau défi. Cela va me condescendre
derechef l’envie… me mettre un coup de pied aux fesses salvateur. Il faut savoir se remettre
en question, ne pas s’enfermer dans un petit confort apathique. Je m’ennuie à faire ou défaire
la même chose. J’ai besoin de péril et d’évolution… de nouvelles découvertes…
professionnellement parlant. Car en matière sentimentale, je requiers ce calme essentiel… une
amarre… une ancre… un repère indispensable à mon équilibre. Lors, je puis vagabonder en
mes domaines parce que je jouis d’une référence fondée sur des valeurs irréfragables. Il est ce
contre-poids. Je puis me permettre d’être instable ici, puisque touchant une stabilité là. Je ne
me justifie pas ou crains une lecture inopinée de ta mère. Je t’explique comment le principe
fonctionne… l’un ne va pas sans l’autre. L’émancipation – à mon avis – n’est possible qu’en
ressentant un point d’attache te permettant de recouvrer tes bases. Souviens-toi… ce n’est
point le voyage qui te comble mais son retour. Nous partons pour mieux revenir… pour
mieux nous retrouver. Je conçois que cette vision puisse te perturber… en perturber d’aucuns.
Il ne s’agit pas d’un adieu… ce ne saurait l’être.
Depuis quelques jours, une joute oratoire entre anti et pro-guerre en Asie orientale fait rage.
La virulence des échanges est à l’aune des combats là-bas, c’est-à-dire unilatérale. Les
arguments au-dessous de la ceinture sont légions. Ainsi, les couillus bellicistes (catholiques
jusqu’au bout de la verge) prétendent-ils que la raclée est nécessaire… le gamin turbulent
cessant toute forfaiture. Pour cela, ils briguent de le châtier en utilisant un panel de sévices
modernes, identiques à ceux dont pourrait user le trublion. Ils font usage d’une sorte de loi du
talion, loi agréant soi-disant la sanction puisque de la légitime défense. Prétextant que le
gniard pourrait être dangereux, par anticipation, ils répliquent. Il ne s’agit pas d’une
provocation. Ils introduisent la notion de condamnation par éventualité. Il n’est plus
35
Compère : n.m. celui qui a tenu un enfant sur les fonts avec une personne (parrain)... compagnon, ami
gaillard, éveillé, fin, adroit.
166
A toi que je ne connais pas en corps…
nécessaire d’avoir commis pour être puni. Le simple fait d’être apte à le commettre, suffit. La
présomption est inversée. Elle n’est plus d’innocence mais de culpabilité… à charge. Par
extrapolation, tout être naissant est coupable d’être capable… Est-ce à dire que tu pourrais
être condamnable en cela ? Qu’ils y viennent ! Or, l’écrou… et les douleurs… ne permettent
plus de payer sa dette à la société. Tu de-meurs coupable… comme tu le fus en naissant. La
condam-nation est un avoir ou une ablation puisque rendant incapable.
Ce débat est un faux. Il est stérile car tronqué par les militaristes. Le « marmot » a été
savamment choisi… de servir d’exemple. Il en est de pire. Ceux-ci étant plus terribles et
terrifiants, les maîtres se méfient des éventuelles représailles. En ce cas, il n’est plus question
de légitime défense par anticipation et la condamnation n’est pas coercitive… une
remontrance verbale. Leur raisonnement est un raccourci honteux… être contre la guerre, ce
n’est pas donner quitus à une dictature – quelle qu’elle soit – mais en contester le recours.
Prétendre qu’être contre ce conflit, ce serait indirectement soutenir le despote… est aussi
abject que dire être contre la peine de mort, c’est cautionner les assassins, les meurtriers. Se
focaliser sur un cas précis pour occulter la généralité… la philosophie… est malhonnête. Les
êtres pacifiques dénoncent tout exercice de la violence, globalement. Car intellectuellement, il
n’est pas possible de l’honnir, de la réprimer et de l’exercer pour la combattre. Ce n’est ni
cohérent, ni légitime. La solution est tierce. Faut-il se donner les moyens de la chercher.
Flageller un cancre est plus simple que de trouver les causes de ses échecs. A moins que nous
ne soyons pas sûrs de nos propres schémas…
Cela me renvoie aux principes éducatifs. N’en ayant point, je ne puis en avoir que des idées.
Elles me conduisent à appréhender que ta naissance ne saurait être condamnable et que je ne
veux point recourir à la violence sur toi. J’espère n’y être acculé et jouir du recul me
permettant de conserver la maîtrise de moi. Je sais la brutalité… la hais... comme toute
faiblesse. Je te brigue sage… pas chiante… écoutant ses parents… au moins un peu. Ainsi,
nous reconnaîtras-tu une légitimité naturelle, le bien-fondé de nos propos… nos remarques ou
remontrances. Nos rapports ne seront pas fondés sur la force. Et, si tu ne devais pas être cette
enfant, je m’appréhende ayant la patience et la modération pour t’en faire la démonstration.
Sinon, nous userons des punitions… sensées. Tu bénéficies d’une présomption d’innocence.
A ce titre, je te fais confiance… à condition que tu ne la trahisses pas. Ta mère et moi avons
ce souci permanent de ne pas nous laisser aller à l’affrontement, ni d’élever la voix. Nous
sommes posés et relativement tranquilles. Ce climat favorable devrait t’empreindre. Nous
devrions le constater sous peu… Je ressens les contractions. A moins que ce ne soit les effets
de l’antibiotique qui me ruinent le ventre.
Nous avons célébré les seize printemps de ton cousin maternel. Nous l’avons invité avec sa
sœur, à déjeuner. Nous avons modestement fêté l’événement… en bonne et due forme… dans
les règles de l’art… puis, nous nous sommes rendus au cinéma… de les arracher à leur cité.
Nous nous sommes scindés en deux groupes… l’un composé de mecs… l’autre de nénettes…
différence de goûts oblige. Il briguait de voir son idole sur grand écran. Elle aspirait à se
divertir. Je me suis dévoué pour accompagner le grand (l’artiste en question ne me rebutant
point). Ta mère (et toi implicitement) s’est dédiée à la plus jeune.
Quoi qu’il en fût, les films étaient aussi tartes. J’ai peut-être joui d’un peu plus de chance que
Nathalie. Pour se venger, elle s’est jetée sur un fameux « pot-de-corns » et un thé glacé. Je
commence à craindre tes goûts de cinéphile. Je sens que nous allons devoir nous avaler
d’autres tartes identiques – voire pis – que ta mère va se mettre à grossir… de compenser ses
frustrations. Pour ma part, je crois que ma plus grande trouille est de me farcir les dessins
animés américains… gnangnan à souhait… dégoulinant de guimauve… cucul la praline…
167
Journal d’un futur père.
sirupeux de moralité. Ils contiennent autant d’intelligence qu’une huître. Quant à la perle, tu
peux t’accrocher…
Les histoires étaient – comment dirais-je – de cette matière dont tu ne tarderas à nous couvrir.
Cela n’a guère d’importance… Il ne nous incombait nullement de sauver notre dimanche
mais, au contraire, de passer un bon moment entre nous. Ce fut le cas… avant et après… nous
nous sommes raconté nos nanars respectifs. Nous avons joué les prolongations avant de les
ramener à leur père. C’était son week-end… à son tour d’avoir ses enfants chez lui. J’espère
ne jamais te faire tutoyer une situation pendante. Puisse le destin nous épargner les affres du
divorce. Certaines familles sont à l’instar des salades… lorsqu’elles en ont, elles éclatent pour
mieux se recomposer. Quant aux intérêts des gosses… Ils ne sont jamais pris en
considération.
Pendant l’attente de la projection, j’ai discuté avec ton cousin, de sa vie. Elle n’est pas très
rose. Toute-foi, il a en lui[t] un éclat d’espoir… une philosophie lui permettant de ne pas se
prendre la tête… de faire son petit bonhomme de chemin vers sa propre lumière. Il a compris
qu’il fallait se contenter de peu… du peu que l’existence lui condescendait. De prime abord,
j’étais fort surpris qu’il ait l’envie de regarder un film narrant les jours mais surtout les nuits
d’un zonard. J’ai saisi l’exécutoire… embrasser de plus malheureux que lui, le contraint à
relativiser… Le gars finit par s’extraire de ses ténèbres, in fine.
J’ai compris que l’on pouvait être accompagné… en bande au cinoche… mais qu’en soit le
nombre, lorsque l’on est devant la toile, nous sommes seuls… seul à subir l’empathie. Sitôt
l’entâme du défilé d’images, nous jetons notre dévolu sur un personnage et, par procuration,
nous vivons son immanence. Elle devient alors nôtre. Nous finissons seul dans la panoplie de
ce héros, vivant ses aventures. Ce fut le cas de ton cousin… ce fut mon cas. Je ne suis pas
certain que nous nous soyons accaparés le même rôle. Or, l’effet s’est produit. Il n’était pas
là… je n’y étais plus non plus. J’étais ailleurs, en d’autres lieux, en d’autres temps. A
l’issue… à la fin de ce voyage presque astral, nous avons réintégré nos enveloppes charnelles
respectives. Nous nous sommes recouvrés. La véritable magie du septième art est celle-ci…
Tu vois, je croyais avoir perdu de mon temps. Avec le recul, je touche que ce ne fut pas le cas.
Il est un bienfait à retirer de chaque expérience bonne ou mauvaise. Encore faut-il prendre la
peine de la saisir et de l’extraire. Oui, ce fut un bon dimanche.
Quant à toi, il semble d’après les déclarations de ta mère que tu te sois interrogée à cause des
sonorités lourdes, des vibrations violentes extrinsèques que tu percevais. En fus-tu effrayée ou
au contraire ravie ? Je ne sais. En tous les cas, tu fus interloquée. Tu remuas pour manifester
ton humeur. Or, ta génitrice n’est pas assez intime – un comble ou un paradoxe – avec toi
pour l’analyser. Elle sait que tu fus dérangée dans ton sommeil. Je pense que tu tapais dans
son ventre à l’exemple d’un mur, t’essayant à faire cesser le vacarme exogène… à te faire
entendre de son auteur. Es-tu déjà emplie des réflexes instinctifs ? Les produis-tu ou les
reproduis-tu ? Tes gestes sont-ils innés ou le fruit de ta culture émergente ? Commences-tu à
en être imprégnée ? In utero veritas ?
Ce fut un jour sans… sans joie… sans bonheur… sans inspiration… sans réussite… C’est le
cas de temps en temps. Souviens-toi, j’avais précédemment abordé ce problème. Ainsi,
n’avons-nous pas pu nous rendre en la clinique au sein de laquelle tu devrais naître. La
personne effectuant les visites n’était pas là exceptionnellement. Nous n’avons donc pas
rencontré l’anesthésiste et nous ne pourrons pas davantage la semaine prochaine. Je suis de
faction en ma qualité d’intervenant. Je dois œuvrer dans un stage (sur le département cette
fois-ci) destiné aux nouveaux conseillers prud’hommes. Je n’avais de possibilité
qu’aujourd’hui. Ta mère n’a pas pu obtenir son congé de maternité. Je ne reviendrai pas sur
168
A toi que je ne connais pas en corps…
notre législation voulant qu’une femme salariée ou en recherche d’emploi, change de statut
six semaines avant la date présumée de l’accouchement et durant dix semaines après
l’heureux événement. S’agissant de Nathalie, ledit congé lui permettrait de proroger ses droits
au chômage… étant suspendus pendant sa durée. Or, la caisse devant la prendre en charge, a
omis de lui envoyer un courrier au moment opportun, contrairement à ce qu’elle lui avait
déclaré. Sur son site Internet, elle avait mis en ligne l’intitulé des documents nécessaires à la
bascule. La réalité est différente. Du coup, ta génitrice ne dispose pas des éléments ad hoc.
Etant donné qu’en sus, elle est brouillée avec son ancien employeur – l’ayant assigné devant
le conseil de prud’hommes aux fins de lui réclamer des salaires non perçus – ce dernier se fait
tirer l’oreille pour les lui fournir. Il use d’arguments fallacieux et prétexte ne pas pouvoir. Il
est certes possible d’obvier l’obstacle en reprenant l’attestation remise à la rupture de son
contrat de travail. Elle est archivée. Cela devrait prendre à la caisse, trois bonnes semaines
avant de remettre la main dessus. Leur système informatique efface les données, passé un
certain délai. Le seul point positif est l’effet rétroactif. Cependant, avant qu’il se produise…
Elle a également reçu un avis de rejet de prélèvement bancaire. Son organisme de crédit lui a
envoyé un courrier pour l’informer de ce que son compte ne serait pas suffisamment
provisionné. Afin d’éviter ce genre de désagrément, lassés d’avoir à nous déplacer et nous
quereller, nous avions pourtant pris toutes les dispositions utiles. Sa banque – à l’instar de
toute autre – fonctionnant dans une logique de profit, se complaît à l’emmerder. (Il n’est pas
plus con qu’un banquier… si ce n’est deux.). Ta mère ne jouit guère du profil de la cliente
parfaite… devant être pétée de thunes… ou vivant au-dessus de ses moyens. N’en ayant pas
beaucoup, elle ne l’intéresse pas. Aussi, semble-t-elle prendre un malin… malsain plaisir à la
contraindre à partir. La clôture dudit compte étant payante de surcroît, elle lui gratterait au
passage un petit quelque chose en guise de frais. (Il n’est plus con… ni plus vil). Nous faisons
donc de la résistance, une résistance usante. Et, les ennuis minimes mis bout à bout finissent
par se muer en grand souci. Me consternant… concernant… je suis fatigué que rien n’aille. Je
m’évertue à formuler des demandes administratives de ceci ou de cela, à untel ou unetelle, en
vain. Nul ne daigne me répondre ou s’exécuter. Et, ce qui devrait prendre quelques heures,
prend des semaines. Est-ce dû justement au changement d’heure intervenu ce week-end ?
Faut-il y voir un lien ? Depuis le début de la semaine, je me sens oppressé par un mauvais
pressentiment. Je tends le dos sans appréhender la cause de ma crainte. Lorsque je suis empli
d’un tel signe, ce n’est jamais de bon augure. Enervé plus que de coutume ou de rigueur, je
suis chargé d’électricité statique engendrant des pannes bénignes sur ma voiture. Je provoque
des sortes de courts-circuits inhibant la jauge à essence, déréglant mes rétroviseurs ou
rompant des fusibles. J’occasionne des défauts informatiques… plantant mon ordinateur
portable… ainsi que mon fixe. Je brouille mes téléphones. Je ne peux embrasser personne ou
toucher un meuble métallique sans prendre une châtaigne. J’essaie de prendre la chose avec
humour. Ce n’est pas aisé… Il n’est vraiment rien à retirer de cette journée.
Le jour du poisson étant achevé et son lot de farces de concert, je vais recouvrer une once de
sapience. Comme tu le sais, je prône un collectivisme rationnel, fondé sur la raison du plus
faible. Il ne s’agit point de lui conférer les pleins pouvoirs parce qu’il est faible… d’inverser
idiotement la situation actuelle le niant (la condition ne suffisant pas à créer un statut
omnipotent) mais, d’enfanter une démocratie prenant en considération sa réalité. Pour
parvenir à cette maturité, il me semble qu’il conviendrait de passer par une étape
intermédiaire appelée : le partagisme. Cette doctrine se fonderait sur la logique du partage
dont je t’ai parlé à maintes reprises (à ne pas confondre avec l’échange et donc l’échangisme).
Car, ce dernier repose sur une possession… contre une autre… et introduit… la notion de
169
Journal d’un futur père.
valeur. L’échange ne peut se faire que si les objets sont de valeurs similaires ou presque. Le
partage – lui – n’a point de contrepartie. Il est gratuit.
Ainsi, ai-je le souci ou plutôt la volonté d’aborder… de radoter cette idée… l’ayant mûrie, je
pense que tu devrais davantage l’appréhender. Je crains d’avoir été un peu brouillon ou
d’avoir usé de raccourcis, t’empêchant d’appréhender en tout son altruisme, cette philosophie.
Je crois qu’elle mérite que nous nous y attardions… d’en frôler la portée. Partant du postulat
que nul n’aurait de possession, que tout serait à la jouissance de chacun, nous ne serions pas
asservis à des besoins matériels propres. Nous ne serions plus les esclaves du productivisme
et du profit inhérent. Il deviendrait vain de se contraindre à consommer voire surconsommer
pour maintenir l’emploi… ou de se priver pour survivre. Ayant une offre et une demande
équilibrées, la valeur devrait s’évanouir… son support fiduciaire de concert… l’économie in
fine. Le rôle de l’état serait alors de veiller notamment au maintien de cet équilibre… que nul
n’ait de manque… ni des aspirations boulimiques. Mes bras, mon savoir sont communs… aux
services de tous… sans rien en attendre en retour… hormis de pouvoir être. Je suis
désintéressé de la profusion, du gain, de la richesse parce qu’il ne m’importe pas d’amasser à
l’exclusive mais au contraire de répandre au collectif. Je suis non par ce… parce que j’ai…
mais par ce que je permets. L’existence d’autrui m’importe autant que la mienne… ni plus…
ni moins.
Ce n’est pas aisé à mettre en place. En tant qu’auteur, j’en saisis toute la complexité.
J’adorerais que mes œuvres puissent être à la disposition de tous. Je briguerais de les partager
d’ores. Or, ça sous-entend que je fasse le premier pas… ce bond dans le vide… le sacrifice de
mon existence artistique. Pour ce faire, il me faut vivre – à défaut de ma plume – à travers une
fonction rémunératrice aliénante… jusqu’à ce qu’il en soit de même pour tous… c’est-à-dire
que nos violons d’ingre, nos loisirs, notre temps libre ne le soient plus… car mis à la
jouissance de la collectivité. Ayant amassé les ressources socialisées, suffisantes à l’entame
du changement, nous pourrons effectuer la bascule naturelle. Je ne suis pas dupe. Ce ne sera
pas demain la veille. Aussi, suis-je divisé entre cette immolation… essentielle… princeps… et
le renoncement de l’idée, craignant qu’elle ne soit une vanité. Je désirerais accomplir ce geste
purement bénévole. Je redoute de vous entraîner, ta mère et toi, dans ma folie. Et si je ne
parvenais plus à vous nourrir… ne serait-ce de ma présence car absorbé par l’enfantement…
l’entêtement de ma tâche ? Cette abnégation est mienne. Je ne me sens pas le droit de vous
l’imposer. Quid en cas d’échec ? Rien n’est sûr. Par-dessus tout, je ne veux vous perdre. Cette
ambition est supérieure à tout autre… N’est-ce pas un comble d’être partagé… à cause du
partage ? Je m’exécuterai si, et seulement si, vous m’agréez… vous n’attendez rien de moi.
Ta mère est consentante à ce qu’elle me dit. Il ne reste que ton approbation.
Le temps est à la fête quoiqu’il ne soit plus au beau. Une manifestation m’attend tout à
l’heure. Ce sera probablement la dernière en ma qualité de militant actif. Aussi, vais-je m’y
rendre avec une certaine nostalgie, prendre des souvenirs plein les yeux… plein la tête. Je
veux pouvoir me la remémorer les jours de cafards, lorsque je me maudirai d’avoir fait le
choix… pris le parti de la retraite. Le mot est à propos puisque nous irons gueuler contre les
initiatives malheureuses en cette matière, de notre gouvernement bourgeois et pro-patronal. Je
pense à ma page quotidienne. Elle sera scindée… une partie avant… la seconde après notre
action. Pour l’heure, je m’y prépare avec amour… entre les bras de ta mère… avant de gerber
ma vindicte. Ce n’était guère acquis… ta génitrice ayant fait, pour la énième fois, son rêve
favori ou plutôt récurant. Elle a de nouveau imaginé que je la quittais, succombant à un coup
de foudre. Puis, que je m’en revenais me faire pardonner, tenter vainement de la reconquérir.
Je crois qu’elle a été inconsciemment traumatisée par des émissions de télévision, au cours
170
A toi que je ne connais pas en corps…
desquelles ces sujets étaient exposés. Ils ont ravivé ses angoisses… les ont mêlées. Elle
persiste en son refus de poser ses bagages… les défaire… ranger ses « affaires » à côté de
miennes. Elle se refuse toujours à se poser… se reposer sur moi. Je crois que, sentant ta venue
proche, elle s’essaye suivant des motifs fallacieux, à nier son bonheur, de peur qu’il ne se
sauve.
Nous avons entamé la matinée sur les chapeaux de roue… par cette sempiternelle et lassante
discussion de la trahison, du mensonge, de la séparation… des canons de la beauté. Aspirant à
être confortée en ses croyances, Nathalie s’est évertuée à détourner mes mots de leur
acception princeps… avec malice… pour les affubler d’un sens radicalement différent. Elle
les a interprétés, leur faisant dire ce qu’ils n’entendaient pas. Comme à l’accoutumée, toute
conversation devint impossible. Elle finit par se blottir dans son armure… se cloîtrer dans ses
théories… à verser sa larme de clôture… de circonstance. Aguerri à la procédure, je me suis
levé… très en retard… l’ai abandonnée à ses malheurs de façade. Lorsque je suis revenu à
midi, l’humeur avait changé… après la pluie, le beau temps. J’ai refermé mon pépin jouant le
jeu de l’amnésie. Je n’ai pas abordé l’incident, craignant le retour des précipitations. Je veux
demeurer festif et jouir de l’accalmie. Rien ne saurait me gâcher ce plaisir, pas même le
déluge. La joie de retrouver mes camarades étant plus forte, elle a fini par empreindre la
brune. Elle a délaissé sa carapace pour venir se blottir contre moi. Puis, elle m’a caressé,
embrassé… embarrassée. A l’instar de deux tourtereaux, nous avons roucoulé, gloussé l’un
dans l’autre. L’humeur perlant ailleurs, le « petit escargot » est sorti de sa réserve. Aguiché
(fermé), il s’est redressé. A fleur de peau, tout de chair promise, au puits en-péché, il est venu
s’abreuver…
Voici trois jours qu’avril est entamé… autant de giboulées de grêle et de froidure. Le soleil
fait une brève apparition, s’amusant à saute-mouton avec les nues. Nous avons cru un instant
pouvoir échapper à l’averse. Bien que le Phébus fut au rendez-vous, il nous abandonna
bientôt. Je fus heureux de m’être changé… d’avoir délaissé veste et chemise pour un pullover et un blouson. J’ai retrouvé ta grand-mère paternelle dans notre défilé. Lui ayant annoncé
un mauvais lieu de départ, je craignais qu’elle ne parvienne pas à nous joindre. Grâce aux
progrès de la technologie, nous avons pu nous entendre par mobiles et corriger le tir. Nous
avons marché côte à côte pour une fois, unis par une aspiration pendante. Nous avons pris les
fumigènes des cheminots dans les narines et les mirettes, toussé en chœur, partagé un petit
coin de parapluie, conversé avec quelques copains. En famille – soudés par les liens du sang
ou syndicaux – nous avons avancé aux pas des slogans anti-gouvernementaux… aux sons de
nos revendications. Nous étions cinq cents… et par un prompt renfort, nous fûmes trois mille
en arrivant au port… ou plutôt à la gare. Ce fut – à défaut d’une belle journée – un joli
rassemblement… le dernier peut-être me concernant mais pas le moindre. Ainsi, ai-je empli
mes châsses… de fumerolles et de pensées. Il n’est qu’un événement susceptible de le
supplanter… de manifester à tes côtés, ta petite main en la mienne…
Je t’écris avant que nous nous rendions chez la sage-femme, pour la préparation finale. Au
nombre de huit, nous arrivons à échéance avant l’ultime… ta naissance. Je ne sais quel sera le
sujet du jour, probablement un résumé de ceux que nous avons abordés les fois précédentes…
faire un point définitif. Je ne te cacherai pas que je suis excité. Tu entres dans l’ère où tout
devient possible… où chaque jour passant, peut être celui de ta mise au monde. Nous sommes
proches du neuvième mois (plus qu’une semaine pour être précis.). Mon agenda est encore
chargé. Dès vendredi prochain, il va s’alléger. Je n’aurai d’obligation que de me rendre au
sein de mon entreprise, en attendant l’heureux événement. Les périples, déplacements et
autres odyssées vont s’achever. Je vais tuer le temps, à défaut de mes responsables.
171
Journal d’un futur père.
J’ai levé le pied. Or, mon impression de transparence se confirme de plus en plus… ne
tannant… ni n’invectivant quiconque… nul ne me craint plus. Aussi, m’évertué-je…
m’épuisé-je à contacter les ceux dont je nécessite qu’ils me produisent un document essentiel.
Ils ne me répondent pas… ne prennent pas cette peine. N’est-il pas malheureux d’avoir
constamment à se battre… menacer pour obtenir une chose ? En sera-t-il de même avec toi ?
Ou auras-tu l’intelligence… à l’instar de ton père… pour reconnaître la justesse de ses propos
et, lui condescendre – en bonne fille – de l’écouter sans le fâcher ? C’est le cas des félines.
Elles m’obéissent davantage lorsque j’use plus de douceur à leur égard, que de brutalité.
Puisses-tu les prendre pour modèle, notamment en matière de sommeil. D’aucuns me disent
de profiter de mes nuits… tu serais susceptible de les interrompre… les gâcher de tes cris
stridulants. Je ne te sais pas à ce point pernicieuse pour te compromettre en ce genre de
vilenie.
Pour l’heure la maison est silencieuse. Toutes les femelles dorment… ta mère et toi
comprises. Même le piaf (dont c’est la fête aujourd’hui) en écrase. Je suppose que tu es
empreinte du calme de ta génitrice. Je te subodore, allongée en ses flancs, tête-bêche, en
position fœtale, étendue indirectement sur notre lit. Commencerais-tu à goûter aux plaisirs de
notre matelas ? Brigueras-tu de t’y abandonner plus tard… de recouvrer cette sensation
rassurante ? Est-ce la raison pour laquelle, les gamins angoissés ou malades, viennent s’aliter
dans la couche de leurs parents ? Sont-ils poussés par une réminiscence, un bienêtre inconscient ? Je jouis du mien pour l’instant, installé devant mon écran, pour méditer…
m’éditer… accoucher mes idées. Je tutoie ma mission humaniste… ma qualité de détonateur
et saisis qu’il m’incombe de provoquer les ruptures nécessaires dans l’existence de ceux qui
n’osent… ou n’en ont pas la force. Comment mon destin pourrait-il mieux s’accomplir qu’en
rompant ou plutôt changeant le sort de la pléthore ? Ainsi, m’appartient-il (à un cheveu…
celui qu’il me reste ?) de mettre mes pensées à disposition de la masse… non d’en tirer
profit… d’être accessible à tous sans pour autant me renoncer. Je recherche ce moyen. Je ne
l’ai pas trouvé mais, je m’y attèle. Je finirai…
La demeure reprend vie… lentement… laborieusement. Isidore entame le chant d’un coq
éveillé. Les chattes s’étirent… se toilettent. Ta mère émerge de sa torpeur. Je vais arrêter cette
méditation pour reprendre le cours… me préparer au rendez-vous… au rends-toi. Accessible
devenue, n’ayant bientôt plus de secret pour moi, je suis débarrassé de mes angoisses. Je
t’espère au lieu de te craindre. Je n’ai plus les mains en l’air mais croisées d’impatience. Es-tu
prête pour le grand saut ? Tu peux te jeter dans le vide, mes bras sont solides et prêts à te
rattraper. Sais-tu depuis combien de jours tu m’obnubiles… accapares mon esprit… mon
cœur dans ta re-foulée ? J’ai enfin grandi. La carte est achevée, prête à l’emploi. Il ne manque
que tes trésors et je pourrais la refermer… pour en dessiner une nouvelle… ou un roman, je ne
sais.
J’avais vu juste. Nous avons remis à jour nos connaissances, fait le panégyrique du
nourrisson. Ta mère a exposé son problème de pilule incompatible avec l’allaitement. Il serait
recommandé aux mamans donnant le sein, de prendre une contraception micro dosée. Il est un
risque de transmission au bébé… d’engendrer des problèmes de développement hormonal.
Or, Nathalie ne supporte pas ce type de contraceptif. De fait, à la prochaine consultation avec
l’obstétricien, nous lui poserons la question. Dans le cas où il n’y aurait pas de solution, ta
mère renoncera à te nourrir avec son propre lait… n’aspirant pas à demeurer sans aucune
protection… tenter le diable… être sitôt enceinte de retour de couche. Elle ne sait si elle le
désirera de nouveau… Elle aspire à recouvrer une sexualité épanouie, seul repère selon elle
dans son existence muante. La sage-femme s’essaya à dédramatiser, lui expliquant, qu’il
172
A toi que je ne connais pas en corps…
devait être un moyen adapté. Concernant le déduit, il ne consiste pas uniquement en une
pénétration. Il est une kyrielle de jeux érotiques aptes à pallier le phénomène de manque. S’il
devait y avoir abstinence, elle serait de trois petits mois. La femme sage trouvait dommage de
ne pas t’allaiter à cause d’un problème aussi bénin… pour une période aussi bénigne. L’effort
était futile comparé à toute une vie et l’importance de ce mode de sustentation. Nathalie n’en
démordait pas. Afin de détendre l’atmosphère, je répliquais que si nous eussions été contraints
de ne plus commercer pendant vingt ans, j’eusse eu les amygdales noyées. Interloquée, la
praticienne détourna son regard pour m’aviser… aviser si j’étais sérieux ou non. Voyant que
je souriais, elle me demanda s’il était possible que mon scrotum puisse déborder à ce point. A
partir de cet instant, nos rapports devinrent plus détendus.
Nous nous amusâmes en petits fous… plaisantâmes à tout bout. Etions-nous effectivement
détendus, sereins… ou était-ce un moyen de désacraliser le futur évènement ? Probablement
les deux. Ainsi, dès que l’opportunité se présenta, nous blaguâmes… n’en ratant aucune. Vint
l’heure de prendre congé. Avant de quitter la sage-femme, une interrogation me brûlait les
lèvres. Je me consumais de lui demander si elle n’avait pas oublié un gâteau dans le four, à
l’étage inférieur… s’il n’était une sorte de far en train de carboniser. Avant que je n’eusse
l’audace, elle nous regarda et, tout sourire, elle nous lâcha qu’une de ses voisines devait
cuisiner voire pâtisser, médiocrement. Elle sentait une forte odeur de caramel emplir son
appartement. Je lui répliquai qu’il s’agissait plutôt d’une odeur de pruneaux. Le mot à peine
libéré, je vis son visage se figer. Elle se leva d’un bond, se mit à courir, descendit les marches
de son duplex quatre à quatre. Nous entendîmes un ferraillement, une coulée d’eau. Nous
nous regardâmes Nathalie et moi. Nous partîmes dans un fou rire. Elle revint. Nous
redevînmes pondérés. Elle nous révéla avoir oublié sur le feu, des pruneaux justement. Elle
me remercia d’avoir le nez si fin. Nous partîmes dans les relents des fruits calcinés
envahissant tout l’immeuble. Ils semblaient nous poursuivre. Nous sortîmes hilares,
regagnâmes nos pénates où une autre odeur nous attendait… celle de la caisse des chattes.
Ce jour, nous sommes allés acheter un matelas pour toi. Nous avons flâné et craqué sur
quelques accessoires, notamment un mobile rigolo. Espérant qu’il te plaira, nous n’avons pas
résisté de l’installer dès le retour… ainsi que tout ton couchage. Ton lit est prêt à te recevoir.
Je fus assailli d’étranges sensations à le faire. Un frisson m’a parcouru des pieds à la tête. J’ai
mis en marche la mécanique infantile. Je me suis tourné vers ta mère pour lui déclarer : « Un
seul être vous manque… et tout est dépeuplé. ». Interdite, elle m’a demandé le pourquoi de
ma réflexion. Je lui ai répondu que je n’étais nullement habité par une idée morbide mais, au
contraire, un sentiment incoercible de vie. Ce vide me dérangeait. Il me tardait plus que
jamais que tu vinsses le combler. Je délaissai ta mère en sa sieste et vins te retrouver par mon
ordinateur… le besoin de te toucher – donc de t’écrire – me poussa… m’assit… plus que les
jours précédents. Je vais te laisser, ayant purgé mon désir. Au fait, j’ai poursuivi ma réflexion
quant au partagisme. J’ai découvert des individus partageant ma philosophie. J’ai acquis le
principe de ne point pouvoir vivre de ma plume… préférant mettre mes œuvres à la
disposition de tous. Je planche sur le sujet et crois avoir résolu le problème… du moins
partiellement. Je t’en parlerai plus tard, n’ayant pas l’aspiration de m’y évertuer maintenant.
Demain peut-être…
Le couillu est devenu mégalomane. A présent son discours inique n’a plus pour raison que de
sauver le monde. Or, ce dernier ne lui a rien demandé. Et, concernant le sauvetage, il s’agit
davantage de sauver la face et sa tête. Il ne sait plus qu’inventer pour redevenir crédible…
légitimer son [ex]action. Est-il démocratique de vouloir faire le bonheur d’autrui, tel que nous
le rêvons, donc d’imposer nos schémas de liesse ? Fort de l’expérience de cet imbécile et
173
Journal d’un futur père.
n’aspirant point à lui ressembler, j’ai changé d’avis (de circonstance…) et ouï les voix de ma
conscience. J’ai saisi qu’il ne m’appartenait – non plus – de vouloir métamorphoser la société
à mon image… aussi brillantes soient mes idées… si elle n’y aspire pas. C’est une vanité
(utilisée ici en syllepse… dans toutes ses acceptions et ses sens… propre comme figuré).
Ainsi, ma vocation en cette matière est-elle morte. Je veux laisser à la vie de faire ses propres
choix. Je ne te dirai plus que notre collectivité devrait se fonder sur tel principe ou telle
philosophie. Je te déclarerai simplement comment je l’eusse espérée. J’étalerai mes opinions
sur rue… et laisserai chacun… – soyons prétentieux – la masse s’en saisir ou non.
Partant de cette thèse, il ne m’incombe pas de réfléchir à l’art, ni à la manière de l’épandre. Il
m’échet de laisser l’existence… par conséquent le fatum, s’accomplir. Je ne dois avoir pour
unique souci que de mettre à jour ma pensée, sans aucune contrainte matérielle ou spirituelle.
Ce que mes œuvres deviendront, ne doit pas m’étreindre au risque de m’éteindre. Il me
revient de te mettre au monde… point de vivre en lieu et place tes expériences… ou à travers
toi. Ta vie t’appartient. Il doit en être de même pour mes ouvrages. Je dois seulement veiller
sur vous, faire attention à ce que nul ne vous dépouille ou ne tente de vous corrompre. Je dois
m’essayer à proroger vos jours. Telle est ma mission personnelle, créative. Je ne te dévoilerai
pas que j’avais pris la résolution de chercher un mécène… une personnalité susceptible de
m’épauler pour trouver des fonds… des influences nécessaires. Je ne t’écrirai plus que
j’ébauchais de créer une fondation, sorte de relais entre les œuvres dédiées et les maisons
d’édition… un établissement d’intérêt général… apte à éditer et alimenter gracieusement
toutes les bibliothèques de France et de Navarre. Je ne t’expliquerai plus que les artistes
devraient être des salariés de l’état… le fruit de leurs méninges, la propriété de la société.
Nous le ferons tous ensemble… ou pas. Qu’il en soi[t]… Ce qui doit se faire, se fera… pour
plagier La Palisse.
Avec ta mère, nous sommes allés dans notre restaurant favori… avant de ne plus pouvoir du
fait de ta présence. Je ne te dis pas que tu seras une gêne. Cependant, la trattoria – ni la
restauration en générale – n’est adaptée pour recevoir un nouveau-né. C’est un paradoxe
puisque tu es l’avenir… la future clientèle. Mais du long terme au pays de la consommation
jetable donc éphémère, nul n’en a cure. Aussi, n’y a-t-il de place pour les poussettes, de table
à langer dans les toilettes, de biberon ou de moyen de le réchauffer, ni de chaise bébé ou de lit
pour te recevoir en cas de lassitude ou de fatigue. La loi n’est pas respectée. Les clients y
fument comme des pompiers, en toute impunité, sans se soucier d’autrui, ni de la pollution
carcinogène qu’ils engendrent. N’aspirant pas à ce que tes poumons tout neufs soient déjà
consumés par la fumée mortifère, je préfère m’abstenir… t’abs-tenir à l’écart. Quand tu seras
en âge de décider, tu officieras suivant tes desiderata. Tu ne pourras rien me reprocher. J’ai
saisi la notion suivant laquelle tu as droit à une bonne santé et de respirer un air non vicié.
Pour l’heure, je suis ce garant.
Je te dévoilais donc avant que je ne tergiverse, que nous nous sommes rendus dans cette
pizzeria sublime, sortant en amoureux avant le grand bouleversement. Nous avons dîné
comme des princes… sans rire. C’est sûrement la cause pour laquelle notre repas nous a coûté
les yeux de la tête (noblesse oblige !). Le prix – quoique exorbitant – ne saurait ôter notre
plaisir d’avoir été en tête-à-tête… tel ne devant plus être le cas pendant une longue période…
et de nous être régalés. En ce qui me concerne, je n’avais dégusté un carpaccio de saumon
aussi sublime, ni de lasagnes autant divines. Quant au dessert, à son évocation, j’en salive
derechef. Quant à ta mère, plus difficile ou fragile, elle est restée sur sa faim. Une fois dans la
voiture, je fus la proie de flatulences incongrues et malodorantes (mon gaster trop empli
cherchait-il un second souffle ?). Malgré l’effort, ta génitrice fit la fine bouche et ouvrit sa
fenêtre… Prétextant avoir le cœur soulevé, elle provoqua leur fuite. Elle se fit prier pour les
humer. Pourtant, je puis te jurer les avoir mûrement faisandées, connaissant ses goûts. Elle eût
174
A toi que je ne connais pas en corps…
pu faire semblant d’être comblée… voire un ahan pendant. Je suis déçu. La diplomatie
conjugale se perd, crois-moi… [Pour la petite histoire, tu as eu la pudeur de ne pas me
demander : « Comment ça va ? », sachant probablement que cette question a pour origine la
couleur et la consistance des selles. Aussi, la question était-elle : « Comment ça va… à la
selle ? ». En fonction de l’examen, les médecins en tiraient l’état de santé du souverain ou du
seigneur. Connaissant la réponse : « Ça gaze ! »… puis : « Mollement… », tu t’es résignée.
C’est très bien, ma fille. Tu as d’ores de l’éducation… pas comme ta mère !].
Cette journée est dédiée à la paperasse. Depuis ce matin, je me noie dans toutes sortes de
documents nécessaires à la constitution de dossiers de demandes de logement. Notre pays
étant très administratif, il convient de fournir une pléthore de papiers, de veiller à ce qu’il n’en
manque pas un… au risque d’être refusé… ou mis au ban. Je ne comprends pas qu’il ne soit
pas un service centralisant ces informations publiques que l’administration consulterait ou
délivrerait au besoin. Nous gagnerions du temps ainsi que de l’argent… les photocopies
gâchant des forêts… et usant de produits dangereux. Les renseignements seraient disponibles
instantanément. S’agissant de centralisation informatique, il faut être prudent… la tentation…
les dérives étant légions. Il est une loi les réglementant. Il n’est qu’à en faire application. Ce
n’est guère de l’ingérence dans la vie privée puisque ces données sont notoires… que nous le
voulions ou non, lesdites civilités existent déjà. Plusieurs institutions possédant ces
indications (à notre insu). Croire le contraire, est d’une naïveté nompaire… ou de
l’hypocrisie. Les fournir étant une obligation par surcroît… si tant est qu’elles fussent un
secret, ce fut un secret de polichinelle. Cessons d’agir en ingénus et gagnons en efficacité...
Cette journée perdue eût pu être mise à la disposition de ta mère… ou d’aucuns requérant mes
lumières.
A propos de ta mère, elle est exténuée. Je l’ai retrouvée lasse, parlant à peine… dans les bras
de Morphée ou les fragrances de Sopor. Elle végète entre notre lit et la banquette. A un point
tel, que les minettes se sentent délaissées. Elles m’ont fait la fête à mon entrée… pour le
déjeuner. Il semble que ma belle n’ait pas bien dormi cette nuit. Son repos ne fut point
réparateur. Son sommeil ne fut pas du juste. Aurait-elle quelque chose à se reprocher ? Est-ce
la résultante de ses écarts… restaurant samedi soir… pomme d’amour et guimauves
dominicales ? Est-elle en proie au poids de sa mauvaise conscience… ou a-t-elle pris des kilos
superflus ? Ainsi, est-elle raisonnable trois semaines durant. Puis elle craque à la quatrième,
anéantissant ses efforts. Or, elle sait pertinemment qu’au-delà d’une décade, elle éprouvera
grand mal à recouvrer sa taille initiale… qui est largement dépassée. Sa volonté fond comme
neige au soleil. Bien que ce dernier daigne nous combler, la température est redevenue froide.
Par conséquent, elle ne devrait pas se liquéfier. A moins qu’elle n’ait fini par se résigner.
Aussi, baisse-t-elle les bras. Ne pouvant plus se mouvoir à sa guise, peu ou prou, elle n’en sait
plus la différence… ne veut plus la faire. Je la sais souffrir de la situation, redoutant de ne
point parvenir à se libérer de toutes les contraintes inhérentes à la conception… quoique la
parturition accomplie. Elle appréhende l’après… qu’il ne soit pas un retour aux sources.
Comment pourrait-il l’être ?
La fête foraine vient d’ouvrir. Elle a étendu ses chapiteaux, drapeaux et autres calicots. Elle
demeurera en notre ville, tout le mois. Il est trois lustres que je ne m’y suis rendu… n’ai
arpenté ses allées étroites… que je ne suis allé embrasser ses lanternes, ses lampions… ses
vessies. Il est des années que ses manèges ont cessé de me saouler. Les plaisirs qu’elle
dispense sont extrêmement chers… guère à la portée de toutes les bourses. Je ne saisis pas
que notre bon ministre de l’intérieur ne l’ait pas arrêtée pour racolage passif. Ne sommesnous pas dans un état de police ? Que fait-elle ? Décidément, l’ordre se perd. La garce
175
Journal d’un futur père.
continue impunément à faire les poches des badauds. A corps et à cris, elle aguiche le
chaland, lui promet « monde » et merveilles, comme te dirait ta mère. Elle lui propose le
septième ciel, une partie de jambes en l’air… un estomac à l’envers. Je me suis fait prendre à
maintes reprises. Ses couleurs chatoyantes ne me feront plus tourner la tête… peut-être la
tienne, plus tard. Tandis qu’elle continue son remue-ménage, je m’isole et m’interroge.
Naîtras-tu avant qu’elle ne s’en aille ? Ou son cirque achevé ? Seras-tu attirée par son tapage,
sa poudre aux cieux ? Ou la tranquillité retrouvée ?
Il ne faudrait pas que cela devienne une habitude. Quelle lubie pousse les stagiaires à
applaudir l’intervenant, à l’issue du cours ? Ceux de ce jour, m’ont refait le coup du mois
dernier. Ils ont ponctué mes propos par des vivats. N’étant toujours pas aguerri à ce genre de
démonstration, j’ai senti une gêne m’emplir une nouvelle fois. Certes, leur manifestation était
spontanée… et plutôt sympathique. Leur joie fit la mienne, ayant réussi à leur transmettre
mon savoir… et il semble qu’ils aient pris plaisir à l’exercice. J’ai donc été pédagogue. Ma
mission est accomplie… en cela. Il ne faudrait pas que j’y prenne goût… ou que l’absence
d’acclamation me heurte.
Pourtant, la journée s’était mal engagée. Les minettes aspiraient à se dégourdir les pattes, de
bonne heure. Aussi, ont-elles joué… et des claquettes toutes griffes dehors. Tant et si bien que
la voisine d’au-dessous vociféra comme une furie, nous mandant de faire cesser ce boucan.
Pensant que le silence est le plus grand des mépris, nous ne répliquions pas. Or, ce matin,
pour une raison inconnue, ta mère brigua de lui clouer le bec et lui répondit sur le même ton.
Je t’épargne l’échange d’amabilités. Les portes claquèrent et l’immeuble fut réveillé. Quoique
ayant dormi à ton instar, c’est-à-dire comme un bébé, mon intuition devenait soudain moins
favorable.
A l’entame du cours, elle fut égratignée un peu plus. Le premier thème fut plié en quinze
minutes. Là, où les nouveaux élus d’Epinal avaient engagé le débat et souhaité intervenir, un
inquiétant mutisme vida la pièce et de concert, mon exposé de sa substance. J’eus beau tenter
à maintes reprises de lancer la mécanique, rien n’y fit. Je dus enchaîner le deuxième titre sitôt.
Ma leçon n’en comportant que quatre, je me dis que je rentrerais promptement en mes pénates
et serais lynché… ou voué aux gémonies de ne pas avoir su leur apporter suffisamment de
matière. Je tentai de ralentir mon débit. Le temps m’imita. Il assécha son cours, le réduisant à
sa plus simple expression.
Etrangement, je recouvrai confiance lors des applications. Elles me rassérénèrent étant plus
laborieuses… ou plus soigneuses. Cet auditoire composé de quelques anciens et de conseillers
siégeant davantage, ils avaient à cœur de démontrer leurs capacités à juger. Ainsi,
s’intéressèrent-ils plutôt à la pratique… les Vosgiens, à la théorie. Le décalage fut d’abord
déconcertant puis, ayant saisi la logique, je m’adaptai à leur demande implicite. Me devant
changer l’ordre du programme du fait de mes nombreuses sollicitations, j’intervins un jour
plus tôt. La cohésion inexistante du groupe finit par se faire. Ce n’était point le cas au pays
des imageries… Je ressentis l’angoisse du comique, seul sur scène, ne comprenant point les
réactions de son public inattendues… avant de parvenir à s’en amuser… à m’en servir.
Lorsque la mayonnaise prit, la curée se mua en ripailles. Ce fut un régal tant pour eux, que
pour moi. L’art d’accommoder les restes devenait une profession de foi… les hésitations, un
bonheur. Ce qui devait être un piètre repas, se métamorphosa en Cène. La communion fut.
Pas à pas, je ralliai les convives, les emmenai à mes théories… en mes croyances. Ils finirent
par boire mes paroles. Je n’avais connu une telle excitation… une telle jouissance
scéniquement parlant. Les mauvais augures se turent… Le moment de nous quitter venu, ils
me congratulèrent, jusqu’au directeur du stage, enthousiaste de ma prestation. J’en conclus
176
A toi que je ne connais pas en corps…
que je m’en tirais fort bien, malgré un mauvais départ. Je retournai en mes foyers, non pas la
queue entre les jambes mais raide comme la justice.
Il n’en sera guère de même demain, devant me rendre dans un autre Pas… celui de Calais et
de ses fameux bourgeois… ratifier éventuellement un protocole préélectoral. La cause ne
m’est pas acquise… ou bien trop, ce qui serait louche. Je dois me lever aux aurore, faire
l’aller-retour dans la journée. J’irai ensuite en la Capitale, négocier d’éventuelles
augmentations salariales (salaires et salariés). Autant te dire que je ne suis ni rentré, ni prêt à
jouir de vous deux. L’unique motivation me poussant, est la perspective de la fin proche.
Dans quelques jours, j’aurai achevé mes obligations représentatives. En beauté ? Il me siérait
effectivement de conclure au pendant de cette journée…
Le temps des aboutissements est là… et bien las, je suis derechef. Je m’en reviens en la
capitale. Je n’ai pas été d’une grande aide… déjà ailleurs par la pensée. Le huitième mois se
termine. Demain, ta mère et toi, vous entamerez le dernier. Ainsi, s’achèvent l’attente
interminable, la série des déplacements à tout va, les réunions exténuantes, la gestation. Une
nouvelle ère se profile à l’horizon. Las, la victoire des impérialistes est une défaite pour la
paix. Les civils sacrifiés le sont pour une triste cause. Les robinets de l’or noir vont largement
s’ouvrir et pisser leur cruor obscur. Les envahisseurs – obscures libérateurs – ne sont pas prêts
de se retirer. Le peuple opprimé devra vivre sous leur tutelle… leur joug… durant des lustres.
Un régime totalitaire chasse une dictature… la peste, le choléra. Ils n’amènent nullement
l’émancipation dans leurs bagages mais une nouvelle forme de servitude (économique). La
facture sera salée… le prix du « service »… des sévices est exorbitant.
Face à tant de violence, la raison du plus fort est souvent la laideur. Les beautés de l’antique
Mésopotamie sont en ruine. Dans les cendres chaudes, deux nouvelles tours jumelles vont
s’ériger, sorte de doigtés au droit international. Les statues déboulonnées de la propagande
entament leur changement de statut. Quelle est cette propension consistant à résoudre les
conflits par la guerre ? Que les voies de l’amour ne sont-elles envisagées… explorées ?
J’eusse adoré embrasser les antagonistes se retrouvant dans un plumard… à se lécher la
goule… voire s’enfiler comme des perles. Je les imagine se roulant des pelles… mêle… se
mêlant après avoir dévoilé leur flamme respective. N’aurait-ce plus de gueule que de se foutre
dessus ? Et surtout une issue plus heureuse… chacun étant comblé ? Le bon châtiment n’est-il
d’aimer ? Aussi, les chars et autres armes cracheraient-ils… répandraient-ils la vie… l’envie
au lieu de cette misère… cette stérilité. Les soldats seraient les apôtres de Cupidon et non les
suppôts du Cupide don. Certes, donner le jour ou la nuit, c’est toujours donner…
Tu m’excuseras de préférer ce premier. Cela me ramène à toi sur le point de naître. Dans un
moi[s] au plus tard, je serai enfin ce [déses-]père… après lequel je cours… que je m’escrime à
rechercher depuis des semaines. Je me suis éver-tué tant et si bien, en chaque recoin de mon
être et du tien, que j’ai l’impression de m’être plagié parfoi[s] lorsque je ne savais plus où
regarder. Tout écrit, n’est-il un plagiat, en ce sens où, les mots utilisés pour articuler les vues
de l’esprit, sont des outils inventés par autrui, jadis… sucés… et resucés à maintes reprises ?
N’eût-il fallu que j’en inventasse… qui me fussent propres ? Je m’y suis essayé par mes
barbarismes… néologismes surréalistes. Suis-je allé assez loin dans la démarche… jusqu'auboutiste ? Suis-je suffisamment original pour ne pas être une pâle copie ? Il m’incombe d’en
vérifier l’articulation… pouvant concourir à ladite originalité. Je m’y suis contraint. Ce procès
d’intention ne pourra m’être fait. Je me suis efforcé de nous inventer. Ce sera ma
conclusion… ma finalité pour cette mensualité.
177
Journal d’un futur père.
Neuvième mois :
J moins trente. Ce jour ouvre celui des potentialités… des père-spectives. A partir
d’aujourd’hui tout devient possible… ta naissance se sous-entendant en chaque instant. Tu es
toujours prisonnière du ventre de ta mère. Tu es retenue… contenue… otage dont il
m’appartient d’étaler la situation… au risque de l’oubli. Ainsi, entamerai-je quotidiennement
(du moins chaque fois que je t’é-crierai… te décrierai à corps perdu) ma page ou mon billet
d’humeur… par l’évolution des évènements… jusqu’à la délivrance. Pour l’heure, bébé
Auriane demeure dans le girond de sa génitrice.
Sur le qui-vive que tu me vives, je suis l’affaire avec un intérêt grandissant… grandissant à
ton pendant. Je me suis mis à ta disposition que tu puisses me mander n’importe quand. J’ai
cessé comme promis, tout déplacement important ou m’éloignant de toi. Je ne brigue pas de
rater ta venue, ayant suivi chaque consultation, chaque préparation assidûment. Ainsi, en est-il
fini de m’occuper des autres. Tu deviens la priorité de mes priorités… ainsi que ta mère
évidemment. Je suis à votre entière disposition. Il me sied car je suis éreinté… la proie d’une
affreuse migraine due à une indigestion de repas riches ou arrosés (mais de sauces
industrielles au lieu de spiritueux.) pris à l’extérieur. J’accumule un manque de sommeil et
trop de kilomètres.
Ni mes esprits, ni ma chair ne sont plus sains. Une petite bedaine disgracieuse est venue se
lover au-dessus de ma ceinture. Ma tête est prête à éclater. Je suis la proie de faiblesses dues à
des chutes de tensions. Il ne faut plus que tu tardes ou tu auras en guise de paternel, une
vieille baudruche. Si les voyages forment la jeunesse, les trajets ininterrompus font la
vieillesse. Mon cœur ne tient plus la distance. J’éprouve le plus grand mal à tenir la cadence.
Je me suis pris dix ans dans le nez… en plus d’un coup de vent. Je me décrépis. Il me faut
donc recouvrer mon dynamisme pour t’accueillir dans de bonnes conditions… ou les miennes
empireront.
A la limite, ta mère est en meilleure santé. En dépit de ses formes arrondies et de son
surpoids, elle parvient toujours à marcher. Elle vient de se rendre en ville pour effectuer
quelques emplettes et acheter une carte d’anniversaire à ta future grand-mère paternelle. Nous
fêterons par anticipation ses cinquante-trois printemps, demain soir. Il semble que je sois le
seul à être cantonné à l’heure d’hiver. Je vais donc te délaisser… me reposer… rattraper mon
retard. Ce foutu mal de crâne m’annihile… m’empêche de me concentrer… de jouir de
l’intégralité de mes facultés. Par défaut de pêche, je vais m’aliter. Je renonce à lutter et jette
l’éponge… ou plutôt le crayon.
J moins vingt-neuf. La mise au monde théorique se rapproche un peu plus. Le suspens devient
plus oppressant. Quand nous viendras-tu ? Je de-meurs dans l’expectative – sans briguer te
hâter –… suis en attente de vie. Quand l’as-tu programmée ? A quelle date ? Sera-ce une
surprise ou as-tu décidé de nous mener jusqu’au bout… par celui du nez… que nous avons
toujours de fort enrhumé ? J’ai dit à ta mère qu’elle s’en foutait. Quoi qu’il en soit, elle aura
tôt au tard le minou en chou-fleur, béant par ton passage. J’ai ajouté qu’elle sera bientôt
comblée d’avoir une belle petite fille rousse… sa hantise. Elle m’a rétorqué que j’allais la
traumatiser… que par ma faute, elle allait passer une mauvaise nuit. J’essaie au contraire de
m’amuser de la circonstance… de m’en moquer ainsi de ses réactions… qu’elle s’en amuse
tout autant… relativise ou se relaxe davantage. Sa nuit ne fut pas bouleversante. Elle a rêvé
qu’elle était mariée à un autre… un inconnu. Me croisant fortuitement, elle tombait follement
amoureuse de moi, à en attendre un enfant. (Cette femme doit être masochiste.). Elle ne savait
178
A toi que je ne connais pas en corps…
pas comment le déclarer à son époux, ni son adultère (sa trahison…). Elle craignait d’être
découpée en menus morceaux.
A ce propos, j’ai retrouvé une alimentation plus saine. L’amie-graine m’a donc abandonné. Je
t’avoue ne pas la regretter. Elle a germé. J’ai à nouveau la patate. Après une grasse matinée
improvisée mais circonstancielle, je me sens un être neuf. J’ai fait des papouilles à ta mère,
avant d’en être privé par contrainte physique. Elles m’ont remis d’aplomb. Comme dirait mon
père… l’amour est le remède à tout… surtout le sirop de corps d’homme… ou plus
vulgairement, la liqueur de gland… Ne te moque pas. Tu viens de là… tu viens du blues ?
Nullement. Tu es une enfant désirée… point là par hasard. Ta mère n’a nullement une relation
fusionnelle avec toi, ayant parfaitement acquis que tu étais un individu à part entière. Elle sait
que tu n’es pas elle… mais d’elle. Elle te prête volontiers son corps. Cependant, elle n’aspire
pas à ce que tu restes en sa chair ad vitam aeternam. Aussi, ne devrait-elle pas avoir de bleu à
l’âme après ta naissance. A moins que tu ne sois rousse…
Pour ma part, c’est très étrange puisque j’ai saisi qu’en Nathalie, il était deux femmes. L’une,
la génitrice… la seconde, mon épouse. Ainsi, lorsque nous t’envisageons, je discute avec la
maman. Et, lorsque nous nous câlinons (j’utilise ce verbe sciemment… de rester sobre et ne
pas heurter sa pudeur ou son intimité), j’embrasse mon amante (… religieuse car me dévorant
des yeux). Par conséquent, tu ne me déranges absolument pas. Et, je n’ai point de remords
lors de la pénétration. Là, je recouvre ma femme sans aucune gêne… celle que j’ai épousée.
Je te sais en ta bulle… protégée. La déformation que tu empreignes en son enveloppe
charnelle, ne me perturbe pas plus. Elle reste si jolie. C’est la différence entre les femmes
mignonnes et les belles femmes. Ta mère est de ces dernières, même si elle se refuse à le
croire. Tant mieux, elle n’a pas leur défaut… la séduction permanente… Par son songe, elle a
compris que j’étais l’homme de sa vie. Le fait que nous nous soyons prestement mariés, n’est
plus une crainte… de s’être trompée. Ce signe inconscient ou intuitif lui a permis de se
rasséréner… de comprendre que nous étions faits l’un pour l’autre. Elle le sait au plus profond
de son être. Elle s’était moquée de moi lorsque j’avais fait ce rêve où nous nous séparions…
de la conclusion que j’en avais tirée. Désormais, elle sait que le destin nous aurait unis un
beau jour, qu’en soient nos situations respectives. Elle me dit être confiante. « Jusqu’à la
prochaine crise ? », lui demandé-je. Elle hausse les épaules et me sourit. Elle ferme les
châsses… se garde d’ajouter un mot superflu. Elle se blottit contre moi, tout contre… se love
et chasse de son sein, ma bedaine tout autant superflue.
J moins vingt-huit. Je ne ris plus contrairement à hier soir. Lors de la célébration de la nativité
de ma maman, nous nous sommes moqués des manies des femmes enceintes. De fil en
aiguille, nous avons brodé les neufs mois types d’une parturiente. Ta mère nous a déclaré
avoir lu dans plusieurs ouvrages, qu’une femme pouvait anticiper le moment de la délivrance,
à son désir de mettre de l’ordre dans sa vie et, notamment, un irrépressible besoin de faire le
ménage. Etant donné que nous étions à la veille du repos dominical, donc du jour consacré au
nettoyage hebdomadaire de notre foyer, je lui ai demandé si elle ne pouvait pas être touchée
par cette envie et ce, dès le lendemain… me sentant trop las pour m’y contraindre. Or, en ce
jour où je m’évertuais à tout laver de fond en comble, je l’ai surprise une éponge à la main,
s’affairant à astiquer le mobilier et les appareils de la cuisine. Je souris. Puis, je me résignais à
la brusque souvenance de ses propos. Je l’interrogeai soucieux de savoir la raison de son
remue. Elle me rétorqua ne pas saisir… hormis que, n’ayant rien à faire et s’ennuyant, elle
préférait s’occuper ainsi. D’habitude, elle préfère s’affaler dans le canapé… poser ses
lourdeurs et m’observer en train d’œuvrer. Je ne sus que déduire de cet allant… sinon me
tenir prêt à vous conduire à la clinique… Sait-on jamais. Depuis la fin du film que nous
179
Journal d’un futur père.
sommes allés voir au cinéma, elle est la proie de contractions. Est-ce le son, la chaleur de la
salle ou la promenade juste après dans le parc, que tu n’as pas aimé(e) ? Que nous réserves-tu
cette nuit ?
Je crois que nous avons bien fait de prendre les clichés du sein de ta mère, ce matin. Un jour
de plus eût été un de trop ? Nous en avons pris une douzaine, en noir et blanc. Les
photographies monochromes sont plus élégantes (car gommant les défauts), surtout lorsqu’il
s’agit de portrait ou de chair. J’espère qu’elles seront réussies. Ainsi, seront-elles notre
mémoire… sauront-elles nous remémorer cette période… la rappeler à notre souvenir. Tu
pourras aviser à quel point tu imprégnas ta mère. On dirait un gros œuf de Pâques (ad hoc). Je
te vois venir avec ta question faussement innocente… Quelle est donc la cloche qui l’a mise
en cet état… voire le lapin ? Etant athée, je ne crois pas à ce genre d’inepties. Et, je te prierai
d’être polie avec ton père, si tu nais pas jolie ! Qui puis-je ? J’ai mis du cœur à l’ouvrage,
tant… et si bien, je ne comprendrais pas cette disgrâce. Bref, j’ai fait du mieux que je pouvais,
me suis appliqué. Par conséquent, je n’aurai rien à me reprocher. Oui, je m’exonère… décline
toute responsabilité en cette matière. La pellicule n’est plus vierge (elle non plus ? Petite
impertinente… Qu’entends-tu par-là ?), elle est empreinte des traits de Nathalie…
indirectement des tiens. Aussi, à la développer, me serait-il possible de la gratter le ventre de
ta mère pour te découvrir ? Je serai fixé et pourrai anticiper à mon tour.
A propos d’ordre, la capitale irakienne – après avoir été souillée durant des lustres par le
diktat dur – est à feu et à sang. Les pillages sont légions ainsi que les règlements de compte.
Les « bons » samaritains sont débordés. Seul l’or noir les obnubilant, ils sont dépassés par les
évènements qu’ils ont enfantés… ne savent comment rétablir la situation. Le pays était dans
un état pitoyable du fait de leur embargo inique… un peu plus à présent par leur incapacité à
gérer les crises. Ils ne connaissent qu’un champ d’action… celui de la bataille… les voies du
casus belli… point celles internationales et légitimes. Ce sont des militaires avant… ou après
tout. A l’instar d’Attila, ils fauchent l’herbe qu’ils foulent, sans se soucier des conséquences
inhérentes à la repousse. La guerre civile, second fléau, menace d’achever la cohésion. Il ne
suffit pas d’abattre les cloisons des maisons closes pour éradiquer la prostitution. Faut-il en
saisir les causes… leur trouver de justes remèdes. Pour cela, il faut un cerveau, lui permettre
une réflexion. Or, il est évident qu’ils n’ont pas de réponse sociale ou politique. Ils n’ont point
de racine, d’histoire, de fibre, ni de vision sociétale digne de ce nom. Que peuvent-ils
connaître ou appréhender celles d’autrui ? Exsangues de civilisation ils ont soif de mortssure[s]… sont guidés par un instinct de survie bestial. Leur président étant un incapable
notoire, stupide de surcroît, sa conception manichéenne du monde est débordée. Même dans
la connerie, il exècre. Aussi, permets-moi cette interrogation… le con moyen est-il plus con
que la moyenne ?
J moins vingt-sept. La brune ne fut point agitée… Quelques ronflements, rien de plus… En
tout cas, pas de quoi fouetter nos chats. Entre chien et loup, elle fut calme… nous de même.
J’ai éprouvé le plus grand mal à me lever. Les changements de température sont éreintants. La
douceur nous ceint. La froidure lui a cédé le terrain. Pour combien de temps ? Nul ne le sait.
Les météorologues eux-mêmes ne peuvent faire de prédictions affirmatives au-delà d’une
poignée d’heures. Le ciel conserve ses mystères. C’est probablement mieux ainsi. Certes, je te
l’accorde, il n’est pas aisé de subodorer comment s’habiller… ni de planifier ses loisirs. Cette
touche d’imprévu n’est pas pour me déplaire. Elle pimente notre existence d’une indicible
excitation. Ainsi, pour rester en ce domaine circonst’en-ciel, ne parvenant pas à me décoller
du lit, en ai-je profité pour câliner ta mère. L’exercice m’a permis de me remettre les yeux en
face des trous… pas que les yeux d’ailleurs…
180
A toi que je ne connais pas en corps…
Nous nous sommes frôlés de longs instants, accolés l’un à l’autre. Son sein contre le mien,
j’ai pu ressentir tes mouvements ainsi que tes horions. Je me suis pris dans le bide, un coup de
pied réprobateur (sans doute étouffais-tu.). Puis, j’ai perçu tes changements de position. Je les
ai si bien vécus, qu’un moment, je t’ai cru en mon ventre. Le sentiment arraché à mes
entrailles fut à la fois heureux et interdit. Non pas qu’il soit contre-nature. Quoique… Je
demeurai sans voix et immobile de pouvoir te toucher ainsi. Tu es venue te blottir contre moi.
J’ai saisi en tes absences nullement une volonté délibérée de me nier ou de me snober mais,
l’expression d’une plénitude recouvrée. J’ai sur toi, un effet apaisant semble-t-il. Lorsque
j’appose ma main sur l’abdomen de ta mère, ayant sitôt deviné que cette dextre m’appartient,
tu viens te loger en dessous pour ne plus en bouger… comme une sorte de parapluie. Tu te
mets à l’abri des précipitations, du froid ou des ardeurs… voire de la colère. Tu t’endors
promptement, te sachant incon – ou – sciemment protégée. Nathalie est jalouse de ne pas être
capable d’avoir cette influence. Quand tu la meurtris, notamment en ses côtes ou sa vessie,
elle aimerait en jouir et savoir inhiber ton énervement. Si je suis présent, elle me supplie de
caresser son gaster… de taire tes podes. Elle me mande de te rentrer en ta coquille, tout de go.
Nous essaierons d’achever les ultimes préparatifs… de faire et de plier les bagages utiles pour
votre séjour à la clinique. Il nous reste quelques onguents à acquérir… rien de plus. Nous
pourrions remettre ces achats au lendemain. J’aspire à ne plus tarder. Tu nous envoies des
signes annonciateurs. Il serait stupide de ne pas les entendre… ni de les traduire en actes.
Cette semaine sera dédiée aux ultimes – non pas préparations – préparatifs. Nous devrions
rencontrer la sage-femme, l’obstétricien et l’anesthésiste… finaliser l’événement…
l’avènement. Tu seras au cœur… le cœur de nos préoccupations. Pour ma part, j’ai préparé
l’appareil photographique, l’ai pourvu d’une pellicule ultra-sensible pour ne pas avoir à
recourir aux éclats d’un flash. Je crains que ces traits de lumière ne t’effraient, qu’ils soient
perçus comme une agression. En peine… à peine extraite de tes ténèbres, je ne brigue pas
d’écorcher ton frêle regard. Je veux que tu puisses m’embrasser de tes petites mirettes toutes
bleues. (Je n’ai guère de mal à en deviner le teint… c’est la couleur arborant les iris de tout
nouveau-né. La pigmentation dévolue génétiquement n’apparaît qu’au bout de quelques
jours.). Je veux pouvoir immortaliser nos trouvailles… sans heurt… plutôt dans une liesse…
pour tous. A la ville comme à la Cène ?
A ce propos… c’est fait. Je viens de siéger en ma dernière audience, sous la présidence de
madame le juge départiteur. Etant nouvelle, j’ai donc fait sa connaissance… ainsi que mes
adieux… car je donnerai bientôt ma démission au conseil. A l’issue de mon prochain délibéré.
Je quitte la fonction sans regret… d’autant moins, qu’il me semble que cette juridiction – en
tant que telle – devrait disparaître dans un lustre ou deux pour se retrouver sous la tutelle de
l’inspection du travail. Mon choix est donc le bon. Le syndicalisme est moribond de son
défaut d’idéologie… de ses motivations consensuelles… gestionnaires. Et, la prud’homie est
grabataire. Quant à moi, la vie m’attend… me tente de plus en plus.
J moins vingt-six. « Alors, toujours aussi dur ? ». C’est par cette phrase sibylline que
j’entamais mon étrange après-midi. M’apprêtant à partir, un appel inconnu me retenait. Je
décrochais. Après l’allô de circonstance, cet autre nimbé de mystère, prononcé par une petite
voix, suivi d’un silence réciproquement attentiste… attentif. Nous n’étions pas sur un
mutisme pendant. Elle attendait une réaction de ma part, réaction qui tardait à venir.
Interloqué, n’ayant pas saisi de prime abord, je demandais pardon à mon interlocutrice,
l’invitant à bisser ses propos. Elle se mit à rire, itéra mot pour mot d’une manière on ne peut
plus suggestive, sensuelle. J’avais bien entendu. Il n’était pas de doute permis quant à l’objet.
N’en reconnaissant pas le timbre, je cherchais à gagner du temps. Je crus à une farce. De
181
Journal d’un futur père.
comprendre si elle m’était destinée, je lâchais que cet appel était une erreur… qu’il ne m’était
pas destiné. Le quidam[e] s’excusa… raccrocha aussitôt. Je me gaussais de la situation puis,
me précipitais dans la chambre où se tenait ta mère, pour savoir si elle n’était pas l’auteur de
cette blague. Elle n’avait pas son portable à disposition. Je lui narrai l’incident. Elle sourit en
me déclarant que j’étais un heureux homme. Si elle avait décroché, j’eusse passé un mauvais
quart d’heure quoiqu’innocent. J’eusse été puni par effets de sa jalousie, sans rien comprendre
à cette histoire. Il est parfois des coïncidences pouvant avoir des issues dramatiques. Ce ne fut
pas le cas par heur… un cas de heurt entre nous. Je la quittai riant jaune… me remémorant
son rêve inspirateur d’une soi-disant confiance… ou plutôt présomption de confiance à mon
égard… et de ce que je lui avais répliqué. Bien que nous soyons mariés, elle ne changera
point.
J’étais affairé avec une copine déléguée syndicale, subissant harcèlement et discrimination de
la part de son employeur (n’est-ce pas un pléonasme ou une tautologie… « syndicale » et
« harcèlement » ou « discrimination » ?), tentant de trouver avec elle, une solution susceptible
de l’extraire de son cauchemar. J’étais en train de lui faire l’étal des possibilités légales
offertes, lorsqu’un copain entra dans la pièce pour me saluer. Il me tendit la main… de me la
serrer comme à son habitude puis, il se ravisa en me déclarant préférer me faire la bise.
Surpris par la soudaineté ou l’incongruité de la situation, ne m’y attendant pas, je restai
interdit et me laissais embrasser… sur la joue. Le temps qu’il s’exécutât avec mon invitée,
j’essayais de recouvrer mes esprits… feindre la normalité de l’acte. Il disparut pour saluer le
reste des camarades se trouvant dans le bâtiment. Je ne sus comment poursuivre l’entretien,
déconcentré, décontenancé. In fine, avec quelques difficultés éprouvées, je parvins à
reprendre le cours de mon exposé. Je fus perturbé le restant de la journée. Il me fallut une
once de calme… un recul nécessaire pour analyser que l’ami n’avait pas succombé à mes
charmes… ni viré sa cuti pour adopter des mœurs uraniennes mais, qu’à l’instar de toute
famille, il en avait embrassé un membre qu’en soit le sexe. Je fus flatté… touché qu’il me
considérât comme son propre frère. N’étant pas aguerri à l’exercice, je pris soin de lui
épreindre la pogne lorsqu’il se retira. On ne sait jamais. On n’est jamais trop prudent. Je ne
voudrais pas lui laisser de faux espoirs. Je suis un homme marié.
J’ai reçu la visite d’une vieille connaissance que je n’avais pas revue depuis deux ans. Je la
pensais dans le sud de la France, loin de moi. Il n’en était rien. J’avais eu par un message
téléphonique, l’expression de ses vœux. Or, je n’avais pas pris soin de lui répondre, ni de
prendre de ses nouvelles. J’avais fait sa connaissance lors d’une permanence juridique à
l’union locale et, son affaire était si compliquée, que sa résolution m’avait épuisée. Elle
attirait les ennuis… comme un aimant, la ferraille. Je l’accueillais en arborant mon fameux
sourire hypocrite, singeant les mimiques de la joie. A qui me connaît, j’eus pu paraître
constipé. Je le[s] rassure… il n’en est rien. (Oui, tu as compris… elle me faisait plutôt chier.
Appelons un chat, un chat !). Après la bienséance de rigueur, je l’encou-rageais à me révéler
le but de sa visite. Elle m’expliqua qu’elle était dans les emmerdes… qu’elle attendait à
nouveau de moi, une réponse apte à l’en sortir. Je n’en avais pas de préconçue. Aussi,
l’invitai-je à provoquer un dénouement… elle seule détenant la solution à son problème. Nul
ne pouvait agir en son nom, ni à sa place. Elle me remercia pour mes « précieux » conseils.
Contrairement à tout un chacun, au lieu de se lever et de prendre congé, elle resta assise. Je
recommençais toute la procédure des aux-revoirs, pensant avoir omis une étape dans ma
précipitation. Rien n’y fit. Elle demeura plantée comme une grosse sangsue… une méduse
échouée après une nuit d’orage. J’éclusai les formules types… du type : « Voilà, voilà… »,
« Tout ça, tout ça… ». Son copain – mal à l’aise– finit par saisir qu’il fallait qu’ils bougent. Il
se dressa. Elle l’imita. Je respirai. Elle me salua mais, avant de partir, elle me dit que je
pouvais passer chez elle, un soir, si je le désirais. Elle n’avait pas déménagé… pas encore.
182
A toi que je ne connais pas en corps…
« Pense à venir me voir ». Je fus mal à l’aise à mon tour, vis-à-vis de son ami. A moins que
cette cooptation ne contînt des sous-entendus. Je penserai surtout à l’inverse, tu peux me
croire. Je suis un homme marié. Alors pour répondre à la question… oui, c’est dur…
parfois… Ça reste anecdotique.
J moins vingt-cinq. Enième fausse alerte. Nathalie fut la proie de contractions plus violentes
encorps que les précédentes. J’hésitai entre me rendre au chagrin ou rester à ses côtés.
J’attendis un répit avant de me déterminer… de me résigner. Je la quittai indécis… ou plutôt
certain de revenir promptement. Or, il n’en fut rien. Les spasmes s’arrêtèrent. Elle put
s’endormir. Au réveil, il n’y parut plus. Requinquée par cette sieste, elle aspira à se dégourdir
les guiboles. Aussi, entreprit-elle de marcher jusqu’au parc. Sur le chemin, elle acheta
quelques magazines consacrés… consacrant la femme enceinte… revues qu’elle bouquina au
cœur de la verdure. Elle m’appela… de me rasséréner… de me prier de la rejoindre en ses
quartiers verdoyants, dès que possible. Ce que je fis… Combien de temps vas-tu jouer avec
nos nerfs ? Jubiles-tu au moins à nous promener entre l’enfer et le paradis ?
S’il me fallait choisir entre celui-là et cet autre, je ne sais pour quel lieu j’opterais. Certes, je
n’ai pas à me poser cette question cruciale puisque profane. Cependant, je serais très
embarrassé, ne sachant quel côté j’ambitionnerais… four ou jardin ? Je pense que je
retournerais probablement le dilemme… de saisir lequel je ne briguerais pas. Car, si de prime
abord, l’évidence voudrait que mon dévolu se porte sur l’Eden, il n’est pas certain que la
réflexion ne me fasse embrasser la Géhenne. L’interrogation n’est nullement de se confondre
entre l’amour et la haine, le bien ou le mal – tel un faux débat… une vision schématique –
mais, entre l’aseptisation et l’accès. Ainsi, est-il préférable d’être affublé d’un éternel insipide
ou consumant ? Le choix se fait donc entre la misère et la richesse. L’un ne valant pas mieux
que le second, le choix serait délicat. Il n’appelle pas de réponse… pas pour l’instant. Tant
mieux… ou tant pis ?
Nous avons découvert, Nathalie et moi, que nous avions des origines pendantes…. non pas
des personnes communes mais des destins ancestraux identiques… assez proches. [Ta mère
t’en parlera davantage si tel l’agrée…]. Sa grand-mère paternelle s’acoquina en son jeune âge,
à un charmant jeune homme dont elle se languissait qu’il la demandât en mariage. Or, le
bougre n’aspirait qu’à l’ivresse… non pas à être enquiquinée par une bonne femme lui
cherchant des poux dans la tête… voire sous la langue. Il désirait prendre du bon temps avant
de se passer la corde autour du cou… la bague au doigt. Aussi, n’écouta-t-il ses suppliques.
Lassée, elle le délaissa pour partir chez sa sœur résidant à Paris. Là, en la capitale, elle fit des
ménages pour survivre… avant de monter le sien avec un élégant espagnol qu’elle épousa
trop prestement. L’idylle ne dura pas. Le livret de famille à peine rédigé, l’homme fit
transpirer sa nature réelle. Il s’avéra être un tyran. Elle fut enceinte puis, tenu par son enfant…
qu’elle dut se contraindre à abandonner… sa vie étant un calvaire. Après quatre années, elle
rentra en Lorraine. Là, elle retrouva son amour d’antan avec lequel elle s’établit finalement.
De l’eau coula sous les ponts et en ses entrailles. Elle eut d’autres enfants. Tout allait pour le
mieux… meilleur des mondes… jusqu’au moment où ton grand-père maternel (l’un de ses
fils) se dut d’accomplir ses obligations militaires. A l’incorporation, il apprit d’un officier que
son nom de famille n’était pas l’officieux mais l’officiel… sa mère n’ayant pas divorcé. Il se
demanda quelle était cette farce… puis, des explications à sa mère. Il apprit ce qu’elle voulut
lui dire… cette histoire que je te conte à présent. Que ne lui révéla-t-elle ou n’osa-t-elle pas
lui dévoiler ? Depuis, le doute habite les esprits… la loi octroyant sa conception
– de fait– au mari légitime. Son nom le doit-il à une norme ou à l’in extenso (la génétique
183
Journal d’un futur père.
incluse) ? Car, le bonhomme ressemble à s’y méprendre à un hidalgo. Ta génitrice doit avoir
du sang andalou dans ses veines… jalousie exacerbée et traits caractéristiques.
Me concernant, mon trisaïeul était un enfant abandonné. Il fut trouvé sur le parvis d’une
église ou d’un couvent, recueilli par des nones qui l’affublèrent du patronyme du lieu… d’un
sot-briquet. Je ne sais quelles sont mes origines… quel est mon véritable nom… la mèche ou
la flammèche ayant été transmise de génération en génération, sans révéler son lourd secret…
à l’instar d’une flamme olympique (cette dernière étant rallumée en la circonstance.). L’état
civil va te transmettre le flambeau. Tu recevras à mon patron, ce semblant de braise… de
blase. Tu devras t’en dépêtrer… Que tu embrasses ceci ou cela (du côté de ta mère), les deux
sont incorrects… voire grossiers. Si je puis te donner ce conseil… fais-t’en un qui te soit
propre.
J moins vingt-quatre. « Ah ! ah… ah… », crie Nathalie. « Staying Alive ! », lui répliqué-je du
tac au tac, croyant que nous jouons subitement au jeu des imitations. Il n’en est rien. Elle
vocifère aux coups que tu lui administres. « Ouh ! ouh… ouh…. », reprend-elle. « Chita ! »,
lui réponds-je aussitôt concentré, n’ayant pas encore assimilé qu’il ne s’agit point d’un jeu
entre nous. Elle me regarde, plante ses yeux noirs de colère dans les miens, haussant les
épaules. Elle me déclare que nous sommes à un peu plus de trois semaines de l’échéance…
qu’il conviendrait que nous reprenions les exercices dont le massage du périnée. Je ne suis pas
sûr que l’idée soit excellente. Je redoute que tu ne prennes mes doigts pour des coupe-faim.
Tu vois déjà une saucisse de cocktail te narguer… te filer entre les mains. Je crains que tu
n’aies l’appétit aiguisé… que tu ne finisses par me mordre de fringale ou de dépit.
Pour l’heure, il nous faut aller chez la sage-femme… comme d’hab… comme dab… Ta mère
est en retard. Elle a l’œil des mauvais jours, celui qui se tient à grand peine ouvert… te fixe…
te toise de courroux… coucou. Je la bouscule… d’être au rendez-vous. J’exècre les ceux
n’honorant pas leurs engagements. Je lui avais demandé lors de la détermination de cette
dernière visite, si elle serait apte à respecter sa promesse… une consultation, un matin…
n’était-ce pas trop tôt… trop présomptueux ? Elle m’avait répliqué avec dédain, qu’elle serait
prête. Ce n’est pas le cas. Je le savais. La journée s’entame dans une bataille contre le
temps… une lutte avec cette femme insouciante… ou par trop soucieuse. Au lieu de nous y
rendre paisiblement à pied… main dans la main… nous nous exécutons en voiture puis, au
pas de course. Elle souffle, rumine, fulmine et grommèle. Je parviens à la mener à destination
avec un léger retard. Bel exploit, ai-je envie d’écrire, à double titre… parvenir à préparer une
femme en un délai si court (à peine une vingtaine de minutes, toilette et maquillage compris.)
en est un… lorsqu’elle est enceinte donc amputée en ses facultés physiques, en est un second.
Je puis être fier… Je le suis. Il m’en faut peu. Tu vois, je suis un homme simple.
Je suis à l’aube d’une révolution… je le sais… je la sens… je l’assens. Je la frôle à
peine… à pleines mains. Rien ne sera plus. D’y penser, je suis parcouru de frissons montant
ou descendant. J’ai semé ce vent que ta mère a mûri longuement… patiemment. Nous allons
récolter la tempête. A ton passage, tu vas balayer nos vies. Sommes-nous inconscients ou
masochistes de t’avoir engendrée… d’attendre ce grand bouleversement… ce « grand soir » ?
N’aurons-nous pas à regretter cet acte qui, pour le moment, nous laisse un exquis souvenir ?
Ne deviendra-t-il pas amer ? A ta mère, j’en parle. Elle me réplique redouter, frissonner à mon
instar. Elle caresse également l’événement en son caractère immuable. Nous sommes au
moins deux – avertis ? – se partageant entre l’excitation et la peur… se réconfortant
mutuellement. Je me subodore en la peau de l’illustre toujours inconnu, au seuil de son destin.
Le fatum est derrière cette porte. Il m’observe, m’épie, m’espère depuis des lustres, pour me
passer de l’ombre à la lumière. Je m’apprête… Quoique nous en disposions, sommes-nous
184
A toi que je ne connais pas en corps…
réellement prêts ? Ne l’avons-nous pas été trop tôt ? Nous le saurons lorsque nous serons à
l’eau.
Nous sommes sur le second départ de la journée ayant, cette fois-ci, une consultation avec
l’obstétricien. Je souhaite ne pas avoir à bousculer ta mère de nouveau, la traîner de force
jusqu’à son cabinet. Je la perçois appréhendant d’être contrainte de se dévêtir et triturée par
un quidam (le connaissant fort peu)… du sexe masculin qui plus est. Là, elle se repose dans le
canapé. Je jouis de la quiétude pour correspondre avec toi. Je puis te livrer quelques secrets…
Il semble que tu seras plus grosse que prévue. La sage-femme a pronostiqué un poids minimal
de trois kilos cinq cents grammes pour le terme. Tu es remontée (non pas contre ta mère… à
moins d’avoir raté un épisode)… donc pas pressée de venir. Ce ne sont pas de bonnes
nouvelles pour Nathalie qui te désire passant… une lettre à la poste… au plus tôt. Aussi,
s’essaie-t-elle à te faire choir par des pratiques gymniques et respiratoires… ses efforts
demeurant… au demeurant vains… à son grand dam. Tu parais bien arrimée à la tuyauterie…
heureuse de lui chahuter la tuyauterie. Ne mets pas le souk. Ne la rends pas malade au risque
d’être ce fratricide… de tuer ton petit frère dans l’œuf. Sa création éventuelle dépend du vécu
de ta maternité. Pour le moment, Nathalie n’est pas d’accorps pour remettre le couvert… à
foison.
J moins vingt-trois. Je ne m’étais pas trompé. Ta mère appréhendait effectivement la
consultation avec l’obstétricien. La voyant dans la banquette, irascible, repliée sur elle, je lui
demandais si elle n’était pas transie d’effroi. Si c’était le cas… quelle en était l’origine. Elle
me révéla que, l’unique moment où un homme exerçant la profession de gynécologue, posa
ses mains sur elle, ce fut pour une interruption volontaire de grossesse. Ce pénible souvenir
rejaillissait… l’empreignait d’un mal-être. Elle se mit à culpabiliser d’avoir interdit une vie,
se dit qu’elle eût pu être mère pour la seconde fois, au lieu de la prime. Elle éclata en sanglots.
Je tentais de la rassurer en lui déclarant qu’à ce stade de la conception, peut-on parler d’une
vie ? De par ses croyances, l’âme n’emplit pas encorps la chair, se contentant d’allées et
venues entre l’in- et le temporel. Elle s’en imprègne peu à peu. Elles ne feraient pas une… ne
se confondraient point… divisée par le choix d’être ou ne pas. Que n’adhérait-elle plus à ses
convictions ? La peur la rompait, séparant son esprit de cette enveloppe charnelle maculée.
Elle redevint une môme. Elle me lâcha qu’incon-sciemment, pour ne plus subir cette douleur,
elle avait choisi des praticiennes femmes… susceptibles d comprendre son tourment… ne pas
la méjuger. Elle ajouta que de passer entre les pognes d’un mâle, nous porterait la poisse. Je
l’interrogeai davantage, subodorant que le problème était plus profond. Je la questionnais…
de savoir si elle n’avait pas ce souhait inexprimé que je ne vinsse pas dans le cabinet du
médecin, pour y être examinée seule. M’ayant embarqué dans cette aventure d’assistance
–avec mon approbation– elle n’osait pas me révéler qu’elle ne me désirait point en cet instant.
Elle me répliqua par l’affirmative. Je lui dis qu’elle était bête de ne pas avoir oser… n’y
voyant aucun inconvénient. Elle sécha ses pleurs, cessa sitôt de se torturer les méninges.
Je l’accompagnai dans le bureau mais la laissai donc se rendre seule dans le cabinet
d’examen… convenu. Elle expliqua que le matin, elle avait subi des prélèvements par la sagefemme, nécessaires pour la recherche de streptocoques. Le praticien lui rétorqua que, s’ils
avaient été effectués, il n’était nul besoin d’itérer. Nathalie s’était angoissée pour rien. Il lui
demanda juste de relever son maillot… d’observer son ventre… et par la même, ta position.
Ta mère lui dévoila que la sage-femme pensait que tu serais plus grosse qu’il ne l’avait prédit.
Lâchant que les paris étaient ouverts, il mit en route l’échographie pour prendre des mesures.
Ce n’était pas prévu. Il entama la promenade de la douchette, le sourire aux lèvres. Il confirma
les prédictions de la praticienne, reconnaissant son erreur. Je l’observais depuis l’autre pièce.
185
Journal d’un futur père.
Sa bouche se referma. Son regard s’assombrit. Il fit maints passages sur une petite surface
pour assurer son verdict. Puis, il me manda de venir. Mes entrailles se serrèrent…
s’ulcérèrent… s’évidèrent. Je vins, tendant le dos, m’apprêtant à la mauvaise nouvelle. Je
rejoignis ta mère. Là, il nous montra sur l’écran, en gros plan, ton rein gauche puis le droit. Il
nous déclara alors que ce senestre était anormalement plus gros. De plus, il voyait un coude à
l’entrée de l’organe et une dilatation de l’uretère. Sans doute l’artère la bloquait-elle au niveau
de ce fameux méandre. Je crus que mon cœur allait s’arrêter de battre. Il poursuivit qu’il ne
l’avait pas vu auparavant, ni lui, ni l’échographe précédent, du fait de la soudaine évolution.
Cherchait-il à s’exonérer d’une faute ? Pour ma part, je cherchais mon air… étouffant. Il
conclut en nous déclamant que ce n’était pas grand-chose – le con ! – qu’il valait mieux le
savoir. Il m’a foutu une de ces frousses… et en informer ton futur pédiatre. Cette petite
malformation pourrait engendrer des infections urinaires… à la mort du rein dans une
pléthore d’années… de l’hypertension. Un enfant sur cent en est affecté. Ce n’est nullement
grave car, deux ou trois enfants sur cent touchés, nécessitent une intervention bénigne. Les
progrès de la technique étant… aidant… nous pouvons apercevoir – à présent – ce genre de
chose et l’étudier. Il en a toujours été ainsi.
Son attitude changea. Il devint plus sérieux, soucieux de nous expliquer la parturition en ses
moindres détails (tenants et aboutissants), jusqu’à la péridurale (schémas à l’appui). A l’issue
de l’entretien, il nous interrogea… de saisir si nous avions parfaitement appréhendé ce qu’il
nous avait révélé… ou si nous avions quelques questions en réserve. Nous lui répondîmes que
tout était clair. Nous étions secs. Rasséréné, il nous libéra. Nous sortîmes. J’étais aux cent
coups. Il me fallut un peu de temps pour m’affranchir de cette information… qu’elle cessât de
se lover dans ma tête (à ton instar dans le giron de ta génitrice). Nous ne pûmes échanger
quelques mots qu’une fois rentrés en nos pénates. Ta mère me toisa de son regard et me
lâcha : « Tu vois, j’avais raison ! Je le savais qu’il nous porterait la poisse… ». Je me mis à
rire. Je lui répliquais que nous avions plutôt de la chance – dans l’absolu – de détenir ce
renseignement… il t’évitera sans doute des souffrances inutiles par une prévention, une
surveillance ad hoc.
J moins vingt-deux… à peine. Voilà les flics ? Toujours pas. Ils ne se déplaceront que par
nécessité, c’est-à-dire si tu nous viens sans crier gare… de nous ouvrir la voie nous menant à
la clinique. Par contre, j’ouïs leur sirène la nuit durant. Ta mère sifflait en respirant, trahissant
un malaise. Je crus au retour de son rhume. Or, à force de lui tirer les vers du nez, je
m’aperçus que la cause était tout autre. Il s’agissait de larmes retenues. Devant nous rendre
demain midi chez tes grands-parents maternels, elle craint en ce dimanche pascal, la venue de
son oncle pédophile. Plus que sa présence proprement… ou plutôt salement dite… elle
redoute que je ne le salue par courtoisie… la désavouant par la même. En lui serrant la main,
je cautionnerais implicitement ce qu’il est. Elle me demande ce que je ferais s’il me la tendait.
A trois heures du matin, je ne sais pas vraiment. Je n’ai pas la présence d’esprit pour mûrir ma
réflexion et trouver la pertinence. Aussi, lui réponds-je que je ne peux anticiper. Jamais, je
n’ai été confronté à cette situation. Je ne peux deviner si je le serai un jour. Pourquoi
s’interroger… se torturer ? Sur ce, elle insista. Elle me demanda quelle serait ma réaction face
au bourreau de ma femme… ou de ma fille plus tard si cela devait être. Je lui répondis… la
voie policière et judiciaire. Ma réponse ne la satisfit pas. Elle aspira à être rassurée – une fois
de plus… pour toute – ne pas être niée par son mari. Elle surenchérit en me lâchant que ce
serait une cause de rupture entre nous… le début de la fin. Elle entama une crise de
spasmophilie. Craignant concomitamment pour vos santés… percutant qu’elle ne pouvait
librement se panser pour l’enrayer – du fait de ta présence et du danger potentiel des
médicaments sur toi – je la chéris comme une enfant… la serrai contre mon torse… la
186
A toi que je ne connais pas en corps…
caressai. Les narines dans mes poils, chatouillées par iceux, elle se mit à souffler pour les en
chasser. N’y parvenant pas, elle tourna légèrement la tête. Elle finit par s’endormir. Ses pleurs
et ses reniflements se turent.
Elle me délaissa dans ses ténèbres, le crâne assaillit par sa question dont je ne possédais pas la
réponse. Que faire ? Devrai-je lui obéir sans apporter à cette situation mes idées critiques et
mon analyse ? Devrai-je considérer cet homme comme un malade atteint de perversion ou
comme un pervers ? Me faudra-t-il lui conseiller de se faire soigner ou le honnir ? Devrai-je
tenter de les réconcilier ou ne rien tenter… et partir ? Devrais-je parler à ses parents… ou les
laisser appréhender seuls qu’il suffirait d’un geste envers leur fille pour apaiser sa torture ?
N’étant ni médecin, ni présent lors de l’incident – pas encore dans la vie de ta mère – je
décidais qu’il vaudrait mieux que je demeure silencieux… en retrait. Cela ne me regarde pas.
Il ne m’incombe pas de faire le bonheur des gens malgré eux… si tant est que je le puisse.
Ainsi, ne m’ingérerais-je point dans leur histoire familiale. Après tout, ne suis-je pas une
pièce rapportée ? A moins qu’unanimement, ils ne requièrent mon avis. Je ne serai qu’un
arbitre. Par conséquent, si nous devions croiser cet oncle, je ne l’embrasserai pas, ni ne lui
mettrai pas mon poing dans la tronche… prônant la non-violence, je ne m’avise pas le lui
coller. Je m’effacerai tout en veillant sur ma femme… ayant juré au maire de lui apporter soin
et protection. Voici ce que je ferais… La réponse trouvée, je pus me rendormir. Je devais
bientôt me réveiller… en proie à la faim. Ayant décidé de diminuer mes orgies alimentaires
en portions congrues, de recouvrer mon ventre plat de jeune éphèbe, je n’ingérai au dîner que
des céréales dans un bol de lait. Mon estomac cria famine. Il gémit, se plaignit de ne pas avoir
été rassasié. Je tins bon face à son tintamarre, briguant de le restreindre en sa boulimie… de le
réduire. Trop gonflé et trop lourd, je ne me sens pas bien depuis quelques jours. La période
s’y prêtant, j’entame un carême de circonstance… un jeûne point dogmatique mais
pragmatique pour recouvrer mon poids de forme… mes formes. Je veux achever ma grossesse
empathique, ma couvade et donner l’exemple à ta mère. Aussi, frustrai-je mon gaster. Il finit
par taire ses gaz. Je poursuivis ma nuit.
J moins vingt et un. Nous sommes à trois semaines de l’avènement… à moins que tu ne
décides de jouer les prolongations. Il t’est loisible d’aller jusqu’à J plus sept. Si à cette date
butoir tu n’étais pas parmi nous, nous irions te chercher de gré ou de force… par la peau des
fesses. Je ne sais si tu ne brigueras pas une rallonge, tant l’auberge semble bonne. Ce fut
d’ailleurs la conclusion de l’obstétricien lorsqu’il dut revoir à la hausse ses prévisions. Il
demanda à ta mère si elle n’avait pas abusé des loukoums, sans doute réputés pour enfler les
séants féminins. Elle lui répondit : « Davantage des pommes d’amour. ». Il se gaussa en lui
lâchant que nulle ne lui avait encore fait cette réponse. Il l’a mise en garde de ne pas abuser
des sucreries, pouvant lui être fatales en son état.
Comme je te le disais, il se peut que tu tardes à sourdre… la cantine semblant te convenir.
Quand ta mère ingurgitait des produits allégés voire insipides (tant ils sont dénaturés), tu
paraissais vouloir t’éclipser. Il fallut que ta génitrice serrât les cuisses pour te contenir. Ayant
renoncé à ces ersatz pour revenir à une alimentation plus riche, tu te complais derechef à téter
le placenta… d’avaler ta part du gâteau… ou plutôt des gâteaux. Tu es remontée, t’éloignant
de l’issue fatale. Tu t’agrippes à ses entrailles, les trayant… extrayant leurs ripailles. Sans
doute as-tu les châsses grands ouverts, les regardes-tu ou les devines-tu passer dans
l’estomac… défiler devant toi à l’instar d’un self-service. Il n’est qu’à tendre la main pour te
servir gracieusement… grassement.
Nous sommes allés ce midi déjeuner chez les parents de Nathalie. A son habitude, ta grandmère maternelle avait mis les petits plats dans les grands. Il fallut mettre des ridelles à la
187
Journal d’un futur père.
table, tant elle débordait de victuailles. Malgré le nombre d’entrées alléchantes, je réussis à
contenir ma frénésie… mon appétit. Je me servis en petites quantités. J’observai ta mère du
coin de l’œil, souriais en avisant la brasserie s’emplir. Elle prit deux fois de chaque plat (un
pour chacune ?). Lorsque le coq au vin fut mené, je demandai une part raisonnable – sans
sauce et constituée de blanc… le morceau le moins gras – accompagnée de rares pommes de
terre rôties. Nathalie combla son assiette creuse, l’arrosa du délicieux nappage brunâtre aux
champignons. Je l’imaginai coulant le long de son œsophage, ta petite bouche en dessous,
attendant le breuvage. Après la salade dont je me dispensai comme à l’accoutumée… n’étant
pas un lapin… et le fromage, nous dégustâmes des tartelettes aux fraises. Tes yeux ont dû
s’arrondir tant elles étaient grosses et ce, doublement… Nathalie en emporta une pour votre
goûter.
Une heure passa. Ton grand-père luttait dans la banquette… de ne pas succomber au sommeil.
Abeille, guêpe et mouche se succédèrent de le tenir éveillé de leur vrombissement d’ailes. (Il
faisait si bon, qu’il avait ouvert la fenêtre et permit à la douceur extérieure de nous
envelopper… permit implicitement aux insectes de nous rendre une visite inopportune.). D’un
coup, il fut emporté. Sa tête tomba à la renverse par la pesanteur. Il se réveilla pour mieux se
rendormir. Ta mère et la sienne (la daronne de ta daronne) se mirent en tête de goûter… en
quête de crèmes glacées… vanille, nougat, miel… le tout enrobé de chocolat aux noisettes.
J’embrassai ses lèvres gobant la gourmandise… gobant de gourmandise le mélange glacé.
Je n’étais pas le seul à les épier… le chat de la maison n’en perdait pas miette, dans le cas
– improbable – où l’une en laisserait choir un morceau. Il n’est pas étonnant que l’animal
« caïatte36 » et blanc, soit gourmand puisque se prénommant Pralin. A l’origine, il se nommait
Praline mais, en grandissant, les siennes grandirent et devinrent visibles. Le « e » s’évanouit.
Las, coupé, privé de ses bignoles, il ne demeure que le roux. Ainsi, la bête se partagea-t-elle
entre les confiseries hypothétiques et les insectes volant venant la narguer. Il s’évertuait à les
attraper de ses crocs, au risque de se faire piquer par certaines. L’une de ses canines ayant été
rompue lors d’une mauvaise chute, les bestioles lui filaient entre les babines, sous les huées
de son maître éveillé par le chat-hut. Je lui déclarai qu’il s’était sûrement cassé la dent par
vice… d’attirer la petite souris à son chevet pour la croquer. Il avait dû s’exécuter trop tôt,
n’ayant pas reçu son obole. Ainsi, en payait-il le prix.
Ta mère sentit à son tour, la fatigue l’assaillir. Au lieu de nous promener dans le jardin, elle
me supplia de la ramener en notre foyer, au sein desquels paradoxalement, il manquait de
feu… l’endroit était froid. A peine arrivée, elle se rendit en notre chambre et s’affala sur notre
lit. La débauche la cueillait de son corollaire. Quant à moi, frais et disponible, n’ayant pas été
contraint de déboutonner mon pantalon, je m’attelais à te narrer notre journée. Je m’asseyais,
rejoint par la Blanchette japonaise… la chatte liliale et débridée, aux yeux nippons… ni
mauvais. Elle sauta sur mes genoux pour ne plus me quitter. L’absence l’avait-elle rendue
câline ou subodore-t-elle ta présence ? Fut-elle poussée par la jalousie ou la hantise d’être
délaissée ? Je ne sais. Par contre, ce dont je suis certain… Tu auras du gras autour de l’os, ma
fille. Ta génitrice s’empiffrant tant chez ses parents que chez les miens. A sa décharge, la
cuisine y est excellente en ces deux places. Et nous sommes de bons vivants. Est-il utile de te
le préciser ? Où il y a des gènes, il y a le même plaisir… [Pour la petite histoire, l’oncle de
Nathalie n’est pas venu ternir cette agréable journée.].
J moins vingt. Si à moins cinq tu n’es pas là, je m’en vais. Je n’aime pas que l’on me pose un
lapin… même en ce jour de Pâques. De quoi s’agit-il ? De la commémoration de la
36
Caïatte : adj. roux en frouardais.
188
A toi que je ne connais pas en corps…
résurrection du Christ. N’étant pas de ses fidèles, il me faut t’avouer que ta mère et moi, nous
nous en moquons. Cette célébration n’est pas nôtre. A l’instar de tout autre, elle est devenue
commerciale. On y célèbre davantage le chocolat sous toutes ses formes et les babioles qu’il
contient… les marchands du temple plutôt que celui qui les en a chassé. Urbi et orbi sont dans
un bateau. Il s’en est fallu du peu, que le Pape ne tombe à l’eau (poussé par les libéraux). Le
pauvre vieux n’est plus qu’une ombre… celle de lui-même… papaye royale ou pas.
Nous ne ferons – ni n’avons fait – Pâques avant les rameaux. Nous t’avons conçue après le
mariage… nullement par obéissance à des principes religieux… mais par aspiration civile.
Aussi, les cloches n’ont-elles daigné déposer de friandise à ton attention, dans le jardin. Bien
que la charité soit chrétienne, si tu n’appartiens pas à la caste, elle te nie. Tu auras beau
t’évertuer, ton existence durant, à dispenser le bien par vocation (non par obligation), tu
n’auras pas de place au paradis. Pour cela, il eût fallu te mouiller… te confesser… entrer dans
le[s] rang[s]. Oui, les places sont réservées aux bons pratiquants. Ainsi, comprendras-tu que je
ne puisse briguer m’acoquiner… me compromettre avec ce genre d’individus élitistes et
intéressés. Aussi, ai-je promptement renoncé à toute prétention. En suis-je affecté ou
malheureux pour autant ? Nenni !
Les poules ont gardé leurs œufs. Les cochons sont bien gardés. Avec ta mère, nous nous
sommes interrogés quant à cette symbolique (point du cochon mais de l’œuf). Après maintes
réflexions, j’ai émis l’hypothèse que le zygote personnifiait la naissance ou la renaissance.
Quant au chocolat, la denrée est meilleure que le pain azyme. Il est plus aisé à avaler, surtout
pour les enfants. Le mercantilisme est bien rôdé. La doctrine entre d’abord par l’estomac puis,
culturellement, dans l’esprit. Par la gourmandise, il attise l’envie puis punit celui lui ayant
succombé. Ainsi, tient-il sa victime, enfante-t-il le fidèle. Ce dernier n’aura de cesse que de
vouloir expier sa faute qu’en soit le moyen. Tour à tour, il tutoiera les sept autres péchés
capitaux (tendus comme une main mais s’avérant être des pièges)… paiera pour son salut. Or,
le prix est élevé… à hauteur de l’éden.
Cette journée n’est qu’un repos de plus octroyé par nos charitables dirigeants. Je ne crache
pas dans la soupe, ni dans le pain. Je ne le considère point comme un présent religieux mais
une non-discrimination entre tous les citoyens de cette nation, qu’en soit leur sexe, origine,
mœurs, religion… Ainsi, aimerais-je que tout croyant – monothéiste ou païen – puissent jouir,
au pendant des chrétiens de jour fériés et chômés… de célébrer leurs prophètes (pro-fêtes). De
concert, que nous puissions en bénéficier. Ce serait plus juste. Ce serait une juste
reconnaissance… un remerciement légitime eu égard aux impôts (qu’en soit la provenance)
que l’Etat distribue aux cultes, malgré sa séparation d’avec l’Eglise. Toute-foi, si tu veux mon
avis, ce ne sera pas demain la veille… hégémonie dogmatique oblige. Les lobbies, plus que
les porcs, sont bien gardés. Là, j’abandonne la plume. Le lundi pascal s’achevant… achevant
mon inspiration.
J moins dix-neuf. Après le jour de débauche et celui de « bauche », revint l’embauche. Il me
fallut retourner au labeur… guère longtemps. Tu le sais, je ne suis pas fait pour les travaux
forcés. Nous sommes allés – ta mère et moi – visiter cet après-midi les lieux où tu devrais
nous venir. J’emploie le conditionnel sciemment… entendant la normalité… éventuelle. En
matière de naissance, il n’est point de généralité. Il se pourrait… soit que tu nous prennes de
vitesse… soit que tu aies besoin d’une ouverture chirurgicale pour nous venir. Il convient
donc d’être prudent… Quant au boulot, il s’agissait de délibérer au conseil de prud’hommes,
des affaires passées devant nous fin mars. Je pensais que l’exercice serait le dernier du genre.
Or, nous avons dû prendre un temps conséquent sur un dossier, méritant toute notre attention.
189
Journal d’un futur père.
Ainsi, nous faudra-t-il nous revoir fin avril. J’espère que tu ne seras pas sur le pont, prête à te
jeter à l’eau.
Depuis une décade, je me sens à l’aise dans ma peau… un poisson dans... Je ne suis point
stressé, ni angoissé. Comment te dire… Je suis plein… saoulé par la vie… grisé par l’envie.
Je me laisse porter par le courant qui me semble favorable. Pour une fois, je n’ai point
d’ennui. N’étant pas habitué, j’ai tendu le dos, guetté la moindre anicroche ou épreuve. Il n’en
fut rien. Un instant, j’ai été tenté d’allumer une mèche, à l’instar des pompiers brûlant les
breuils dans le dessein de limiter les incendies… d’engendrer des feux préventifs. Ils n’ont
pas pris. Je me suis résigné… abandonné à l’heur. L’expérience est agréable, ma foi. Que me
compliquais-je l’existence, me complaisais-je dans la vilenie ? Car, j’étais en proie à de
funestes… d’abjectes idées. Aussi, m’incriminais-je… me dénigrais-je… me vilipendais-je. Je
me sentais honteux… sali par mes propres réflexions. A la réflexion, j’ai saisi qu’il ne faut
guère culpabiliser de semer de viles pensées en soi (car enfantées par ce côté sombre, ce
contre-pouvoir nécessaire à mon équilibre) mais les laisser s’enraciner… ou ne pas avoir la
force de les faucher. Elles naissent pour être cueillies… nous renforcer en nos convictions
– provocation comparative –… non pour qu’elles nous submergent, nous séduisent… au
pendant d’une courtisane, d’une succube. Il convient d’être fier de les conquérir… pour mieux
les délaisser.
Pourquoi te confis-je cela ? Parce que tu vas bientôt t’en rendre compte… d’aucuns jouissent
de te juger… par arrêt, de te contraindre à t’auto flageller d’ouïr les voix de ta mauvaise
conscience. Or, si tu les tais, l’équilibre se rompt. Tu es à leur merci… choyant. J’en ai
longtemps souffert. C’est sûrement la raison pour laquelle… par laquelle je me suis pensé un
preux, devant sauver la veuve et l’orphelin. Je me suis longtemps perdu… et de vue, fourvoyé
dans des chemins qui n’étaient pas les miens… dans des quêtes qui n’étaient pas miennes. Y
renonçant, démission après des missions, je tutoie ma nature enfin. Je suis bien. Il ne
m’appartient pas d’être bon. Il m’incombe d’être. Je suis ce je suis… non plus ce que j’essuie.
Je l’accepte… ma destinée. Dans le fond, ce que j’avise, n’est pas pour me déplaire. Je
m’agrée en artiste… le revendique. Il relève de la société de me reconnaître ou pas. Pour ma
part, je m’en fous éperdument… J’aime ma vie à présent. Je ne suis pas un chevalier mais un
plumitif. Je ne suis pas de l’histoire. Je l’écris... à corps.
Il en est une que je ne rédigerai pas, dont je m’abstiendrai de m’y essayer… la tienne. Là, j’en
fixe les bases… ou plutôt des données virtuelles. Je te cèderai tantôt la plume, déposerai mon
arme à tes pieds. Dans mon sang, tu pourras puiser toute l’encre dont tu auras besoin. De mes
mains, je te ferai des pages. Tu les entameras au matin, les maculeras tes jours durant. Je les
laverai le soir venu, lorsque tes paupières ne tiendront plus, que tu puisses te répandre encore
et en...
J moins dix-huit. La vie reprend ses droits. Le quotidien nous absorbe. La chaleur est de
retour quoique précoce. Elle assèche nos liquidités… ainsi que les sujets. Je n’ai plus grand
chose à te dévoiler. Et toi tellement ! Je n’ai pas trouvé le moyen d’en apprendre davantage te
concernant, nos communications se raréfiant. Tu parviens à peine à bouger, tant tu prends du
poids. Et mes doigts ont du mal à t’entendre ou à te percevoir. Tu n’es plus qu’une masse
imposante… informe… délaissant nos jeux de paume… nos révolutions.
Nous revenons d’une énième consultation. Apparemment, tout va bien… pour la mère comme
la fille. Ton petit cœur bat une jolie chamade. Tu es redescendue vers la sortie. La cantine te
lasse-t-elle ? Es-tu prête ou es-tu en quête de place ? Exploites-tu chaque recoin pouvant
t’enchâsser ? Nathalie craignait que tu ne sois menue et frêle. Elle se jetait sur la nourriture.
Rassérénée, elle délaisse le grignotage… adopte à mon instar, des portions raisonnables. Elle
190
A toi que je ne connais pas en corps…
n’a pas pris de masse… en a même perdue. Notre alimentation est plus saine. Je suis moins à
l’étroit… en tes téguments.
La visite fut centrée sur quelques examens… plutôt un dialogue nécessaire. Suite à ton souci
de rein, nous avions à cœur, ta mère et moi, de purger nos non-dits. Nous nous sommes
longuement étalés sur ta question. Ta génitrice – suite à notre visite en la clinique – avait
besoin de faire le point. La personne nous ayant reçus, tint apparemment des propos qui la
heurtèrent. Nous avons effectué des préparations nous permettant d’être acteurs lors de
l’accouchement. Or, il semble que le corps médical – à l’exception de notre obstétricien et de
notre sage-femme – ne soit pas sur nos bases. Sa vision est plutôt technique et dépourvue
d’humanité. Tu n’es plus notre bébé mais un patient dont il lui appartient… lui appartenant.
Pour ma part, son monologue ne m’a pas perturbé. Je me disais cause toujours ma vieille, j’ai
mâté des tauliers plus récalcitrants que toi. Etant chef du service, elle est sûrement payée pour
débiter son argumentaire. Il était vain de polémiquer en l’instant. Le jour de l’accouchement,
nous saurons faire plier ce corps par trop rigide. S’il veut m’imposer un principe, il faudra
qu’il m’en démontre la justesse et la nécessité. Si ce principe devait t’arracher des larmes,
qu’il m’en explique la ou les raisons. Plus que tout, j’ai acquis qu’un nourrisson pleure afin
d’exprimer un tourment ou une souffrance…
Je fus fort surpris de la réaction de Nathalie. Ce matin, après un gros câlin, elle m’avait confié
être mieux dans sa peau depuis qu’elle avait pu appréhender les lieux. Elle avait rêvé de ta
mise au monde et se réjouissait que tout se fût parfaitement déroulé. Elle n’était plus
anxieuse. Est-ce notre discussion à brûle pourpoint avec celle qui nous suit, le fait de pouvoir
librement lui parler qui suscita cette expression ? La femme pleine de sagesse – d’où le nom
de son emploi ? – lui rétorqua de ne pas s’inquiéter. Elle sera présente et aguerrie à l’exercice.
Elle saura recadrer les tentatives de déviation. Nous serons deux – voire trois avec le
gynécologue – à ne pas les lâcher.
Nous ne souhaitons rien fixer à l’avance, au pendant de notre mariage… que l’événement se
déroule le plus naturellement possible. Ce manque de repère peut éclairer – à défaut de les
excuser – les craintes de la profession habituée à tout maîtriser et à suivre des processus
rôdés. La pléthore de procès dont elle est victime (ou bourreau), n’est pas pour l’amadouer.
La responsabilité l’a déshumanisée. La coutume a pris le pas sur les sentiments. Cependant,
notre conception est à l’opposée. Et cet enfantement est le nôtre. Par conséquent, nous ne
sommes pas disposés à nous en voir dépouillé. Nous ne le sommes pas davantage qu’il te soit
pratiqué des actes inutiles. Nous agirons en fonction de nos ressentis ou ressentiments. Je ne
puis te dire, à l’avance, ce qu’il en sera. Je dois t’avouer que cette part d’inconnue… de
surprise… n’est pour me déplaire. Ni ta mère, ni la mienne, ne pourront vendre la mèche,
cette fois-ci.
Quant à la polémique du bain… à savoir s’il vaut mieux t’en donner un de suite afin de
resserrer nos liens et te relaxer après le travail… ou non… et attendre trois jours susceptibles
d’ôter ton vernix caseosa, nous apprécierons. Je ne puis anticiper mes envies. Pour l’heure,
j’ai toujours celle de t’embrasser… de tenir ton corps contre le mien… de te réchauffer… de
sentir ta vie… de te respirer. Il ne me semble pas que l’eau puisse être un traumatisme pour
toi… venant de passer plus de huit mois dedans.
J moins dix-sept. Les hormones semblent produire de plus en plus d’effets sur ta mère. Elle
est constamment excitée et, son excitation avive la mienne. Nos réactions sont ardentes,
quelles qu’elles soient… sur le fil du rasoir… donc exacerbées… passionnées. Ainsi, tout estil tendu… son ventre… nos échanges… mon ventre… nos mélanges. Il n’est pas un jour sans
191
Journal d’un futur père.
que nous ne fassions l’amour. Il n’en est pas un sans que nous nous prenions de bec. Cela ne
dure jamais au-delà de l’heure. Nous finissons toujours dans les bras l’un de l’autre. Il ne
s’agit pas d’ire… de courroux. Rien de cela. Nos propos provoquent l’autre… le cherchent…
le titillent. Dès que la tension est à son summum, elle cesse. Nous allons d’alternative en
alternative, d’apogée en périgée. Aussi, le courant passe-t-il… circule-t-il.
Nous attendons des amis s’en revenant du midi… du sud de notre pays. Il est huit mois qu’ils
s’en sont allés… Oui, au moment de ta conception. Nous sommes impatients de les retrouver.
Le clin d’œil est amusant. Ils seront parmi nous avant toi. A moins que tu ne décides de tous
nous mener à la clinique, pour une grand messe de circonstance. Quand j’écris « tous » ce
n’est pas sûr… lui, il est cassé. Un mal de dos ancien s’est réveillé sur les cassis et dos
d’ânes… les heurts de la route… et les bords d’une baignoire. Il est contraint de rester aliter.
Son jeune fils est souffrant. Le voyage et la climatisation de la voiture ont eu raison de sa
santé. Elle… elle m’a appelé pour m’annoncer qu’ils seront en retard (attendant le
médecin)… voire dans l’incapacité de nous rendre visite. La décision, las, ne leur appartient
pas. Elle dépend de la visite du praticien et de son verdict… de l’hypothétique infiltration.
Le téléphone sonne. Elle m’annonce qu’ils ne pourront pas venir. Le docteur ne passera
l’examiner qu’en début de soirée. Malgré ses tentatives, il ne parvient pas à se mouvoir sans
souffrir. Je ne reverrai pas mon pote… pas de suite en tous cas. Y parviendrons-nous avant
qu’il ne reparte… ou lorsque nous serons dans le Loiret ? L’avenir nous le dira. Par contre, sa
femme est sur le chemin de notre demeure, avec enfant et frangin. Il se peut que je sois bref,
briguant de pouvoir la recevoir comme il… comme elle se doit. Elle m’a susurré avoir un
petit cadeau pour toi. Nathalie s’affaire aux fourneaux pour leur préparer un far breton. A
défaut de pouvoir dîner ensemble, nous goûterons.
La région paraît leur être devenue fatale. En sera-t-il de même pour nous lorsque, après l’avoir
délaissée, nous nous en reviendrons en ses terres, embrasser nos familles respectives ?
Aspirera-t-elle à se venger de l’abandon ? Notre Lorraine (natale pour ta mère et toi,
d’adoption me concernant) à terriblement souffert de la désaffection… en souffre encor. Son
sol est un gruyère… un champ de mines… et ses habitants sont cassés par de rudes labeurs (à
l’instar de mon ami)… et des guerres. Elle n’a été épargnée. En dépit de ses stigmates, elle
reste belle et tient la tranchée haute à bien d’autres. Qu’est-elle méconnue ? Si peu
fréquentée ? Par les touristes, entends-je. S’agissant d’emplois, le bassin s’est vidé. Il est
asséché. D’aucuns l’ont dépossédée de ses richesses, violentée jusqu’à la dernière goutte de
sueur. Ils s’en sont allés, leur trésor sous le bras. Privée de dot, elle n’est plus nubile.
L’on sonne… Heureuse surprise ! Ils sont là, tous les trois… Non pas le frère mais mon
ami… en chair et en os… le pas boiteux… hésitant… incertain en ses appuis… le dos voûté.
Il monte péniblement l’étage. Je l’invite à entrer, l’assieds aussitôt. Je lui demande s’il est
correctement installé… s’il désire un oreiller pour se caler. Je suis flatté de l’effort qu’il a
produit. Aussi ai-je à cœur d’être aux petits soins. Sa femme libère sa progéniture… ce fils
qu’elle portait en ses bras et que j’ai connu bébé. Une tornade se met en branle, chamboulant
tout sur son passage. Le petit est terrible… riant… criant… pleurant… courant… touchant…
heurtant… vivant. Il est dur… mais de l’éducation de ses parents. Il est nerveux, empreint de
leur nervosité et probablement de leur stress. Nathalie est vite dépassée et prie pour que tu ne
sois comme lui. Elle ne te supporterait pas. Quant à moi, je m’amuse avec le gamin. Il n’est
pas si différent des autres, se montre attentif pour peu que l’on soit attentionné. Finalement, il
me rassure. Si tu devais être à son image, je pense que je saurais faire face. Par mon calme, je
t’apaiserais à n’en point douter… un instant lui également n’a su résister. Il a succombé.
Et, tandis que le petit preux – ou pouls – poursuit sa croisade vers la fatigue en se défoulant…
se débattant comme un beau diable, nous buvons… mangeons… parlons de tout et de rien…
192
A toi que je ne connais pas en corps…
de toi et des siens. Le temps qui nous a séparés, paraît ne pas avoir été. Puis, ils prennent
congé… et ta mère, un repos attendu. Elle est tendue, tu le sembles à son exemple. As-tu
ressentie à travers elle, l’existence effrénée de l’angelot ? Je les remercie d’être venus, ne
serait-ce que deux heures. Les minettes ressortent de leur abri. Nous entamons, ta mère et
moi, une discussion concernant ton instruction. Nous sommes d’accord quant à la méthode…
sans friction… querelle… hurlement… agitation… ou rapport de force… avec des mots aptes
à annihiler tes maux, de la communication… des arguments convaincants. Si nous ne savons
pas te raisonner, n’est-ce que nos arguties n’en sont point ? Il nous incombera de nous
remettre en cause, ainsi que nos explications… ou infondées… ou injustes. Ta mère retourne
à ses pianos nous composer un dîner harmonieux. Je reviens à mon clavier, nous narrer. [Pour
la petite histoire, le présent est un joli ensemble vert clair, assorti d’un canard en peluche… ta
première.].
J moins seize. J’ai l’impression de perdre la tête (à l’instar de notre bon Loulou… le
seizième.). Je viens d’achever mon accouchement… Je me suis fait tatouer un bracelet tribal
autour du biceps… de te garder en ma chair. D’aucuns pourraient penser que je prends un
risque en anticipant. S’il devait t’arriver malheur, je n’effacerai pas ce journal, ni nos jeux…
le souvenir de cette communion durant la gestation. De cela, je souhaite conserver la trace. Si
j’attendais davantage, je prendrais celui de ne pouvoir te serrer contre moi… la brûlure des
aiguilles puis la cicatrisation prenant pratiquement dix jours. Mon bras ne saurait s’exécuter.
J’ai repoussé le moment, suffisamment, pour en minimiser le danger. Je ne dis pas que je me
suis accompli en parfaite connaissance de cause (ce serait une injure à la nature)… J’ai la
conviction d’avoir agi avec sapience et raison.
Ce tatouage est au pendant de la mise au monde… les douleurs sont proches… dans leurs
intensités. Ainsi, me sens-je proche de ta mère, solidaire d’elle (l’ayant devancée… lui ayant
ouvert la voie ?). Ma peau préservera la trace de la déchirure, à son exemple peut-être. Du
henné… ma divine enfant ? Il n’y aurait ni pérennité, ni souffrance… ni tambour, ni
trompette. Nathalie eût pu me reprocher d’avoir le beau rôle. Embras-sang mon bras pissant
son cruor, elle n’ose le dire. Elle n’ose le regarder tant il est recouvert de petites billes
rougeoyantes. Elle souffre pour moi. Elle craint pour elle… Les crocs métalliques font
toujours sentir leur morsure. J’en frissonne. Le tressaillement accentue la torture. Je ne le
montre pas, tente de l’oublier. Pourtant, n’étant pas catholique, je n’ai point la culture du
martyre… Je briguais d’itérer ce sacrifice pour toi (après m’être immolé par amour pour ma
femme.).
Je suis passé par quatre phases paradoxales… oui comme le sommeil. Je ne suis pas certain
qu’il sera de tout repos, cette nuit. Le relâchement musculaire nécessaire sera compliqué, tant
mon biceps – voire mon triceps – est meurtri… La première rappela à ma mémoire, la piqûre
désagréable des alênes gorgées d’encre, ainsi que la sensation de phlogose. 37 Elle m’arracha
des gouttes de sueur énormes. Tout mon être se mit à exsuder de douleur. Je sentais des filets
se former sous mes bras, sur mon torse… et dégouliner jusqu’à la ceinture. Je bouillais. Mes
téguments irrités se firent des cratères difficiles à taire. Ils vomirent mon sang prestement.
Cela dura une demi-heure… le temps de dessiner les contours. Il y eut des traits plus
traumatisants que d’autres, fonction de l’angle et de l’endroit. Après une pause utile… et pour
que je reprenne ma respiration… et pour me dégourdir… et pour permettre à mes humeurs
d’achever leur écoulement… qu’elles ne se mêlent pas à l’encre (qu’elles ne la diluent pas.),
je reprenais la position adéquate.
37
Phlogose : n.f. inflammation interne ou externe ; ardeur, chaleur contre nature et sans tumeur.
193
Journal d’un futur père.
Un peigne composé de cinq aiguilles alignées entama la deuxième phase. Il s’agissait de
donner un contenu zain au dessin. Je devins zen. Mon cerveau produisit-il des hormones aptes
à m’anesthésier ? S’était-il habitué à l’irritation ? Ma peau encaissait-elle davantage ? Je
ressentis fort peu l’agression… l’agressivité des pointes gerbant leur sépia. Des clients
entrèrent dans la minuscule échoppe. Ils venaient par curiosité ou par envie timide. Ils
regardèrent nonchalamment quelques modèles puis, ne parvenant pas à se décider, ils vinrent
admirer le travail de l’artiste. M’avisant complètement décontracté (car assailli par de simples
fourmis), ils franchirent le pas. Ils s’arrêtèrent sur un modèle et arrêtèrent une date. Le
tatoueur dut interrompre son œuvre.
Lorsqu’il revint, j’entrais dans la troisième phase… celle de la lassitude. Le staccato
incessant, lancinant de la machine commençait à m’irriter… point que les tympans. Je
m’éveillais, sortais de ma torpeur. La souffrance reparut, plus forte. Je serrais les dents et les
poings. Mon bras s’engourdit. Je n’avais qu’une hâte… l’achèvement du supplice avec la fin
de l’ouvrage… ou une suspension. Ce fut la finalité après des retouches de circonstance. Je
fus soulagé d’en avoir terminé. L’homme me nettoya le bras… brisa les lardoires utilisées…
fit deux clichés de son labeur puis, il m’emballa la viande sous cellophane que je ne saigne
pas comme une bête sortant des abattoirs. A la différence d’icelle, je n’en repartis guère les
pieds devant. L’air frais me fit grand bien. Je recouvrais mes esprits.
Vint la quatrième phase… celle où la douleur emmagasinée aspire à s’extraire des chairs… où
chaque coup donné doit être rendu. Je pris le volant engourdi. En roulant, je vis défiler devant
mes yeux, des images que je pensai les avoir vu auparavant… prémonition devenant réalité ?
Mes méninges furent-elles heurtées au point de m’insuffler des hallucinations ou des
propensions clairvoyantes ? Je fus de longs instants ailleurs, transporté hors de ce corps
gémissant et douloureux. Un mal de crâne latent au silence recouvré tenta de me percer. Les
heurts paraissaient s’enfiler en mes veines pour gagner mon cerveau… l’assaillir. Des
bouffées de chaleur montèrent sans parvenir à m’emporter. Je résistais, grimaçant. Ne
trouvant pas d’écho, les sévices finirent par se taire… Ma chair s’essaie à la cure. Elle s’est
apaisée lui ayant passé de la pommade… l’ayant récom-pansée d’avoir tenu. Elle arbore ce
cordon me reliant à toi… celui que nul ne saurait couper. [A t’écrire, mes mots supplantent
ces autres (maux). Je me sens mieux… prêt à recommencer. Pourquoi sommes-nous entraînés
à bisser les expériences éprouvantes ? Avec le temps, se travestissent-elles pour se rappeler à
notre bon souvenir ? Sont-elles une épreuve nécessaire puisque nous menant à nos limites ?].
J moins quinze. Les sorgues ont tu la barbarie. J’ai pu dormir… jusqu’à ce ta mère fasse
chanter la sienne, ne parvenant pas à bâillonner ses envies concupiscentes. Après avoir fait ou
s’être commise dans des rêves érotiques, elle eut l’aspiration de mettre en pratique ses
inspirations. Elle vint me chercher d’une main, me caressa. Je m’éveillai péniblement, étourdi
par un mal de crâne… ne comprenant pas de prime abord. Je ne bougeais pas, pensant que
mon inertie… mon immobilisme finirait par l’éconduire au pendant de ma douleur. Il n’en fut
rien. Mon ithyphale me trahit. Titillé entre ses doigts, il ne sut se contenir. Il se redressa,
invitant dans son allant de générosité… mon succube à poursuivre le déduit. J’en déduis que
j’étais cuit (au pendant de mon bras et de mon esprit). Oscillant entre surréalisme et réalité, je
ne parvenais pas à me concentrer… ni sur le plaisir, ni sur la déraison. Ahuri par les contrecoups de l’endorphine, j’avais l’impression de faire un mauvais voyage… d’avoir la gueule de
bois. [Du moins, j’imaginais ces deux solutions, ne sachant réellement… ne m’étant jamais
saoulé ou n’ayant consommé de psychotropes.].
L’expérience fut des plus étranges. Mon sexe coupé de moi, mes pensées ayant quitté ce corps
endolori, il ne s’agissait pas d’une décorporation… n’ayant pas totalement délaissé mon
194
A toi que je ne connais pas en corps…
enveloppe. Mon âme semblait scindée… une partie idéelle ailleurs… une conscience
immanente présente… vivant l’instant. Le plaisir me parut loin… s’organiser seul sans mon
ac-corps. Pris au sein d’une endosmose, je fus embarqué par le courant de la solution la plus
concentrée… la volonté extatique de ma femme plus forte encore. Mes idées finirent par
s’organiser… se plier à elle. Empreint, mon cerveau cessa de délirer. J’accompagnais ma
compagne dans la jouissance. Je ne fus plus pétri… perclus de brûlures. Mon état redevient.
Je recouvrai mes esprits. J’expliquai à Nathalie la curieuse expérimentation que je venais
d’essuyer. Je lui révélai que des causes pendantes ne produisaient pas toujours les mêmes
effets. Mon premier tatouage ne fut pas à ce point douloureux… à ce point perturbant… car
non doublé d’une scarification. Elle me répliqua que j’eusse dû requérir l’usage de patchs
anesthésiants. Je n’aurais pas été autant torturé. Je lui répondis que la pérennité de l’œuvre en
dépendait. La souffrance étant telle, il me sera impossible de ne pas en apprécier la beauté. A
travers elle, j’avais vécu un moment singulier.
Au matin, mon bras gauche était ankylosé. Les muscles étaient tétanisés par des ecchymoses.
Les heurts des aiguilles durant des heures transpiraient. J’avais la sensation d’avoir reçu des
coups de poings dont la virulence m’engourdissait jusqu’à l’épaule. Ma peau sembla tendue,
prête à se rompre tant le biceps était saillant. Une auréole violacée entourait le bracelet
« amoué38 ». La gaze et la bande Velpeau apposées pour la brune… de ne pas souiller les
draps de mes humeurs coagulées… étaient collées… maintenues… enchâssées par les croûtes.
Il me fallut tout arracher patiemment pour ne pas rouvrir les plaies. Je les nettoyais… étalais à
nouveau l’onguent apaisant.
Je ne souffre plus. Les couleurs de la douleur s’estompent… emportées avec cette dernière. Il
demeure un léger halo rosé. Je laisse respirer l’encre qui m’échine. Elle brille. Le cruor
séchant ressemble comme deux gouttes à des émaux, donnant à l’ouvrage, un reflet… une
éminence seyants. A moins que tu ne naisses promptement, tu ne les embrasseras point. Dans
quelques jours, ils n’y paraîtront plus. Par contre, je pourrais te recevoir. A choisir, je préfère
ce dénouement… tu en es le facteur. A propos de gouttes, le temps s’évide en une pléthore à
mon instar. Je ne sais quel accès en est à l’origine. J’espère qu’il sera guéri pour t’accueillir. Il
faisait si beau et si doux que nous nous réjouissions de ta venue avec le phébus. Le retour de
la pluie et de la froidure, est-il de mauvais augure ? Je ne veux y voir qu’un besoin de la
nature, d’abreuver ses créatures… celles bourgeonnant. A n’en pas douter, dans quelques
jours, il n’y paraîtra plu[s]…
J moins quatorze. Je viens de débaptiser le présent manuscrit. J’ai supplanté le titre : « journal
d’un futur père » par « … en vie », me semblant davantage correspondre au contenu… plus
approprié à la circonstance. Je ne me sens plus un futur mais un père à part entière. Il s’agit
d’un roman… une autofiction dont tu es le prétexte. Or, cette histoire est mienne… le produit
de mes méninges. Je ne peux subodorer ce que tu me réserves... ni parler au nom de ta mère.
Elle est une vue – certes – mais de mon esprit. Ce n’est plus un journal. Je suis partial. Tu es
le fruit d’une envie commune… Tu es en vie… Tu es une et unique… quoique pas encore
née.
Les paris sont ouverts plus que jamais s’agissant de la date de ta mise au monde… de ton « en
vie » de nous venir. D’aucuns parient quant à l’influence de la lune. Pour les ceux y croyant,
il est deux branches dans le raisonnement. Les premiers pensent que la nouvelle te fera
sortir… donc en ce 1er mai… faites su travail… quoi de plus approprier… sinon celui de ta
mère pour t’expulser. Il s’agit de la théorie de ma sœur notamment… ayant accouché les deux
38
Amoué : jeu de mot entre « à moi », amour et tatoué (il est atoué).
195
Journal d’un futur père.
fois lors de ladite nouvelle lune. Les seconds privilégient plutôt l’influence de la pleine. C’est
la thèse de notre sage-femme. Cela te renverrait… te retiendrait en tes pénates jusqu’au 16
mai… soit cinq jours après le terme prévu. Il est ensuite les individus aspirant à ce que tu
naisses le 5 mai… date d’anniversaire de mon grand-père las décédé. Tu serais ce clin d’œil…
sa réincarnation ? Il est enfin les ceux souhaitant que tu sois enfantée le 11 mai… le jour de la
célébration de Jeanne D’Arc.
En fait, je suis partagé entre toutes ces dates influentes… et de bon augure. Le 1er mai me
conviendrait eu égard à mon militantisme syndical. Etant la fête du travail et l’anniversaire de
luttes historiques, que tu la choisisses, me ferait sourire. Le 5 mai me siérait puisque me
renvoyant à feu cet aïeul que j’adorais et qui me manque parfois. Ce fut un être exemplaire
dont il m’agréerait que tu puisses avoir certains des traits de son caractère. Serait-ce pour
autant sain ? Ne vaudrait-il pas mieux que tu aies les tiens… que tu sois à ton tour unique ? Je
m’interroge. Le 11 mai serait un ac-corps avec dame nature… une prémonition s’avérant…
une confirmation (le rêve du Christ venu à ta mère nuitamment.), ainsi qu’un heureux
présage… Jeanne D’Arc et Orléans étant étroitement liés. Elle fut une femme d’exception.
Quant au 16 mai…
J’avoue que pour l’heure, je m’en manque un peu. Ce n’est pas mon souci… pas même le
cadet… Je suis préoccupé par la manière dont je pourrais révéler à mon épouse combien elle
sent du bec. L’odeur qu’il exhale, m’indispose. Je ne suis pas le plus à même à pouvoir le lui
dire… Je ne puis lui déclarer de butte39 en blanc qu’elle pue de la bouche… qu’elle refoule du
goulot. Je me dois d’éviter l’incident… être diplomate… délicat… prendre des gants. Me
faut-il œuvrer par allusion ? Du style : « Aurais-tu avalé un fennec hier soir ? Aurais-tu
embrassé ou vu le cul du chat de trop près ? ». Me faut-il agir par métaphore ? « Quel est ce
fumet étrange que je renifle soudain ? Aurions-nous un problème de tout-à-l’égout ? ». Me
faut-il user d’aphorismes du genre « Tel estomac… telle bouche ? ». Ou de proverbes ? « Qui
s’endort sans se laver les dents, se réveille avec la gueule qui sent ! ». Ou encore par
allégories : « Ta nuit, ne fut-elle mie agitée ? Es-tu enrhumée ? Ne fus-tu contrainte de
respirer par la bouche ? ». Je n’ai pas le temps de la chanson. Aussi, utilisé-je le ceste. Je lui
lâche que son museau ne sent pas la rose, ce matin. Elle se vexe. J’essuie ses foudres. Je me
lève.
A propose de gants et d’essuyer, j’avale mon petit-déjeuner à toute berzingue… fais ma
toilette… en enfile d’autres (gants)… d’effectuer le ménage en notre foyer. Nous sommes
dimanche. Nous attendons une amie accompagnée de son nouveau concubin, pour le
déjeuner. Or, sur notre sol, dansent touffes de poils et blancs moutons. Il pleut, il pleut
bergère. Je vais les rentrer… les aspirer. J’en profiterai pour débarrasser les meubles de leur
poussière et les miroirs ou écrans, de leurs traces de doigts. Je vais faire de nos pénates, un
palais… Il devrait embaumer.
J moins treize. Tu eus pu naître aujourd’hui… du nombre des convives ayant assisté à la
Cène. Tu eusses été notre divine enfant, à n’en point douter. Las, nous ne jouirons pas de ta
présence. La blague de chaque jour passant, est la question rituelle : « Alors, toujours pas
papa ? ». Elle m’use. Je suis tenté de répondre par l’affirmative, puisque me sentant d’ores en
cet emploi. Or, nul ne comprendrait. Il me faudrait entrer dans des considérations et user
d’arguments laborieux. Je préfère renoncer… me renoncer et répondre : « Non… ». Je ne
m’en sens pas le courage. Je n’ai point l’audace de la polémique à ton sujet. Tout ce qui te
touche, m’est sérieux. Je me sens encorps fragile… n’ayant pas d’humour à ton propos. Avec
39
Butte : n.f. (usage dans son acception militaire) tertre tenant la cible. De butte en blanc : tir d’artillerie.
196
A toi que je ne connais pas en corps…
le temps, j’apprendrai et me libérerai. Pour l’heure, il est difficile de m’appuyer sur des
grandes théories sans pratiquer.
A propos de libération… de théoriciens… les pseudo-libérateurs yankees ont la victoire
amère. Il brigue de punir notre pays pour sa prise de position qui trouve plus que jamais sa
justesse… L’imbécile couillu étant limité intellectuellement, n’a pas daigné prendre en
compte la spécificité géopolitique du Moyen Orient… la pluralité des islams et des ethnies.
Aveuglé par la main mise sur le pétrole et l’ouverture de marchés fermés, il ne sait comment
se dépêtrer du bourbier dans lequel il vient de se fourrer. A l’instar des rasoirs, il eût dû
recourir à des produits à deux lames… la première étêtant la dictature… la seconde arrachant
toute nouvelle tentative, en mettant en place un gouvernement de substitution. N’ayant pas
condescendu s’acoquiner à l’Organisation des Nations Unies… de jouer cavalier seul… il a
sur le dos, le peuple soucieux d’émancipation ainsi que les barbus (religieux) soucieux de
servitude. Après avoir combattu ardemment le marteau et la faucille, le voici réduit au rôle
d’enclume. L’idiot s’est pris la guibole dans son propre piège. Il n’est pas prêt de partir (point
pour les raisons princeps… mercantiles… mais contraint de demeurer). Je me marre… me dis
que je pourrais faire un bon président, n’étant pas plus con que celui-là.
Après la pluie, le beau temps… Mon bras embrasse les couleurs de l’arc-en-ciel. Un superbe
hématome allant du rouge au violet, en passant par le vert, le bleu et le jaune, me tient. Je suis
également en proie à une magnifique allergie. La pommade que je me passe (les fleurs étant
trop chères)… l’onguent que j’utilise d’apaiser l’irritation de ma peau… ne produit pas l’effet
désiré. Il accentue ma douleur en m’affublant de superbes plaques d’eczéma sensibles. De
jolis petits boutons entourent mon tatouage, lui confèrent un esthétisme loin de mes
aspirations. Je semble bourgeonner. Sans doute, la propension du printemps a-t-elle des vertus
sur moi… point bénéfiques. Ta mère n’est guère mieux lotie. Elle est en période de floraison
itou… victime d’éclosions impromptues… et en proie à des crampes, qu’il me faut sans cesse
tirer. (Non, elles n’ont point de rapport avec la conception. Elles ne sont nullement le prétexte
de nos coïts…). Son embonpoint commence à avoir de fâcheuses conséquences. Son corps est
épuisé par la masse qu’elle a prise, qu’elle continue à prendre (de par ton influence). Il ne
faudrait pas que tu remettes au lendemain ce que tu pourrais faire d’hui. Tu risques d’avoir
pour parents deux êtres grabataires. Chaque journée supplémentaire, nous abîme un peu plus.
N’ayant plus de la beauté que le chas – tant les aiguilles m’ont décousu –, j’ai aspiré à devenir
cet autre (chat). Je me suis botté. Je me suis fait plaisir… offert des bottes magnifiques. Elles
viennent de sept lieues, mon petit Poucet. Elles ne sont pas neuves… le sont pratiquement
n’ayant été portées qu’une fois. Elles sont un second pied. Délaissées, elles croupissaient dans
une cave, dans laquelle elles commençaient à se dégradaient. Leur propriétaire les mit aux
enchères sur la toile, pour s’en débarrasser. Dès que je les vis, je succombai à leur magie…
cherchant chaussures à mon pied… sans trouver l’accessoire original. Je désirais un modèle
hors de commun, ne sachant pas ce que j’ambitionnais. Les percevant en photographie, elles
m’appelèrent… me suppliant de les acheter. Elles semblèrent m’appeler. Elles m’apitoyèrent
tant… tout en m’alléchant de concert. Nous fîmes affaire.
Depuis, elles ne me quittent plus. Leur charme opère. J’ai l’impression d’être redevenu un
gosse. Lorsque ma mère m’achetait une paire de godasse, je briguais ne plus les délasser…
allant jusqu’à dormir avec. Ce n’est pas le cas… ayant perdu un peu de ma puérilité… de mon
innocence… certain que ta mère n’agréerait point que je m’y essaye. Elles reniflent un peu…
sentent l’humidité. Qu’importe. Mon âme de môme m’est revenue. Je touche derechef
l’excitation… l’émerveillement de mes jeunes années. Aussi, dépêches-toi de sortir que nous
puissions nous amuser ensemble. Je viendrais avec elles te cueillir… que tu sois touchée par
la grâce… que tu entres de plain pied dans mon conte de fée.
197
Journal d’un futur père.
J moins douze. Nous avons cru voir tes petites joues ou tes petites fesses rougies. Ta mère
n’est pas percluse de crampes mais d’une cruralgie… ersatz de sciatique lui immobilisant la
jambe droite, la contraignant à demeurer en position… tantôt assise… tantôt couchée. Elle
souffre le martyre depuis dimanche. La douleur part de la voûte plantaire, se répercute
jusqu’au sommet de la cuisse. Elle parvient à peine… à grand peine à déambuler… se
mouvoir seule. Elle adopte des postures pas très académiques, commence à souffrir de la
seconde jambe (devant supporter l’ensemble de sa masse.)… ainsi que du bassin à sans cesse
se tordre. Il lui eût été impossible d’honorer son rendez-vous chez la sage-femme. Aussi, l’aije appelée qu’elle vienne en nos pénates constater les dégâts. Ce qu’elle fit volontiers en tout
début d’après-midi. Elle pensa de prime abord à déclencher l’accouchement. Il n’était point de
contre-indication. Après un examen, elle te savait en parfaite santé. Ta mère s’y opposa
formellement… Je n’étais pas contre, sachant qu’il n’y avait aucun risque pour toi… que par
la même, nous eussions pu éteindre celui qu’encoure Nathalie. Sa ténacité eût raison de la
nôtre. Nous dûmes y renoncer pour nous rabattre vers des voies éphémères, susceptibles de la
soulager. Nous tentâmes de contacter maints kinésithérapeutes et ostéopathes… en vain. Les
vacances de Pâques ont vidé les cabinets médicaux. Ce fléau est pis que la pneumopathie
atypique. Or, nul ne sent souci. Quelle plaie ! Nous nous rabattîmes sur le savoir de notre
obstétricien, pour trouver quelques succédanés chimiques aptes à inhiber ses maux. Il ne put
nous donner de solution ad hoc du fait de son état de femme enceinte. Il ne peut lui être
prescrit d’anti-inflammatoires. Restait le déclenchement de la parturition.
Face à son entêtement, il fut proposé à ta génitrice, un dénouement moins martyrisant que la
perfusion… l’immixtion par voie vaginale d’une substance (un gel contenant une hormone)
permettant d’enclencher le travail plus naturellement… d’autant plus que le col de son utérus
serait « sympathique »… c’est-à-dire pas loin d’entamer le processus sui generis. Pour cela, il
suffirait de convenir d’une visite à la clinique, afin que la molécule lui soit introduite puis, de
la garder en surveillance durant quatre heures (le temps nécessaire d’aviser si elle ne fait pas
une réaction au produit.). A l’issue du contrôle, je vous ramènerais en nos foyers… encorps
en l’état des poupées russes. Là, nous attendrions la mise en route des contractions… pouvant
prendre une semaine. Ta mère répondit par la négative à cette proposition. Elle préféra que
nous nous focalisions sur la quête d’un praticien capable de la manipuler. Après plusieurs
appels, nous finîmes par dénicher l’oiseau rare. La séance est fixée à demain. Si le résultat
n’était pas à la hauteur de ses attentes, elle n’aurait d’autre recours qu’en ta sortie… bon gré si
tu te décidais… ou mal gré… provoquée si tu persistais à demeurer en son gi-très-rond. Quoi
qu’il en soit, j’aspire à ce que nous trouvions une issue favorable pour tous… d’autant plus
que ne pouvant pas bouger, je me dois de la remplacer en ses tâches habituelles (certes pas
très nombreuses mais infectes pour certaines.). Ainsi, ai-je été contraint de changer la litière
des chattes… repoussées par leurs propres excréments… allant faire leurs besoins dans la
caisse aux papiers prêts à être recyclés. Pour cette première, je fus gratifié de deux travaux
herculéens… pour le prix d’un… consistant à nettoyer ces ersatz d’écuries d’Augias. La
pénibilité de ce labeur ne réside pas tant dans la taille… ou la durée… mais dans l’odeur s’en
dégageant. Jamais, je ne sentis pire empyreume… un concentré d’ammoniaque apte à
réveiller les morts. Ne l’étant pas, je crus que j’allais vomir mes entrailles. Ta mère doit avoir
les sinus brûler à force de s’y être évertuée. Elle semble ne plus rien sentir. J’espère ne pas
avoir à itérer… à succomber… J’en ai l’estomac retourné d’avance. Par conséquent, écoute la
prière de ton pauvre père… Viens vite, je t’en supplie. Délivre-nous de ces enfers. La sagefemme connaît dorénavant le chemin de notre appartement…
198
A toi que je ne connais pas en corps…
J moins onze. Ce mec est extraordinaire. Il a libéré ta mère de sa cruralgie. Il était touché par
son rein droit… descendu. Il lui a ôté toute douleur en la manipulant lentement… sûrement. Il
lui a remis l’organe à sa place, redressé l’utérus partant en vrille et, assoupli le pied. Il a fait
de la place en ce corps devenu trop étroit… é-trois pour deux. Je n’y croyais pas… pensant
qu’il ne trouverait aucun remède tant Nathalie semblait souffrir. Elle ne parvenait plus à poser
sa plante à terre… sans grimacer… sans crier. Sans la déshabiller, il commença par lui palper
le dos de la pointe des doigts… en quelques endroits stratégiques ou névralgiques. Il
s’exécuta à l’identique en la faisant asseoir. Ayant pris quelques repères liminaires, quelques
accords, il la pria de s’allonger et entama le concert.
Il débuta par un air… nerf a priori sans prétention… une sonate de la nuque. Il lui tourna la
tête à l’instar des pages d’une partition. Il s’arrêta… ferma les yeux… parut se concentrer. Ses
phalanges se firent des sondes. Par empathie, il sembla introspecter ta mère par ses tempes…
son sinciput et occiput. Je ne savais que penser. Avec beaucoup d’humour, il la rassura tout en
lui dévoilant qu’il y avait du boulot. La « caisse » était abîmée. Il fit monter le pupitre,
exécuta une symphonie magistrale, allant des pieds à la tête. En virtuose, il ouvrait et fermait
les châsses, tandis qu’il jouait de la chair de mon épouse. Il ne se contenta pas d’interpréter. Il
en reconstruisit patiemment le c[h]oeur… remit de l’ordre en ses cordes emmêlées, les réaccorps-da. Il recommença à attaquer… et ainsi de suite.
En s’affairant, il finit par découvrir la disharmonie du rein… sa présence trop basse. Sans
doute, une contraction musculaire fut-elle à l’origine de la descente… ou tes exercices de
boxe. Du pouce, il corrigea la note pour la mener vers les aigus… où elle eût dû se trouver.
Changeant de baguette, il œuvra sur l’aine… la hanche… la cuisse… le genou… la jambe.
Ayant tout remis d’aplomb, redressé et fait le ménage, il déclara briguer résoudre le problème
du pied droit. Il palpa la voûte en plusieurs points. Ayant trouvé ce qu’il cherchait, il fit des
compressions… Après la musique, nous entrâmes en l’ère de la sculpture. Il changea de
casquette. Ses doigts se firent de doux burins et dégrossirent la matière devenue immobile…
immuable. L’allégeant, l’homme lui rendit de sa souplesse. En Pygmalion, il lui rendit vie. Le
plus étonnant fut qu’il s’exécuta sans heurt… l’enjeu étant d’apaiser… point d’aggraver. De
plus, il n’est pas de ceux – à mon avis – pensant que la cure doive être une torture.
Est-il un artiste ou bien une sorte de messie… de prophète en sa pathie ? Ayant achevé sa
représentation… d’une heure environ… il dit à Nathalie : « Lève-toi et marche ! ». Lazare
mort de trouille, elle s’y essaya néanmoins. O miracle, elle n’était plus en proie au martyre. Je
restais interdit. Elle fit le tour de la pièce… piano… n’y croyant pas non plus. Un rein menant
à un autre, je profitai de l’occasion pour lui parler du tien – le gauche – et de la nécessité
probable de recourir à la chirurgie pour te soigner. Il me conseilla de te remettre en ses
mains… ses mains pouvant te remettre. Ce qu’elles accomplirent sur ta mère, que ne le
sauraient-elles sur toi ? J’acquiesçais. Nous n’avons rien à perdre, hormis quarante-huit euros.
S’il peut t’éviter un acte lourd… naturel de surcroît… je ne suis pas contre… contre l’essai
transformé ou non.
Je dois t’avouer que j’eusse été hésitant si cette solution me fut proposée à brûle-pourpoint.
Par ignorance… défaut d’information… ne connaissant pas l’ostéopathie ni ses effets…
j’eusse songé à du mercantilisme charlatan. Ce n’est nullement le cas. Je puis en attester. Si
cette médecine douce est dorénavant reconnue, elle ne l’est pas suffisamment pour être
remboursée par notre sécurité sociale. Or, apte à éviter des actes chirurgicaux, coûtant par
conséquent moins chère, elle devrait l’être… évitant des dépenses somptuaires aux patients et
des remboursements en conséquence aux caisses d’assurance maladie. Je le dis d’autant plus
aisément que n’étant pas douloureuse (ta mère m’a déclaré n’avoir pratiquement pas senti ses
interventions… quoique ressentant étrangement leur influence intestine… des mouvements en
199
Journal d’un futur père.
son sein.), elle évite en sus les problèmes post-opératoires ainsi que les médications
coercitives. Il demeure le caractère éphémère. Je ne sais si le soulagement durera. Une séance
suffit-elle ?
Pour l’instant, la pratique a eu également des vertus in utero sur toi. Le redressement t’a
permis un gain d’espace et une nouvelle descente vers la sortie. Tu es prête… semble te prêter
ou t’apprêter à l’avènement. S’agira-t-il d’une pierre – optée – faisant deux coups ? Nous
verrons demain…
J moins dix. Nous avons franchi un nouveau seuil. Ta mère ne souffre plus et nous changeons
de mois… de moi. Ce jour est celui de la fête du travail. Il conviendrait de la rebaptiser fête
des travailleurs… Or, je viens de saisir que, si je croyais aux mouvements de masse
spontanés, je ne cautionnais plus les organisations de masse. Après m’être levé, je suis parti
manifester comme tous les ans. J’ai subitement saisi la stupidité de mon acte… mécanique…
ainsi que du rendez-vous. Il est dénué de sens. L’oubli lui a ôté ses légitimités historiques.
Ainsi, les ceux défilant ne savent plus pourquoi ils s’exécutent. Quant aux autres, ils ne
viennent point rejoindre la pléthore, n’en touchant pas le caractère impérieux. Le peuple s’en
fout… se fout de tout. Il perd sa conscience et préfère s’abrutir devant les médiocrités
télévisuelles ou les âneries médiatiques. Le 1 er mai se délite… A l’instar de toute célébration,
il est devenu un prétexte commercial. La vente du muguet a perdu sa spontanéité. Elle est
savamment orchestrée et devenue lucrative. Ses clochettes onéreuses me donnent la nausée.
L’envie en sortant de chez moi de hurler à la ville inerte… déserte… de se mobiliser...
remettre du sang neuf dans ses rues… faire entendre son mécontentement… m’a
promptement abandonné. Je suis las de me battre contre des moulins à vent et pour des
ombres. Je renonce à mon militantisme… sans renoncer à mes idées. Nul ne mérite plus ma
lutte… hormis toi. Je n’aspire plus à m’exécuter… dans l’exhortation. Les syndicats ont
longtemps pensé que la défection était due à une vile communication ou aux appels à la
mobilisation en semaine… donc durant le labeur… qu’il n’était pas aisé aux salariés de nous
rejoindre sans se mettre en danger vis-à-vis de leur employeur… puisque devant user de leur
droit de grève ou de débrayages. Nous leur prêtions des circonstances atténuantes. Je n’y
brigue plus. Aujourd’hui, nous avons eu la preuve de leur lâcheté… que telle est la cause de
leur indifférence… cette journée étant fériée et une coutume (ancienne, constante, générale et
notoire), la classe prolétarienne eût dû nous donner ce prompt renfort nécessaire à la
pérennisation de nos acquis mis en péril. Il n’y eut guère foule dans le défilé. Nous nous
sommes pris de bec avec des individus ne voyant point l’intérêt. J’ai appréhendé que notre
action avait non seulement perdu de sa justesse mais, qu’elle ne méritait plus d’être orchestrée
pour des collaborateurs. Ils méritent ce qui leur arrive. Qu’ils crèvent ! Ils ne veulent pas que
nous fassions leur bonheur, qu’ils se rassurent, il en est une kyrielle se chargeant de faire leur
malheur… leur misère.
Le principe de la représentativité est en train de les aveugler… de les achever. Ils se
commettent uniquement dans l’effort – lorsqu’ils daignent le faire – de condescendre une voie
électorale. L’élu se doit d’œuvrer en leur nom, d’encaisser les coups sans leur en demander
davantage. Le ferait-il, il essuierait une fin de non recevoir. Ce peuple me pue au nez. Je ferai
cavalier seul. Je n’aurai de compte à rendre à quiconque… ne devrai me plier qu’à une
politique… une exigence… la mienne. Si d’aucuns aspiraient à m’emboîter le pas, ils seront
les bienvenus. Ton parrain avait raison quand il me disait : « Il vaut mieux agir seul. ». Il n’y
a point de conflit de pouvoir. Il avait compris. Je suis rentré chez nous, écœuré. Au pendant
de tout un chacun, je me suis écrasé les fesses dans la banquette, me suis gavé des
programmes insipides… des fléaux de la boîte de Pandore. J’ai vite décroché, n’étant pas
200
A toi que je ne connais pas en corps…
aguerri à tant de conneries. Je me suis perdu dans mes pensées, touchant la raison… ou la
déraison pour laquelle les dieux auraient engendré l’homme. N’ayant pas la téloche et
s’ennuyant, ils ont créé cette marionnette imbécile. Dieux qu’ils doivent se fendre la pipe à
nous observer…
J moins neuf. Nous sommes dans les unités… enfin. La crise est là. Ce matin, j’ai quitté notre
foyer, avec l’intuition d’une œuvre achevée et d’une seconde s’achevant. Je n’en touchais pas
la raison. Or, en rentrant ce midi, je trouvais ta mère en larmes, s’évertuant à obvier une crise
de tétanie… de spasmophilie. Elle me lâcha être fatiguée, aspirer à la libération. Ses nerfs
– malgré la manipulation – cèdent face à la sensation de la douleur s’en revenant à pas de
loup. Sans oser me le dire, elle brigue de déclencher in fine l’accouchement. Elle est torturée
entre son désir de te faire sortir et celui inconscient, de penser qu’elle te met à la porte avant
l’échéance… de donner l’impression d’être perdue. Elle me déclare être une mauvaise mère,
déjà, ne pas avoir la force et/ou le courage de mener sa grossesse à son terme. Je la console,
lui rétorque qu’elle est allée suffisamment loin. Tu es en bonne santé et viable. Ce n’est plus
son cas. Elle est en danger contrairement à toi. Elle ne m’entend pas au demeurant…
demeurant focalisée sur sa fonction essentielle de génitrice. Elle se sent sale de vouloir
t’expédier, d’autant que tu ne désirerais pas quitter ton abri de suite… Sinon tu eusses
enclenché le mécanisme émancipateur. Je lui rétorque que tu ne disposes peut-être pas de la
clé. Sans doute serais-tu heureuse de voir le jour… ou souffres-tu ? Sa décision est également
la tienne. Il se peut que les contractions dont Nathalie fut emplie, étaient engendrées par ta
volonté. Elles n’ont pas produit l’effet escompté bien que tu t’y soi[s] essayé à maintes
reprises en vain. Tu utilises donc un succédané… exprimant ta douleur dans la sienne. Tes
coups sont assurément ceux d’un être désespéré mandant du secours.
Elle finit par acquiescer… agréer ma théorie. Elle surenchérit en me déclarant avoir lu que nul
ne connaissait le générateur de l’enfantement. Est-ce la mère inspirée par un sentiment… un
sens de l’innée ? Est-ce le nourrisson tirant une sorte de chevillette apte à chérer40 ou faire
choir sa bobinette ? Elle se blottit dans mes bras. Je la caresse tout en sachant qu’elle attend
une parole. Je lui révèle mon consentement. Il n’a pas changé. Si elle souhaite déclencher
l’avènement, je n’y vois pas d’inconvénient… au contraire. Elle est rassérénée. Nous
déjeunons. Je subodore qu’elle n’est pas dans son assiette. La torture poursuit ses sévices dans
son esprit. Je lui conseille d’appeler la sage-femme. Elle aura une réponse technique à lui
fournir… un soulagement moral. Elle s’exécute. Malheureusement, la praticienne n’est pas
joignable. Le temps qu’elle nous contacte, les viles idées en ta mère ont germé. Une deuxième
crise se profile, plus violente. J’itère mes mots. Ils ne parviennent pas à taire les siens… ni ses
maux. Le malaise éclate… libère ses suppôts. Nathalie éprouve des difficultés à respirer. Je
crains pour elle… mais à travers elle, pour toi… Si elle devait suffoquer, tu ne serais plus
oxygénée. Je ne lâche pas prise, l’invite à respirer profondément. Je l’encourage à se calmer…
ne pas céder à la panique. Je la masse afin que ses muscles ne tétanisent pas. Je lui donne du
magnésium.
Je parviens à l’apaiser. Confiante, elle se laisse aller… se détend. L’accès est maîtrisé. A cet
instant, le téléphone sonne. La cavalerie arrive. J’expose la débâcle à notre « accoucheuse »,
ta mère n’étant plus en capacité de s’y évertuer. A son tour, elle contacte l’obstétricien. Elle
nous rappelle, nous déclarant qu’un rendez-vous est pris demain soir à la clinique. Ta mère et
toi ne devriez en ressortir que dans les bras l’une de l’autre…
40
Chérer : v.i. traiter avec bonté.
201
Journal d’un futur père.
Ainsi, mon instinct m’annonçait-il par l’achèvement… et ta naissance imminente… et la
conclusion du présent ouvrage. Je ne sais si tu naîtras dans la nuit de samedi à dimanche… ou
en ce jour de repos dominical. Je touche que deux journées – au plus – nous séparent. Bien
que je ne le montre pas, je me sens soulagé. Cette conception ne paraissait plus avoir d’issue.
Moralement, je suis autant exténué que ta mère. Les fausses alertes et l’inconnu m’ont défait.
Je suis impatient de te chérir… d’embrasser ta frimousse… Nous n’irons donc pas au bois ce
week-end avec tes grands-parents, cueillir quelques brins de muguet… les lauriers vont
fleurir… la belle que voilà, j’irai la ramasser… Ce sera ta première bouffée d’air pur… en
famille. Tu feras connaissance avec les tiens.
J moins huit. Je ne sais plus taire mon excitation. Je tutoie l’événement comme d’aucuns
s’adressent à leur dieu. Par instinct de la finalité, j’avais été empli de la nécessité de renoncer
à mes créoles pour des brillants. Je m’étais exécuté sans comprendre… sans toucher que je
subodorais l’issue. J’appréhendais inconsciemment que je n’étais plus esclave mais
affranchi à travers ta naissance… maître de ma destinée. En ai-je fait tomber des symboles…
pour de nouveaux… lumineux. A ce propos, je puis te dévoiler que l’anecdote du ménage et
de la femme s’affairant, est inexacte… du moins pas une généralité. Dans notre cas, elle ne
s’est point avérée. J’ai été pétri par cette envie. Nullement Nathalie. J’ai passé la matinée à
nettoyer notre appartement de fond en comble… qu’il soit digne de toi… qu’il puisse
t’accueillir. Je me suis occupé de la litière des chattes. Craignant qu’elles ne souillent mon
travail… refoulées par l’odeur nauséabonde de leur caisse… qu’elles ne fassent leurs besoins
n’importe où… je me suis occupé… empêchant mon esprit de cogiter contrairement à ta
mère. Elle a sombré de nouveau dans la mélancolie… la culpabilité de ne pas mener à terme
la gestation. Elle considère ce déclenchement en échec personnel… une indignité. Elle se croit
inférieure à celles y étant parvenues naturellement, en temps et en heur[t]/heure. Or, la date du
11 mai est purement théorique puisque fondée sur le postulat des dernières règles
arbitrairement fixées par nos souvenirs incertains. Le quantième n’est nullement sûr.
L’échographie a diagnostiqué une erreur d’une semaine. Ainsi, ce dimanche 4 mai serait
l’échéance véritable. Ce serait celui de ta naissance. Par conséquent, il n’est pas de problème
(si tant est qu’il en fût un…). Fondamentalement, plus tôt ou plus tard, en quoi ton existence
serait-elle changée… imprégnée ? Nous ne le savons pas. N’est-il pas primordial que tu sois
en parfaite santé et viable… apte à conduire ta vie… qu’à terme mais diminuée ?
Je lui dis être impressionné par le labeur qu’elle a accompli… te faire grandir en ses
entrailles… ainsi que le zèle et l’amour avec lesquels elle a œuvré. Je ne lui suis pas… je ne
suis nullement déçu qu’elle t’enfante suivant ce procédé. Il se peut qu’il y ait une défaillance
dans la procédure de mise à feu. Qu’en soit la manière, il m’importe que tu sois en capacité
d’être mise sur orbite. Seul l’art m’importe. Et pour en faire… du lard… tu en as
fait… semble-t-il… Je pense être responsable de son désarroi. Je ne l’ai pas suffisamment
remerciée… félicitée – certes encouragé – tout au long de sa grossesse… pour ce qu’elle était
en train d’accomplir. Je ne cherche point à m’exonérer de mes responsabilités. Je pense que sa
crainte du futur et du bonheur rouvre des plaies mal refermées. Elle se focalise sur la
souffrance a priori dont elle risque d’être empreinte pour t’extraire de son ventre… de ton
antre. Elle ne sait plus se réjouir de la liesse de pouvoir enfanter. « Combien de femmes se
battent pour cela… aimeraient être à ma place et frôler cette joie unique ? », me demande-telle. Je lui conte la métaphore de ce professeur de philosophie, entrant en sa classe sans dire
un mot. Il monte sur l’estrade… s’installe derrière son bureau. D’un sac, il sort un bocal en
verre. Il le comble de gravillon jusqu’au bord et, interroge ses élèves… le récipient est-il
rempli ? Ils acquiescent. Il se saisit d’un paquet de lentilles qu’il verse à l’identique. Les
graines se logent dans les espaces vacants. Il itère sa question et obtient la même réponse. Il
202
A toi que je ne connais pas en corps…
s’essaie avec du sable. Les grains se placent dans les interstices et réitère la question. Enfin, il
termine en faisant couler une bière. Le liquide occupe les derniers « vides » ou espaces de
liberté en cas d’abus. Il fournit l’explication de sa démonstration… révèle à ses étudiants que
le bocal est un individu… que chaque chose l’emplissant représente une valeur. Par
exemple… les cailloux symbolisent la famille… les lentilles sont le travail… le sable est le
matérialisme... Il est une priorité à leur donner… au risque d’être débordé à l’instar de ta
mère. Si tu entames par le sable, tu ne peux rien ajouter hormis le fluide. Je lui déclare alors
que ses priorités sont dans le désordre… c’est la cause du sien en ses méninges. S’emplir en
premier chef d’un terme théorique plutôt que de la magie de la vie, est une stupidité… un
non-sens. Il lui incombe donc de remettre de l’ordre en sa tête (de vider le bocal) pour mieux
le réorganiser. Mes paroles produisent le résultat espéré. Elle sèche ses larmes, entame sitôt
de se structurer. « Quant à la bière… », m’interpelles-tu ? J’attendais impa-sciemment que tu
y fasses mention. Elle ne sert qu’à te prouver… qu’en soit l’exercice… qu’il t’appartient de
faire… il est toujours un temps – aussi infime soit-il – pour un petit plaisir. Le mien s’achève.
Je te délaisse à présent. Il me faut préparer à te recevoir. Ainsi, te donné-je rendez-vous làbas. A demain…
J moins sept. C’est en ayant à peine les yeux en face des trous que je t’écris. Après une nuit
cauchemardesque, nous voici de retour au bercail… bredouilles. Tu n’es pas là… pas encorps
en tous cas. Pourtant, ce n’est pas faute d’avoir essayé. A vingt-deux heures hier soir, ta mère
a reçu l’injection par voie vaginale des prostines… le fameux gel contenant l’hormone. Moins
de vingt minutes plus tard, elle était en proie à deux contractions puis, à une pléthore… une
heure passée l’immixtion. Nous regagnâmes notre chambre à minuit et demi, fourbus,
courbaturés… Nathalie par les spasmes, moi par les chaises inconfortables. L’attente fut
interminable. Le pire était à venir… Les contractions se firent de plus en plus douloureuses,
au point d’affaiblir ta génitrice dangereusement. Son col d’utérus refusait de s’assouplir… de
s’ouvrir. Il semblait lutter. Aussi, par intervalle d’une minute, elle gémissait… soufflait…
tentant de reprendre son souffle en vue d’affronter la nouvelle vague. Les sages-femmes à son
chevet, étaient dans l’incapacité de l’ausculter… de pratiquer une palpation. Une tension
palpable nous assaillit.
A deux heures et demi, elle ne dormait pas… moi, si peu… angoissé… perturbé par ses
gémissements… et mon impuissance. Je la veillai jusqu’à quatre heures… jusqu’à ce qu’un
homme fasse irruption dans la pièce. Nous sursautâmes ne comprenant pas qui était ce grand
escogriffe ébouriffé, vêtu d’un blouson de cuir et dont nous n’avisions que la silhouette
inquiétante. Lorsqu’il passa devant l’écran de la télévision (apte à nous procurer une lumière
tamisée, ainsi qu’un fond sonore familier), nous respirâmes. Nous reconnûmes les traits de
l’obstétricien. Inquiété par les pronostics des infirmières, il aspirait à vérifier… à jauger la
situation. Il était aussi mal éveillé que nous, sans doute bousculé dans son sommeil à notre
instar. Sa vision nous éclaira. Il demanda à sa subalterne assurant la garde de nuit, d’injecter à
Nathalie de la morphine. Ce produit naturel aurait pour vertus de la soulager de l’emprise de
la souffrance due aux spasmes… à la spasmophilie et à la cruralgie revenue)… et
simultanément, de domestiquer ce col récalcitrant. Elle permettrait à ta mère de se reposer
enfin…
Peu après la piqûre, la douleur et la torture se turent… Cette drogue ne permit nullement le
sommeil de la brune… oyant tant les bruits internes du personnel médical ou des nourrissons,
les battements de ton cœur sur le monitoring… que les nuisances des véhicules externes. Elle
ne parvint pas à sombrer.
203
Journal d’un futur père.
Au petit matin, elle était excédée… comme exsangue… incapable de donner la vie. Ses forces
l’avaient abandonnée quoique les contractions commençaient à s’organiser. Une émission
toutes les huit minutes voire les six. Elles étaient redevenues tolérables malgré l’évanescence
du psychotrope. Elle put se lever pour uriner… avec mon aide. Elle perdit le bouchon
muqueux. L’esprit enivré par la fatigue, les résidus [endos]morphiniques et autres transports,
elle n’eut de cesse de me déclarer en boucle… « Han, j’ai perdu le bouchon… Han, j’ai perdu
le bouchon… ». Aussi mince fut son delirium, il provoqua notre hilarité. [Pour la petite
histoire, de cela, elle ne se rappelle point…]. Je la recouchais. Notre sage-femme personnelle
(celle qui effectue ce voyage en notre compagnie) fit son apparition. Nous respirâmes. Nous
lui dressâmes le sombre tableau des évènements. Elle nous conseilla d’arrêter le massacre, de
rentrer chez nous… que Nathalie puisse dormir… qu’elle retrouve quelques repères. Nous
pourrions reprendre une fois que ta mère eût recouvré de sa vigueur… suivant les desiderata
de Dame Nature. La mécanique était lancée. Il était inutile de la brusquer… de l’emballer.
Elle téléphona à notre gynécologue qui agréa… sous réserve d’un nouvel examen. De mon
côté, je donnais de nos nouvelles, aux nôtres.
Le temps s’écoula sans que personne ne daignât l’examiner, ni lui portât à manger. Elle se
rabattit sur une pomme achetée en hâte la veille… (Ne jamais effectuer d’achats en ces
moments cruciaux, dans des magasins inconnus, un samedi de surcroît… grossière erreur apte
à te faire perdre ton calme, ta sérénité. Toutefois, que ne refuserais-je à ma femme ?) L’excès,
l’absence de somme, mua cette dernière en bête furieuse. Elle manda une soignante… de
saisir la déraison pour laquelle nul ne paraissait plus se soucier d’elle, l’abandonnant à la
faim. Elle se mit à pleurer. L’aide médicale lui répliqua qu’elle ne pouvait se sustenter…
devant recevoir une nouvelle injection. Ta mère explosa… de ne pas recevoir d’information
spontanée… d’être contrainte d’avoir à lui tirer les vers du nez. Du manque de
communication au sein du corps (ladite injection n’étant plus à l’ordre du jour.). Elle fut
servie promptement. Sur ce, une sage-femme lui déclara que notre praticien arrivait aux fins
de donner son quitus… une autorisation de sortie. Nous jubilâmes à l’idée de quitter cet enfer.
Deux heures passèrent. Impatiente de rentrer et folle de ne pouvoir se reposer, Nathalie
choppa de nouveau une garde-malade. Elle lui demanda si par le plus grand des hasards, elle
avait une notion de la durée. Quelle est la définition « d’un bientôt médical » ? Elle lui
rétorqua que le docteur devrait passer dans la matinée. En cas de retard, elle tenterait de le
rappeler. Nathalie renonça. Elle reçut un plateau repas. (Tentaient-ils de l’éteindre ou de
l’acheter en la rassasiant ?). Ce n’était guère de bon augure. Je commençais à m’impatienter,
n’ayant rien avalé depuis vingt-quatre heures, hormis un piètre sandwich et du chocolat. Payer
dix euros pour une nourriture purement industrielle, ne m’attirait point. Le pigeon, je préfère
le dévorer que de l’être. L’odeur du déjeuner amena l’obstétricien. Après une auscultation, il
nous rendit notre liberté. Il ne voyait aucun motif pathologique (à l’exception de la cruralgie
qui n’en est pas une mais, davantage un problème osseux lié au surpoids) pour nous retenir. Il
nous fixa un rendez-vous au plus tard mercredi, sachant que nous avions toutes les chances
que ce soit ce soir. Car le déclenchement est parfait. Ta mère est désormais prête à enfanter…
tu pousses pour sortir… le col de l’utérus est très souple et le travail se prépare. Il reste à
appréhender s’il s’agit d’un « bientôt » ordinaire ou… Nous regagnâmes nos pénates. Je
décommandais l’invitation à déjeuner de mes parents… ou plutôt nous la repoussâmes d’un
peu.
J moins six. Praxis, s’il vous plaît… Il n’est pas nécessaire de préparer un type
d’accouchement. Il convient de tous les appréhender… Rien ne s’est déroulé comme nous
l’avions prévu… hormis que j’avais prévu qu’il en serait ainsi. Nous avons été déboussolés,
204
A toi que je ne connais pas en corps…
heurtés dans nos repères et nos choix. Seule notre propension d’adaptation nous permit de
faire face. Il conviendrait davantage de maîtriser un panel de préparations afin, le jour venu et
en fonction des ingrédients évènementiels, de pouvoir composer son menu. [Je t’écris ce
paragraphe trois jours l’avènement déroulé… en ta présence. Tu me surveilles et sommeilles
dans mes bras, allant et venant entre réalité et onirisme, gémissements et jérémiades. Je
profite d’un court instant de répit – tu m’en laisses si peu – pour ponctuer cet ouvrage.].
J moins six donc. L’otage est enfin libéré… ton ravisseur ou plutôt ta ravie-mère t’a relâché
entre rires et larmes. Avec le recul, je réalise que la narration initialement envisagée, ne
correspond pas. J’avais l’intention initiale de te raconter en détails, le déroulement des
opérations. J’avise que… ce n’est plus mon souhait… ôtant l’humanité et le romanesque de la
scène. Aussi, t’épargnerais-je que ta mère fit une crise en la présence de notre sage-femme du
fait l’immense fatigue l’ét[r]eignant. Qu’il nous fallut retourner à la polyclinique
précipitamment, aux fins qu’il lui soit administré un suppositoire susceptible d’arrêter les
contractions… de lui permettre de dormir enfin. Qu’il devait s’agir d’un simple aller-retour
théorique. Que la réalité sera tout autre… sans bagage et affamés, nous dûmes demeurer sur
place… le travail ayant commencé. Le suppositoire aura un faible résultat mais, il permettra à
ta génitrice de dérober, au passage, quelques heures de repos et des forces aptes à lui
permettre d’enfanter. Nathalie se querella avec la sage-femme de garde… celle-ci étant trop
brutale… rentre-dedans… sorte de char d’assaut. Un combat entre le pot de fer et le pot de
terre s’engagea… Je dus dormir dans un fauteuil puis par terre, ayant le dos cassé. A trois
heures du matin, la situation nous échappant, nous fûmes en proie à un fou rire nerveux. En
me voyant étendu sur le sol avec un pauvre couvre-lit en guise de couverture, ta mère imagina
que l’on m’eût jeté… un clochard. N’ayant pas un rond pour nous acheter à manger… puants,
n’ayant pu prendre de douche… nous eussions dû nous allonger dans le couloir, avec coupelle
et écriteau : « A votre bon cœur, m’sieux, dames. ». Nous eussions fait fortune… Nous avions
la désagréable sensation d’être pris dans un cercle vicieux, une histoire sans fin… départ pour
la clinique… retour à la maison… départ pour la clinique… retour à la maison... Après y être
repassé, venant chercher tes fringues ainsi que celles de ta mère, m’en revenant en la chambre
de pré-travail, je la découvrais vide. Entre-temps, ma femme avait été transférée en salle de
travail, branchée sous perfusion puis, sous péridurale laborieusement du fait de sa scoliose
très prononcée. Il fallut lui poser une sonde urinaire pour vider sa vessie et te donner un peu
plus d’espace vital. Son col refusa de s’ouvrir afin de te céder la place… Nous eussions dû
t’appeler Désirée… Nous étions ô combien éreintés et affamés.
Après des heures… des jours d’attente… la poche des eaux se rompit et libéra l’humeur
transparente. A partir de cet instant, tout se précipita sans que nous ne comprissions. La sagefemme de jour (à l’opposée de cette autre de nuit car tout en altruisme, gentillesse, chaleur…)
déclara de nous préparer… l’accouchement s’accomplissant. Elle informa ta génitrice quant à
l’art et la manière de respirer, de se positionner. Après deux poussées, j’aperçus le sommet de
ton crâne recouvert de longs cheveux noirs. A la troisième, l’obstétricien prit de court,
accourut. A la quatrième, ta tête parut. Le restant du liquide amniotique jaillit et aspergea le
faciès du praticien. Je délaissai ta mère pour me ruer sur l’appareil photographique et prendre
des clichés. A la cinquième, ta mère te saisit sous les bras et t’arracha de ses entrailles. Tu
pleuras un peu. Moi beaucoup tant j’étais ému. Je me cachais derrière l’objectif pour ne pas
être découvert. Je revins auprès de ma femme nécessitant une épissure… une couture à vif
(l’événement décousu l’ayant déchiré)… te caressai le dos (ton ventre étant contre… tout
contre le sien). Notre sage-femme arrivait, las pour elle, après la marmaille... Je ne te dis pas
que j’étais père… l’étant déjà en mes sens avant la parturition – je le devinais – je le devenais
juridiquement… civilement… Il me faudra plusieurs jours pour réaliser ce qu’il vint de se
produire…
205
Journal d’un futur père.
Nathalie m’interrogea, soucieuse de faire le point quant à ta mise au monde. Elle me demanda
quel était mon pire souvenir. Le temps ayant pour vertu l’oubli, je ne sais ce que je lui
répondis. Quant au meilleur, j’hésite entre la prime vision de ton sinciput ouvrant la mère…
ton passage vers l’autre monde. Ce dont je suis certain… le spectacle ne fut ni grand
guignolesque (dégoûtant, sanglant), ni dramatique… bouleversant au point que je me
pâmasse. Il fut à l’aune de mes espérances… émouvant… magique… beau… unique.
Hic et nunc, s’achève ce carnet de corps… le motif de ce récit étant ta gestation… ainsi que la
mienne à travers toi (ton prétexte). Il s’agissait de décrire… de t’écrire nos métamorphoses
parallèles… la vie de chenille… à la chrysalide… voire l’état de papillon. Mes ailes se sont
déployées dans tes primes bouffées d’air, au pendant de tes poumons. Nous virevoltons
ensemble. Le conte de cette « en-vie » se termine donc. Nous allons de concert, en vivre
d’autres… plus belles encore. C’est la raison pour laquelle, ce manuscrit – à l’inverse de
tous – ne se conclura point par cette finalité de circonstance mais par ce commencement… cet
incipit ad hoc puisqu’un prologue…
Début.
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A toi que je ne connais pas en corps…
Cet ouvrage a été rédigé entre août 2002 et mai 2003
Achevé en sa réécriture le 22 juillet 2012
© 2003 Laurens OEN
E-mail : [email protected]
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