ENVIRONNEMENT et TECHNIQUE n°333 - FOCUS

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FOCUS
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Énergies
L’innovation en cogénération biomasse
Olivier Mégret, Directeur Energies renouvelables et Réseaux de chaleur – Setec Environnement.
L
a transition énergétique passe par
un raisonnement à l’échelle du
territoire, c’est imaginer la consommation énergétique comme une relation d’échange entre production et
besoin, habitat, tertiaire et industrie.
Les besoins de chacun fluctuent au
cours de l’année et de manière
souvent décorélée, chaud, froid,
électricité. Le temps est donc à la trigénération en réseau Smart Grid.
Comme le froid est productible du
chaud (adsorption, thermofrigopompe), et ce avec un meilleur rendement qu’à partir de l’électricité, il
est pertinent que sa production soit
issue d’un réseau de chaleur, qui plus
est, d’un réseau de chaleur basse température et dans l’idéal à partir d’une
production cogénérée.
Aujourd’hui, sur 235 installations de
cogénération alimentant un réseau de
chaleur, la quasi-totalité fonctionne
au gaz. Selon les dernières évolutions en matière de taxe intérieure sur
la consommation des produits
énergétiques,
la
cogénération
biomasse n’y est pas soumise contre
1,41 €HT/MWh pour le gaz, et
retrouve du souffle avec l’ouverture
à l’épandage des cendres riches en
minéraux. Pour autant, on compte
peu d’expérience de cogénération
biomasse, hormis les appels d’offres
de la Commission de régulation de
l’Energie (CRE) et du fonds chaleur
(BCIAT), et encore moins à l’échelle
d’un quartier. Une première nationale est en cours de réalisation pour
Environnement & Technique - N°333 - Février 2014
le compte de la Serm (Société d’économie mixte d’aménagement de
Montpellier) avec une cogénération
biomasse sur le quartier de la ZAC
Port Marianne (maître d’œuvre : setec
environnement, Imagine architectes).
Avec un réseau connecté à des
machines de production de froid,
c’est un réseau en trigénération qui
s’installe. La cogénération ou trigénération biomasse est un outil pertinent
du développement durable des quartiers. Les solutions technologiques
possibles dépassent les simples
chaudières bois.
Réseau de chaleur biomasse
Les réseaux de chaleur au bois représentent 373 MW installés avec
une moyenne de 2,88 MW par réseau. Les réseaux desservant plus de
20.000 habitants disposent généralement d’unité de production supérieure à 3MW (source Amorce 2013).
La consommation en bois atteint
environ 450.000 tonnes annuelles
dont plus de 68,3% à partir de
plaquettes forestières. On soulignera
que 60% de l’accroissement annuel
de la ressource forestière est récolté
en France (source ANCRE). Egalement
26,2% de la consommation sont des
bois en fin de vie, c’est-à-dire du
broyat de bois d’emballage (96,6%).
Il est important dès à présent de
souligner que la pertinence réelle
d’un réseau de chaleur biomasse, ou
à partir d’une énergie renouvelable,
n’a de sens que s’il aboutit à un coût
de chaleur à l’usager inférieur ou
égal à celui du gaz (énergie fossile de
référence). En ce sens, on met ici le
doigt sur le fait que la ressource biomasse utilisée en réseau de chaleur
doit être la moins chère possible,
donc aller vers l’usage de biomasse
“déchets”. Pour revenir sur les statistiques (source : Amorce), on sait également que 80% des réseaux de chaleur
biomasse s’approvisionnent auprès
d’un seul fournisseur et 72% dans
un rayon inférieur à 50 km. Ceci met
en avant la nécessité de diversifier
l’offre biomasse pour augmenter la
compétitivité pour réduire les coûts
de combustible.
La consolidation d’une filière cogénération biomasse requiert que l’on atteigne une performance économique.
En 2013, le coût chaleur rendu à
l’usager sur les réseaux biomasse est
de 65,6 €HT/MWh (source : Amorce).
Cogénération biomasse
Dans ce contexte, l’application
recherchée est celle d’alimenter un
quartier ou une ville moyenne. On
se situe donc dans des puissances de
chaufferie de 3 à 10 MW. Très peu de
chaufferie biomasse produisent de la
vapeur, certaine de l’eau surchauffée
(environ 20%) mais généralement
de l’eau chaude. Il s’agit donc bien
de faire émerger des solutions pour
les futures chaufferies plus que
d’imaginer transformer les existantes.
Setec environnement a travaillé sur
plusieurs concepts de cogénération
qui voient aujourd’hui leur mise en
oeuvre. Partant du postulat que les
réseaux de chaleur performants sont
ceux qui fonctionneront en basse
température (souplesse pour les
appoints en ENR mais surtout les
énergies de récupération associées
au concept Smart Grid, réduction
des pertes du réseau, réduction des
investissements, facilité d’entretien…),
deux technologies font figurent de
réponse intéressante :
- La combustion biomasse avec production d’eau surchauffée couplée
à une turbine à Cycle Organique de
Rankine (ORC) refroidi par le réseau
de chaleur ;
- La gazéification de la biomasse avec
cogénération en moteur refroidi par
le réseau de chaleur.
Cette dernière solution offre en outre
la possibilité de travailler en mix
combustible gaz sur les chaudières
d’appoint.
Système à partir d’un cycle chaudière
bois et turbine
Le cycle ORC est particulièrement
bien adapté à la cogénération d’une
source chaude entre 150°C et 300°C.
Ayant fait l’objet de développement,
il est proposé par plusieurs constructeurs (le français Enertime et l’italien
Turboden principalement) dans des
gammes de puissances adaptées aux
chaufferies biomasse ciblées. (Une
description de la technologie et de
l’offre a été réalisée dans l’article E&T
n°316). Setec environnement réalise
la centrale de cogénération biomasse
sur ce concept pour la Serm Energie à Montpellier, ainsi également
que l’installation d’une cogénération
ORC à partir de l’eau surchauffée
du réseau de chaleur de Nantes produite par la centrale de valorisation
énergétique des déchets Alcea pour
Séché Environnement.
Le concept est simple, il s’agit de
produire une énergie issue de la
combustion de la biomasse aux
caractéristiques de la turbine ORC
(ici de l’eau surchauffée à 200°C). La
production électrique est issue de la
détente dans une turbine de la vapeur
de l’huile organique. Au condenseur
du cycle, le réseau de chaleur pompe
les calories nécessaires. Le réseau de
chaleur est sur un régime 60°C-90°C.
Pour une puissance chaudière biomasse de 5,5 MWth, la turbine rendra
700 kWél bruts (hors consommation
des auxiliaires), soit un peu moins de
13% de rendement sur brut.
Si la turbine ORC a la capacité de
démarrer à des valeurs inférieures
à 10% de charge, il est évident que
le seuil de fonctionnement est celui
permettant de produire au-delà de la
consommation des auxiliaires. Mais
également, c’est la technologie de
la chaudière traditionnelle au bois
qui limitera le fonctionnement, ces
dernières ne pouvant pas fonctionner à moins de 30% de leur charge.
Pour éviter cette contrainte, e e
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Énergies
Figure 1 : Exemple Schéma général procédé Cogénération gazéification biomasse – réseau 70-110°C (setec environnement)
Figure 3 : Conception chaufferie cogénération 4 MWth et 2,5 MWél avec gazéification en lit fluidisé 2 x 5 MW PCI syngaz
(setec environnement- 2013)
Chaudières Gaz appoint-secours Moteurs cogénération
e e la conception peut laisser la
possibilité d’un appoint au gaz pour
les charges inférieures.
Il est également utile de penser dans
le cadre du fonctionnement souhaité en
production de froid. Ainsi, la chaudière
biomasse tournera toute l’année et la
production électrique également.
Système à partir de la gazéification
biomasse
Les chaudières standards sont sujettes
à plusieurs difficultés au regard de
l’évolution règlementaire. Jusqu’à
peu, les contraintes en matière
d’émissions atmosphériques se résumaient à un seuil de poussière. Dorénavant, la règlementation amène
ces installations à limiter fortement
les poussières mais les autres polluants dont les oxydes d’azote. Pour
les chaufferies de petites puissances,
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Figure 2 : Exemple du Procédé Berkes – Projet De Smet à l’Usine Saipol (33)
cette contrainte est technologiquement plus complexe à lever.
Setec environnement a depuis plusieurs années imaginé l’utilisation de
la gazéification comme une alternative performante à la combustion en
atmosphère oxydante. Son application pour les réseaux de chaleur et les
chaufferies biomasse a été proposé
notamment comme variante sur le
projet cogénération bois de la Serm
à Montpellier.
Le concept repose sur l’usage de la
technologie de gazéification pour
produire un gaz pauvre (du moins en
comparaison au gaz naturel) qui sera
utilisé dans un groupe électrogène
fonctionnant en cogénération.
Cette technologie de combustion en
atmosphère réductrice (E&T n°311)
permet d’atteindre des rendements
de conversion thermochimiques du
carbone les plus élevés (supérieur à
95%) et génère peu de cendres. Le
gaz de synthèse (ou syngaz) est riche
en monoxyde de carbone (CO) et
dihydrogène (H2) et les moteurs de
conversion en électricité sont parfaitement adaptés pour autant que les
goudrons soient éliminés (<50 mg/Nm3).
Le concept de cogénération s’appuie
sur la récupération des calories sur
le refroidissement du moteur voire
éventuellement sur les gaz d’échappement. On notera que le régime de
Lits fluidisés
température de refroidissement du
moteur est 60°C-90°C.
Dans cette configuration, on bénéficie du bon rendement électrique des
moteurs (de l’ordre de 37%). On soulignera que l’utilisation de microturbine, ayant un meilleure rendement
thermique reste encore complexe en
raison de leur grande sensibilité aux
polluants (goudrons < 5 mg/Nm3).
En termes d’émissions atmosphériques, les gaz d’échappement des
moteurs passent par un catalyseur
d’oxydes d’azote (cf. figure 1).
Un autre avantage de cette
technologie est la génération d’un
gaz de substitution au gaz naturel. Il
est donc pertinent de prévoir l’adaptation des brûleurs des chaudières
gaz d’appoint-secours à un mixte
avec le syngaz (constructeurs Zeeco ou Cogébio). Mais attention, un
brûleur de 2MW s’achète environ
400 à 500 k€HT.
Pour les applications en chaufferies,
deux techniques de gazéification
sont présentes. On distingue la technique de gazéification sur lit fixe et
la technique en lit fluidisé.
- Pour simplifier, le lit fixe est un réacteur
où le combustible est déposé par
couches qui subissent une dégradation
thermique et chimique par séchage,
puis pyrolyse (gaz et coke) et enfin
gazéification (cf. figure 2). Le com-
Stock biomasse
bustible doit garder une densité certaine pendant le processus (pas de
fine).
- En lit fluidisé, le combustible
est introduit au sein d’un média
caloporteur (sable, alumine) turbulent où les réactions thermochimiques agissent très vites. Le combustible doit disposer de la plus grande
surface réactionnelle.
En lit fixe, le Belge Xylowatt est
présent sur ce marché depuis 10
ans avec quelques références mais
aucune en France. Il dispose d’une
gamme de puissance en évolution
de 1, 2 à 4 MW sur PCI syngaz, soit
jusqu’à 1 MWél et 2 MWth (rendu sur
le réseau). D’autres constructeurs sont
également présents avec également des
unités dans un standard de gamme.
En technologie par lit fluidisé, il s’agit
plus de conception sur mesure. Elle
présente l’avantage d’être plus compact.
Cette conception a été proposée par
Setec environnement dans le cadre
du projet de cogénération par gazéification biomasse à la SPLA sur Lyon
Confluence (cf. figure 3). En termes
de différences, Setec environnement
a pu tester les deux technologies sur
de la biomasse et des déchets préparés (Combustibles Solides résiduels) en particulier dans le cadre du
projet de création de l’unité de gazéification biomasse et CSR portée e e
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Énergies
Figure 4 : Conception d’une ligne d’épuration à froid du syngaz (setec environnement)
e e par la Semardel pour alimenter
en ENR le réseau de la Ville d’Evry.
On soulignera le soin à apporter à la
conception aux effets d’agglomération
et au traitement des goudrons pour le
lit fluidisé. Les lits fixes sont sujets aux
mécanismes de tassement du lit (passage préférentiel, augmentation de la
pression du lit) et au problème de
décendrage (blocage par agglomérat, résilience de carbone dans
les cendres). Dans les 2 cas, cette
technologie requiert d’avoir une préparation du produit entrant, car ses
performances sont plus sensibles à
la présence d’indésirables (métaux,
inertes) comme à son humidité (limitée aux environs de 10%).
Pour autant, ces points d’attention
n’en font pas des technologies qui ne
fonctionnent pas.
La technologie de gazéification se
distingue par la production d’un gaz.
On voit donc là toute la pertinence
de générer un combustible gazeux.
On peut imaginer notamment les
conditions de stockage et de gestion
régulée de la consommation (comme
pour le gaz naturel) et sans perte du
potentiel énergétique, contrairement
aux systèmes de stockage thermique
Environnement & Technique - N°333 - Février 2014
(hydroaccumulation par exemple).
Néanmoins, ce gaz est pollué et doit
subir une épuration fine. Aujourd’hui
les solutions d’épurations sont disponibles ; bien que restant assez chères
pour des petites installations (cidessous une ligne d’épuration pour injection en moteur) (cf. figure 4). Mais
les coûts de traitement des fumées
étant en augmentation pour les chaufferies classiques avec le renforcement
des exigences règlementaires, cet
élément n’est pas différentiant.
Cette technologie est bien adaptée à
l’utilisation de déchets à haute teneur
en matière minérale. On peut donc
envisager sereinement passer à des
combustibles issus de déchets, de
bois mais aussi autres. Avec comme
objectif, la réduction du coût du
combustible.
Les verrous à lever
Si la pertinence technique des solutions de cogénération biomasse à
l’échelle des villes et des quartiers
est avérée, les modèles économiques
de ces solutions doivent être améliorés. Cela passe par une incitation
au développement technologique
via des subventions mais surtout une
tarification de rachat de l’électricité
produite localement favorable notamment pour les puissances inférieures à
5 MWé, tout comme un tarif plus
élevé pour les projets en trigénération.
Egalement, ces projets doivent être
compétitifs avec le gaz, le combustible doit être le moins coûteux et
l’acceptation de la biomasse déchets
au 1er janvier 2014 ouvre la voie, en
attendant de pouvoir également utiliser des combustibles issus de résidus
solides (CSR). ●
Bibliographie
Environnement et Technique n° 316
Juillet-Août 2012
“La turbine ORC : outil d’optimisation de l’efficacité énergétique” - Par
Olivier MEGRET et Nicolas COTTAREL, SETEC NOVAE
Environnement et Technique n° 311
Novembre 2011
“La gazéification comme alternative
à l’incinération des déchets à haut
PCI” - Par Olivier MEGRET et Lionel BEQUET, Cadet international, et
Gérard ANTONINI COTTAREL, UTC
Compiègne.