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l Samedi 21 juin 2014 Poésie Ode à la prairie, à perte de vue A chacun sa prairie rêvée où l’on s’étend pour humer un parfum de liberté. Frédéric Boyer les chante Enfants Romi le rhinocéros ose le maillot La graphiste Janik Coat a un faible pour les grosses bêtes et leurs formes rondes, dont elle sait si bien tirer parti Récits Un tour du monde signé Antonio Tabucchi Nouvelles Sergi Pàmies, un Woody Allen catalan Buenos Aires, Kyoto, Lisbonne: l’écrivain italien sème ses voyages de notes de lecture et de réflexions L’auteur espagnol est un maître de la forme brève. «Chansons d’amour et de pluie» manie l’absurde et la dérision Lectures choisies Sagesse et folie d’été De Henry Thoreau à Pedro Lenz, notre sélection CARACTÈRES Nature Envie de prairies A. J. Downing, pépiniériste et philosophe Lisbeth Koutchoumoff On sent comme une envie de prairies. Les herbes folles et les fleurs des champs nous saluent dans les parcs des villes, en Suisse et jusqu’au Japon. On s’étonne un peu d’abord devant ce désordre végétal, ces cheveux mal coiffés qui détonnent dans l’alignement des parterres. Et puis l’on respire. Les insectes bruissent, tout affairés. La vie est là. La prairie, même citadine, même faussement sauvage, envoie un message de liberté. Par un hasard malicieusement entretenu, la prairie s’est aussi invitée dans nos propositions de lectures d’été. Chaque livre est une prairie où étendre ses rêves, ses questionnements. Chaque livre résiste aux alignements. Dans le champ de la littérature, la poésie joue le rôle des fleurs sauvages, capables de pousser partout, envers et contre tous les bétonnages. Frédéric Boyer, auteur de Dans ma prairie, invite à convoquer des prairies mentales pour tenir les hivers à distance. En poète, il fait déambuler sur la page les bisons des premiers temps, heureux dans les hautes herbes. Henry David Thoreau, l’ermite du lac de Walden, dans le Massachusetts, avait fait le choix de l’autarcie et de la désobéissance civile. Seul face aux insectes, aux animaux et à l’étang, cet «œil de la terre». A la moitié du XIXe siècle, le penseur et naturaliste américain incluait dans ses méditations l’analyse et la célébration du mode de vie des Indiens qui savaient, depuis longtemps, dialoguer avec les éléments. Le troisième tome du Journal de Thoreau est une symphonie à ciel ouvert, un chant calme de résistance. Un professeur italien de littérature, Nuccio Ordine, a fait le choix, lui aussi, de la prairie. Dans L’Utilité de l’inutile, il offre une grande promenade revigorante à travers les siècles, donnant à chaque fois la parole aux philosophes, écrivains et poètes qui ont dit pourquoi l’inutile est utile. L’inutile? Entendez la poésie, la littérature, la philosophie, la recherche scientifique. Toute chose dans lesquelles l’humain se lance sans visée utilitaire. Pour la curiosité. Pour le plaisir de découvrir, de créer. Apprendre pour apprendre. Là se niche la beauté de l’humain, sa dignité, fragile mais sacrément tenace, comme une herbe indomptable. A l’heure où les parcours et les ambitions semblent se mesurer surtout à l’aune du rendement et de l’utile, il faut ouvrir ce manifeste, s’allonger dans l’herbe avec lui, le lire. Puis se relever. Pour que croisse l’envie de prairie. «La Philosophie du goût champêtre» invite à caresser, à l’ombre des arbres, des rêves d’aménagements futurs Sagas Folles nuits de Cuba Une immersion dans la pègre et beaucoup de polars 34 L'étéàlapage Le Temps Samedi Culturel Samedi 21 juin 2014 > Bande dessinée Polar suédois é > Bande dessinée Une banane au Sahara é La Princesse des glaces, Léonie Bischoff et Olivier Bocquet, d’après Camilla Läckberg, Casterman, 128 p. > Enfants Quelque chose a changé… é L’Arabe du futur, Riad Sattouf, Allary Editions, 160 p. La jeune dessinatrice genevoise Léonie Bischoff vit depuis quelques années à Bruxelles, capitale de la bande dessinée, où elle est allée tenter sa chance. Qui semble lui sourire: pour son deuxième album chez Casterman, avec le scénariste Olivier Bocquet, elle n’a pas eu peur de s’attaquer à la série best-seller de la romancière suédoise Camilla Läckberg, les enquêtes d’Erica Falck. L’adaptation du premier volume, «La Princesse des glaces», est plutôt réussie, et plus convaincante que l’adaptation récente d’un autre polar nordique célébrissime, Millénium. Le faux suicide d’une jeune femme retrouvée dans l’eau gelée de sa baignoire va mettre au jour les non-dits et les secrets de famille de la petite ville côtière de Fjällbacka, où la dessinatrice et son scénariste se sont immergés au cœur de l’hiver, pour s’imprégner de l’atmosphère et de l’ambiance des lieux. Ariel Herbez Dans L’Arabe du futur, Riad Sattouf se souvient de son enfance. Satiriste au regard acéré, Riad Sattouf saisit le ridicule de ses contemporains par le cinéma (Les Beaux Gosses, Jacky au royaume des filles), par la bande dessinée surtout (Pascal Brutal). Avec L’Arabe du futur, le dessinateur se risque à l’exercice autobiographique et témoigne à nouveau d’un sens supérieur de l’observation. Né d’une mère bretonne et d’un père syrien, le petit Riad, blond comme les blés, suit ses parents dans la Libye de Kadhafi, puis la Syrie de Hafez el-Assad. Il se frotte à une culture qui impressionne durablement son jeune esprit. Dessiné dans une ligne ronde qui n’empêche pas la cruauté et rehaussé d’aplats monochromes, cet essai d’ethnographie juvénile brosse des portraits psychologiques affûtés (le père plein de contradictions entre ses aspirations à la modernité et ses retours de flamme traditionaliste), épingle les limites du panarabisme (bananes pour tous, ce «fruit du peuple» dont Kadhafi gave les Libyens…) et fait entendre les grincements civilisationnels avec une justesse époustouflante. Antoine Duplan > Bande dessinée 14 milliards d’années é Beta… civilisations, Jens Harder, Actes Sud - L’An 2, 368 p. C’est vertigineux, colossal. Le projet fou de l’Allemand Jens Harder de retracer par l’image les 14 milliards d’années d’histoire de l’Univers depuis le Big Bang franchit un cap: cette deuxième partie aborde la naissance de l’humanité, puis des civilisations. Dans un déferlement graphique et des enchaînements d’images puisées dans notre «immense héritage visuel», fresques de Lascaux, peinture médiévale, cases de bande dessinée, gravures scientifiques, art contemporain, cinéma, photo, le dessinateur nous stupéfie par sa curiosité insatiable et sa maîtrise d’une œuvre tentaculaire. Quand il évoque la conquête du feu ou l’invention capitale de la roue, il se projette dans l’évolution et les conséquences ultérieures qui en découlent, inimaginables sur le moment. Et il jongle entre synthèses lyriques, télescopages poétiques et raccourcis saisissants. A. Hz Que s’est-il passé?, Nicolette Humbert, La Joie de lire/Tout-petits photo. Dès 3 ans Sur la page de gauche, une photographie; sur la page de droite, presque la même scène, mais quelque chose a changé: le bonhomme en plots s’est renversé, le dessin est détrempé, des belles salades il ne reste que le trognon. L’enfant, s’il en a l’âge (sinon il aura le simple plaisir de la découverte des images), est invité à raconter, à deviner ce qui s’est passé entre les deux temps photographiés. Des indices sont là pour l’aider: un chat s’enfuyant, un escargot profitant de la pluie, un lapin bien repu. Photographe et metteuse en scène pour l’occasion, Nicolette Humbert, par ce simple jeu d’observation, montre le rôle de l’ellipse, et donc l’implication du lecteur (même très jeune!) dans la construction narrative. Sylvie Neeman PUBLICITÉ > Roman Avec Madame de Néandertal é Dee Dee Bridgewater & Ruggero Raimondi John Malkovich & Julian Rachlin Gary Burton & Dizzy Gillespie Afro Cuban Experience Yuja Wang, Martin Grubinger & principal du Royal Ballet 19 31 août Place du Château, Nyon Informations luna-classics.com 021 806 30 45 Billetterie www.Ticketcorner.ch La Poste, CFF, Manor, Coop, Globus, Balexert Madame de Néandertal. Journal intime, Marylène Patou-Mathis, Pascale Leroy, NiL, 266 p. Avez-vous jamais songé à vous faire une amie néandertalienne? 30 000 ans nous séparent d’elle. Pas simple! Et pourtant, voici un roman, drôle et très instructif – car tout y est scientifiquement pesé –, qui rend cette rencontre possible. Ce journal d’une Néandertalienne, écrit à quatre mains par la préhistorienne Marylène Patou-Mathis, grande spécialiste des Néandertaliens, et l’auteure Pascale Leroy, met en scène, avec humour et tendresse, le quotidien de nos cousins néandertaliens, à l’époque où notre ancêtre direct, Homo sapiens – baptisé le «zigue» par les Néandertaliens du roman –, arrive sur leurs terres et trouble leur quiétude. Heurs et malheurs dans la caverne, chasse en groupe, joie collective, atelier de coiffure, taille des pierres, de quoi rire et rencontrer de plain-pied cette «autre humanité» – selon la formule de Marylène Patou-Mathis. On en apprendra beaucoup sur ces hommes disparus mais dont nos gènes gardent encore d’infimes traces. Eléonore Sulser Orchestre du Festival Menuhin Academy Soloists > Nouvelles Lumières dorées é Le Professeur et la Sirène, Giuseppe Tomasi di Lampedusa, Seuil, 190 p. à 2014 - <wm>10CAsNsja1MLUw1DUwMDQ3NwUAS3hZpA8AAAA=</wm> <wm>10CAsNsja1MLUw1DUwMDQ3NwUAS3hZpA8AAAA=</wm> <wm>10CFXKqQ6AQAxF0S_q5LXTZaCS4AiC4McQNP-vWBzi5pqzLGkFX9O87vOW1qwxARxhqbBSTdOlFhdJODcB68ghxmo1fv6ZV4X01xCcuHUOEiUZuiPKdZw3bC8iXHIAAAA=</wm> <wm>10CFXKqw4CQRBE0S_qSVX1Yza0JOs2Kwh-DEHz_4qHQ9xcc46jc-DXdT_v-61zy40GcM7sQA7P6JKPkhrFEhgXUiEv6s9_Vh7A-hpDGWuRJpl8-azxejzfzvgxQ3IAAAA=</wm> Ny d on émén ! age Maxim Vengerov Nigel Kennedy & Jean-Luc Ponty Menahem Pressler Fazil Say Nelson Goerner & Paul Meyer Gautier Capuçon, Jorge Viladoms & étoiles de l’Opéra de Paris La figure du prince de Lampedusa est si étroitement liée à son chef-d’œuvre, Le Guépard, que les nouvelles sont passées presque inaperçues. Une nouvelle traduction de Jean-Paul Manganaro leur donne une «revie». «Quand on se trouve au déclin de sa vie, il est impératif d’essayer de recueillir le plus possible des sensations qui ont traversé notre organisme», écrit le prince en 1955. Ce qu’il fait, magnifiquement, dans les «Souvenirs d’enfance» dans lesquels il reconstruit les maisons et les palais de la famille, dans une lumière dorée et affectueuse. «Les Chatons aveugles», «La Joie et la Loi» appartiennent aussi à ce registre de la chronique intime. «Le Professeur et la Sirène» commence comme un roman d’éducation, sous la rude férule d’un vieux savant, puis évolue en conte fantastique, d’une sensualité heureuse: une merveille. Isabelle Rüf 35 Le Temps Samedi Culturel Samedi 21 juin 2014 > Ados Voyage imaginaire é Angel, l’Indien blanc, François Place, Casterman. Dès 13 ans > Enfants Un rhinocéros rigolo é Romi à la plage, Janik Coat, Autrement Jeunesse. Dès 2 ans Après l’hippopotame, le rhinocéros! La graphiste Janik Coat semble avoir un faible pour les grosses bêtes, et surtout pour leurs formes généreuses dont elle sait si bien tirer parti. Ici Romi le rhino ose l’orange fluo… et le maillot. C’est en effet la plage qui sert de toile de fond à une découverte ludique des contraires: pâle/ bronzé; à l’endroit/à l’envers; marée basse/marée haute. Statique (ou stoïque?), le rhino rigolo semble se soumettre avec grâce aux traitements audacieux de sa créatrice, alternant les poses rapprochées et lointaines, sa corne brisant une ligne d’horizon, sa silhouette flashy tranchant sur les verts, les gris et bleus doux du décor marin. Ou comment réinventer toujours les classiques enfantins… S. N. > Enfants A la Colonie des oubliés Quelle vie que celle d’Angel, Indien métis au destin bien chahuté: né d’un viol (les choses sont à peine dites), il se retrouve esclave sur un bateau, parvient à s’évader pour embarquer dans un incroyable périple maritime: au-delà d’une intrigante arche de pierre, c’est un monde et un peuple inconnus que découvre l’équipage du Neptune. François Place excelle à conter des voyages imaginaires; cet amoureux des mondes possibles, ce cartographe infatigable de lointains inventés propose ici un univers où les contraires s’affrontent, la mer et le ciel, la glace et le feu – jusqu’à la parole des Anciens, dont les deux bouches parlent l’une avec la voix du jour, l’autre avec celle de la nuit. Un roman d’aventures sauvage et fascinant. S. N. é Chien pourri à la plage, Colas Gutman, illustr. de Marc Boutavant, L’Ecole des loisirs/Mouche. Dès 7 ans Chien pourri a chaud dans sa poubelle: il rêve de partir à la mer, d’autant que Chaplapla prétend que la Côte d’Azur, c’est encore mieux qu’une côte de porc… Par chance, on leur trouve une place à la Colonie des oubliés, et c’est le grand départ! Les jeux de mots et l’humour du texte de Colas Gutman, la naïveté des protagonistes, leur lecture très personnelle et toujours optimiste, formidablement généreuse du monde qui les entoure (un monde pourtant loin d’être rose, le regard caustique des auteurs ne cessant d’ailleurs d’en dénoncer les travers..), ces qualités alliées aux délicieux dessins de Marc Boutavant font de ce bref roman illustré, le troisième de la série, une lecture très plaisante. S. N. > Journal Une cure de sagesse > Poésie Au paradis des bisons é JOSEPH SOHM/VISIONS OF AMERICA/CORBIS Dans ma prairie, Frédéric Boyer, P.O.L, 80 p. Au bord de l’étang de Walden, dans le Massachusetts, où Henry Thoreau, auteur de «De la désobéissance civile» a vécu en autarcie. U ne cure de sagesse pour cet été? La solution se trouve dans le Journal de Thoreau, dont voici le troisième volume, rédigé entre janvier 1844 et mai 1846. Au programme, ce mélange de philosophie contemplative et de poésie élégiaque qui caractérise l’ermite américain, dont les confessions remontent à l’époque où il s’installa dans une cabane, au bord de l’étang de Walden, vivant en autarcie avec les éléments pour seuls confidents. La faune, la flore, le sacré, le silence, la solitude, les promenades, les phénomènes atmosphériques, voilà les sujets de prédilection de Thoreau dans ces pages où il parle également – en ethnologue avisé – des Indiens et du modèle de société qu’ils ont offert à l’Amérique: l’auteur de De la désobéissance civile est déjà fasciné par le respect quasi religieux qu’ils manifestent envers la nature, à une époque où cette question n’avait pas encore l’importance qu’elle a aujourd’hui. Tout au long de ces deux années, le diariste revient aussi très souvent sur l’excursion qu’il fit en 1839 sur la rivière Merrimack avec son frère, autre occasion d’évoquer son goût pour les robinsonnades. Quant à son refuge de Walden, Thoreau ne cesse d’en célébrer les vertus, en disciple de Rousseau. «Je suis arrivé ici pour vivre», note-t-il, avant d’ajouter ces mots qui le définissent bien: «N’allez pas encombrer le marin de trop de détails, mais laissez-le ne jamais perdre de vue l’étoile qui lui sert de guide. Quand on me reproche d’être ce que je suis, je m’aperçois que mon seul recours est d’être encore plus entièrement ce que je suis.» Symphonie à ciel ouvert, ce Journal est une jouvence, sous la plume vagabonde de celui qui se dépeint comme «un condisciple d’Ulysse, par l’errance et la survie». André Clavel é > Nouvelles Un Woody Allen catalan é Caché dans les méandres de la lointaine vallée du Yaak, au cœur du Montana, Rick Bass écrit des livres – romans ou essais – qui sont tout à la fois des odes au monde naturel et des road movies panthéistes sculptés dans les montagnes argentées de l’Ouest mythique. Cette fabuleuse empathie envers les éléments, on la retrouve dans ce Journal des cinq saisons, un bloc-notes qui dépeint un monde en perpétuelle mutation, dans une région où les contrastes sont explosifs. D’une digression à l’autre, de flâneries en randonnées, Bass raconte comment il accorde sa vie à la musique des grands espaces, comment il règle son horloge biologique sur celle du cosmos: ses confidences sont un pur bonheur, le bréviaire enchanté d’un hédoniste au cœur vert qui sait aussi entrer en résistance pour défendre l’environnement, aux côtés des écologistes américains. A. C. > Chroniques Safaris foireux é «Journal», volume III, trad. de l’américain par Thierry Gillybœuf, Finitude, 320 p. > Bloc-notes Grands espaces Journal des cinq saisons, Rick Bass, trad. de l’anglais par Marc Amfreville, Folio, 620 p. Frédéric Boyer est un auteur subtil et plein d’esprit. Un redoutable graphomane, auteur déjà d’une trentaine de livres, romans, essais, poèmes et traductions dont une, très remarquée, de Saint Augustin (Les Aveux, P.O.L, 2008). Dans toutes ces disciplines, il impressionne. En poésie, il réjouit. Il avait enchanté avec Vaches (P.O.L, 2008), ode drôle, saisissante et multiple aux ruminantes, il persiste avec Dans ma prairie. Cette prairie, vous la reconnaîtrez dès les premières pages du livre. C’est celle où, au cœur de l’hiver, la nuit, vous rêvez de vous retrouver parmi les fleurs, l’herbe, sous le soleil. Celle qui s’étend à perte de vue, celle des premiers hommes, quand il n’y avait qu’elle, la prairie. Celle des bisons, des romans, des visions, une promesse inépuisable de bonheur et de liberté, troublée parfois. Prairie, mode d’emploi: «Je sais les techniques de création de ma prairie, nous dit Frédéric Boyer: remplacer hiver par printemps.» Suivez-le, il vous montrera le chemin de votre prairie… E. Sr Chansons d’amour et de pluie, Sergi Pàmies, trad. du catalan par Edmond Raillard, Jacquelin Chambon, 144 p. De petits textes, toujours surprenants, parfois surréalistes, souvent très drôles, soudain graves: une lecture de plage idéale car le Catalan Sergi Pàmies est un maître de la forme brève. Ces Chansons de pluie et d’amour mettent en abyme la figure de l’auteur en Woody Allen paranoïaque, timoré et susceptible. A New York, une invitation chez Paul Auster et Siri Hustvedt, hôtes parfaits, tourne au désastre par sa faute. Mais Sergi Pàmies est aussi le fils de deux héros de la guerre d’Espagne, aujourd’hui décédés, et il quitte le registre de l’autodérision pour évoquer avec lucidité et affection cet héritage encombrant et la vérité de leur histoire commune. On apprend aussi à tuer le temps avant qu’il ne vous tue et à reconnaître le moment précis de la fin de l’amour. I. R. Un Pékin en Afrique, S. J. Perelman, trad. de l’anglais par Jeanne Guyon et Thierry Beauchamp, Wombat, 236 p. «Il n’existe pas d’auteur humoristique comparable à S.J. Perelman, c’est aussi simple que ça», a dit Woody Allen pour saluer celui qui, après avoir été l’un des scénaristes des Marx Brothers, a signé dans le New Yorker des centaines de chroniques hilarantes, entre les années 1930 et 1970. En voici une quinzaine réunies dans ce recueil débordant de drôlerie. Point culminant: le long récit où l’Américain relate ses tribulations africaines, de safaris ratés en expéditions foireuses entre Nairobi et Zanzibar, des contrées remplies de foutraques bien plus dangereux que les crocodiles. En prime, Perelman raconte comment, avec des remèdes de perlimpinpin, il s’escrima à soigner Hemingway sous les tropiques, au lendemain de son accident d’avion en Ouganda, en 1952. Exotisme garanti, repeint aux couleurs de l’absurde et du nonsense. A. C. 36 L'étéàlapage Le Temps Samedi Culturel Samedi 21 juin 2014 > Roman A l’abri en Angola > Souvenirs Sentir la croûte terrestre Théorie générale de l’oubli, José Eduardo Agualusa, trad. du portugais (Angola) par Geneviève Leibrich, Métailié, 176 p. Les Pôles magnétiques, Bertil Galland, Slatkine, 260 p. é > Récits Un tour du monde en zigzags é Voyages et autres voyages, Antonio Tabucchi, trad. de l’italien par Bernard Comment, Gallimard, 290 p. «Le voyage trouve son sens en luimême, dans l’être-voyage. Et il s’agit d’une grande leçon si nous savons en tirer la vraie signification: c’est comme notre existence, dont le sens principal est d’être vécue.» Antonio Tabucchi rappelle dans sa préface à ce recueil de textes courts liés au voyage – qui est parfois (toujours?) celui de la vie et de la littérature – cette réflexion du poète Constantin Cavafis. Voilà pourquoi la voix de l’oncle de Lucques peut retentir soudain dans une chambre d’hôtel à Singapour, pourquoi on peut suivre Borges à Buenos Aires, acheter du papier à Kyoto, voir la nuit tomber en Inde et arpenter Lisbonne en tous sens. C’est ce qu’a fait l’écrivain italien décédé en 2012, qui livre ici un tour du monde poétique, semé de notes et de réflexions qui invitent à larguer les amarres. E. Sr Comment une Portugaise, nommée Ludovica ou Ludo, s’emmura à Luanda en 1975, terrifiée par l’approche de la révolution et vaincue par sa peur du ciel et des hommes. Elle habite l’appartement somptueux de sa sœur Odette et de son riche époux. Elle construit un mur et s’invente une vie de Robinsonne au beau milieu de la ville en proie aux troubles. Autour d’elle, des personnages s’agitent. Il est question de diamants, de comptes à régler, de meurtres et de temps à autre la narration s’échappe vers d’autres horizons. Une toile narrative efficace enserre Ludo, des poèmes ponctuent son histoire. Un roman étonnant, déroutant et exotique. E. Sr é Les Pôles magnétiques sont une invitation à prendre la route pour sentir sous ses pieds la courbure de la croûte terrestre et un appel à garder son cœur ouvert aux rencontres fraternelles, poèmes aux lèvres. Le livre des souvenirs de jeunesse de Bertil Galland (éditeur de Jacques Chessex, de Jacques Mercanton, de Corinna Bille, d’Alice Rivaz, etc., et journaliste) met le lecteur de grande et belle humeur. Parce que le petit garçon puis le jeune homme de Lausanne des années 1940 et 1950 a pu, bon gré mal gré, happer au passage des êtres de lumière, non conformistes, qui lui ont transmis le goût des livres et de la poésie et ce besoin de se frotter aux grands espaces et aux êtres qui les habitent. Le livre se découpe en une suite de grands voyages d’été (la Suède après la traversée de l’Allemagne au lendemain de la guerre, l’Islande, les Etats-Unis). Une lecture qui élargit. Lisbeth Koutchoumoff > Chroniques Aller voir là-bas si j’y suis é Journal d’un Blanc, Arnaud Robert, L’Aire, 220 p. > Roman Déglingue alémanique é Faut quitter Schummertal!, Pedro Lenz, trad. du bärndütsch de Haute-Argovie par Daniel Rothenbühler & Nathalie Kehrli, Editions d’en bas, 168 p. Goalie, le héros attachant de Pedro Lenz, a tout pour devenir un personnage emblématique de la littérature suisse contemporaine. C’est un paumé philosophe, un camé qui navigue entre aveuglement et sagesse, un bon type un peu perdu mais qui porte, mine de rien, un regard plein d’esprit et d’ironie sur son village suisse typiquement grisâtre et sur ses habitants. Le café Central et le café pomme jouent un rôle capital dans la vie de Goalie. Ses copains aussi, avec lesquels ses rapports ont une fâcheuse tendance à se dégrader – les temps sont durs, c’est chacun pour soi. Il courtise Regula, la belle serveuse du Central, et parvient à s’échapper avec elle vers l’Espagne. Mais les doses de dope ne sont jamais loin, l’argent file et le passé le rattrape. Le charme du roman vient de l’humour déployé par Goalie dans le récit, entre naïveté et lucidité, de ses pitoyables tribulations. E. Sr Pourquoi partir? Plus le lieu de destination est éloigné du lieu de départ (géographiquement, économiquement, politiquement, etc.) et plus cette question devient vive, que l’on soit vacancier ou reporter. Le journaliste suisse (collaborateur du Temps) Arnaud Robert se la pose sans cesse dans Journal d’un Blanc, recueil de ses chroniques parues à l’occasion de ses longs séjours en Haïti dans Le Nouvelliste, quotidien de Port-au-Prince. Outre la qualité de plume et le mordant du regard, il y a ce questionnement fondamental: comment rencontrer l’Autre? Ce petit livre fournit une mine de pistes. On ne peut commencer à aller vers l’autre qu’en étant capable de s’observer soi-même sous une lumière nouvelle. Arnaud Robert passe constamment de l’observation du dehors à l’observation du dedans. Journal d’un Blanc, et plus encore «Les Lustres», le texte qui conclut le volume, est un livre d’apprentissage, ce que pourrait (devrait?) être tout voyage effectué dans l’humilité de la rencontre. «Cette île est le miroir le plus limpide du monde tel qu’il devient. […] Depuis des siècles, les Haïtiens vivent déjà dans une société où l’Etat est célébré au moment où il agonise, où le vivre-ensembe devient un mantra stérile face à des fossés qui se creusent, où aucune frontière ne protège plus personne du pugilat mercantile», conclut l’auteur. Partir pour se reconnaître et changer, peut-être. L. K. > Recueil Sous le masque de l’ennemi é Construire l’ennemi et autres écrits occasionnels, Umberto Eco, Grasset, 302 p. Umberto Eco a beau être l’auteur de romans et d’essais érudits, il ne dédaigne pas les «écrits occasionnels», qui sont à la pensée ce que le footing matinal est au marathonien. On en lira ici onze, portant sur des thèmes variés comme la position de Thomas d’Aquin sur les embryons, la géographie imaginaire du Moyen Age, la symbolique du feu… autant d’articles finement ciselés qui défient l’obsession utilitaire et l’aplatissement culturel de notre époque. Le sémiologue de légende aime à raconter que Construire l’ennemi, premier essai du recueil, a pour origine une conversation avec un chauffeur de taxi pakistanais qui lui demandait: «Vous êtes Italien? Qui sont vos ennemis?» Ne sachant que répondre, l’auteur de Baudolino développe un essai passionnant sur la production d’un «Autre» menaçant. Et il répond à la question: «Les Italiens ont eu peu d’ennemis extérieurs. Ils se sont suffisamment trucidés entre eux pendant 2000 ans.» Emmanuel Gehrig PUBLICITÉ f o n dat i o n M a Rt i n B o d M e R <wm>10CAsNsja1MLUw1DUwMDAyNwEAU-0pbQ8AAAA=</wm> <wm>10CFXKIQ6AMBBE0RO1mS4725aVpI4gCB5D0Nxf0eIQk3nir6sz4tvStqPtzsKSAgDJ6mIWldknK5FQB2GCpHNS1M5qv76fTQo5RxPAADsHcpAOMj7X_QLjjImDcgAAAA==</wm> <wm>10CAsNsja1MLUw1DUwMLAwsAQA_4JOUQ8AAAA=</wm> <wm>10CFXKqw6AMAxG4Sfq8rdru0ElmVsQBD9D0Ly_4uIQJ8d8vYclfC1t3dsWVq0yAaiYQtyTWonsNRk04FwErDNDOKuj_PwzzwoZryE4cRkMEhDbgOV0HecNDwONjXIAAAA=</wm> <wm>10CAsNsja1MLUw1DUwMDQwNQcAYG0ufQ8AAAA=</wm> <wm>10CFWKoQ6AMAwFv6jLW9dXCpMERxAEP0PQ_L9i4BCXE3frWpnwMS_bseyVwcgCZHCo6p6su3gkwiqorsg29YqCoP7-Li8Gbe8joKi3DLFRNNrgTPd5PRdCMT5yAAAA</wm> a lex a ndr ie l a di v ine 5 av r i l – 3 1 ao û t 2 o 1 4 R o u t e M a Rt i n B o d M e R 1 9 – 2 1 1223 Cologny — genève f o n d at i o n B o d M e R . C h f o n d a t i o n ga n d u R p o u R l ’ a R t 37 Le Temps Samedi Culturel Samedi 21 juin 2014 > Essai Les chemins qui bifurquent é Il existe d’autres mondes, Pierre Bayard, Minuit, 158 p. > Histoire Brillant Moyen Age Virtuose du paradoxe, Pierre Bayard mène son héros dans «le jardin des chemins qui bifurquent» que Borges fréquentait aussi volontiers. «Il existe d’autres mondes», parie l’essayiste, et l’on peut être simultanément, dans des existences distinctes et des lieux différents, «détective, chef d’orchestre, ghostwriter et acteur à Hollywood, amant d’une star», tout comme le malheureux chat de Schrödinger est à la fois mort et vivant. Pour appuyer sa thèse, Bayard convoque la littérature: Barjavel, Murakami, Fruttero et Lucentini, et les vies multiples de Kafka, Dostoïevski et Nabokov, dont témoignent leurs œuvres. Cet essai vertigineux, brillant, à prendre au deuxième degré, peut se lire aussi comme un éloge de l’imagination, donc de l’art. Un appel à regarder la réalité différemment, «comme d’une autre planète», pour que «les écailles nous tombent des yeux». I. R. Faut-il vraiment découper l’histoire en tranches?, Jacques Le Goff, Seuil, coll. La Librairie du XXIe siècle, 208 p. é Avec sa disparition en avril, la France a perdu son plus éminent historien, et le Moyen Age son meilleur avocat. En soixante ans de métier, Jacques Le Goff a largement contribué à faire briller les feux d’une période longtemps maudite. A ses yeux, la «Renaissance» n’est autre qu’une des renaissances qui jalonnent le Moyen Age: la véritable rupture n’est pas au temps de Pétrarque ou d’Erasme, mais s’amorce imperceptiblement vers 1750, au seuil du grand tournant vers la modernité. Faut-il vraiment découper l’histoire en tranches?, le dernier livre de ce grand médiéviste, rend ce débat passionnant, et d’autant plus d’actualité à l’heure où la «World History» nécessite une mise à jour de la périodisation. Jacques Le Goff y manifeste, une fois encore, sa passion pour l’histoire, qu’il a su si bien faire partager. Em. G. > Manifeste L’inutile est utile Dans les moments de lassitude face à l’obsession de l’utile, du profit et de la rentabilité qui caractérise l’époque, voilà un petit livre qui requinque: L’Utilité de l’inutile. Il est l’œuvre du Calabrais Nuccio Ordine, philosophe, professeur de littérature italienne à l’Université de Calabre, spécialiste de Giordano Bruno et de la Renaissance. En Italie et en Espagne, ce manifeste en faveur de la curiosité pour elle-même, des savoirs et des enseignements désintéressés est devenu un phénomène éditorial. Il fait son chemin en français. Il faut se passer le mot. L’été est la période idéale pour s’y plonger et faire le plein d’énergies, résistantes et combatives. «En un siècle entièrement voué à l’utilité, il devient absolument capital d’attirer l’attention sur l’inutile», estime l’auteur. L’inutile? La poésie, la littérature, la musique, la philosophie et la recherche scientifique. Nuccio Ordine a réuni, dans ce qui est une anthologie de poche, des extraits de textes d’écrivains, poètes et philosophes qui détaillent et expliquent l’importance de la curiosité désintéressée pour la dignité humaine, la dignitas hominis, et pour la démocratie. Apprendre pour ap- > Economie Le retour des héritiers é Le Capital au XXIe siècle, Thomas Piketty, Seuil, 970 p. Près de 1000 pages, quantité de graphiques compliqués, quelques équations. Et pourtant un succès de librairie, en particulier pour sa version en anglais. Et un débat suscité par un seul, ou presque, des 16 chapitres. Il faut dire que le thème, les riches, fait vendre. Chaque année Bilan et Bilanz savent aussi habilement en profiter. Laissons cependant de côté le sujet le plus polémique (un impôt mondial sur les grandes fortunes) pour saluer le travail de fond réalisé par Thomas Piketty. Son livre, par son titre, renvoie bien au Capital de Marx, mais sa force tient essentiellement dans sa quête de la vérité des chiffres. L’économiste français a réalisé un travail qui rebute nombre de ses collègues: construire des statistiques qui racontent le monde tel qu’il est. Balzac est même convoqué pour en rendre la lecture un peu moins aride, et illustrer la principale conclusion du livre: pour devenir riche, mieux vaut, comme au temps du Père Goriot, hériter qu’espérer réussir par ses propres mérites. Frédéric Lelièvre > Nature L’art d’embellir les jardins é DR La Philosophie du goût champêtre, Andrew Jackson Downing, trad. de l’anglais (Etats-Unis) et présentation de Joël Cornuault, Editions Premières Pierres, 112 p. Socrate, au centre: juste avant de boire la ciguë, le philosophe apprenait encore à jouer de la flûte de Pan. prendre. Comme Socrate qui, pendant que l’on préparait la ciguë qui allait le tuer, apprenait encore à jouer de la flûte de Pan. A ses proches interloqués qui lui demandaient à quoi cela pouvait lui servir, il répondit: «A connaître cet air avant de mourir.» PUBLICITÉ <wm>10CAsNsja1MLUw1DUwMDQ3sAAAMZKplQ8AAAA=</wm> <wm>10CFXKqw7DMBBE0S9aa8b78CoLqzAroCo3qYr7_6hJWMHVJWfO8oa7x3689md5elIADmT1iGY-SiObwwpB7aBtBEPB_OPnQg19XUQQQl2E0EV9Ga19358fY6ghy3EAAAA=</wm> WWW.MUSIQUESENETE.CH Nucio Ordine fustige le concept d’«université-entreprise» qui met en péril les enseignements de littérature et de philosophie et la recherche. Il termine en donnant la parole aux auteurs antiques dans un chapitre consacré à la dignité humaine. Une riche bibliographie achève de faire de ce livre un bréviaire à lire et à offrir. Lisbeth Koutchoumoff «L’Utilité de l’inutile», Nuccio Ordine, Les Belles lettres, trad. de l’italien par L. et P. Hersant, 228 p. Cet Essai sur l’art d’embellir les maisons villageoises, les parcs et les jardins vient à point pour inviter à caresser, à l’ombre des arbres, des rêves d’aménagement futurs! A. J. Downing (18151852) demeura toute sa vie sur le fleuve Hudson, à une centaine de kilomètres de New York, pépiniériste de père en fils, lecteur des théoriciens anglais du jardin et du paysage naturel. Dans sa revue, The Horticulturist, il traitait «des questions d’architecture et de paysage végétal; d’urbanisme et d’hygiène; mais aussi de pédagogie, de morale, ainsi que de botanique et d’entomologie». Contrairement à Thoreau, qui se retire seul dans les bois, sans être communautaire ou fouriériste, Downing, qui semble très fréquentable, envisage ses semblables et le paysage «avec cordialité». Il prévient les nouveaux riches contre les «bévues», par exemple dans le choix de la couleur de leur maison de campagne. Un compagnon empli d’humour et de bon sens. I. R. 38 L'étéàlapage Le Temps Samedi Culturel Samedi 21 juin 2014 > Policier Au cœur de la justice française > Catastrophe Paris sous un tas de cendres > Thriller Enquête duale pour un tableau La Piste du temps, Eric Halphen. Rivages/Noir, 494 p. Métamorphose des cendres, Tito Topin, Rivages/Noir, 272 p. Le Double Portrait, George P. Pelecanos, trad. de l’anglais par Mireille Vignol, Calmann-Lévy, 272 p. Un ancien champion d’athlétisme est retrouvé mort sur le site d’un chantier, et voici que l’Etat tremble. Après sa carrière sportive, Marc Chaussoy avait développé nombre de réseaux, il s’était institué à la fois lobbyiste et entremetteur pour des contrats publics… Ce qui laisse augurer de délicates découvertes au fil de l’investigation. Celle-ci a en sus une coloration helvétique, puisque deux objets manquent sur le corps, une chaussure et surtout, une montre de prestige. Eric Halphen remet en scène ses deux personnages, le juge Barth et le commandant Bizek. Deux esprits heurtés, usés peut-être, qui composent un duo attachant. Naguère juge ayant conduit les démarches sur des affaires fort médiatisées, Eric Halphen a pour lui la connaissance des rouages de l’investigation à la française, avec ses deux versants, policier et judiciaire. Il en découle une description précise de la procédure, d’autant que l’auteur aime prendre son temps avec ses personnages, les poser et les approfondir par séquences successives. Le réalisme du contexte n’empêche toutefois pas la tension dramatique, et si le démarrage peut sembler lent, le lecteur s’aperçoit peu à peu de la rigoureuse mise en place des éléments du cas Chaussoy. Un roman policier, au sens plein, et captivant, du terme. N. Du. C’est vraiment un sale temps. Non seulement il neige, mais en plus, ces flocons gris pourraient bien être chargés de particules radioactives. Un grave accident dans une centrale nucléaire française provoque le chaos dans tout l’Hexagone. Et même si les flashs d’informations répètent à l’envi que «l’essentiel du nuage radioactif a été chassé vers l’est», la révolte gronde contre le nucléaire. Comme en Mai 68, les jeunes fabriquent des barricades, brisent les vitrines, incendient les voitures et inventent des slogans «pour les fleurs». Peu affecté par ce tumulte, le commandant Sardi décide de mettre un peu de glace dans son bourbon en prenant en otage les cendres du ministre Mocquette, récemment assassiné et incinéré. Il n’acceptera de les rendre à la famille qu’en échange de 5 millions d’euros. Dans Métamorphose des cendres, le créateur du commissaire Navarro Tito Topin réutilise la recette – toujours plaisante – employée dans son dernier roman, Libyan Exodus: l’intrigue tourne autour d’un personnage central qu’on ne voit pas (ou, dans ce cas, peu), et une poignée d’individus gravitent autour de lui. Le plaisir de la lecture se déploie alors au fil des liens qui se tissent – de manière souvent inattendue – entre les personnages. V. G. é é > Mystère Un manuscrit convoité é Spero Lucas se trouve confronté à deux affaires. L’employeur de cet ex-Marine devenu détective a besoin de lui pour innocenter – si c’est possible – un homme accusé d’avoir tué sa maîtresse. Surtout, il accepte de dépanner l’amie d’une amie, à qui l’on a volé un tableau de valeur. Cette piste-là va le conduire à des malfrats plutôt éloignés du monde feutré des amateurs d’art… L’élégant George P. Pelecanos rempile avec ce curieux personnage de Spero Lucas. Original dans ses manies, pas vraiment attachant, pas antipathique non plus. Un destin marqué par la guerre. Et une manière – cette fois, souvent à vélo – d’explorer cette ville de Washington que l’auteur de King Suckerman, qui fut scénariste pour les séries The Wire et Treme, affectionne tant. Aux dernières journées Quai du polar, à Lyon, il expliquait: «Spero est revenu d’Irak, il souffre, il est mal à l’aise. Il veut lutter contre les criminels, et il a l’habitude de se lever le matin afin d’accomplir une mission… Mon père avait été soldat, il avait tué beaucoup de gens. Mais il n’en parlait jamais, ce qui instituait une relation particulière avec lui. […] Spero cherche à sa manière à retrouver une famille. […] Pour ce deuxième roman [avec ce personnage, après Une Balade dans la nuit], je voulais l’emmener sur un terrain plus sombre, face à une certaine dualité humaine.» N. Du. é > Polar Le Mystère de High Street, Anne Perry, trad. de l’anglais par Pascale Haas, Ombres noires, 88 p. Humour très noir Les Editions Ombres noires font une proposition sympathique: des romans courts, ou de longues nouvelles, accompagnés d’un entretien avec l’auteur, sur le mode du bonus. Mère, entre autres, des populaires histoires de Charlotte et Thomas Pitt, Anne Perry quitte un moment son Angleterre victorienne pour ce bref suspense contemporain. L’assistant d’un libraire spécialisé en ouvrages anciens reçoit un intrigant manuscrit, écrit en araméen, qui pourrait remonter aux temps de Jésus. Tour à tour, deux mystérieux érudits et un homme d’Eglise disent leur intérêt pour le document… Que faire? A qui le confier? Anne Perry joue avec le dilemme qui pétrit son jeune protagoniste. Avant d’évoquer sa réticence face aux religions ou son goût pour le fantastique… La double dimension, fiction courte et interview, offre une approche originale de l’auteure. N. Du. V > Biographie Budapest, jusqu’à plus soif é La Ballade du voleur au whisky, Julian Rubinstein, Sonatine, 384 p. Ras le bol du soleil, des matchs de football et de la bière qui les accompagne? Envie de plonger dans la Hongrie postcommuniste, les matchs de hockey sur glace et le whisky de moyenne qualité? La Ballade du voleur au whisky est l’antidote qui convient. L’enquête du journaliste américain Julian Rubinstein, publiée en début d’année aux Editions Sonatine, revient sur l’épopée invraisemblable du braqueur de banques Attila Ambrus. Sous la forme d’un polar. Ce gentleman cambrioleur – surnommé «le voleur au whisky» puisqu’il était obligé de descendre des litres de Johnny Walker Red pour avoir le courage de commettre ses larcins – a braqué pas moins de 29 banques entre 1993 et 1999 dans la seule ville de Budapest. Mais toujours avec délicatesse (il allait jusqu’à offrir parfois des bouquets de fleurs à ses victimes). Une épopée entrecoupée d’arrestations et d’évasions diverses, racontée par un journaliste qui s’est passionné des années durant pour ce personnage. Son enquête (via des coupures de presse, des émissions de télévision et des entretiens – plus de douze jours passés avec Attila lui-même) est racontée à la fin du livre. V. G. PHOTO 12 oyons les choses en face: la popularité du comique Koo Davis n’est plus ce qu’elle était. Son succès, il l’a connu sur des scènes préfabriquées installées dans les forêts du Vietnam, de la Corée, à Hawaii et sur «quelques îles merdiques». Quand il grimpait dans son hélicoptère de l’armée américaine et rebondissait de camp retranché en camp retranché pour relever le moral des Marines grâce à ses bonnes blagues. Et aussi grâce aux charmes de ses «covedettes» Laura, Linda, Karen, Lauren ou Fanny. Ça, c’était le bon temps. Aujourd’hui (toute fin des années 1970), Koo Davis enregistre des spectacles dans un studio de Los Angeles. A bientôt 70 ans, divorcé, avec deux fils qu’il ne connaît pas, il survit grâce notamment à des poignées de médicaments qu’il s’envoie à tout moment. Et grâce à ses blagues, qui continuent de plaire à une partie du public américain et qui lui rapportent de quoi vivre confortablement. Une cible idéale? C’est certainement ce que pensent Peter, Mark, Joyce et les autres. Des anarcho-communistes extrémistes complètement allumés qui le kidnappent durant l’un de ses shows pour négocier la libération d’une dizaine de leurs compagnons d’armes qui dorment derrière les barreaux. Ils planquent Koo Davis dans une petite Koo Davis, le héros de Donald Westlake, a connu son heure de gloire comme animateur de spectacles dans les camps de Marines. pièce dont la seule ouverture donne sur une piscine… Dans laquelle nage une femme nue. Immortel Westlake Habilement, feu Donald Westlake a choisi pour Finie la comédie un personnage principal qui possède un humour aussi fin et aussi pince-sans-rire que lui. Cela permet à ce maître incontesté du polar humoristique de truffer son récit de bons mots et de digressions amusantes, qu’il peut sans autre glisser dans la bouche de Koo Davis. «Ma mère ne m’a pas donné d’éducation d’otage», soupire l’humoriste quand il se demande comment réagir dans pareilles circonstances. Décédé en 2008, Donald Westlake n’en finit plus de ressusciter grâce aux traductions – et, dans ce cas, publications – tardives de ses romans. Finie la comédie a ainsi été écrit au début des années 1980, mais relégué illico au fond d’un tiroir; l’auteur craignant que le livre ne ressemble trop au King of Comedy de Martin Scorsese sorti en 1983. François Guérif, directeur notamment des collections polar et thriller chez Rivages, promet aujourd’hui qu’il reste encore «cinq ou six» romans de Westlake devant être publiés en français. La comédie n’est donc pas tout à fait terminée. Valère Gogniat «Finie la comédie», Donald Westlake, trad. de l’anglais (Etats-Unis) par Pierre Bondil et Nicolas Bondil, 382 p. PUBLICITÉ Je vous emmène… tatiana trOuVÉ the longest echo — l’Écho le plus long <wm>10CAsNsja1MLUw1DUwMDQ0NgEAa_G_sw8AAAA=</wm> <wm>10CFWKMQ7DMAwDX2RDlC1KqcbCW5AhyO6l6Nz_T3W6FccDl9v3tCo_n-O4xpkWFigiQOupZO3mqWYViBQKVdAf8IVy41-_jq2LzrspwrUJL2BpPjW8fl7vL4clxHZyAAAA</wm> 25 JUIN 21 SEPTEMBRE 2014 cycle DES HISTOIRES SANS FIN séquence – été 2014 Musée d’art moderne et contemporain, Genève 10, rue des Vieux-Grenadiers, CH-1205 Genève www.mamco.ch .50 onnes base 2 pers … en Inde - Rajasthan Palais et contrastes du Rajasthan design : BaseGVA, www.basedesign.com & L’Ombre du jaseur d’après Feux pâles (prolongation) & COLLeCtiOns 349 Dès Fr. <wm>10CAsNsja1MLUw1DUAAiMLAFOBbBoPAAAA</wm> <wm>10CFWKoQ7DMAwFv8jRs52XOjOcwqqCqjykGt7_o2VjO-l05PY9WfDzOY5rnMlgqGBhkdZaqdzSyKIaCToMWh_ocGon__6V5hU2v4-A4pgIIUXrtM3L-359ABGMZdByAAAA</wm> 2 - 16 novembre 2014, CHF 6’650, chambre double 12 à 16 pers., guide suisse, vols de ligne, hôtels 3-4* et de charme, pension complète, transports, visites et excursions “Je vous emmène” également en Chine, Routes de la Soie, Arménie, Iran, Japon, Bhoutan, Ladakh, Pamir, Cambodge. 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Elle utilise ses connaissances et un sens évident du suspense pour ficeler un thriller au féminin à savourer bien frais sur la plage. Alice, chercheuse en biologie, vient de quitter Brest pour l’Université de Sherbrooke à Montréal. Sa nouvelle équipe de collègues est drôle, le travail s’annonce passionnant: tout irait pour le mieux pour la trentenaire s’il n’y avait pas ces atroces cauchemars prémonitoires. Quelques semaines après son arrivée au Québec, elle apprend la mort de sa mère, l’archéologue Claire Sagnac, spécialiste du site celtique d’Eyrinques, en France. Alice va alors lire les carnets de fouilles de sa mère et faire une découverte qui la glace: pendant trente ans, Claire a fait aussi ces cauchemars qui annonçaient des drames – premier desquels, la mort subite de Bastien, petit frère d’Alice. En croisant trois différents temps (celui d’Alice, celui de la jeunesse de Claire et celui des Gaulois du village d’Eyrinques), Catherine May tient le lecteur par la barbichette. L. K. E n décembre 1946 a lieu à La Havane un historique congrès de la pègre américaine. Les débats sont menés par le discret Meyer Lansky, qui a un rêve: que la mafia possède pour ainsi dire une ville, où elle pourrait opérer librement dans l’industrie du jeu et du sexe, avec ses institutions financières propres et un Etat accommodant. Ce sera le cas de 1952 à 1959, jusqu’à la révolution castriste. Sous le règne complice de Batista, La Havane connaît «un essor prodigieux» grâce aux hôtels-casinos, raconte T. J. English. Scénariste pour des séries, dont NYPD Blue, le journaliste livre une fabuleuse enquête sur ces années folles du crime organisé, sortie récemment en poche. Fort d’une puissante documentation et de témoins de l’époque qu’il a profité de pouvoir encore rencontrer, il dresse les portraits des crapules qui comptaient, de ce milieu violent et silencieux. Depuis Cuba, il peut élargir parfois sa fresque, par exemple dans la concurrence qui se fit toujours plus brutale avec Las Vegas. Et voici qu’apparaissent Frank Sinatra ou JFK, le temps de La Havane, années 1950, période faste pour la pègre. quelques séjours particulièrement détendus, d’autres vedettes du spectacle en cheville avec les capitalistes des vices… Brassant les destins des truands aussi bien que le rôle de la musique dans cette Havane-là, tout en suivant PUBLICITÉ n i d Ro l’accid e R i o t a lé a ’ l . t en E GENÈV , E R I O T 14 T D’HIS PTEMBRE 20 E T R A D’ SE MUSÉE 20 JUIN - 28 <wm>10CAsNsja1MLUw1DUwMDQ2NAIAsuJuaw8AAAA=</wm> <wm>10CFXKoQ7DMAxF0S9y9PwcJ24Nq7CoYBoPmYb3_2hbWcHVJWfO9IKrY5zP8UgPDxVATZlBFtSejVYamXCC0LorzCx6u_HfmlVw_YnAhVgKMUr1FdtWPq_3F646o6ZxAAAA</wm> www.mah-geneve.ch HULTON ARCHIVES/GETTY IMAGES > Thriller Crânes celtiques la montée en puissance de Castro, cette histoire se dévore. Aussi parce qu’elle raconte la réalité d’un temps qui nourrira sans fin une certaine culture populaire, du Parrain aux actuels romans de R. J. Ellory. Nicolas Dufour «Nocturne à La Havane», T. J. English, trad. de l’anglais (Etats-Unis) par David Fauquemberg, 10/18, 568 p. 40 Futurantérieur Le Temps Samedi Culturel Samedi 21 juin 2014 SørenKierkegaard faceàl’attentedelareprise BETTMANN/CORBIS La Banque mondiale vient de revoir à la baisse ses prévisions de croissance pour 2014. De quoi relancer la lancinante question: la reprise est-elle là, oui ou non? Le philosophe a consacré un livre entier à la question. Pour en bouleverser le sens Par Gauthier Ambrus «La Reprise» Un livre pour revivre Paru en 1843 (sous le pseudonyme de Constantin Constantius), La Reprise est un des premiers ouvrages de Søren Kierkegaard (1813-1855). Sa genèse remonte à la rupture des fiançailles de Kierkegaard quelques années plus tôt, que le livre tente d’expliquer à sa manière. Il emprunte une forme littéraire et partiellement autobiographique pour exposer une interrogation philosophique: une reprise qui ne soit ni répétition ni ressouvenir est-elle possible? L’investigation se déroule en trois temps: l’histoire d’une rupture amoureuse difficile, le récit d’un séjour raté à Berlin et une méditation sur le Livre de Job. Les deux premières étapes aboutissent à un constat d’échec, mais la dernière laisse entrevoir une solution d’ordre religieux. Ironie de la traduction, le livre de Kierkegaard a été longtemps connu en français sous le titre La Répétition, alors que la version danoise originale signifie littéralement «la reprise», comme l’explique Nelly Viallaneix dans son édition publiée chez GF-Flammarion. Chaque semaine, Gauthier Ambrus, chercheur en littérature, s’empare d’un événement de l’actualité pour le mettre en résonance avec une œuvre littéraire ou philosophique. Ç a y est, la Banque mondiale vient encore de revoir à la baisse ses prévisions de croissance pour 2014. Pas très grave a priori, 2,8% au lieu du 3,2% prévu en janvier. Mais c’est assez pour relancer cette lancinante question, toujours en suspens: la reprise est-elle là, oui ou non? Le refrain est désormais connu. Les annonces à répétition qui saluent le retour de la reprise de l’économie mondiale ont ponctué le cours des deux ou trois dernières années, aussi sûrement que les bémols qui les suivent presque aussitôt (pas si grande, pas partout, etc.). A force, ce jeu de balancier a quelque chose d’angoissant, vu l’ampleur de la crise que la reprise est censée solder une bonne fois pour toutes. C’est bien ce qui rend la situation d’aujourd’hui si précaire: quoique le cycle dépression/croissance ait marqué tant d’autres conjonctures, quelque chose nous dit que cette fois, ce n’est pas pareil, les enjeux se sont déplacés, et il n’y a plus de certitudes définitives sur l’évolution économique, et sa clé de lecture obligée, la croissance. Et si, faute de mieux, nous commencions par nous interroger sur la notion même de «reprise», en espérant ainsi exorciser nos peurs (elles sont un puissant dissuasif aux investissements, comme on le sait)? Cela tombe bien, il existe justement un livre complet sur le sujet, écrit par un Danois du , XIXe siècle, à la fois philosophe, écrivain, théologien (dans le doute, tout peut servir): La Reprise, par Søren Kierkegaard. Il parle donc d’économie? Non, mais par contre, sa lecture pourrait bien changer pour toujours notre manière de comprendre le mot «reprise». Partant d’un point de départ existentiel (peut-on reprendre ce que la vie a laissé derrière soi?), Kierkegaard fait vite du problème une question philosophique décisive: rien moins que l’occasion d’une nouvelle manière de concevoir l’inscription dans l’existence. Vivre selon la reprise, c’est réussir à se détacher de ce qui a existé dans l’immédiateté des sentiments ou du vécu, pour mieux le regagner sous une forme radicalement différente, sans reculer devant l’inconnu que réserve l’avenir. La reprise n’est donc pas une simple catégorie intellectuelle, de l’ordre de ce qu’on pourrait prévoir ou calculer, mais un fait d’existence. Et comme telle, elle implique un saut qualitatif à l’intérieur de la pensée (et de soi-même), que Kierkegaard identifie à la foi religieuse. La reprise s’oppose donc, par définition, à la répétition: qui l’emprunte sait que rechercher le même est le meilleur chemin pour tout perdre, et en fin de compte s’égarer soi-même. Reprendre, c’est créer autre chose, qui ne nie pas ce qui a été mais le retrouve sous un autre visage. Cela sert-il à éclairer les enjeux qui s’accumulent aujourd’hui autour du mot «reprise»? On Kierkegaard «La Reprise» (Trad. N. Viallaneix, Flammarion, 1990) «J’avais acquis l’assurance qu’il n’existe aucune reprise; mais il n’en reste pas moins toujours sûr et vrai que la fixité inébranlable des habitudes jointe à l’assoupissement des facultés d’observation peut aboutir à une uniformité dont la puissance narcotique dépasse de beaucoup celle des distractions les plus capricieuses; en outre, cette uniformité prend, avec le temps, de plus en plus de cette force qui est semblable à celle d’une formule incantatoire. […] Pour maintenir cet ordre établi et constant, j’avais recours à tous les moyens […]» n’oserait l’affirmer. Il faudrait, dans ce cas, se résoudre à l’idée que la reprise ne (re)viendra jamais, du moins telle qu’on l’attend, c’est-à-dire comme une répétition des schémas déjà connus. Une véritable reprise supposerait de repenser le passé en acceptant de renoncer à le vivre à nouveau, et retrouver ainsi la capacité de se projeter vers l’avant. Loin d’une réitéra- tion des mêmes réussites, et donc des mêmes échecs, ceux qui ont conduit à la crise historique de 2007. Kierkegaard avait du flair, voilà qui nécessite un bel acte de foi. PUBLICITÉ U-LIVE ET LES GRANDES VOIX PRÉSENTENT 27 juin 2014 Concert gratuit dès 19h en plein air Rodolphe Burger & Rachid Taha en ouverture de la Nuit des images <wm>10CAsNsja1MLUw1DUwMLQ0MAAACTfskQ8AAAA=</wm> <wm>10CAsNsja1MLUw1DUwMLQ0NAQA3jbw_w8AAAA=</wm> <wm>10CFXKoQ7DMAxF0S9y9Pxiu8kMq7BoYCoPmYb3_2jtWMHVJWfO9IJ_-3ge45XevKkA2oFkRDHfskYrDkuEBqH2QKeTrd_4uagGrosIQjQWuhBSbVWyfN-fH16Bt6pxAAAA</wm> <wm>10CFWKKw6AMBAFT9Rm33b3UVhJ6giC4GsImvsrPg4xmRGzLOFZPua27m0Lr16RRDACoWQ2H6KwZhcLIVQFNsGUAI2__xGLifb3ScIE7U-oJx17KZav47wB1EggunIAAAA=</wm> Juan Diego V I N C E N ZO S C A L E R A P I A N O © Alexandra Lisbonne www.vidy.ch TÉNOR Mélodies et airs d’opéras JEUDI 30 OCTOBRE 2014 | 20H00 GENÈVE avec Billetterie de la Ville de Genève I Fnac : 0800 418 418 • fnac.ch Ticketcorner : 0900 800 800 (CHF 1.19/min) • ticketcorner.ch