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l Samedi 21 juin 2014
Poésie
Ode à la prairie,
à perte de vue
A chacun sa prairie rêvée
où l’on s’étend pour humer un parfum
de liberté. Frédéric Boyer les chante
Enfants
Romi le rhinocéros
ose le maillot
La graphiste Janik Coat a un faible
pour les grosses bêtes et leurs formes
rondes, dont elle sait si bien tirer parti
Récits
Un tour du monde
signé Antonio Tabucchi
Nouvelles
Sergi Pàmies,
un Woody Allen catalan
Buenos Aires, Kyoto, Lisbonne:
l’écrivain italien sème ses voyages
de notes de lecture et de réflexions
L’auteur espagnol est un maître
de la forme brève. «Chansons d’amour
et de pluie» manie l’absurde et la dérision
Lectures choisies
Sagesse et folie d’été
De Henry Thoreau à Pedro Lenz, notre sélection
CARACTÈRES
Nature
Envie de prairies
A. J. Downing,
pépiniériste et philosophe
Lisbeth Koutchoumoff
On sent comme une envie de prairies. Les herbes folles et les
fleurs des champs nous saluent dans les parcs des villes, en
Suisse et jusqu’au Japon. On s’étonne un peu d’abord devant ce
désordre végétal, ces cheveux mal coiffés qui détonnent dans
l’alignement des parterres. Et puis l’on respire. Les insectes
bruissent, tout affairés. La vie est là. La prairie, même citadine,
même faussement sauvage, envoie un message de liberté.
Par un hasard malicieusement entretenu, la prairie s’est
aussi invitée dans nos propositions de lectures d’été. Chaque
livre est une prairie où étendre ses rêves, ses questionnements.
Chaque livre résiste aux alignements. Dans le champ de la
littérature, la poésie joue le rôle des fleurs sauvages, capables
de pousser partout, envers et contre tous les bétonnages.
Frédéric Boyer, auteur de Dans ma prairie, invite à convoquer
des prairies mentales pour tenir les hivers à distance. En poète,
il fait déambuler sur la page les bisons des premiers temps,
heureux dans les hautes herbes.
Henry David Thoreau, l’ermite du lac de Walden, dans le
Massachusetts, avait fait le choix de l’autarcie et de la désobéissance civile. Seul face aux insectes, aux animaux et à l’étang,
cet «œil de la terre». A la moitié du XIXe siècle, le penseur et
naturaliste américain incluait dans ses méditations l’analyse
et la célébration du mode de vie des Indiens qui savaient,
depuis longtemps, dialoguer avec les éléments. Le troisième
tome du Journal de Thoreau est une symphonie à ciel ouvert,
un chant calme de résistance.
Un professeur italien de littérature, Nuccio Ordine, a fait le
choix, lui aussi, de la prairie. Dans L’Utilité de l’inutile, il offre
une grande promenade revigorante à travers les siècles, donnant à chaque fois la parole aux philosophes, écrivains et
poètes qui ont dit pourquoi l’inutile est utile. L’inutile? Entendez la poésie, la littérature, la philosophie, la recherche scientifique. Toute chose dans lesquelles l’humain se lance sans
visée utilitaire. Pour la curiosité. Pour le plaisir de découvrir,
de créer. Apprendre pour apprendre. Là se niche la beauté de
l’humain, sa dignité, fragile mais sacrément tenace, comme
une herbe indomptable. A l’heure où les parcours et les ambitions semblent se mesurer surtout à l’aune du rendement et
de l’utile, il faut ouvrir ce manifeste, s’allonger dans l’herbe
avec lui, le lire. Puis se relever. Pour que croisse l’envie de
prairie.
«La Philosophie du goût champêtre»
invite à caresser, à l’ombre des arbres,
des rêves d’aménagements futurs
Sagas
Folles nuits
de Cuba
Une immersion dans la
pègre et beaucoup de polars
34
L'étéàlapage
Le Temps
Samedi Culturel
Samedi 21 juin 2014
> Bande dessinée Polar suédois
é
> Bande dessinée Une banane au Sahara
é
La Princesse des glaces, Léonie Bischoff et Olivier Bocquet,
d’après Camilla Läckberg, Casterman, 128 p.
> Enfants Quelque
chose a changé…
é
L’Arabe du futur, Riad Sattouf, Allary Editions, 160 p.
La jeune dessinatrice genevoise Léonie Bischoff
vit depuis quelques années à Bruxelles, capitale
de la bande dessinée, où elle est allée tenter sa
chance. Qui semble lui sourire: pour son
deuxième album chez Casterman, avec le scénariste Olivier Bocquet, elle n’a pas eu peur de
s’attaquer à la série best-seller de la romancière
suédoise Camilla Läckberg, les enquêtes d’Erica
Falck. L’adaptation du premier volume, «La Princesse des glaces», est plutôt réussie, et plus
convaincante que l’adaptation récente d’un
autre polar nordique célébrissime, Millénium.
Le faux suicide d’une jeune femme retrouvée
dans l’eau gelée de sa baignoire va mettre au jour les non-dits et les secrets
de famille de la petite ville côtière de Fjällbacka, où la dessinatrice et son
scénariste se sont immergés au cœur de l’hiver, pour s’imprégner de
l’atmosphère et de l’ambiance des lieux. Ariel Herbez
Dans L’Arabe du futur, Riad Sattouf se souvient de son enfance.
Satiriste au regard acéré, Riad Sattouf saisit le ridicule de ses
contemporains par le cinéma (Les Beaux Gosses, Jacky au royaume
des filles), par la bande dessinée surtout (Pascal Brutal). Avec
L’Arabe du futur, le dessinateur se risque à l’exercice autobiographique et témoigne à nouveau d’un sens supérieur de l’observation.
Né d’une mère bretonne et d’un père syrien, le petit Riad, blond
comme les blés, suit ses parents dans la Libye de Kadhafi, puis la
Syrie de Hafez el-Assad. Il se frotte à une culture qui impressionne
durablement son jeune esprit. Dessiné dans une ligne ronde qui
n’empêche pas la cruauté et rehaussé d’aplats monochromes, cet
essai d’ethnographie juvénile brosse des portraits psychologiques
affûtés (le père plein de contradictions entre ses aspirations à la
modernité et ses retours de flamme traditionaliste), épingle les
limites du panarabisme (bananes pour tous, ce «fruit du peuple»
dont Kadhafi gave les Libyens…) et fait entendre les grincements
civilisationnels avec une justesse époustouflante.
Antoine Duplan
> Bande dessinée 14 milliards d’années
é
Beta… civilisations, Jens Harder, Actes Sud - L’An 2, 368 p.
C’est vertigineux, colossal. Le projet fou de l’Allemand
Jens Harder de retracer par l’image les 14 milliards
d’années d’histoire de l’Univers depuis le Big Bang franchit un cap: cette deuxième partie aborde la naissance
de l’humanité, puis des civilisations. Dans un déferlement graphique et des enchaînements d’images puisées
dans notre «immense héritage visuel», fresques de Lascaux, peinture médiévale, cases de bande dessinée, gravures scientifiques, art contemporain, cinéma, photo, le
dessinateur nous stupéfie par sa curiosité insatiable et
sa maîtrise d’une œuvre tentaculaire.
Quand il évoque la conquête du feu ou l’invention capitale de la roue, il se projette dans l’évolution et les
conséquences ultérieures qui en découlent, inimaginables sur le moment. Et il jongle entre synthèses lyriques,
télescopages poétiques et raccourcis saisissants. A. Hz
Que s’est-il passé?, Nicolette Humbert, La Joie de lire/Tout-petits photo.
Dès 3 ans
Sur la page de gauche, une photographie; sur la page de droite, presque la
même scène, mais quelque chose a
changé: le bonhomme en plots s’est renversé, le dessin est détrempé, des belles
salades il ne reste que le trognon.
L’enfant, s’il en a l’âge (sinon il aura le
simple plaisir de la découverte des images), est invité à raconter, à deviner ce
qui s’est passé entre les deux temps
photographiés. Des indices sont là pour
l’aider: un chat s’enfuyant, un escargot
profitant de la pluie, un lapin bien repu.
Photographe et metteuse en scène pour
l’occasion, Nicolette Humbert, par ce
simple jeu d’observation, montre le rôle
de l’ellipse, et donc l’implication du lecteur (même très jeune!) dans la construction narrative. Sylvie Neeman
PUBLICITÉ
> Roman Avec Madame de Néandertal
é
Dee Dee Bridgewater
& Ruggero Raimondi
John Malkovich
& Julian Rachlin
Gary Burton &
Dizzy Gillespie Afro
Cuban Experience
Yuja Wang,
Martin Grubinger
& principal
du Royal Ballet
19 31 août
Place
du Château,
Nyon
Informations
luna-classics.com
021 806 30 45
Billetterie
www.Ticketcorner.ch
La Poste, CFF, Manor,
Coop, Globus, Balexert
Madame de Néandertal. Journal intime, Marylène Patou-Mathis,
Pascale Leroy, NiL, 266 p.
Avez-vous jamais songé à vous faire une
amie néandertalienne? 30 000 ans nous
séparent d’elle. Pas simple! Et pourtant,
voici un roman, drôle et très instructif – car
tout y est scientifiquement pesé –, qui rend
cette rencontre possible.
Ce journal d’une Néandertalienne, écrit à
quatre mains par la préhistorienne Marylène Patou-Mathis, grande spécialiste
des Néandertaliens, et l’auteure Pascale
Leroy, met en scène, avec humour et tendresse, le quotidien de nos cousins néandertaliens, à l’époque où notre ancêtre direct, Homo sapiens – baptisé le «zigue» par
les Néandertaliens du roman –, arrive sur
leurs terres et trouble leur quiétude. Heurs et malheurs dans la caverne,
chasse en groupe, joie collective, atelier de coiffure, taille des pierres, de
quoi rire et rencontrer de plain-pied cette «autre humanité» – selon la
formule de Marylène Patou-Mathis. On en apprendra beaucoup sur ces
hommes disparus mais dont nos gènes gardent encore d’infimes traces.
Eléonore Sulser
Orchestre
du Festival
Menuhin
Academy
Soloists
> Nouvelles Lumières dorées
é
Le Professeur et la Sirène, Giuseppe Tomasi di Lampedusa,
Seuil, 190 p.
à
2014
-
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Ny d
on émén
! age
Maxim Vengerov
Nigel Kennedy &
Jean-Luc Ponty
Menahem Pressler
Fazil Say
Nelson Goerner
& Paul Meyer
Gautier Capuçon,
Jorge Viladoms
& étoiles de
l’Opéra de Paris
La figure du prince de Lampedusa
est si étroitement liée à son
chef-d’œuvre, Le Guépard, que les
nouvelles sont passées presque
inaperçues. Une nouvelle traduction de Jean-Paul Manganaro leur
donne une «revie».
«Quand on se trouve au déclin de sa
vie, il est impératif d’essayer de recueillir le plus possible des sensations qui ont traversé notre organisme», écrit le prince en 1955. Ce
qu’il fait, magnifiquement, dans les
«Souvenirs d’enfance» dans lesquels il reconstruit les maisons et
les palais de la famille, dans une lumière dorée et affectueuse.
«Les Chatons aveugles», «La Joie et la Loi» appartiennent aussi à
ce registre de la chronique intime. «Le Professeur et la Sirène»
commence comme un roman d’éducation, sous la rude férule d’un
vieux savant, puis évolue en conte fantastique, d’une sensualité
heureuse: une merveille. Isabelle Rüf
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Le Temps
Samedi Culturel
Samedi 21 juin 2014
> Ados Voyage imaginaire
é
Angel, l’Indien blanc, François Place, Casterman. Dès 13 ans
> Enfants Un rhinocéros rigolo
é
Romi à la plage, Janik Coat, Autrement Jeunesse. Dès 2 ans
Après l’hippopotame, le rhinocéros! La graphiste Janik Coat semble avoir un faible pour les grosses bêtes, et surtout pour leurs
formes généreuses dont elle sait
si bien tirer parti. Ici Romi le rhino
ose l’orange fluo… et le maillot.
C’est en effet la plage qui sert de
toile de fond à une découverte
ludique des contraires: pâle/
bronzé; à l’endroit/à l’envers;
marée basse/marée haute.
Statique (ou stoïque?), le rhino rigolo semble se soumettre avec
grâce aux traitements audacieux de sa créatrice, alternant les
poses rapprochées et lointaines, sa corne brisant une ligne
d’horizon, sa silhouette flashy tranchant sur les verts, les gris et
bleus doux du décor marin. Ou comment réinventer toujours les
classiques enfantins… S. N.
> Enfants A la Colonie des oubliés
Quelle vie que celle d’Angel, Indien
métis au destin bien chahuté: né
d’un viol (les choses sont à peine
dites), il se retrouve esclave sur un
bateau, parvient à s’évader pour
embarquer dans un incroyable périple maritime: au-delà d’une intrigante arche de pierre, c’est un
monde et un peuple inconnus que
découvre l’équipage du Neptune.
François Place excelle à conter des
voyages imaginaires; cet amoureux des mondes possibles, ce
cartographe infatigable de lointains inventés propose ici un univers où les contraires s’affrontent,
la mer et le ciel, la glace et le feu – jusqu’à la parole des Anciens,
dont les deux bouches parlent l’une avec la voix du jour, l’autre
avec celle de la nuit.
Un roman d’aventures sauvage et fascinant. S. N.
é
Chien pourri à la plage, Colas Gutman, illustr.
de Marc Boutavant, L’Ecole des loisirs/Mouche. Dès 7 ans
Chien pourri a chaud dans sa poubelle: il rêve de partir à la mer,
d’autant que Chaplapla prétend que
la Côte d’Azur, c’est encore mieux
qu’une côte de porc… Par chance, on
leur trouve une place à la Colonie des
oubliés, et c’est le grand départ!
Les jeux de mots et l’humour du texte
de Colas Gutman, la naïveté des protagonistes, leur lecture très personnelle et toujours optimiste, formidablement généreuse du monde qui les
entoure (un monde pourtant loin
d’être rose, le regard caustique des
auteurs ne cessant d’ailleurs d’en dénoncer les travers..), ces qualités alliées aux délicieux dessins de
Marc Boutavant font de ce bref roman illustré, le troisième de la
série, une lecture très plaisante. S. N.
> Journal
Une cure de sagesse
> Poésie Au paradis des bisons
é
JOSEPH SOHM/VISIONS OF AMERICA/CORBIS
Dans ma prairie, Frédéric Boyer, P.O.L, 80 p.
Au bord de l’étang de Walden, dans le Massachusetts, où Henry Thoreau, auteur de «De la désobéissance civile» a vécu en autarcie.
U
ne cure de sagesse pour
cet été? La solution se
trouve dans le Journal de
Thoreau, dont voici le
troisième volume, rédigé entre
janvier 1844 et mai 1846. Au programme, ce mélange de philosophie contemplative et de poésie
élégiaque qui caractérise l’ermite
américain, dont les confessions
remontent à l’époque où il s’installa dans une cabane, au bord de
l’étang de Walden, vivant en
autarcie avec les éléments pour
seuls confidents.
La faune, la flore, le sacré, le
silence, la solitude, les promenades, les phénomènes atmosphériques, voilà les sujets de prédilection de Thoreau dans ces pages
où il parle également – en ethnologue avisé – des Indiens et du
modèle de société qu’ils ont offert
à l’Amérique: l’auteur de De la désobéissance civile est déjà fasciné
par le respect quasi religieux
qu’ils manifestent envers la nature, à une époque où cette question n’avait pas encore l’importance qu’elle a aujourd’hui. Tout
au long de ces deux années, le
diariste revient aussi très souvent
sur l’excursion qu’il fit en 1839
sur la rivière Merrimack avec son
frère, autre occasion d’évoquer
son goût pour les robinsonnades.
Quant à son refuge de Walden,
Thoreau ne cesse d’en célébrer les
vertus, en disciple de Rousseau.
«Je suis arrivé ici pour vivre», note-t-il, avant d’ajouter ces mots
qui le définissent bien: «N’allez
pas encombrer le marin de trop
de détails, mais laissez-le ne jamais perdre de vue l’étoile qui lui
sert de guide. Quand on me
reproche d’être ce que je suis,
je m’aperçois que mon seul recours est d’être encore plus entièrement ce que je suis.» Symphonie à ciel ouvert, ce Journal
est une jouvence, sous la
plume vagabonde de celui qui
se dépeint comme «un condisciple d’Ulysse, par l’errance et
la survie». André Clavel
é
> Nouvelles Un Woody Allen catalan
é
Caché dans les méandres de la
lointaine vallée du Yaak, au cœur
du Montana, Rick Bass écrit des
livres – romans ou essais – qui sont
tout à la fois des odes au monde
naturel et des road movies panthéistes sculptés dans les montagnes argentées de l’Ouest mythique. Cette fabuleuse empathie
envers les éléments, on la retrouve
dans ce Journal des cinq saisons, un
bloc-notes qui dépeint un monde
en perpétuelle mutation, dans une
région où les contrastes sont explosifs. D’une digression à l’autre, de
flâneries en randonnées, Bass raconte comment il accorde sa vie à la musique des grands espaces,
comment il règle son horloge biologique sur celle du cosmos: ses
confidences sont un pur bonheur, le bréviaire enchanté d’un
hédoniste au cœur vert qui sait aussi entrer en résistance pour
défendre l’environnement, aux côtés des écologistes américains.
A. C.
> Chroniques Safaris foireux
é
«Journal», volume III,
trad. de l’américain par Thierry
Gillybœuf, Finitude, 320 p.
> Bloc-notes Grands espaces
Journal des cinq saisons, Rick Bass, trad. de l’anglais par Marc
Amfreville, Folio, 620 p.
Frédéric Boyer est un auteur subtil
et plein d’esprit. Un redoutable
graphomane, auteur déjà d’une
trentaine de livres, romans, essais,
poèmes et traductions dont une,
très remarquée, de Saint Augustin
(Les Aveux, P.O.L, 2008). Dans toutes ces disciplines, il impressionne.
En poésie, il réjouit. Il avait enchanté avec Vaches (P.O.L, 2008),
ode drôle, saisissante et multiple
aux ruminantes, il persiste avec
Dans ma prairie.
Cette prairie, vous la reconnaîtrez
dès les premières pages du livre.
C’est celle où, au cœur de l’hiver, la
nuit, vous rêvez de vous retrouver parmi les fleurs, l’herbe, sous le
soleil. Celle qui s’étend à perte de vue, celle des premiers hommes, quand il n’y avait qu’elle, la prairie. Celle des bisons, des
romans, des visions, une promesse inépuisable de bonheur et de
liberté, troublée parfois. Prairie, mode d’emploi: «Je sais les techniques de création de ma prairie, nous dit Frédéric Boyer: remplacer hiver par printemps.» Suivez-le, il vous montrera le chemin de
votre prairie… E. Sr
Chansons d’amour et de pluie, Sergi Pàmies, trad. du catalan
par Edmond Raillard, Jacquelin Chambon, 144 p.
De petits textes, toujours surprenants, parfois surréalistes, souvent très drôles, soudain graves:
une lecture de plage idéale car le
Catalan Sergi Pàmies est un maître de la forme brève. Ces Chansons de pluie et d’amour mettent
en abyme la figure de l’auteur en
Woody Allen paranoïaque, timoré et susceptible.
A New York, une invitation chez
Paul Auster et Siri Hustvedt, hôtes parfaits, tourne au désastre
par sa faute. Mais Sergi Pàmies
est aussi le fils de deux héros de
la guerre d’Espagne, aujourd’hui
décédés, et il quitte le registre de l’autodérision pour évoquer
avec lucidité et affection cet héritage encombrant et la vérité
de leur histoire commune. On apprend aussi à tuer le temps
avant qu’il ne vous tue et à reconnaître le moment précis de la
fin de l’amour. I. R.
Un Pékin en Afrique, S. J. Perelman, trad. de l’anglais par
Jeanne Guyon et Thierry Beauchamp, Wombat, 236 p.
«Il n’existe pas d’auteur humoristique comparable à S.J. Perelman, c’est aussi simple que ça»,
a dit Woody Allen pour saluer
celui qui, après avoir été l’un des
scénaristes des Marx Brothers,
a signé dans le New Yorker des
centaines de chroniques hilarantes, entre les années 1930 et
1970. En voici une quinzaine
réunies dans ce recueil débordant de drôlerie. Point culminant: le long récit où l’Américain
relate ses tribulations africaines, de safaris ratés en expéditions foireuses entre Nairobi et
Zanzibar, des contrées remplies de foutraques bien plus dangereux que les crocodiles. En prime, Perelman raconte comment,
avec des remèdes de perlimpinpin, il s’escrima à soigner Hemingway sous les tropiques, au lendemain de son accident
d’avion en Ouganda, en 1952. Exotisme garanti, repeint aux
couleurs de l’absurde et du nonsense. A. C.
36
L'étéàlapage
Le Temps
Samedi Culturel
Samedi 21 juin 2014
> Roman A l’abri en Angola
> Souvenirs Sentir la croûte terrestre
Théorie générale de l’oubli, José Eduardo Agualusa, trad.
du portugais (Angola) par Geneviève Leibrich, Métailié, 176 p.
Les Pôles magnétiques, Bertil Galland, Slatkine, 260 p.
é
> Récits Un tour du monde en zigzags
é
Voyages et autres voyages, Antonio Tabucchi, trad. de l’italien
par Bernard Comment, Gallimard, 290 p.
«Le voyage trouve son sens en luimême, dans l’être-voyage. Et il
s’agit d’une grande leçon si nous
savons en tirer la vraie signification: c’est comme notre existence,
dont le sens principal est d’être vécue.» Antonio Tabucchi rappelle
dans sa préface à ce recueil de textes courts liés au voyage – qui est
parfois (toujours?) celui de la vie et
de la littérature – cette réflexion du
poète Constantin Cavafis. Voilà
pourquoi la voix de l’oncle de Lucques peut retentir soudain dans
une chambre d’hôtel à Singapour,
pourquoi on peut suivre Borges à Buenos Aires, acheter du
papier à Kyoto, voir la nuit tomber en Inde et arpenter Lisbonne
en tous sens. C’est ce qu’a fait l’écrivain italien décédé en 2012,
qui livre ici un tour du monde poétique, semé de notes et de
réflexions qui invitent à larguer les amarres. E. Sr
Comment une Portugaise, nommée
Ludovica ou Ludo, s’emmura à
Luanda en 1975, terrifiée par l’approche de la révolution et vaincue
par sa peur du ciel et des hommes.
Elle habite l’appartement somptueux de sa sœur Odette et de son
riche époux. Elle construit un mur et
s’invente une vie de Robinsonne au
beau milieu de la ville en proie aux
troubles. Autour d’elle, des personnages s’agitent. Il est question de
diamants, de comptes à régler, de
meurtres et de temps à autre la narration s’échappe vers d’autres horizons. Une toile narrative efficace enserre Ludo, des poèmes ponctuent son histoire. Un roman étonnant, déroutant et exotique. E. Sr
é
Les Pôles magnétiques sont une invitation à prendre la route pour
sentir sous ses pieds la courbure
de la croûte terrestre et un appel à
garder son cœur ouvert aux rencontres fraternelles, poèmes aux
lèvres. Le livre des souvenirs de
jeunesse de Bertil Galland (éditeur de Jacques Chessex, de Jacques Mercanton, de Corinna Bille,
d’Alice Rivaz, etc., et journaliste)
met le lecteur de grande et belle
humeur. Parce que le petit garçon
puis le jeune homme de Lausanne
des années 1940 et 1950 a pu, bon
gré mal gré, happer au passage des êtres de lumière, non conformistes, qui lui ont transmis le goût des livres et de la poésie et ce
besoin de se frotter aux grands espaces et aux êtres qui les
habitent. Le livre se découpe en une suite de grands voyages
d’été (la Suède après la traversée de l’Allemagne au lendemain
de la guerre, l’Islande, les Etats-Unis). Une lecture qui élargit.
Lisbeth Koutchoumoff
> Chroniques Aller voir là-bas si j’y suis
é
Journal d’un Blanc, Arnaud Robert, L’Aire, 220 p.
> Roman Déglingue alémanique
é
Faut quitter Schummertal!, Pedro Lenz, trad. du bärndütsch
de Haute-Argovie par Daniel Rothenbühler & Nathalie Kehrli,
Editions d’en bas, 168 p.
Goalie, le héros attachant de
Pedro Lenz, a tout pour devenir
un personnage emblématique
de la littérature suisse contemporaine. C’est un paumé philosophe, un camé qui navigue entre aveuglement et sagesse, un
bon type un peu perdu mais qui
porte, mine de rien, un regard
plein d’esprit et d’ironie sur son
village suisse typiquement grisâtre et sur ses habitants. Le
café Central et le café pomme
jouent un rôle capital dans la vie
de Goalie. Ses copains aussi,
avec lesquels ses rapports ont
une fâcheuse tendance à se dégrader – les temps sont durs,
c’est chacun pour soi. Il courtise Regula, la belle serveuse du
Central, et parvient à s’échapper avec elle vers l’Espagne. Mais
les doses de dope ne sont jamais loin, l’argent file et le passé le
rattrape. Le charme du roman vient de l’humour déployé par
Goalie dans le récit, entre naïveté et lucidité, de ses pitoyables
tribulations. E. Sr
Pourquoi partir? Plus le lieu de destination est éloigné du lieu de départ (géographiquement, économiquement, politiquement, etc.) et plus cette question
devient vive, que l’on soit vacancier ou
reporter. Le journaliste suisse (collaborateur du Temps) Arnaud Robert se la pose
sans cesse dans Journal d’un Blanc, recueil
de ses chroniques parues à l’occasion de
ses longs séjours en Haïti dans Le Nouvelliste, quotidien de Port-au-Prince.
Outre la qualité de plume et le mordant
du regard, il y a ce questionnement fondamental: comment rencontrer l’Autre?
Ce petit livre fournit une mine de pistes.
On ne peut commencer à aller vers l’autre qu’en étant capable de
s’observer soi-même sous une lumière nouvelle. Arnaud Robert
passe constamment de l’observation du dehors à l’observation du
dedans. Journal d’un Blanc, et plus encore «Les Lustres», le texte qui
conclut le volume, est un livre d’apprentissage, ce que pourrait
(devrait?) être tout voyage effectué dans l’humilité de la rencontre.
«Cette île est le miroir le plus limpide du monde tel qu’il devient.
[…] Depuis des siècles, les Haïtiens vivent déjà dans une société où
l’Etat est célébré au moment où il agonise, où le vivre-ensembe
devient un mantra stérile face à des fossés qui se creusent, où
aucune frontière ne protège plus personne du pugilat mercantile»,
conclut l’auteur. Partir pour se reconnaître et changer, peut-être.
L. K.
> Recueil Sous le masque de l’ennemi
é
Construire l’ennemi et autres écrits occasionnels, Umberto Eco,
Grasset, 302 p.
Umberto Eco a beau être l’auteur de
romans et d’essais érudits, il ne dédaigne pas les «écrits occasionnels», qui
sont à la pensée ce que le footing
matinal est au marathonien. On en
lira ici onze, portant sur des thèmes
variés comme la position de Thomas
d’Aquin sur les embryons, la géographie imaginaire du Moyen Age, la
symbolique du feu… autant d’articles
finement ciselés qui défient l’obsession utilitaire et l’aplatissement culturel de notre époque. Le sémiologue de
légende aime à raconter que Construire l’ennemi, premier essai du recueil, a pour origine une conversation
avec un chauffeur de taxi pakistanais qui lui demandait: «Vous êtes
Italien? Qui sont vos ennemis?» Ne sachant que répondre, l’auteur
de Baudolino développe un essai passionnant sur la production d’un
«Autre» menaçant. Et il répond à la question: «Les Italiens ont eu
peu d’ennemis extérieurs. Ils se sont suffisamment trucidés entre
eux pendant 2000 ans.» Emmanuel Gehrig
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Le Temps
Samedi Culturel
Samedi 21 juin 2014
> Essai Les chemins qui bifurquent
é
Il existe d’autres mondes, Pierre Bayard, Minuit, 158 p.
> Histoire Brillant Moyen Age
Virtuose du paradoxe, Pierre Bayard
mène son héros dans «le jardin des chemins qui bifurquent» que Borges fréquentait aussi volontiers. «Il existe
d’autres mondes», parie l’essayiste, et
l’on peut être simultanément, dans des
existences distinctes et des lieux différents, «détective, chef d’orchestre, ghostwriter et acteur à Hollywood, amant
d’une star», tout comme le malheureux
chat de Schrödinger est à la fois mort et
vivant.
Pour appuyer sa thèse, Bayard convoque
la littérature: Barjavel, Murakami, Fruttero et Lucentini, et les vies multiples de Kafka, Dostoïevski et Nabokov, dont témoignent leurs œuvres. Cet essai vertigineux, brillant, à
prendre au deuxième degré, peut se lire aussi comme un éloge de
l’imagination, donc de l’art. Un appel à regarder la réalité différemment, «comme d’une autre planète», pour que «les écailles nous
tombent des yeux». I. R.
Faut-il vraiment découper l’histoire en tranches?, Jacques Le Goff,
Seuil, coll. La Librairie du XXIe siècle, 208 p.
é
Avec sa disparition en avril, la France a
perdu son plus éminent historien, et le
Moyen Age son meilleur avocat. En
soixante ans de métier, Jacques Le Goff a
largement contribué à faire briller les
feux d’une période longtemps maudite.
A ses yeux, la «Renaissance» n’est autre
qu’une des renaissances qui jalonnent le
Moyen Age: la véritable rupture n’est pas
au temps de Pétrarque ou d’Erasme,
mais s’amorce imperceptiblement vers
1750, au seuil du grand tournant vers la
modernité. Faut-il vraiment découper l’histoire en tranches?, le dernier livre de ce
grand médiéviste, rend ce débat passionnant, et d’autant plus d’actualité à
l’heure où la «World History» nécessite une mise à jour de la périodisation. Jacques Le Goff y manifeste, une fois encore, sa passion pour
l’histoire, qu’il a su si bien faire partager. Em. G.
> Manifeste
L’inutile est utile
Dans les moments de lassitude
face à l’obsession de l’utile, du
profit et de la rentabilité qui caractérise l’époque, voilà un petit
livre qui requinque: L’Utilité de
l’inutile. Il est l’œuvre du Calabrais
Nuccio Ordine, philosophe, professeur de littérature italienne à
l’Université de Calabre, spécialiste de Giordano Bruno et de la
Renaissance. En Italie et en Espagne, ce manifeste en faveur de la
curiosité pour elle-même, des savoirs et des enseignements désintéressés est devenu un phénomène éditorial. Il fait son chemin
en français. Il faut se passer le
mot. L’été est la période idéale
pour s’y plonger et faire le plein
d’énergies, résistantes et combatives.
«En un siècle entièrement
voué à l’utilité, il devient absolument capital d’attirer l’attention
sur l’inutile», estime l’auteur.
L’inutile? La poésie, la littérature,
la musique, la philosophie et la
recherche scientifique.
Nuccio Ordine a réuni, dans
ce qui est une anthologie de poche, des extraits de textes d’écrivains, poètes et philosophes qui
détaillent et expliquent l’importance de la curiosité désintéressée pour la dignité humaine, la
dignitas hominis, et pour la démocratie. Apprendre pour ap-
> Economie Le retour des héritiers
é
Le Capital au XXIe siècle, Thomas Piketty, Seuil, 970 p.
Près de 1000 pages, quantité
de graphiques compliqués,
quelques équations. Et pourtant un succès de librairie, en
particulier pour sa version en
anglais. Et un débat suscité par
un seul, ou presque, des 16 chapitres. Il faut dire que le thème,
les riches, fait vendre. Chaque
année Bilan et Bilanz savent
aussi habilement en profiter.
Laissons cependant de côté le
sujet le plus polémique (un impôt mondial sur les grandes fortunes) pour saluer le travail de
fond réalisé par Thomas Piketty. Son livre, par son titre, renvoie
bien au Capital de Marx, mais sa force tient essentiellement
dans sa quête de la vérité des chiffres. L’économiste français
a réalisé un travail qui rebute nombre de ses collègues:
construire des statistiques qui racontent le monde tel qu’il
est. Balzac est même convoqué pour en rendre la lecture un
peu moins aride, et illustrer la principale conclusion du livre:
pour devenir riche, mieux vaut, comme au temps du Père
Goriot, hériter qu’espérer réussir par ses propres mérites.
Frédéric Lelièvre
> Nature L’art d’embellir les jardins
é
DR
La Philosophie du goût champêtre, Andrew Jackson
Downing, trad. de l’anglais (Etats-Unis) et présentation
de Joël Cornuault, Editions Premières Pierres, 112 p.
Socrate, au centre: juste avant de boire la ciguë, le philosophe apprenait encore à jouer de la flûte de Pan.
prendre. Comme Socrate qui,
pendant que l’on préparait la ciguë qui allait le tuer, apprenait
encore à jouer de la flûte de Pan.
A ses proches interloqués qui lui
demandaient à quoi cela pouvait lui servir, il répondit: «A connaître cet air avant de mourir.»
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Nucio Ordine fustige le concept
d’«université-entreprise»
qui met en péril les enseignements de littérature et de philosophie et la recherche. Il termine
en donnant la parole aux auteurs
antiques dans un chapitre consacré à la dignité humaine.
Une riche bibliographie
achève de faire de ce livre un bréviaire à lire et à offrir.
Lisbeth Koutchoumoff
«L’Utilité de l’inutile», Nuccio
Ordine, Les Belles lettres, trad.
de l’italien par L. et P. Hersant, 228 p.
Cet Essai sur l’art d’embellir les
maisons villageoises, les parcs et
les jardins vient à point pour inviter à caresser, à l’ombre des arbres, des rêves d’aménagement
futurs! A. J. Downing (18151852) demeura toute sa vie sur
le fleuve Hudson, à une centaine
de kilomètres de New York, pépiniériste de père en fils, lecteur
des théoriciens anglais du jardin
et du paysage naturel. Dans sa
revue, The Horticulturist, il traitait «des questions d’architecture et de paysage végétal; d’urbanisme et d’hygiène; mais aussi de pédagogie, de morale,
ainsi que de botanique et d’entomologie».
Contrairement à Thoreau, qui se retire seul dans les bois,
sans être communautaire ou fouriériste, Downing, qui semble très fréquentable, envisage ses semblables et le paysage
«avec cordialité». Il prévient les nouveaux riches contre les
«bévues», par exemple dans le choix de la couleur de leur
maison de campagne. Un compagnon empli d’humour et de
bon sens. I. R.
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L'étéàlapage
Le Temps
Samedi Culturel
Samedi 21 juin 2014
> Policier Au cœur de la justice française
> Catastrophe Paris sous un tas de cendres
> Thriller Enquête duale pour un tableau
La Piste du temps, Eric Halphen. Rivages/Noir, 494 p.
Métamorphose des cendres, Tito Topin, Rivages/Noir, 272 p.
Le Double Portrait, George P. Pelecanos,
trad. de l’anglais par Mireille Vignol, Calmann-Lévy, 272 p.
Un ancien champion d’athlétisme est retrouvé mort sur le site d’un chantier, et voici
que l’Etat tremble. Après sa carrière sportive, Marc Chaussoy avait développé nombre de réseaux, il s’était institué à la fois
lobbyiste et entremetteur pour des contrats
publics… Ce qui laisse augurer de délicates
découvertes au fil de l’investigation. Celle-ci
a en sus une coloration helvétique, puisque
deux objets manquent sur le corps, une
chaussure et surtout, une montre de prestige.
Eric Halphen remet en scène ses deux personnages, le juge Barth et le commandant
Bizek. Deux esprits heurtés, usés peut-être,
qui composent un duo attachant. Naguère juge ayant conduit les démarches sur des affaires fort médiatisées, Eric Halphen a pour lui la connaissance des rouages de l’investigation à la française, avec ses deux
versants, policier et judiciaire. Il en découle une description précise de la
procédure, d’autant que l’auteur aime prendre son temps avec ses
personnages, les poser et les approfondir par séquences successives. Le
réalisme du contexte n’empêche toutefois pas la tension dramatique, et
si le démarrage peut sembler lent, le lecteur s’aperçoit peu à peu de la
rigoureuse mise en place des éléments du cas Chaussoy. Un roman
policier, au sens plein, et captivant, du terme. N. Du.
C’est vraiment un sale temps. Non seulement il neige, mais en plus, ces flocons gris
pourraient bien être chargés de particules
radioactives. Un grave accident dans une
centrale nucléaire française provoque le
chaos dans tout l’Hexagone. Et même si les
flashs d’informations répètent à l’envi que
«l’essentiel du nuage radioactif a été chassé
vers l’est», la révolte gronde contre le nucléaire. Comme en Mai 68, les jeunes fabriquent des barricades, brisent les vitrines,
incendient les voitures et inventent des slogans «pour les fleurs».
Peu affecté par ce tumulte, le commandant
Sardi décide de mettre un peu de glace dans son bourbon en prenant en
otage les cendres du ministre Mocquette, récemment assassiné et
incinéré. Il n’acceptera de les rendre à la famille qu’en échange de
5 millions d’euros.
Dans Métamorphose des cendres, le créateur du commissaire Navarro
Tito Topin réutilise la recette – toujours plaisante – employée dans son
dernier roman, Libyan Exodus: l’intrigue tourne autour d’un personnage
central qu’on ne voit pas (ou, dans ce cas, peu), et une poignée
d’individus gravitent autour de lui. Le plaisir de la lecture se déploie
alors au fil des liens qui se tissent – de manière souvent inattendue –
entre les personnages. V. G.
é
é
> Mystère Un manuscrit convoité
é
Spero Lucas se trouve confronté à deux affaires. L’employeur de cet ex-Marine devenu détective a besoin de lui pour innocenter – si
c’est possible – un homme accusé d’avoir tué
sa maîtresse. Surtout, il accepte de dépanner
l’amie d’une amie, à qui l’on a volé un tableau
de valeur. Cette piste-là va le conduire à des
malfrats plutôt éloignés du monde feutré des
amateurs d’art…
L’élégant George P. Pelecanos rempile avec ce
curieux personnage de Spero Lucas. Original
dans ses manies, pas vraiment attachant, pas
antipathique non plus. Un destin marqué par
la guerre. Et une manière – cette fois, souvent
à vélo – d’explorer cette ville de Washington que l’auteur de King Suckerman, qui fut scénariste pour les séries The Wire et Treme, affectionne tant.
Aux dernières journées Quai du polar, à Lyon, il expliquait: «Spero est
revenu d’Irak, il souffre, il est mal à l’aise. Il veut lutter contre les criminels,
et il a l’habitude de se lever le matin afin d’accomplir une mission… Mon
père avait été soldat, il avait tué beaucoup de gens. Mais il n’en parlait
jamais, ce qui instituait une relation particulière avec lui. […] Spero cherche
à sa manière à retrouver une famille. […] Pour ce deuxième roman [avec ce
personnage, après Une Balade dans la nuit], je voulais l’emmener sur un
terrain plus sombre, face à une certaine dualité humaine.» N. Du.
é
> Polar
Le Mystère de High Street, Anne Perry, trad. de l’anglais
par Pascale Haas, Ombres noires, 88 p.
Humour très noir
Les Editions Ombres noires font une proposition sympathique: des romans courts, ou
de longues nouvelles, accompagnés d’un entretien avec l’auteur, sur le mode du bonus.
Mère, entre autres, des populaires histoires
de Charlotte et Thomas Pitt, Anne Perry
quitte un moment son Angleterre victorienne pour ce bref suspense contemporain.
L’assistant d’un libraire spécialisé en ouvrages anciens reçoit un intrigant manuscrit,
écrit en araméen, qui pourrait remonter aux
temps de Jésus. Tour à tour, deux mystérieux
érudits et un homme d’Eglise disent leur
intérêt pour le document… Que faire? A qui
le confier? Anne Perry joue avec le dilemme qui pétrit son jeune
protagoniste. Avant d’évoquer sa réticence face aux religions ou son
goût pour le fantastique… La double dimension, fiction courte et interview, offre une approche originale de l’auteure. N. Du.
V
> Biographie Budapest, jusqu’à plus soif
é
La Ballade du voleur au whisky, Julian Rubinstein, Sonatine, 384 p.
Ras le bol du soleil, des matchs de football et
de la bière qui les accompagne? Envie de
plonger dans la Hongrie postcommuniste,
les matchs de hockey sur glace et le whisky
de moyenne qualité? La Ballade du voleur au
whisky est l’antidote qui convient. L’enquête
du journaliste américain Julian Rubinstein,
publiée en début d’année aux Editions Sonatine, revient sur l’épopée invraisemblable du
braqueur de banques Attila Ambrus. Sous la
forme d’un polar.
Ce gentleman cambrioleur – surnommé «le
voleur au whisky» puisqu’il était obligé de
descendre des litres de Johnny Walker Red
pour avoir le courage de commettre ses larcins – a braqué pas moins de
29 banques entre 1993 et 1999 dans la seule ville de Budapest. Mais
toujours avec délicatesse (il allait jusqu’à offrir parfois des bouquets de
fleurs à ses victimes). Une épopée entrecoupée d’arrestations et d’évasions diverses, racontée par un journaliste qui s’est passionné des
années durant pour ce personnage. Son enquête (via des coupures de
presse, des émissions de télévision et des entretiens – plus de douze
jours passés avec Attila lui-même) est racontée à la fin du livre. V. G.
PHOTO 12
oyons les choses en face:
la popularité du comique Koo Davis n’est plus
ce qu’elle était. Son succès, il l’a connu sur des scènes
préfabriquées installées dans les
forêts du Vietnam, de la Corée, à
Hawaii et sur «quelques îles merdiques». Quand il grimpait dans
son hélicoptère de l’armée américaine et rebondissait de camp retranché en camp retranché pour
relever le moral des Marines
grâce à ses bonnes blagues. Et
aussi grâce aux charmes de ses
«covedettes» Laura, Linda, Karen,
Lauren ou Fanny. Ça, c’était le
bon temps.
Aujourd’hui (toute fin des années 1970), Koo Davis enregistre
des spectacles dans un studio de
Los Angeles. A bientôt 70 ans, divorcé, avec deux fils qu’il ne
connaît pas, il survit grâce notamment à des poignées de médicaments qu’il s’envoie à tout
moment. Et grâce à ses blagues,
qui continuent de plaire à une
partie du public américain et qui
lui rapportent de quoi vivre confortablement.
Une cible idéale? C’est certainement ce que pensent Peter,
Mark, Joyce et les autres. Des
anarcho-communistes extrémistes complètement allumés qui le
kidnappent durant l’un de ses
shows pour négocier la libération d’une dizaine de leurs compagnons d’armes qui dorment
derrière les barreaux. Ils planquent Koo Davis dans une petite
Koo Davis, le
héros de Donald
Westlake, a
connu son heure
de gloire comme
animateur
de spectacles
dans les camps
de Marines.
pièce dont la seule ouverture
donne sur une piscine… Dans laquelle nage une femme nue.
Immortel Westlake
Habilement, feu Donald Westlake a choisi pour Finie la comédie
un personnage principal qui
possède un humour aussi fin et
aussi pince-sans-rire que lui. Cela
permet à ce maître incontesté du
polar humoristique de truffer
son récit de bons mots et de digressions amusantes, qu’il peut
sans autre glisser dans la bouche
de Koo Davis. «Ma mère ne m’a
pas donné d’éducation d’otage»,
soupire l’humoriste quand il se
demande comment réagir dans
pareilles circonstances.
Décédé en 2008, Donald
Westlake n’en finit plus de ressusciter grâce aux traductions –
et, dans ce cas, publications – tardives de ses romans. Finie la comédie a ainsi été écrit au début
des années 1980, mais relégué
illico au fond d’un tiroir; l’auteur
craignant que le livre ne ressemble trop au King of Comedy de
Martin Scorsese sorti en 1983.
François Guérif, directeur notamment des collections polar et
thriller chez Rivages, promet
aujourd’hui qu’il reste encore
«cinq ou six» romans de Westlake devant être publiés en français. La comédie n’est donc pas
tout à fait terminée.
Valère Gogniat
«Finie la comédie», Donald
Westlake, trad. de l’anglais
(Etats-Unis) par Pierre Bondil
et Nicolas Bondil, 382 p.
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Le Temps
Samedi Culturel
Samedi 21 juin 2014
> Saga
Cuba, années folles
é
Les Sacrifiés d’Eyrinques, Catherine May,
Xenia, 452 p.
Catherine May est archéologue dans le canton de Vaud. Elle utilise
ses connaissances et
un sens évident du suspense pour ficeler un
thriller au féminin à savourer bien frais sur la
plage.
Alice, chercheuse en
biologie, vient de quitter Brest pour l’Université de Sherbrooke à
Montréal. Sa nouvelle
équipe de collègues est
drôle, le travail s’annonce passionnant: tout irait
pour le mieux pour la trentenaire s’il n’y avait pas ces
atroces cauchemars prémonitoires. Quelques semaines après son arrivée au Québec, elle apprend la
mort de sa mère, l’archéologue Claire Sagnac, spécialiste du site celtique d’Eyrinques, en France. Alice
va alors lire les carnets de fouilles de sa mère et faire
une découverte qui la glace: pendant trente ans,
Claire a fait aussi ces cauchemars qui annonçaient
des drames – premier desquels, la mort subite de
Bastien, petit frère d’Alice.
En croisant trois différents temps (celui d’Alice, celui
de la jeunesse de Claire et celui des Gaulois du
village d’Eyrinques), Catherine May tient le lecteur
par la barbichette. L. K.
E
n décembre 1946 a lieu à
La Havane un historique
congrès de la pègre américaine. Les débats sont menés par le discret Meyer Lansky,
qui a un rêve: que la mafia possède pour ainsi dire une ville, où
elle pourrait opérer librement
dans l’industrie du jeu et du
sexe, avec ses institutions financières propres et un Etat accommodant. Ce sera le cas de 1952 à
1959, jusqu’à la révolution castriste. Sous le règne complice de
Batista, La Havane connaît «un
essor prodigieux» grâce aux hôtels-casinos, raconte T. J. English.
Scénariste pour des séries,
dont NYPD Blue, le journaliste livre une fabuleuse enquête sur
ces années folles du crime organisé, sortie récemment en poche. Fort d’une puissante documentation et de témoins de
l’époque qu’il a profité de pouvoir encore rencontrer, il dresse
les portraits des crapules qui
comptaient, de ce milieu violent
et silencieux.
Depuis Cuba, il peut élargir
parfois sa fresque, par exemple
dans la concurrence qui se fit
toujours plus brutale avec Las Vegas. Et voici qu’apparaissent
Frank Sinatra ou JFK, le temps de
La Havane,
années 1950,
période faste
pour la pègre.
quelques séjours particulièrement détendus, d’autres vedettes
du spectacle en cheville avec les
capitalistes des vices… Brassant
les destins des truands aussi bien
que le rôle de la musique dans
cette Havane-là, tout en suivant
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HULTON ARCHIVES/GETTY IMAGES
> Thriller Crânes celtiques
la montée en puissance de Castro, cette histoire se dévore. Aussi
parce qu’elle raconte la réalité
d’un temps qui nourrira sans fin
une certaine culture populaire,
du Parrain aux actuels romans de
R. J. Ellory. Nicolas Dufour
«Nocturne à La Havane»,
T. J. English, trad. de l’anglais
(Etats-Unis) par David
Fauquemberg, 10/18, 568 p.
40
Futurantérieur
Le Temps
Samedi Culturel
Samedi 21 juin 2014
SørenKierkegaard
faceàl’attentedelareprise
BETTMANN/CORBIS
La Banque mondiale vient de revoir à la baisse ses prévisions de croissance pour
2014. De quoi relancer la lancinante question: la reprise est-elle là, oui ou non?
Le philosophe a consacré un livre entier à la question. Pour en bouleverser le sens
Par Gauthier Ambrus
«La Reprise»
Un livre pour revivre
Paru en 1843 (sous le pseudonyme de Constantin Constantius), La Reprise est un des
premiers ouvrages de Søren
Kierkegaard (1813-1855). Sa
genèse remonte à la rupture
des fiançailles de Kierkegaard
quelques années plus tôt, que
le livre tente d’expliquer à sa
manière. Il emprunte une forme
littéraire et partiellement autobiographique pour exposer une
interrogation philosophique:
une reprise qui ne soit ni répétition ni ressouvenir est-elle
possible?
L’investigation se déroule en
trois temps: l’histoire d’une
rupture amoureuse difficile,
le récit d’un séjour raté à Berlin
et une méditation sur le Livre
de Job. Les deux premières
étapes aboutissent à un
constat d’échec, mais la dernière laisse entrevoir une solution d’ordre religieux. Ironie de
la traduction, le livre de Kierkegaard a été longtemps connu
en français sous le titre
La Répétition, alors que la
version danoise originale
signifie littéralement «la reprise», comme l’explique Nelly
Viallaneix dans son édition
publiée chez GF-Flammarion.
Chaque semaine,
Gauthier Ambrus, chercheur
en littérature, s’empare
d’un événement de l’actualité
pour le mettre en résonance
avec une œuvre littéraire
ou philosophique.
Ç
a y est, la Banque
mondiale vient encore de revoir à la
baisse ses prévisions
de croissance pour
2014. Pas très grave a
priori, 2,8% au lieu du 3,2%
prévu en janvier. Mais c’est assez
pour relancer cette lancinante
question, toujours en suspens:
la reprise est-elle là, oui ou non?
Le refrain est désormais connu.
Les annonces à répétition qui
saluent le retour de la reprise de
l’économie mondiale ont ponctué le cours des deux ou trois
dernières années, aussi sûrement que les bémols qui les suivent presque aussitôt (pas si
grande, pas partout, etc.). A
force, ce jeu de balancier a quelque chose d’angoissant, vu l’ampleur de la crise que la reprise
est censée solder une bonne fois
pour toutes.
C’est bien ce qui rend la situation d’aujourd’hui si précaire: quoique le cycle dépression/croissance ait marqué
tant d’autres conjonctures,
quelque chose nous dit que
cette fois, ce n’est pas pareil, les
enjeux se sont déplacés, et il
n’y a plus de certitudes définitives sur l’évolution économique, et sa clé de lecture obligée, la croissance. Et si, faute
de mieux, nous commencions
par nous interroger sur la notion même de «reprise», en espérant ainsi exorciser nos
peurs (elles sont un puissant
dissuasif aux investissements,
comme on le sait)?
Cela tombe bien, il existe justement un livre complet sur le
sujet, écrit par un Danois du
,
XIXe siècle, à la fois philosophe,
écrivain, théologien (dans le
doute, tout peut servir): La Reprise, par Søren Kierkegaard. Il
parle donc d’économie? Non,
mais par contre, sa lecture pourrait bien changer pour toujours
notre manière de comprendre
le mot «reprise». Partant d’un
point de départ existentiel
(peut-on reprendre ce que la vie
a laissé derrière soi?), Kierkegaard fait vite du problème une
question philosophique décisive: rien moins que l’occasion
d’une nouvelle manière de concevoir l’inscription dans l’existence.
Vivre selon la reprise, c’est
réussir à se détacher de ce qui a
existé dans l’immédiateté des
sentiments ou du vécu, pour
mieux le regagner sous une
forme radicalement différente,
sans reculer devant l’inconnu
que réserve l’avenir. La reprise
n’est donc pas une simple catégorie intellectuelle, de l’ordre de
ce qu’on pourrait prévoir ou calculer, mais un fait d’existence. Et
comme telle, elle implique un
saut qualitatif à l’intérieur de la
pensée (et de soi-même), que
Kierkegaard identifie à la foi religieuse.
La reprise s’oppose donc, par
définition, à la répétition: qui
l’emprunte sait que rechercher
le même est le meilleur chemin
pour tout perdre, et en fin de
compte s’égarer soi-même. Reprendre, c’est créer autre chose,
qui ne nie pas ce qui a été mais
le retrouve sous un autre visage.
Cela sert-il à éclairer les enjeux
qui s’accumulent aujourd’hui
autour du mot «reprise»? On
Kierkegaard
«La Reprise»
(Trad. N. Viallaneix, Flammarion, 1990)
«J’avais acquis l’assurance qu’il n’existe
aucune reprise; mais il n’en reste pas moins
toujours sûr et vrai que la fixité inébranlable
des habitudes jointe à l’assoupissement
des facultés d’observation peut aboutir
à une uniformité dont la puissance
narcotique dépasse de beaucoup celle des
distractions les plus capricieuses; en outre,
cette uniformité prend, avec le temps, de
plus en plus de cette force qui est semblable
à celle d’une formule incantatoire. […]
Pour maintenir cet ordre établi et constant,
j’avais recours à tous les moyens […]»
n’oserait l’affirmer. Il faudrait,
dans ce cas, se résoudre à l’idée
que la reprise ne (re)viendra jamais, du moins telle qu’on l’attend, c’est-à-dire comme une répétition des schémas déjà
connus. Une véritable reprise
supposerait de repenser le passé
en acceptant de renoncer à le
vivre à nouveau, et retrouver
ainsi la capacité de se projeter
vers l’avant. Loin d’une réitéra-
tion des mêmes réussites, et
donc des mêmes échecs, ceux
qui ont conduit à la crise historique de 2007. Kierkegaard avait
du flair, voilà qui nécessite un
bel acte de foi.
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