Document - Paroisses Catholiques de Villeurbanne Nativité

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Jean-Dominique Durand
Conférence, Le Rize, Villeurbanne, 25 octobre 2014
Le chanoine François Boursier, un prêtre dans la Cité
Monsieur le Directeur du Rize,
Madame la Directrice des Archives municipales de Villeurbanne,
Monsieur le Curé, successeur du père Boursier, cher père Étienne,
Monsieur le Président de l’Association Chanoine-Boursier,
Mesdames et Messieurs,
Je suis très heureux de me trouver parmi vous ce soir pour évoquer cette grande figure de
l’histoire de Villeurbanne qu’est le chanoine François Boursier.
Je remercie vivement les organisateurs des célébrations du 70° anniversaire de sa mort
tragique le 20 août 1944, de m’avoir convié à prononcer cette conférence. Je suis pourtant
fort embarrassé car je ne suis certainement pas le mieux placé pour parler de François
Boursier. Il y a dans la salle des personnes beaucoup plus compétentes que moi, à
commencer par Monsieur Christian Simon dont Le Progrès a écrit qu’il « n’ignore plus grandchose de sa vie » et surtout Monsieur Alain Moreau auteur d’un excellent Mémoire de
Maîtrise intitulé François Boursier (1878-1944). Un prêtre de combat. Curé de Villeurbanne,
bâtisseur et « Apôtre de l’idée de Résistance ». J’ai eu le plaisir de diriger ce travail en 19901991. Je venais d’arriver à l’Université Lyon 3 comme Professeur d’Histoire contemporaine.
C’était le temps des Mémoires de Maîtrise, qui permettaient aux étudiants de traiter des
sujets importants et de les traiter à fond. Le Mémoire d’Alain Moreau a plus de 500 pages.
J’ai toujours pensé qu’il mériterait d’être publié. Maintenant que j’ai retrouvé M. Moreau,
nous allons nous atteler à cette tâche qui exige pas mal de remaniements, tenant compte du
fait qu’il s’agissait d’un tout premier travail de recherche. Je vais largement utiliser son travail
dans ma conférence.
Alors que le débarquement victorieux des Alliés en Normandie suscitait à la fois tous les
espoirs pour le Français et un nouveau déferlement de violences de la part des nazis et de
leurs complices français, l’’arrestation du chanoine Boursier le 16 juin 1944 dans son église,
suscita une grande stupeur à Villeurbanne, auprès de ses paroissiens et bien au-delà des
cercles catholiques. L’annonce de sa mort à Saint-Genis Laval, suscita de la stupeur. Dès le
28 octobre, le Conseil municipal de Villeurbanne libérée depuis moins de deux mois, décida
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d’attribuer son nom à une vaste place, située au cœur de la cité, pour honorer, dit le rapport
du Maire, « le souvenir de ce prêtre remarquable qui préféra à la voie du mensonge et de
l’esclavage, la voie héroïque et dure de la liberté et de la justice ». Cet hommage était
révélateur de la popularité de ce prêtre, dont le souvenir reste encore bien vivant dans les
mémoires 70 ans après, comme en témoignent les cérémonies de dimanche dernier et de
toute cette semaine et la vitalité de l’Association des Amis du Chanoine Boursier. Ces faits
invitent à revenir sur le parcours de ce prêtre, à s’interroger sur ce qui a pu l’amener à
donner sa vie pour ses concitoyens. En fait, Boursier fut un prêtre un combat, comme l’a
montré Alain Moreau, mais il fut avant tout un prêtre dans la Cité et de la Cité. Parce qu’il fut
un prêtre pleinement engagé dans la vie de la Cité dans tous ses aspects, il fut un prêtre de
combat. Je voudrais au cours de cette conférence, essayer de comprendre le cheminement
de ce prêtre qui reste jusqu’à aujourd’hui un héros de la Résistance. Je le ferai en trois
points, en insistant d’abord sur sa formation sacerdotale (La génération Léon XIII), puis sur
sa confrontation avec Villeurbanne (Curé à Villeurbanne) et le choc de la guerre et de
l’Occupation (Un prêtre dans la guerre).
La génération Léon XIII
L’ouverture au monde
Né en 1878, l’année où le cardinal Pecci devient pape sous le nom de Léon XIII, François
Boursier est ordonné prêtre en 1902 à 24 ans, quelques semaines avant la fin de ce
pontificat qui s’acheva le 20 juillet 1903. Toute la formation de ce prêtre se fit donc durant ce
pontificat fondamental dans l’histoire de l’Église.
Trois aspects majeurs sont à souligner qui ont certainement marqué le séminariste et le
jeune prêtre :
L’encyclique Rerum novarum 15 mai 1891 : doctrine sociale de l’Eglise, refus de la
misère : « la misère immérité des ouvriers ». Exigence de justice sociale.
Les études au séminaire réformées avec l’introduction systématique du thomisme,
par l’encyclique Aeterni Patris du 4 août 1879. La pensée de saint Thomas d’Aquin (12251274), auteur de la Somme théologique, un essai de synthèse de la raison et de la foi, qui
donne à l’Eglise de la fin du XIX° siècle, des réponses aux défis posés au christianisme.
Rupture de Léon XIII avec les condamnations répétées par son prédécesseur Pie IX, du
monde moderne hostile à la religion.
Sortir des sacristies, aller au-devant du peuple. Une mission dans la cité. L’Evangile :
des exigences : fraternité, amour du prochain, charité. Les conséquences sociales de
l’Evangile. Cf. Henri de Lubac : Catholicisme. Aspects sociaux du dogme, 1938. Intérêt pour
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la musique : mélomane mais aussi praticien (durant son service militaire à Lyon, il en profite
pour fréquenter le Conservatoire).
La confrontation avec la laïcité
1879 : affirmation de la République, fin des rêves de restauration de la monarchie.
Lois anticléricales, interdiction d’enseignement des congrégations religieuses, exil des
congrégations en 1903, dont les chartreux chassés de leur monastère par l’armée, en avril
1903. Né à Saint-Laurent du Pont, très attaché à la Grande Chartreuse, Boursier choqué
par cette expulsion, sait que le rapport avec la République n’est pas facile, dans un contexte
de combat laïciste.
Nécessité de repenser la place de la religion dans un régime de Séparation. Vicaire à
Dolomieu : associations de laïcs, Action catholique. Patronages, sport, construction d’une
nouvelle chapelle.
Génération de la Revanche
Patriotisme nourri par la perte de l’Alsace et de la Lorraine en 1870.
Union sacrée : mobilisation des catholiques, retour des congréganistes exilés.
Mobilisation. Brancardier. Verdun, Chemin des Dames : souffrances partagées. Rencontre
avec tous les milieux sociaux.
Curé à Villeurbanne
C’est un homme d’expérience qui arrive à Villeurbanne en 1919, d’abord comme vicaire à la
Nativité, puis curé de la nouvelle paroisse de Sainte-Thérése.
Une cité ouvrière et socialiste en pleine expansion
Le nombre d’habitants double en 24 ans : 29.000 en 1900, 60.000 en 1924, avec une forte
immigration étrangère (Italienne, espagnole), et un fort développement industriel
(mécanique, métallurgie, textile).
Lazare Goujon élu maire en 1924. Projet d’un nouveau centre urbain : le projet des GratteCiel, avec priorité donnée aux logements, dans une perspective hygiéniste. Grande attention
aussi aux écoles. Ensemble achevé en 1934.
Une rencontre forte entre le maire socialiste laïc, et le prêtre militant : en commun le souci du
bien commun. Difficultés en revanche avec l’élection d’une municipalité communiste en
1935.
Un prêtre militant
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Revenu de la guerre le devoir accompli, Boursier ne veut pas s’en laisser compter. Ancien
combattant, au caractère bien trempé, célèbre pour ses colères, servi par une forte carrure
(1m80).
Il se place au service de l’Evangile c'est-à-dire au service de tous, particulièrement des plus
humbles. Mgr Joseph Lavarenne a comparé Boursier à Antoine Chevrier, le fondateur du
Prado :
« il pourrait dire comme lui : « le prêtre est mangé ». Mangé, oui, car à la lettre il se
donne sans compter ; il donne son temps, sa peine, son crédit, son cœur, sa vie,
sans rien garder pour lui-même. Il n’y a pas chez lui une seule pensée de vanité,
d’amour-propre, d’intérêt : ce qui compte seulement, c’est sa mission et ses
œuvres ».
Catholique intransigeant, il combat avec force les ennemis de la foi, et promeut le
catholicisme social. En ce sens on peut vraiment parler d’une rencontre entre un prêtre et
une ville : si ses origines paysannes ne l’ont pas préparé à un milieu urbain et ouvrier, la
guerre, son expérience de prêtre-soldat, l’ont préparé au contact avec les hommes de tous
milieux, et à parler au monde ouvrier.
Dès son arrivée, Boursier se fit militant pour donner une nouvelle visibilité à l’Eglise. Il
développa la Société de la Sentinelle, œuvre multiforme, à la fois association paroissiale,
Action catholique, club de gymnastique, fanfare, chorale, théâtre : la culture est pour lui un
élément fort de l’apostolat. Il fréquente les lieux où il trouve les ouvriers : le café Bonin, les
jeux de boule (reproche de son évêque, Mgr Caillot).
Boursier prit en charge à partir de 1924 la Cité Lafayette, se faisant ainsi l’héritier de l’une
des plus importantes expérimentations du catholicisme social du XIX° siècle, celle des abbés
Camille Rambaud et Paul du Bourg, fondateurs de la Cité de l’Enfant Jésus, avec pour but,
sans doute pour la première fois dans l’Eglise de France, de « partager entièrement, hormis
le travail, la vie et le destin de la population ouvrière » (J. Gadille). Est fondée en 1923,
l’Œuvre Villeurbannaise de l’Abbé Rambaud (OVAR), qui a pour objet, selon ses statuts,
« l’étude, la création et l’administration d’institutions d’éducation religieuse, morale et
physique, de protection et d’assistance sociale, notamment de patronages, cercles
d’études, bibliothèques, ouvroirs, visites et assistance aux malades ».
Un prêtre constructeur
Boursier sait s’entourer : il fait confiance aux laïcs et aux religieuses, créant ainsi une
dynamique nouvelle autour de la modeste chapelle de la Cité, qu’il dédie à sainte Thérèse
de l’Enfant-Jésus, cette jeune carmélite canonisée en 1925, si populaire parmi les soldats et
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que Pie XI avait désigné comme patronne des Missions. La paroisse est alors érigée et
dédiée à la jeune sainte.
L’abbé Boursier s’attache à développer les activités sociales, dont le nombre et la diversité
donnent le tournis. L’Union Cité Lafayette est fondée pour coordonner l’ensemble : éducation
populaire, conférences, concerts, sports, sociétés de secours mutuel, caisses de retraite,
cinéma, écoles, catéchisme, cercles pour les jeunes gens, les jeunes filles, les hommes, les
femmes. Une activité multiforme, qui cherche à atteindre toutes les formes d’activité, tous les
âges, tous les sexes. Ramifications infinies.
La grande affaire reste la construction d’une église digne de ce nom à la place de la chapelle
devenue insuffisante. Ce projet rencontre celui du maire de créer un nouveau quartier
central : « Faites grand parce que je vais faire grand » aurait dit le maire au curé.
Réalité de cette formule ? En tous cas correspond à une réalité.
Pose de la première pierre le 25 novembre 1928. Consécration en 1931. Embellissements :
orgues, statues, vitraux, activités culturelles. Mais inachevée.
L’arrivée des communistes à la tête de la municipalité gêne l’action de l’abbé Boursier, mais
il ne renonce jamais à son attention prioritaire pour les ouvriers. Bien au contraire, il
développe l’Action Catholique spécialisée, en particulier la JOC avec sa variante féminine, la
JOCF.
Encouragé par Quadragesimo Anno en 1931.
Un prêtre dans la guerre
Une forte conscience de la réalité du nazisme
Des informations : Mit Brennender Sorge, 1937.
Presse catholique.
Liens avec la famille Lévy, des juifs allemands convertis, réfugiés, qui fréquentent la
paroisse.
Mobilisation de la paroisse pour faire face à la guerre.
Sans illusion sur Pétain
On ne trouve pas d’adhésion à Pétain chez Boursier, à part quelques phrases convenues
pour rassurer son évêque, grand pétainiste. Pas cette adhésion sans recul à l’homme
considéré comme le Sauveur, par beaucoup dans l’Eglise, à commencer par la plupart des
évêques. Evidemment accueille avec faveur les mesures en faveur de l’école privée.
Une situation singulière à Villeurbanne avec également l’abbé Cottin, curé de Cusset qui
place dans sa cure une photographie du général de Gaulle, placée entre celles des
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généraux Foch et Joffre, tandis que le Maréchal Pétain est relégué au fond de la pièce. Choc
de Montoire.
Mobilisation de la paroisse surtout en faveur des prisonniers.
Fondamentalement, une attitude de désobéissance. Une double désobéissance : à l’évêque
et à l’Etat. Difficile pour un prêtre de cette génération (culture cléricale), la conscience audessus de l’obéissance. mais ce n’est pas la première fois. Déjà en 1936-39, l’abbé Boursier
n’a guère répercuté auprès de ses paroissiens les messages de son évêque au sujet de la
guerre en Espagne, à la gloire du général Franco. Pourtant, comme beaucoup de prêtres de
son temps, une relation filiale très forte avec l’évêque, père et confident.
A partir de novembre 1942, la désobéissance devient engagement dans la Résistance.
La Résistance
Engagements divers : participation au réseau JOVE, distribution de la presse clandestine,
Témoignage chrétien et Combat, accueil dans la paroisse de clandestins, de radios
parachutés de Londres et de persécutés, caches d’armes. Un élément nouveau découvert
depuis quelques années : la protection de juifs (une kippa et des documents découverts
dans l’orgue en 2008, des témoignages qui émergent).
Les bulletins paroissiaux sont de véritables appels à continuer le combat.
Pourquoi ? Trois raisons principales.
1)Avant tout, la première de ses motivations est le patriotisme : refus de la défaite. Voir le
sermon prononcé lors de la célébration d »’un mariage d’un couple de Lorrains réfugiés, le
28 juillet 1942, qui en dit long du reste sur ses imprudences :
« Vous fondez un foyer lorrain, c'est-à-dire français et chrétien. Chassés de votre
village, de votre foyer, de vos affaires par des barbares. Vous attendez l’heure, le jour
où vous pourrez retrouver d’abord les êtres qui vous sont chers, vos familles, et
ensuite tout le passé, tout le présent qui vous lient à votre chère Lorraine, à notre
chère Lorraine qui est si française et que la Mère Patrie aime plus que jamais…. »
Il faut poursuivre le combat.
2)Idée d’une guerre juste, conforma à la doctrine de l’Eglise depuis saint Augustin. Guerre
de défense.
3)Le devoir de charité et de justice : accueillir les persécutés qu’il s’agisse de résistants
poursuivis, parfois des personnages importants comme des évadés de la prison de Riom, le
gouverneur de Côte d’Ivoire, Louveau, rallié à de Gaulle, ou comme Emmanuel d’Astier de
La Vigerie. Des personnes de toutes origines : communistes, des réfractaires au STO, des
juifs. Ce catholique intransigeant qui a tant combattu les adversaires de l’Eglise, se retrouve
avec ces derniers pour défendre une certaine idée de la personne humaine.
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Et puis peut-être une quatrième raison, celle d’une idée du martyre, en tous cas le désir de
partager le sort des malheureux qui sont déportés ou croupissent dans des prisons : le
pasteur doit partager le sort des plus malheureux. Curé de Montluc : « Ici j’ai un ministère
très actif ; je prêche, je confesse tous les jours », écrit-il à son évêque le 9 juillet.
Le vendredi 16 juin, fête du Sacré-Cœur de Jésus, François Boursier fut arrêté par la milice
française, les hommes de Francis André, le sinistre « Gueule tordue ». En fait une descente
pour intimider un prêtre peu prudent, qui n’hésitait pas à tonitruer contre le régime de Vichy
et l’occupant. Laissant le prêtre célébrer la messe, ils inspectent la cure et tombent sur
Hubert Gominet, radio, pris en flagrant délit d’émission. Arrêté avec son vicaire, l’abbé
Joffray, torturé, enfermé à Montluc. Exécuté à Saint-Genis Laval quelques semaines plus
tard. Le séjour à Montluc a profondément marqué ses codétenus qui ont pu en témoigner :
solidarité avec tous, paroles de réconfort, affirmation d’une foi ardente et sans peur qui lui
permet de résister aux tortures les plus atroces sans jamais parler (cachette de Lazare
Goujon).
Conclusion
Citer le témoignage d’un détenu de Montluc, Émile Terroine :
« L’abbé Boursier, soixante-cinq ans, de haute stature, très vigoureux encore, un
visage qui respire l’énergie, mais toujours éclairé par un bon sourire, un front élevé
que surmonte une flamme de cheveux gris, des yeux sombres lumineux ; tout fait
penser à l’apôtre. C’est avant tout un homme d’action ; il a su conquérir l’affection de
tous les hôtes du Réfectoire, de quelques horizons qu’ils viennent. Je ne sais si
l’Eglise approuverait entièrement son attitude et ses propos, mais il est profondément
humain. Qu’on croit en Dieu, qu’on essaye de pratiquer ces vertus dites chrétiennes
et qui, en fait, constituent l’idéal des élites morales en tout temps et en tout lieu, voilà
qui lui suffit.
« Jamais je ne condamnerai un homme, me dit-il un jour, même un suicidé ; qui sait si
au dernier moment, sa pensée n’a pas été bonne. Dieu seul connaît les cœurs et
peut juger ».
Il me sait mécréant sans aucune conviction religieuse et rit beaucoup des
plaisanteries sur la religion que je lui rapporte, les empruntant à Maurois, à France et
à tant d’autres. Mais il ne doute pas un instant de mon salut et croit que je suis de
ceux qui, comme le dit Renan, mérite une belle désillusion. Son courage atteint une
témérité presque enfantine. »
Tout Boursier est dans ce portrait : les convictions chevillées au corps, la liberté intérieure, la
capacité d’écoute et d’accueil de tous, le courage physique et spirituel.
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