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SAMEDI 28 JUIN 2014 LE JOURNAL DU JURA
RIFFS HIFI 27
ANGE Périple sur la trace des fées dans la patrie du mythique groupe français
Où Décamps fait prendre un
coup de jeune à Emile Jacotey
CÉLESTE HARMONIE
Cet Ange ne passera jamais
PIERRE-ALAIN BRENZIKOFER
Et dire qu’il aura fallu cette escapade à Saint-Bresson, sorte de
Champoz niché entre HauteSaône et ligne bleue des Vosges,
pour que l’évidence nous revienne telle un boomerang. Oui,
Ange restera dans l’histoire
comme le groupe de la France
profonde. Celle des provinces,
comme on disait quand les rois
régnaient à la place de Hollande.
Et quand bien même le gang de
Christian Décamps a vendu plus
de 3 millions d’albums dans ces
seventies héroïques, soulevé les
30 000 spectateurs de Reading,
tout en déflorant l’Hexagone, le
parisianisme épistolaire s’est
toujours pincé le nez à son évocation. Comme si ces ruraux, porteurs de médiévaleurs toujours
actuelles, puaient des pieds.
La recette de Panoramix
Décamps père et fils jouant «Parallèles amoureuses» lors de la Convention du Fan’s Club d’Ange. Le JDJ était de la partie.
PIERRE-YVES THEURILLAT
C’est dans la vallée du Breuchin, dans le village de SaintBresson, à la «Principauté» de la
Noiseraie comme il l’appelle,
une magnifique ferme de pierre
et sa maison, que Christian Décampsnousfaitleplaisirdel’invitation pourune passionnante entrevue. A une poignée de
minutes d’un concert qui fera
date dans les mémoires. La 11e
Convention du Fan’s Club
d’Ange, «Un pied dans la marge»
qu’ils s’appellent, regroupera 900
personnes sous un chapiteau de
cirque, avides de découvrir le
nouvel album d’Ange in vivo, un
album recréant l’univers d’Emile
Jacotey, «le petit vieux de tous les
temps», sous le titre d’«Emile Jacotey Résurrection».
Passion intacte
Quarante ans séparent les deux
productions. Quelles différences? «Il y a moins de cette folie que
tu ne contrôles pas, comme lorsque
j’étais un jeune chanteur!» annonce d’emblée Décamps, qui
peut bien avoir définitivement
gagné le professionnalisme qui
faisait tant défaut autour de lui
en deux générations pleines d’infatigables aventures, lui interdisant ainsi qu’à Ange, sans doute
malgré lui-même, la porte, l’accès au Panthéon, celui d’une «reconnaissance pour toujours». Car
la vie d’artiste reste dur métier.
Fort heureusement, la passion
est là, intacte.
Philosophie
L’amour lumineux aussi, que sa
simple présence permet. «On a
enregistré ici, à la Noiseraie, en
huis clos. C’est le batteur qui l’a produit, mais on a fait l’album ensemble», dit-il. Alors oui, il ne cache
pas des divergences parfois, au
cœur du groupe, mais corrige:
«Il n’y a pas de non-dits entre nous,
et nous savons que nous avons fait
un bel album!» Humbles petits
Français, se targuant d’une évidence vis-à-vis de la lointaine
Amérique : «On a plus de légendes
qu’eux», rigole le poète assoiffé
de vérités, qui estime que son
meilleur tube, dans le fond, c’est
sa carrière tout entière. «Le travail sur cet album est assez expérimental, d’une belle modernité.
C’est cela qu’on a voulu rendre, et
pas du copier-coller. Une nouvelle
floraison, plutôt. King Crimson
nous inspirait à l’époque, aujourd’hui ce serait plutôt Sigur Rõs,
les Islandais. On a aimé ce mélange
de son de claviers, ces fréquences et
effets mêlés, comme mélanger
l’harmonium d’il y a deux siècles
Emile Jacotey, on a fait d’un anonyme une célébrité, plus populaire
que l’abbé Pierre!», poursuit-il.
Avant la résurrection du père
Emile, il y a bien eu «MoyenAge», l’avant-dernier album
d’une longue liste: «Un astéroïde
fantôme, un fossé… le précurseur
d’une renaissance!», comme en
parle l’auteur des mythiques
«Au-delà du délire» et «GuetApens». Le collègue Brenz questionne le patriarche. Cette idée
« King Crimson nous inspirait à
●
l’époque. Aujourd’hui, ce serait
plutôt Sigur Rõs, les Islandais.»
CHRISTIAN DÉCAMPS CHANTEUR DU GROUPE FRANÇAIS ANGE
avec la techno de maintenant. Pour
moi, l’intemporalité, c’est l’avenir!»
Et le petit Christian, du haut de
ses 68 balais, a pris du grade en
humilité. Avant, c’était lui-même
le philosophe. Mais dans ses propos du jour, il en cite un autre, un
certain Johnny Hallyday: «La
mode, c’est ce qui se démode le plus
souvent!» Il le dit en ricanant
comme un gosse fier de ses bêtises. L’irrespect n’est cependant
pas le fort du bonhomme, car sa
reconnaissance pour le travail
desgensqu’ilapprécieestspontanée, directe.
Docu filmé
On parle clips, productions interactives, lots d’aujourd’hui:
«Notreclip,àAnge,c’estlascène!»,
précise-t-il.Ilya bienpourtantce
projet de faire un film documentaire «à la Arte», tourné dans
cette belle campagne de Luxeuilles-Bains. Un décor campagnard,
justement, qui sied toujours à
Ange, et à Christian Décamps,
son incarnation vivante, lui qui
vit là autour, dans ce «pays aux
mille étangs». Un documentaire
devrait donc être édité prochainement, réalisé en captation par
une équipe hollandaise. «Avec
de ressusciter «Emile Jacotey»
en a fait médire plus d’un, c’est
vrai….«Ilyauratoujoursdesintégristes», renvoie le chanteur. «En
1974, on m’avait dit qu’on ne touchait pas à Brel, ce que j’avais pourtant fait.» Et, dans l’ordre de sa
mémoire, il continue: «Mais la
nostalgie n’a rien de bon. C’est une
souche d’arbre, ça n’avance pas! La
vie? C’est vivre dans l’irréel. En réalité, on n’existe pas. C’est un parcours. Le temps? Un cycle naturel
jusqu’à la vieillesse. Naître – Paraître – Disparaître…» Voilà la
triade.
Médias... boliques
Christian Décamps évoque le
monde médiatique: «Les médias
gèrent l’âme des gens, ils les tiennent!», s’en désole-t-il. Et de
poursuivre, à l’attention cette fois
des promoteurs musicaux:
«Chez nous, il y a le concept des
scènes de musiques actuelles. De la
programmation sectaire. On ne
t’ouvre pas les portes, on te bloque!» Ironie du sort, alors que le
band a écumé toutes les scènes
de France et de Navarre? Lui sait
qu’il n’y a pas que des gens de
l’Est français composant son public. Quelques individus sont
MARC PAYGNARD-LDD
aussi venus de Belgique, de
Suisse, d’Angleterre, et même du
Japon.
Une terre insulaire que le
groupe Ange a eu le bonheur de
fouler, en marge de la tournée
des 40 ans d’existence du groupe,
les quarantièmes rugissants:
«Les anniversaires, comme les enterrements, ça aide toujours, oui…
Le Japon a été une expérience complètement prolifique. Pas d’embouteillages, une circulation fluide. Ce
pays est un paradoxe vivant… Ce
sont des individualistes-communautaristes qui ne jugent pas les
autres. Et puis, quelle courtoisie...»
Politique
Marié pour la troisième fois en
une existence passablement riche à ce titre, à force de vénérer
l’Amour avec un grand A, il participe de loin à la vie villageoise,
politique. Regarde la télé. «En politique, dit-il en citant un illustre
inconnu, dire la vérité, c’est changer de mensonge!» Et d’ajouter:
«Ils ont envie de déclencher un
conflit mondial, tu le sens!» Et de
pourfendre le grand bla-bla que
constitue la montée du Front national dans son pays… «Alors
qu’il y a eu 60% d’abstention lors
des dernières élections et qu’ils ont
perdu 10%!» nargue-t-il.
Infatigable créateur
Mais quant à lui-même sur lequel il revient, il entend bien
faire ce métier d’artiste jusqu’au
bout, «jusqu’à ce que mon physique ne me le permette plus»,
comme il aime à le dire d’une
rencontre journalistique à une
autre, laissant son fils Tristan libre de continuer ou non l’aventure Ange, messager entre Dieu
et les hommes. Pour lui, un vagabond, plutôt. Ses errances, l’auteur les confine dans divers albums et publications. Comme ce
projet qu’il intitule délicieusement «Poivre et Seul».
Alors qu’il confie volontiers ces
quelques pensées fleuries d’humanité, la tension monte perceptiblement. Elle trouvera solution dans l’accomplissement
scénique qui suivra.
On y arrive!
Et pourtant, Christian Décamps, vieux druide surfant sur
les modes, possède toujours la
recette de Panoramix. Celle qui
rendsesvers invincibleset truffés
de légendes. Christian Décamps, donc, leader d’un combo
singulièrement rajeuni, qui nous
a fait les honneurs de sa ferme
juchée sur les hauts de SaintBresson, justement. A défaut de
botter dans le ballon de Billy, on
a véritablement cheminé sur la
trace des fées. Et sur celles
d’Emile Jacotey, à l’origine du
mythique album éponyme tout
juste sorti voilà 40 ans. Un vieux
maréchal-ferrant. «Le petit
vieux de tous les temps», plutôt,
que le groupe a décidé de ressusciter par le biais d’«Emile Jacotey Résurrection». Une pure
merveille, c’est le moins qu’on
puisse écrire. Tous les titres originels magnifiés, plus quatre nouveaux morceaux du même calibre?
La fête à Emile
La sortie de l’album coïncidait
justement avec les deux premiers concerts de la tournée dite
Jacotey. «La fête à Emile», que ça
s’appelait. Soit deux gigs mythiques organisés deux jours de
suite à Saint-Bresson sous chapiteau. L’occasion de voir communier chaque soir presque 1000
pèlerins accourus de toute la
France forcément profonde. Pas
vraiment jeunes, certes, mais arborant souvent le célèbre béret
de l’Emile et le T-shirt gravé pour
l’occasion.
C’est qu’Ange peut compter sur
un noyau de fans inconditionnels, réunis au sein de l’association «Un pied dans la marge».
Ce sont eux qui financent les al-
bums, notamment. Une garde
du feu ma foi très efficace, au
sein de laquelle on trouve souvent M.le maire et le sous-préfet,
comme le chantait Trenet. Sûrement le notaire, aussi, et,
comme à Saint-Bresson, le président du Conseil régional. Oui,
une famille dans toute l’acception du terme.
Le Graal, tout simplement
Assister à un concert d’Ange
dans son fief, c’est un peu
comme palper le Graal. Frustrant, certes, quand on considère que cette formation, qui a
toujours l’estime des géants de la
galaxie prog anglaise, doit jouer
les galériens pour subsister.
Avant l’arrivée sur scène des héros, «Un pieddans la marge»et le
tout puissant Comité des fêtes
de Saint-Bresson avaient bien
fait les choses. Balade initiatique
sur la trace des fées, lâcher du fameux ballon de Billy, ambiance
médiévale et dédicaces de Phil
Umbdenstock, historique dessinateur des pochettes? Là-haut,
l’Emile a dû apprécier. Tout
comme son fils René, assis au
premier rang et portant fièrement ses plus que 80 balais.
Son père, c’est celui qui avait
raconté à Christian Décamps
toutes ces légendes de jadis que la
mémoire collective peine à conserver. Heureusement, il y a
Ange. A part le précité, les autres
musiciens originels se sont cassés. Marre de devoir manger de la
vache enragée, pour faire simple. Mais quelle relève! En plus
du survolté fiston Tristan, qui
remplace très avantageusement
l’oncle Francis aux claviers, le
guitariste Hassan Hadji a quelque chose en lui de Jeff Beck. Et
que dire de la section rythmique? Thierry Sidhoum, le bassiste, et Ben Cazzulini, le juvénile batteur, assurent un soutien
littéralement infernal. Et puis, il
y a forcément le père. Toujours
aussi charismatique, le Christian. Possédé serait dépréciateur,
inspiré au-dessous de la réalité.
Parfum d’éternité
Et quelle jouissance que de redécouvrir ces hymnes éternels
comme «Les noces», «Le marchand de planètes», «Aurélia»
et évidemment «Ode à Emile»
magnifiés par un gang dont le niveau musical est sans pareil dans
l’Hexagone d’aujourd’hui. Un
appel du pied pour Le Chant du
Gros? Après tout, rien ne ressemble plus à l’esprit du Jura
suisse que celui de son homologue français.
Non, cet Ange-là ne passera jamais!
Ange au complet a le sourire au terme du concert. JERÔME TAVEL-LDD