Transcript "Il faut sauver le studio Tibor Varga!" Nouvelliste26
26.02.2014, 00:01 - Sion
Actualisé le 25.02.14, 23:40
"Il faut sauver le studio Tibor Varga!"
PATRIMOINE Durant son âge d'or, le studio accueillait les plus grands labels de musique classique, avant sa fermeture en 2009. JEAN-NOEL RYBICKI Ajouter un commentaire Tous les commentaires (0)
La famille du célèbre musicien Tibor Varga a reçu l'autorisation de démolir le studio d'enregistrement construit à Grimisuat. Réalité pour certains, catastrophe culturelle pour d'autres.
"Ce n'est pas de gaieté de coeur que je contacte des entreprises de démolition. Mais il faut savoir tourner la page. Je me bats au quotidien depuis cinq ans pour trouver un acheteur. Maintenant c'est trop tard. Il fallait intervenir avant!"
, souligne, un soupçon de nos talgie dans la voix, Jean-Noël Rybicki. Ce beau-fils du célèbre musicien Tibor Varga connaît bien ce bunker perché sur les hauts de Sion, à Grimisuat (voir ci-contre). Il y a officié en tant que directeur pendant plus de quinze ans, jusqu'à sa fermeture en 2009. Depuis, il veille à son entretien. Une tâche difficile. L'édifice souffre de dégâts d'eau importants dus à une isolation défectueuse.
De trop lourdes charges
Résultat: en novembre 2013, la destruction du bâtiment est mise à l'enquête publique.
"La machine est en route. Nous avons reçu l'autorisation de l'Etat du Valais et de la commune pour démolir le studio. Il n'y a plus vraiment d'espoir de le sauver. Que ce soit au niveau fiscal ou sur le plan de l'assainissement du lieu, nous n'arrivons plus à en assumer les charges. Le fonctionnement n'est plus possible sans un investissement conséquent"
, précise Jean-Noël Rybicki.
"Des prix insultants"
La famille de Tibor Varga estime ne pas avoir reçu de propositions de rachat dignes de ce nom.
"Rien de bien cohérent. Certaines personnes ont même avancé des prix qui nous paraissent insultants"
, poursuit le gardien des lieux. Des propos nuancés par Vincent Arlettaz. Ancien collaborateur de Tibor Varga et responsable de la recherche pour le site de Sion de l'HEMU (Haute Ecole de musique Vaud-Valais-Fribourg), il est l'auteur d'une étude, parue en octobre dernier, entièrement dédiée au studio Varga.
"La famille, qui a connu des temps difficiles aussi bien sur le plan humain que matériel, espère améliorer ses perspectives financières en revendant le domaine comme terrain à construire. Malheureusement des professionnels de l'immobilier que j'ai consultés à ce sujet pensent que ce calcul est illusoire."
André-Philippe Dey, administrateur de sociétés immobilières, confirme:
"Détruire ce studio, c'est enlever la réelle valeur de cette propriété."
Plusieurs projets de parcellisation des 10 000 mètres carrés de terrain sur lequel se trouve le bâtiment en question, sont en cours d'élaboration, dans le but d'y construire des villas individuelles. Une rentrée d'argent espérée à plus de 3 millions de francs par la famille Varga. Une valeur difficile à obtenir pour André-Philippe Dey compte tenu de la configuration du terrain et de la réalité du marché.
Appel aux investisseurs
Vincent Arlettaz et André-Philippe Dey désirent créer une fondation à même de racheter le studio, voire toute la propriété.
"Nous lançons un appel à des investisseurs potentiels. Il faut sauver le studio Varga. Tant qu'il n'est pas à terre, nous pouvons encore agir"
Tibor Varga, propriétaires des lieux.
vivement qu'ils reviennent sur leur décision."
, clament-ils en choeur. Mais avant toute chose, il faut convaincre les descendants de
"Nous comprenons leur souhait mais espérons
Pour André-Philippe Dey, si des privés se montrent intéressés, il y a possibilité de permettre à ce lieu de vivre autrement.
"Sans que cela ne nécessite forcément un investissement conséquent"
, commente ce spécialiste de l'immobilier. Il imagine un lieu polyvalent mis à disposition pour des enregistrements, des concerts, des expositions, des spectacles ou des réceptions. Et Vincent Arlettaz d'ajouter:
"Ce studio, c'est un instrument unique en Suisse et même en Europe. Des collaborations avec les festivals, les écoles d'art représenteraient une réelle plus-value pour la commune et le canton. Sa disparition serait une véritable catastrophe. J'en pleurerais et je ne serais certainement pas le seul"
. La conseillère d'Etat en charge de la culture, Esther Waeber-Kalbermatten, semble partager cette notion d'établissement plurifonctionnel.
"L'intérêt de ce studio est dans son exploitation, notamment pour des enregistrements. Cela n'est viable qu'à la condition de l'intégrer à un projet plus vaste que la simple sauvegarde du bâtiment."
Quant à savoir si l'Etat est intéressé à sauver le bâtiment ou à collaborer au projet de fondation, ceci est une autre histoire (voir ci-contre). Pas de quoi décourager Vincent Arlettaz et André-Philipe Dey résolument décidés à poursuivre leur mobilisation jusqu'au bout
"pour Tibor, pour la culture, pour le Valais"
.
UNE ACOUSTIQUE HORS DU COMMUN
C'est sur la commune de Grimisuat que le violoniste virtuose hongrois Tibor Varga (1921 2003) est venu s'établir à la fin des années 1950. Il y vient en quête d'air pur, son fils ayant contracté une maladie osseuse. Il n'en repartira plus. Il y construit d'abord sa maison, puis fonde un concours de violon et un festival. L'idée germe dans son esprit de
s'offrir un luxe un peu inouï pour un simple particulier: construire, dans sa propriété même, un studio d'enregistrement. Au début des années 1970, Varga passe à l'action. Mais il faudra attendre les années 1990 pour que l'établissement fasse réellement son entrée dans le milieu professionnel de la prise de son. Les utilisateurs, venus du monde entier, sont conquis. Le lieu a une acoustique naturelle magnifique. Les plus grands labels envoient leurs camions bourrés de haute technologie sur les chemins de terre valaisans. Après la disparition de Tibor Varga en 2003, l'exploitation continue. Mais les obstacles financiers et familiaux entraînent sa fermeture en 2009, suscitant l'émoi dans le monde musical.
INTERVENTION DE L'ETAT?
"J'ai alerté les pouvoirs publics au moment de la parution de mon livre. La présidente de Grimisuat et la conseillère d'Etat en charge de la culture n'ont pas réagi jusqu'ici"
souvient avoir approché, en son temps, le conseiller d'Etat, Claude Roch. , regrette Vincent Arlettaz. Même son de cloche du côté de Jean-Noël Rybicki qui se
"Nous n'avons plus eu de nouvelles depuis. Je n'ai pas grande confiance dans un rachat de la part des autorités."
La conseillère d'Etat Esther Waeber-Kalbermatten précise que son département n'a pas été récemment approché pour examiner le futur du studio même si des contacts ont effectivement eu lieu entre son prédécesseur et la famille Varga.
"Le studio est une propriété privée. Il n'appartient pas à l'Etat de se prononcer sur les choix de son propriétaire"
, ajoute la ministre. Géraldine Marchand-Balet, présidente de Grimisuat abonde dans ce sens.
"Nous prenons acte de cette volonté de démolition avec un profond regret. Mais nous ne pouvons en aucun cas l'interdire"
, avoue-t-elle en soulignant que la commune n'a pas les ressources financières pour porter, à elle seule, un projet de sauvegarde du studio.
Par FRANÇOIS DE RIEDMATTEN