LA POPULATION DE PHOQUE MOINE (MONACHUS MONACHUS

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Transcript LA POPULATION DE PHOQUE MOINE (MONACHUS MONACHUS

LA POPULATION DE PHOQUE MOINE
(MONACHUS MONA CHUS) DE MAURITANIE
Patrice
F RANCO U R * , Didier M ARCHESSAUX * * , Alain A RGIOLAS * * * ,
CAMPREDON * * * * et Gérard V UIGNIER *
Pierre
Le Phoque moine, dit de Méditerranée, Monachus monachus (Hermann,
1 779), appartient au seul genre tropical et subtropical de Phocidae (King, 1 956).
Cette espèce est actuellement en voie de disparition en Méditerranée (Sergeant et
al. , 1 978 ; IUCN/UNEP, 1 988 ; Marchessaux, 1 989).
L'étude et la conservation de cette espèce ont longtemps été négligées. La
première conférence internationale sur Monachus monachus eut lieu en 1 978 à
Rhodes et mit en évidence le manque quasi total de connaissances écologiques sur
cette espèce. Or, en leur absence, l'élaboration d'une politique de protection et de
conservation de cette espèce est difficile, voir impossible (Marchessaux et Muller,
1 987). La seconde conférence internationale ( 1 984, à La Rochelle) dut à nouveau
constater la précarité de la survie du Phoque moine et le peu de progrès réalisés
en 6 ans dans l'étude de sa biologie et de son écologie.
La situation de M. monachus en Méditerranée est maintenant considérée
comme catastrophique (Sergeant, 1 984) et l'une des régions-clés évoquées pour sa
survie est la côte nord-ouest de l'Afrique. Malgré son importance capitale, il
n'existe que très peu de données récentes sur la distribution et l'écologie de
l'espèce dans cette région (Monod, 1 948 ; Morales-Agacino, 1 950 ; Dupuy et
Maigret, 1 976 ; Maigret et al. , 1 976 ; Trotignon, 1 979 ; Maigret, 1 980 ; Marches­
saux et Muller, 1 987 ; Marchessaux et Aouab, 1 988 ; Marchessaux, 1 989).
Les données anciennes de la littérature réunies par Monod ( 1 948) et les
observations les plus récentes confirment que les côtes sahariennes marocaines et
mauritaniennes ont abrité et abritent encore la plus importante concentration
mondiale de l'espèce (Marchessaux et Aouab, 1 988). L'inhospitalité de ce littoral
pour l'homme, la très forte productivité biologique de l'upwelling côtier ( 1 ) (Arfi,
1 984) et la présence d'un biotope favorable à la reproduction de l'espèce (grottes
profondes) sont responsables de cette présence. Quant à son maintien actuel, il
pourrait n'être que la conséquence de l'instabilité politique de cette région jusqu'à
une époque récente (Marchessaux et Aouab, 1 988).
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GIS Posidonie, Faculté des Sciences de Luminy, F 1 3288 Marseille Cedex 9.
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Parc National de Port-Cros, 30, avenue Gambetta, F-83400 Hyères.
•••
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Marineland, F-06600 Antibes, France.
Parc National du Banc d'Arguin, Nouadhibou, Mauritanie.
( 1 ) La persistance d'une lentille d'eau froide, due à l'upwelling, est confirmée par les observations
de Cuq ( 1 988).
Rev. Eco/. ( Terre Vie) , vol. 45, 1 990
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-
Mais la reprise de l'activité de pêche hauturière au large des côtes nord­
africaines depuis 1 986 et l'apparition de la pêche artisanale dans la bande côtière
du Cap Blanc en 1 988 (Ka:ne et Campredon comm . pers.) représentent maintenant
une nouvelle menace pour le Phoque moine dans cette région et les risques de
disparition complète de l'espèce se précisent. Plusieurs auteurs, en effet, ont
montré, ou supposé, que la pêche pratiquée par l'homme était l'un des facteurs de
mortalité ou de déclin de l'espèce les plus importants (Soriguer, 1 977 ; Boudou­
resque et Lefevre, 1 988).
Dans le but de mieux préciser le statut actuel du Phoque moine dans cette
région (effectifs, recrutement, évolution récente de la population . . . ) et d'évaluer les
risques de mortalité induits par l'homme, trois missions de terrain ont été
organisées par le Parc National de Port-Cros (France) et le Parc National du Banc
d'Arguin (Mauritanie). Compte tenu des très grandes difficultés d'accès de la zone
comprise entre le Maroc et la Mauritanie, les deux premières (Marchessaux et
Aouab, en janvier 1 988 au Maroc, et Marchessaux en juin 1 988, en Mauritanie)
ne purent réunir que des informations générales (localisations probables, obser­
vations ponctuelles) sans pouvoir préciser l'effectif et la structure démographique
de la population, ainsi que l'importance du recrutement. Il fut donc décidé que la
dernière mission (octobre 1 988) se limiterait à l'étude d'une zone restreinte du
littoral. Mais, pour acquérir les informations manquantes, il était alors impératif
de pénétrer dans les différentes grottes, ce qui n'avait jamais été fait auparavant.
MATÉ RIEL ET M É THODES
La côte mauritanienne de la Péninsule du Cap Blanc est formée d'affleure­
ments gréseux, et sa géologie explique la fréquence des grottes sur cette portion de
littoral. Les falaises situées au nord de La Guera ont une hauteur moyenne de
1 5 m. La zone étudiée en octobre 1 988 est située entre La Guera (au sud) et
Guerguerat (au nord), à la latitude de la baie du Lévrier (Fig. 1 ) .
Trois grottes furent prospectées. Elles sont appelées ici, d u sud a u nord,
grottes 1 , 3 et 4, comme l'avaient déjà fait Marchessaux et Muller ( 1 987). La
grotte no 2, avait été visitée en juin 1 988. Aucun phoque n'y avait été observé, ni
à l'extérieur, ni à l'intérieur (observation faite depuis l'entrée, suspendu à une
échelle). Cette grotte n'a donc pas été revisitée lors de la mission d'octobre.
Nos observations ont, d'une part, été faites à la jumelle du haut des falaises
et, d'autre part, par visite directe des grottes. Pour cela, nous avons utilisé du
matériel de spéléologie classique pour accéder au niveau de l'eau depuis le haut de
la falaise ; le fond de la grotte fut ensuite atteint à la nage. Rappelons que ce
moyen d'investigation n'avait jamais été employé jusqu'ici dans cette région à
notre connaissance ; il conviendra alors d'apprécier la pertinence des différentes
méthodes employées avant d'effectuer toute comparaison.
La taille des phoques fut estimée visuellement, sauf exception. A la suite de
Marchessaux et Muller ( 1 987), trois classes de taille furent choisies ; jeunes de
moins de 1 , 50 rn de longueur standard, sub-adultes de 1 , 50 à 2 rn et adultes de plus
de 2 m. La longueur standard est ici définie comme la distance en ligne droite entre
le bout du museau et l'extrémité de la queue. Les jeunes M. monachus mesurent en
effet 1 rn à leur naissance, ou un peu moins (Sergeant et al. , 1 978). Quant aux
jeunes de l'année, ils ont moins de 1 ,20 rn de longueur standard (Marchessaux,
1 989).
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Péninsule du Cap Blanc. La côte des Phoques, où sont situées les quatre grottes
Figure 1 .
(numérotées 1 à 4), forme le nord de la Péninsule du Cap Blanc. La réserve du Cap Blanc (flèche) est
à la pointe même de la péninsule.
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Les indications d'orientation (droite ou gauche) se réfèrent à un observateur
regardant le fond de la grotte depuis la mer. Enfin, nous entendrons par Péninsule
du Cap Blanc, la région située entre les 2 1 T et 2 1 46' de latitude nord et, par Cap
Blanc, la seule extrémité de cette péninsule (Fig. 1 ) .
•
RÉ SULTATS
Grotte n· 3 : Les dimensions de cette grotte sont de 20 rn de largeur sur 60 rn
de long environ. Son plafond est sub-horizontal dans sa partie médiane ; il est à
10 rn du niveau de l'eau, à l'entrée de la grotte. Le fond de celle-ci est occupé par
une plage de 5 rn de large en moyenne (estimation pour des vagues déferlantes de
faible importance) et de 20 rn de long. Elle est en forme de croissant, perpendi­
culaire à l'axe de la grotte ; elle est composée de sable coquillier assez grossier.
L'extrémité gauche de la plage est légèrement surélevée et devient parallèle à l'axe
de la grotte. Malgré l'état de la mer, assez calme lors de la période d'observation,
les vagues déferlantes sur la partie centrale de la plage sont fréquentes (1 sur 3 en
moyenne) . Toutefois une partie de la plage (un dixième de sa surface) semble
rester au sec en permanence, au moment de l'observation du moins. Mais il nous
paraît peu probable qu'il en soit ainsi quelles que soient les conditions hydrody­
namiques. Enfin, compte tenu de son orientation et de sa profondeur, la grotte
n'est éclairée que durant 3 heures en octobre, de 1 6 à 1 9 h. C'est à ce moment de
la journée que furent faites nos observations.
Figure 2.
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L'entrée de la grotte 3, vue de la mer. Photo A . Argiolas.
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-
Figure 3.
-
Le fond de la grotte 3, avec un très jeune phoque sur la
Photo A. Argiolas.
«
plage
»,
octobre 1 988.
Dans la grotte elle-même, nous avons observé sur la plage environ 40 pho­
ques, dont 1 0 à 1 5 jeunes. La plupart de ces derniers avaient une taille proche ou
inférieure au mètre, ce qui suppose un âge de quelques semaines tout au plus. Le
sexe des jeunes phoques n'a pu être déterminé ; par contre, les deux-tiers des
phoques adultes présents sur la plage étaient des femelles.
En tenant compte des comptages de phoques en pleine eau, en dehors de la
grotte, effectués depuis le haut de la falaise, on peut estimer à plus de 50 le nombre
de phoques fréquentant cette grotte lors de notre visite.
La répartition des classes de taille n'a été estimée que pour les individus
présents sur la plage de la grotte (environ 40 individus). Chacune des trois classes
de taille représentait environ un tiers des sujets observés.
Grotte no 1 : Cette grotte se situe au sud de la grotte no 3. Ses dimensions sont
plus faibles : 20 rn de large sur 40 rn de long environ ; mais la physionomie
générale de la grotte reste la même. Elle se termine aussi par une plage de 5 rn de
large environ (en eau moyennement calme) sur 20 rn de long, formée par des
débris coquilliers grossiers. La totalité de la plage est perpendiculaire à l'axe de la
grotte. Contrairement à la grotte no 3, celle-ci communique avec la mer par deux
ouvertures, une de 20 rn de large, ou entrée principale, et une autre de moins de
5 rn de large, située à 1 0 rn à droite (plus au sud) de la précédente. Le boyau de
communication entre les deux ouvertures est constitué par une prolongation de la
plage. Seules les vagues déferlantes les plus fortes semblent pouvoir franchir ce
passage. L'exposition de la grotte aux houles est identique à celle de la grotte no 3 .
Dans cette grotte, nous avons observé environ 30 phoques dont une dizaine
de jeunes. Dans l'eau de la grotte, le nombre de phoques était en permanence
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élevé : plus de 10 individus, le plus souvent dans les derniers rouleaux à proximité
de la plage. Ces phoques étaient toujours des adultes. Nous avons également
observé plus de mouvements de phoques (aller-retour entre l'eau et la plage) que
dans la grotte no 3 ; il fut donc difficile d'apprécier le nombre total de phoques
fréquentant cette grotte.
La répartition des classes de taille des phoques présents sur la plage de la
grotte no 1 semble comparable à celle de la grotte no 3 ; mais, compte tenu de la
forte mobilité des adultes, il est difficile d'être plus précis.
Grotte no 4 : L'entrée, ou les entrées, de cette grotte sont de taille réduite et
ne sont visibles que pour un observateur situé au niveau de l'eau. Une entrée a été
clairement identifiée, mais il est possible qu'elle ne soit pas unique. Elle est formée
par un boyau allongé (plus de 20 rn ont été parcourus), très sombre et très étroit :
moins de 3 rn de large et 2 rn de haut (observations faites à marée haute) . Ce
boyau devient ensuite si étroit, du moins dans sa partie aérienne, qu'il n'a pas pu
être suivi jusqu'au bout. Le courant, assez fort, est entrant en surface et sortant en
profondeur.
L'intérieur de la grotte (non observé) doit être occupé puisque des phoques
ont été observés dans le boyau d'entrée. Par ailleurs depuis l'entrée, des cris (de
jeunes ?) ont été entendus. En conséquence, il est bien évidemment illusoire de
préciser le nombre de phoques fréquentant cette grotte sans observations complé­
mentaires.
Les autres secteurs
Sur la portion de côte explorée lors de notre mission d'octobre 1 988 ( 1 0 km
approximativement), aucun phoque n'a été observé loin d'une des trois grottes
décrites. Les seuls autres Phoques moines observés étaient dans la réserve du Cap
Blanc, réserve satellite du Parc National du Banc d'Arguin. Il s'agissait de
5 phoques de grande taille (2, 50 rn de longueur standard ou plus), observés du
haut de la falaise. Le même nombre d'individus avait été observé en juin 1 988
(Marchessaux, inédit).
DISCUSSION ET CONCLUSIONS
La population de la Péninsule du Cap Blanc
Sur l'ensemble des trois grottes étudiées, dont deux où il fut possible de
pénétrer, près d'une centaine de phoques ont été observés. Si l'on tient compte de
l'intérieur de la grotte no 4 (non comptés) et des individus de l'extrémité du Cap
Blanc, nous pouvons estimer à 1 30 l'ordre de grandeur de la population de
phoques de la Péninsule du Cap Blanc en octobre 1 988.
Les comptages réalisés en 1 98 5 par Marchessaux et Muller, comparés aux
observations de Trotignon ( 1 979) sur la Péninsule du Cap Blanc indiquaient déjà
une certaine stabilité de cette population, avec environ 60 ou 70 phoques
dénombrés (soit 1 00 phoques estimés) - et ce malgré une baisse passagère des
effectifs en 1 978 (voir la discussion in Marchessaux et Muller, 1 987). Sur le Cap
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Blanc (à l'extrémité de la péninsule), l'effectif estimé en 1 988 (missions de juin et
d'octobre) est comparable à celui estimé lors des précédentes visites : 1 0 phoques
en 1 985 (Marchessaux et Muller, 1 987) ; 10 phoques en 1 987 (Marchessaux,
1 989) ; 5 phoques en octobre 1 987 (Francour, inédit) . A chaque fois, comme en
juin et en octobre 1 988, la très grande taille de ces phoques (2,50 rn de longueur
standard ou plus) a été soulignée.
L'effectif de phoques de l'ensemble de la Péninsule du Cap Blanc auquel nous
aboutissons ne traduit pas à notre avis une augmentation de la population.
Compte tenu du fait que les observateurs antérieurs n'avaient pas pu pénétrer à
l'intérieur des grottes, et malgré le facteur de correction de 1 ,4 que Marchessaux
et Muller ( 1 987) appliquent aux dénombrements, il nous semble que les effectifs
antérieurs à 1 988 ont été sous-estimées. En conséquence, au cours des dix
dernières années, la population de Phoques moines de la Péninsule du Cap Blanc
est très vraisemblablement restée stable.
Structure démographique
Même si la simple estimation du nombre de phoques présents ne montre pas
de différence très importante entre les deux méthodes employées, il est indéniable
qu'un certain nombre d'observations ne peuvent être faites qu'en visitant chaque
grotte. Le résultat le plus important de notre mission d'octobre 1 988, nous semble
être la proportion élevée de jeunes (environ 25 % des phoques observés dans les
grottes nos 1 et 3). Comme le souligne Marchessaux ( 1 989) et d'autres auteurs
avant lui (King, 1 956, par exemple) les naissances dans cette espèce s'étalent de
mai à décembre, avec un maximum en septembre-octobre. Ceci a été confirmé par
les observations de la mission de juin 1 988 (Marchessaux, inédit), et le nombre
élevé de jeunes que nous avons observés en octobre s'accorde bien avec un
maximum de naissances situé en septembre-octobre pour cette région.
Par ailleurs, la proportion estimée de jeunes (25 %) dans chacune des grottes
est voisine de l'estimation de 23 % faite par Marchessaux et Muller ( 1 987) entre
décembre 1 984 et mars 1 985, sur cette même portion de côte - estimation qui
avait été mise en doute à cause de la méthode d'observation utilisée.
La structure démographique de la population de Phoques moines de la
Péninsule du Cap Blanc est donc caractérisée par une proportion élevée de jeunes
individus (de moins de 1 , 50 rn de longueur standard). Nous pouvons donc
conclure en toute vraisemblance que la stabilité des effectifs au cours des dix
dernières années est très probablement la conséquence de cette proportion
importante de jeunes.
Evolution future de la population
Le taux d'occupation des grottes visitées (nos 1 et 3) nous semble proche de
sa valeur maximale. Marchessaux ( 1 989) a mis en évidence un comportement
d'entrée et de sortie des grottes étroitement corrélé avec la marée. Les observa­
tions réalisées en octobre vont dans le même sens et, de plus, elles permettent de
penser qu'un des facteurs essentiels est la surface disponible sur les plages, en fond
de grotte. Il est évident, en particulier dans la grotte no 1 , que cette surface
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est réduite, la houle déferlante ne faisant qu'accentuer cette réduction. Ce facteur
(« capacité limite » des grottes) est donc probablement un facteur restreignant
l'accroissement de cette population.
Bien que les différents facteurs biologiques indispensables (bon niveau de
recrutement, proche ou égal au niveau optimal, ressources alimentaires encore
abondantes) soient apparemment réunis, la population n'a pas fait preuve au
cours des dix dernières années, d'un accroissement notable. Il est, par ailleurs, très
probable que les autres grottes de cette côte sont inoccupées (Marchessaux,
inédit), deux hypothèses pouvant être avancées pour expliquer cette absence :
(i) une physionomie des grottes inadaptée à la présence des phoques (absence de
plage, ou plage trop souvent submergée . . . ), ou (ii) une « cohésion sociale »
suffisamment forte pour empêcher toute émigration. Les données dont nous
disposons, tant du point de vue topographique qu'éthologique, sont encore
insuffisantes pour apprécier l'importance de l'une ou l'autre de ces hypothèses, qui
ne sont d'ailleurs pas exclusives.
Dans sa synthèse bibliographique, Sergeant et al. ( 1 978) montrent que
l'occupation des grottes par cette espèce est récent, et qu'elles ne jouent
probablement que le rôle de refuges assurant aux phoques une protection vis-à-vis
de l'homme. Ces auteurs s'interrogent même sur l'adéquation du biotope à la
survie de l'espèce. Effectivement, le Sahara occidental semble avoir abrité au
xve siècle la plus importante population de Phoques moines (Monod, 1 948), mais
ces phoques occupaient alors essentiellement les grandes plages de la côte. La
découverte de Phoques moines au nord de la Péninsule du Cap Blanc par
Théodore Monod en 1 923, alors qu'aucun des navigateurs, pourtant nombreux
dans cette région, ne les y avait observés, pourrait effectivement correspondre au
changement de biotope que supposent Sergeant et al. ( 1 978). L'occupation d'un
milieu si particulier par un Pinnipède est cependant rare : seuls A rctocephalus
townsendi, l'Otarie de Guadeloupe (Hubbs, 1 956) et certaines populations de
phoques gris, Halichoerus grypus, occupent en effet des grottes (Anderson, 1 977).
Il est donc logique de penser à une relation entre la pression de chasse exercée par
l'homme et l'occupation des grottes. Ceci a bien pu être le cas pour les Phoques
moines de la côte saharienne ; il n'est toutefois pas exclu que ceux-ci aient
cependant de tous temps occupé à la fois les plages et les grottes (Marchessaux,
1 989) - ces dernières constituant un milieu éminemment favorable pour de jeunes
pinnipèdes, qui y trouvent un abri contre les très fortes températures et l'insola­
tion excessive de la côte saharienne.
Compte tenu de nos connaissances actuelles de la topographie de la côte sur
le littoral marocain et mauritanien, le nombre de grottes potentielles pouvant être
occupées par des phoques est faible : une dizaine au maximum entre la baie de
Dakhla et le Cap Blanc (Marchessaux et Aouab, 1 988 ; Marchessaux, inédit).
L'absence même de phoques sédentaires sur le littoral marocain entre le Cap
Bojador et Dakhla est probablement aussi une conséquence de l'absence de
grottes le long de cette portion de littoral (Bianconi, 1 988 ; Marchessaux, 1 989).
De plus, parmi ces grottes potentielles, seules quelques-unes peuvent réellement
abriter des phoques. Il semble donc, que l'effectif actuel de la population de
Phoques moines du littoral saharien ne puisse guère . augmenter sans une
modification de leur biotope actuel de reproduction. Un retour du Phoque moine
sur les côtes sableuses est donc essentiel, comme le soulignaient déjà Sergeant et
al. ( 1 978).
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R É SUM É
En octobre 1 988, la population de Monachus monachus de deux grottes de la
côte des phoques (Mauritanie) a été observée. La possibilité de pénétrer au fond
de ces grottes a permis d'obtenir une estimation assez précise du nombre
d'individus et de leur répartition par classes de taille. Sur l'ensemble des secteurs
visités (deux grottes visitées complètement, une partiellement, et l'extrémité du
Cap Blanc), la population de phoques est estimée à environ 1 30 individus. Ces
comptages montrent une stabilité des effectifs depuis une dizaine d'années sur la
Péninsule du Cap Blanc. La proportion de jeunes dans les échantillons est élevée :
20 à 25 % .
SUMMARY
An attempt was made in October 1 988 to more accurately estimate the
population of monk seals Monachus monachus living along the western coast of
the Cap Blanc peninsula, Mauritania.
Seals were only observed close to three of the four caves shawn on figure 1 .
We were able for the first time to enter two of these caves ( 1 and 3) from the sea,
but failed to do so for cave 4 : however, we ascertained that cave 4 also harboured
sorne seals . No seals were observed elsewhere along the penisula in 1988, except
at its very tip, where 5 large individuals appear to be resident in the small Nature
Reserve of Cap Blanc.
The Monk seal population of the peninsula can be presently estimated at
1 30 individuals at least. It bas apparently remained stable over the last ten years.
The percentage of young individuals in the sample observed was of ca 20-27 % .
This population i s seriously threatened by the activities o f an ever increasing
number of both local fishermen and offshore trawlers.
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