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La Mort des ruines
1-le souffle de la destruction
Automne Allemand, Stig Dagerman 1
• A Cologne les trois ponts sur le Rhin sont au fond
de l’eau depuis deux ans et la cathédrale se dresse,
seule au milieu d’un tas de ruines, morne, noire de
suie et portant au flanc une blessure de brique
rouge toute fraîche qui semble saigner lorsque
tombe le crépuscule. Les petites tours médiévales
noires et menaçantes de Nuremberg se sont
effondrées dans les douves , et dans les petites
villes de Rhénanie on peut voir les côtes des
maisons à colombages détruites par les bombes.
Stig Dagerman 2
• Mais si l’on aime les records, si l’on veut
devenir expert en ruines, si l’on veut voir
non pas une ville de ruines mais un paysage
de ruines, plus désolé qu’un désert, plus
sauvage qu’une montagne et aussi
fantastique qu’un rêve angoissé, il n’y a
peut-être, malgré tout, qu’une seule ville
allemande qui soit à la hauteur: Hambourg »
Hans Erich Nossack, l’effondrement, 1950
« Les rats et les mouches étaient les maîtres de la ville.
Les rats aussi gras qu’effrontés s’ébattaient dans les
rues. Mais les mouches étaient plus répugnantes
encore: grosses, verdâtres comme on n’en avait encore
jamais vu. Par essaims elles se vautraient sur les pavés,
s’accouplaient les unes sur les autres, sur les pans de
murs et se chauffaient, rassasiées et engourdies contre
les débris de vitres. Quand elles ne pouvaient plus
voler elles rampaient à nos trousses à travers les
moindres fissures, souillant tout. Et leur bruissement,
leur bourdonnement était la première chose que nous
entendions au réveil. »
Pontalis, ce temps qui ne passe pas (1)
• Il y a ruines et ruines. Celles propices à la douce mélancolie,
à la nostalgie: le monument – temple, château, donjon,
abbaye… - déjà sacré ou noble à l’origine, s’en trouve encore
rehaussé, acquiert plus de noblesse, accède à la pure beauté,
devient plus sacralisé de n’être plus ce qu’il a été, d’avoir
perdu, avec l’épreuve du temps, sa fonction, sa raison d’être
et d’être pourtant toujours là, maintenu non dans son
intégralité – surtout pas! – mais dans ce qui l’a fait être. Il y a
toute une tradition picturale des ruines et des naufrages:
alliance de la peinture et des ruines dans leur pouvoir
d’évocation de ce qui n’est pas, de ce qui n’est plus
observable de part en part sous nos yeux.
• P.126
Pontalis, ce temps qui ne passe pas (2)
• Mais errer dans une ville bombardée, sinistrée,
dans un quartier détruit, déserté de ses habitants
nous accable. Mais la vision d’un chantier de
construction laissé à l’abandon nous indigne: elle
ne sera jamais finie cette maison! Quelle faillite,
elle est morte avant d’être née, elle est déchet
misérable sans être parvenue au statut émouvant de
relique, de vestige. Inachevée, mais inachevée à
jamais, le temps ne lui aura donc pas été laissé de
devenir une ruine.
• p.127
Simmel réflexions 1907
• Un tableau dont la peinture s’écaille, une
statue aux membres brisés, un texte de poète
antique dont se sont perdus les mots et des
lignes entières agissent agissent tous d’après
ce qui subsiste en eux de formation artistique
ou d’après ce que la fantaisie peut construire
au moyen de ces restes; leur apparence
immédiate n’est pas une unité esthétique, elle
n’offre rien qu’une oeuvre d’art amoindrie
de certaines de ses parties.
Simmel 2
• Mais la ruine d’architecture montre dans les
parties détruites ou ravagées de l’œuvre d’art
un développement de forces ou de formes
étrangères à celle-ci; ce sont les forces et les
formes de la nature. Ainsi est né un nouveau
tout, composé à la fois d’un élément d’art et
d’un élément de la nature, fondus dans une
unité caractéristique… En d’autres termes, le
charme de la ruine consiste dans le fait
qu’elle présente une œuvre humaine tout en
produisant l’impression d’être une œuvre de
la nature.
Benjamin Péret 1
• « Chassé par mille fantômes obsédants, l’homme sort en
hurlant d’un château de ténèbres inoubliables qui le
hantera toute sa vie, jusqu’à ce que, mort, on l’enferme
dans un autre château, épouvantail ridicule celui-ci et bâti à
la mesure du vers qui le ronge. Mais voici l’homme,
fantôme pour lui-même et château visité par son propre
fantôme. Aussi loin qu’on le retrouve, aussi jeune qu’on le
voie, son désir prend la forme d’un château : caverne
disputée à l’ours ou construction minuscule dont la
mémoire ne gardera qu’une image d’aventurine ».
• . Péret 1939.
Péret 2
• « Rien de l’enfance collective n’est à renier sauf pour
les sociétés qui en sont devenues indignes et la
glorifient afin de mieux la renier. Mussolini célèbre la
Rome antique, bien que ses actes s’opposent au
progrès qu’elle apporta au monde. Staline cherche à
faire de Lénine une ruine morte pour mieux le trahir.
Il en est de même partout. Les ruines sont reniées par
ceux dont la vie n’est déjà plus qu’une ruine dont rien
ne subsistera sinon le souvenir d’un crachat ».
• . Péret 1939, p. 59.
Péronne le 18 Mars 1917-1
Péronne 2
L’hôtel de ville de Péronne
• Nicht ärgern, nur wundern
• Dont wonder, Just admire
• Ne vous fâchez pas, émerveillez vous
seulement
• Laisse tomber, cherche pas à comprendre
2-Les dieux et les éléments s’en
prennent aux hommes
Les lamentations d’Ur
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Pour dégrader les jours, pour que les règles tombent en oubli,
la tempête, telle un ouragan, engloutit (tout) pêle-mêle.
Que les me de Sumer seraient avilis,
que le règne propice s'évanouirait,
que les villes seraient détruites et les maisons démolies,
que les parcs à bestiaux seraient jetées bas et les bergeries rasées,
qu'il n'y aurait plus de boeufs dans ses (de Sumer) parcs à bestiaux,
que ses moutons ne se multiplieraient plus dans ses bergeries,
que les canaux charrieraient des eaux saumâtres,
que sur les bons champs croîtraient des herbes des prés,
que dans la steppe pousseraient des 'herbes lamentation',
que la mère ne partirait plus à la recherche de son enfant,
que le père de famille ne dirait plus: 'Ah! ma (chère) femme!',
que la jeune épouse ne serait plus heureuse dans le giron (de son mari),
que le petit enfant ne grandirait plus sur les genoux (de ses parents),
Les lamentations d’Ur 3
• que d'Ur, le sanctuaire aux riches offrandes, les offrandes sera détournées,
• que ses gens ne séjourneraient plus dans leurs demeures, qu'ils seraient livrés dans
des lieux hostiles,
• que ce seraient des Çimaçkéens et des Elamites hostiles16, qui occuperaient leurs
logis,
• que des ennemis s'empareraient de son pâtre dans son propre palais,
• que des mauvaises herbes pousseraient sur les deux rives parallèles du Tigre et de
l'Euphrate,
• que l'on ne foulerait plus les routes, que l'on n'irait plus à la recherche des
chemins,
• 40 que, après avoir été (solidement) fondées, villes et agglomérations seraient
comptées pour collines de ruines,
• que, après avoir pullulé, le peuple des 'têtes noires' serait massacré,
• que la houe ne s'approcherait plus des bons champs, que la semence ne
s'enfoncerait plus dans la Terre,
Ovide
• « Pour moi je crois que rien ne peut subsister longtemps sous la même
forme ; c’est ainsi, ô siècles, que vous avez passé de l’or au fer ; c’est
ainsi que les destins de différents pays ont tant de fois évolué. Moimême j’ai vu une mer qui avait remplacé une terre jadis très solide ;
j’ai vu des terres qui avaient remplacé la mer ; on a trouvé sur le sol,
bien loin des flots, des coquilles marines et de vieilles ancres au
sommet des montagnes ; de ce qui était un champ une inondation a fait
parfois une vallée et un torrent débordé a forcé une montagne à
descendre dans la plaine ; tel terrain où il y avait un marais est
aujourd’hui desséché, couvert de sable aride, et sur d’autres qui avaient
souffert de la soif s’étendent les eaux stagnantes d’un marécage. Ici la
nature a ouvert de nouvelles sources, là elle en a fermé » . Ovide,
Métamorphoses, XV, 259-272 (trad. G. Lafaye, CUF, 1962).
Sénèque
• « Non seulement les œuvres de nos mains sont
détruites ; non seulement une durée qui n’est pas
si longue transforme ce qui procède de l’art et de
l’activité des hommes: les sommets des monts
s’effritent, des régions entières s’affaissent, des
zones qui étaient loin de la vue de la mer sont
recouvertes par les flots […] les œuvres de la
nature elles-mêmes sont bouleversées et nous
devons supporter avec une âme égale le
destruction des villes. Elles ne sont debout que
pour tomber, c’est la fin qui les attend toutes » .
Sénèque, Lettres à Lucilius, XIV, 91, 11-12 (trad.
H. Noblot, CUF, 1962).
Lucain
• « (César) gagne la côte de Sigée
à la recherche de la
gloire passée (mirator famae), et les rives du Simoïs, et le
promontoire de Rhétée, ennobli par la tombe grecque, et
ces ombres qui doivent tant aux poètes. Il parcourt le site
(nomen) mémorable de Troie dévastée par l’incendie, il
cherche les nobles vestiges des murs de Phoebus.
Maintenant des buissons stériles et des troncs pourris de
chênes écrasent le palais d’Assaracus et ne tiennent plus
les temples des dieux que d’une racine fatiguée. Pergame
toute entière est ensevelie sous les ronces, les ruines ellesmêmes ont péri . Lucain, Pharsale, IX, 961-969 (éd. et
trad. A. Bourgery et M. Ponchont, CUF, 1948 légérement
modifiée).
Lucain 2
• « Et pourtant dans les villes d’Italie, les remparts
menacent les toits demi-ruinés et que d’énormes
blocs gisent auprès des murs écroulés, quand les
demeures sont vides de gardien et que de rares
habitants errent dans les antiques cités, quand
l’Hespérie est hérissée de buissons, inculte pour
des années et que les bras manquent aux champs
qui les réclament » . Lucain, Pharsale, I, 24-29
(trad. A. Bourgery, CUF, 19623).
3- La mémoire sauve les ruines
Hubert Robert, grande galerie
Diderot critique Hubert Robert
• « …Puisque vous êtes voué à la peinture de
ruines, sachez que ce genre a sa poétique.
Vous l’ignorez absolument ; cherchez-là.
Vous allez le faire, mais l’idéal vous
manque… Les idées que les ruines réveillent
en moi sont grandes. Tout s’anéantit, tout
périt, tout passe. Il n’y a que le monde qui
reste. Il n’y a que le temps qui dure. Qu’il est
vieux ce monde ! Salon de 1767
Diderot 2
• Je marche entre deux éternités. De quelque
part que je jette les yeux ; les objets qui
m’entourent m’annoncent une fin, et me
résignent à celle qui m’attend. Qu’est-ce que
mon existence éphémère, en comparaison de
celle de ce rocher qui s’affaisse, de ce vallon
qui se creuse, de cette forêt qui chancelle, de
ces masses suspendues au-dessus de ma tête et
qui s’ébranlent ? Je vois le marbre des
tombeaux tomber en poussière, et je ne veux
pas mourir
Chateaubriand
• Tous les hommes ont un secret attrait pour
les ruines. Ce sentiment tient à la fragilité
de notre nature, à une conformité secrète
entre ces monuments détruits et la rapidité
de notre existence.
• (des ruines en général, in Génie du
Christianisme) 1802
Code Marcanova Princeton (XV)°s. : le testaccio
La première fouille documentée au début du
XVI°siècle
D.Custos, Deliciae urbis 1600
Sambucus, amor antiquitatum 1564
Amor Antiquitatum
Le temps peut tout dompter, il voit tous les humains,
Et tout cela encore qu’ils forgent de leurs mains
Pourtant l’antiquité entre tous honorable
Demeure avec le temps à jamais perdurable,
Comme tu peux le voir, et les marbres gravés
Montrent la grande vertu des hommes éprouvés,
Les grands arcs de triomphe et beauté des médailles,
Le visage gravé aux antiques médailles,
Témoignent aujourd’hui la grandeur des esprit,
Dont encore en papier les noms ne sont écrits
Sambucus 1564
Whitney 1586: Scripta manent
Shakespeare, sonnet 55, traduction H. Thomas
Ni le marbre, ni les mausolées d‘or des princes
Ne dureront autant que ces vers tout-puissants
Mais vous y brillerez avec plus de spendeur
Qu’en la dalle poudreuse ou que salit le temps
La guerre folle peut renverser les statues,
Et les émeutes ne laisser pierre sur pierre
Ni Mars armé ni ses rapides incendies
Ne brûleront votre vivant mémorial.
Contre la mort et contre tout l’hostile oubli
Vous marcherez vainqueur; il n’est temps à venir
Si reculé soit-il, où n’aille votre éloge,
Et des yeux le verront jusqu’à la fin du monde.
Jusqu’à ce que Ce Jour vous ressuscite, ici
Vous vivez, vous restez dans les yeux des amants.
-Hans Vredeman de Vries, Ruyne 1577
4-Vestiges, traces,
décombres: présence
d’une absence
La trace du pied du Christ
• « dans la basilique de l’Ascension, ce lieu seul d’où
le seigneur s’éleva dans un nuage et d’où il prit,
captive dans sa chair, notre propre captivité, aucun
marbre ou pavement n’a jamais tenu et le sol luimême a rejeté tout ce que la main de l’homme a
tenté d’y ajouter dans le but de l’embellir. C’est
pourquoi sur tout l’espace de la basilique le sol
demeure vert sous forme d’un gazon. Et le sable
conserve bien visible et en même temps accessible
pour ceux qui l’honorent la trace du pied
divin, dans la poussière marquée par Dieu ». Paulin
de Nola , ibid. XXI, 4
La mémoire de la fondation dans une chanson de geste mélanésienne
recueillie par José Garanger
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Roy Mata est... un héros mythique...venu du Sud en pirogue avec plusieurs compagnons, il
aborda Efate à la pointe Maniura. Il réussit à dominer peu à peu toutes les populations côtières
de l’île. Au cours d’une cérémonie, qui ressemble à un baptême, et dont les chants sont
conservés, il créa de nouveaux chefs, choisis parmi ses compagnons, en installa plusieurs à
Efate, et envoya les autres dans les petites îles situées plus au Nord, et en particulier à Kuwae.
... On dit aussi qu’à sa mort, son corps fut exposé dans les différents clans qui lui devaient
allégeance, puis il fut transporté pour y être inhumé dans un îlot corallien nommé Retoka, situé
non loin de la côte Nord-Est d’Efate. Une grande foule accompagnait sa dépouille. Elle n’eut
pas besoin de pirogue car la mer s’ouvrit devant le cortège et l’on put traverser à pied sec. Une
grande cérémonie accompagnée de sacrifices fut accomplie, qui dura plusieurs jours. On dit
encore qu’une partie de la suite de Roy Mata et des représentants de chaque clan furent
enterrés vivants, ils étaient volontaires pour le suivre au pays des morts. D’autres individus
avaient été sacrifiés durant la cérémonie funèbre».
Plan de la sépulture de Roy Mata
Photo de la sépulture de Roy Mata
Présence de l’absence :le serment de Platées,
Diodore 11, 29, 2-3
• « Et le serment disait ceci, « je n’accorderai
pas à la vie plus d’importance qu’à la liberté,
je n’abandonnerai pas les chefs vivants ou
morts, mais j’ensevelirai tous les alliés tombés
au combat, et si je l’emporte sur les Barbares,
je ne détruirai aucune des cités qui ont
participé au combat, et je ne reconstruirai
aucun des sanctuaires brûlés ou détruits, mais
je les laisserai comme souvenir aux
générations du futur et comme preuve de
l’impiété des barbares
TOUT EST CORRUPTIBLE: OVIDE Métamorphoses XV, 259-
:
272
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Nil equidem durare diu sub imagine eadem
crediderim: sic ad ferrum venistis ab auro,
saecula, sic totiens versa est fortuna locorum.
vidi ego, quod fuerat quondam solidissima tellus,
esse fretum, vidi factas ex aequore terras;
et procul a pelago conchae iacuere marinae,
et vetus inventa est in montibus ancora summis;
265
quodque fuit campus, vallem decursus aquarum
fecit, et eluvie mons est deductus in aequor,
eque paludosa siccis humus aret harenis,
quaeque sitim tulerant, stagnata paludibus ument.
hic fontes natura novos emisit, at illic
270
clausit, et aut imis commota tremoribus orbis
flumina prosiliunt, aut exsiccata residunt.
•
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«Je ne pense pas que rien puisse durer sous la
même apparence. C’est ainsi qu’après le siècle
d’or est venu le siècle de fer. C’est ainsi que
divers pays ont changé de fortune. J’ai vu ce qui
fut jadis un terrain solide être maintenant une
mer. J’ai vu des terres sorties du sein des ondes,
et des conques marines loin des bords
d’Amphitrite: une vieille ancre a été trouvée sur
de hautes montagnes. Des torrents rapides ont
creusé des vallons dans les plaines. Les
inondations ont fait descendre des collines au
sein des eaux. Des marais sont devenus des
champs sablonneux; et des terres arides sont
aujourd’hui des marécages. La Nature ouvre ici
de nouvelles sources; elle en tarit d’autres
ailleurs. Les secousses de la terre ébranlée ont
fait naître des fleuves, et en ont desséché
plusieurs »
L’HOMME FACE AUX MONUMENTS:
SENEQUE Ep. 91
• Non est quod nos
tumulis metiaris et his
monumentis, quae viam
disparia praetexunt;
aequat omnes cinis.
Inpares nascimur, pares
morimur. Idem de
urbibus quod de urbium
incolis dico…
• il ne faut pas prendre
notre mesure d’après
ces tombeaux et ces
monuments si disparates
qui ornent nos routes : la
cendre rend toute chose
égale. Nous naissons
inégaux, nous mourrons
égaux. Je le dis il en va
des villes comme des
leurs habitants