Télécharger ce livre au format PDF

Download Report

Transcript Télécharger ce livre au format PDF

AUCUNE PROMESSE
Juliette Di Cen
Cette histoire est une oeuvre de fiction.
Toute ressemblance avec des situations existantes
serait purement fortuite.
Cette oeuvre est protégée par le droit d'auteur, strictement réservée à
l'usage privé du client. La diffuser sans autorisation, notamment à
travers le Web ou les réseaux d'échange et de partage de fichiers est
formellement interdite.
Toute reproduction ou diffusion au profit de tiers, à titre gratuit ou
onéreux de tout ou partie de cette oeuvre, est strictement interdite et
constitue une contrefaçon prévue par les articles L335-2 et suivants
du code de la propriété intellectuelle.
Photo © moodboard Premium
Couverture réalisée par Juliette Di Cen
© Edition Juliette Di Cen 2013
Tous droits réservés
QUELQUES PERSONNAGES
Emma Lemaire : adjudant, chef de secrétariat PC, héroïne d'Aucune
promesse, compagne de Mickaël.
Mickaël Ollier : adjudant, instructeur en centre d'entraînement
commando, héros d'Aucune promesse, compagnon d'Emma.
Claire Moretti : sergent-chef, chef de secrétariat en UE (unité
élémentaire = compagnie), héroïne de L'homme enragé, en couple
avec Markus.
Markus Faranti : adjudant-chef, instructeur de tir et rédacteur au BOI,
héros de L'homme enragé, en couple avec Claire.
Amélia Ridean : sergent-chef, chef de secrétariat DRH, héroïne
d'Apprivoise-moi, fiancée à Yann.
Yann Laregue : caporal-chef, chef du chenil régimentaire, héros
d'Apprivoise-moi, fiancé d'Amélia.
Sandrine Kervellec : adjudant, officier transmissions régimentaire,
amie d'Emma, Claire et Amélia.
Alix Pareau : sergent, mécanicien, colocataire temporaire d'Emma
durant sa mission en Polynésie française, petite-amie de Franck.
Franck Lacec : adjudant, rédacteur au BOI, meilleur ami de Markus,
en couple avec Alix.
Stéphane Gredon : capitaine, commandant l'unité tournante de Tahiti,
chef temporaire d'Emma.
Gregory Dutilleux : adjudant, adjudant d'unité de la compagnie
tournante, poil à gratter d'Emma.
Hervé Lavigne : colonel, chef de corps commandant le régiment en
poste pour deux ans, patron direct d'Emma.
Emma facts :
Toutes les femmes sont des princesses ;
des guerrières,
des rebelles,
des moins belles...
Mais tous les crapauds ne sont pas des princes,
et quand on est myope,
c'est pas simple de voir la différence...
Chapitre 1
—Tourne. Mais touuuurne Claire ! On va rater le chemin !
— Arrêêête. Je sais où je vais, je connais le camp comme ma
poche ! C'est pas parce qu'il fait nuit alors que les phares sont éteints
que je ne sais pas exactement où je suis !
— Je te rappelle que la dernière fois, tu as mené ton capitaine
directement dans la zone de tir !
— Ben il voulait aller au contact de ses gars...
— Il a surtout eu un contact trèèès rapproché des obus !
— Pffff, tu chipotes sur des détails, adjudant !
— Et toi, ton interprétation de la topo relève de la science-fiction,
chef ! Oh mince ! C'est quoi ça ?
Deux paires d'yeux se tournèrent simultanément vers la route droit
devant. Les énormes phares d'un engin blindé et chenillé se
rapprochaient dangereusement de leur camion. Rouler sans lumière
faisait partie des règles de conduite délivrées par le commandant
d'unité. La consigne semblait ne pas avoir été appliquée par tout le
monde.
— Ah flûte. Eux, ils ne sont pas en approche tactique.
— Oh mon Dieu ! Il va nous percuter ! Tu nous as menées sur la piste
des chars !
— Meuuuuh nan... quoi que... attends, je me gare.
La conductrice donna un grand coup de volant, envoyant sa passagère
s'écraser contre la vitre de sa portière. Le char ne montra aucune
intention de serrer vers la droite pour permettre aux deux véhicules
de se croiser, et continua sa progression au milieu de la route.
L'adjudant Lemaire se redressa en massant sa joue endolorie, et jeta
un regard noir à travers ses lunettes vers sa collègue parfaitement
sereine. Celle-ci fit un petit signe de la main pour saluer le sousofficier assis en tourelle qui parvenait à leur hauteur.
— Mais quelle idée de t'accompagner !
— Les aléas du bon militaire de terrain ! Bon il va se dépêcher de
passer Tortue Géniale ? On n'a pas la nuit non plus !
Chargées de ravitailler une unité et un service installés sur un vaste
périmètre, cette particularité géographique les avait obligées à
quadriller la zone afin de retrouver les positions de chaque section.
Peu aidées par des indications nébuleuses associées au singulier sens
de l'orientation du sergent-chef Claire Moretti, elles tournaient
depuis déjà trois quarts d'heure dans le camp, à la recherche du point
de ralliement du poste de commandement opérationnel.
Cela faisait des années, peut être depuis sa sortie d'école des sousofficiers, qu'Emma Lemaire n'avait participé à une véritable sortie
sur le terrain. Lorsqu'elle effectuait des manoeuvres avec le
régiment, elle bénéficiait par extension du même confort que celui
dévolu au chef de corps. Lassée de son rôle de parfaite secrétaire de
colonel, Lemaire avait demandé l'autorisation de rejoindre
temporairement une unité combattante. Et malgré les chamailleries
sans conséquence avec son amie, elle s'amusait comme une petite
folle depuis le début de ce périple à travers le camp militaire
d'entrainement de Canjuers.
Continuant leur route, non sans avoir grincé des dents au moment où
le char avait effleuré leur rétroviseur, elles finirent par arriver à un
embranchement. La lune particulièrement lumineuse leur permit de
distinguer la silhouette d'un homme armé, montant visiblement la
garde à l'entrée d'un petit chemin boueux. Moretti donna un nouveau
coup de frein et héla le jeune militaire par sa fenêtre ouverte.
— Hep, toi là-bas, c'est dans le coin le BOI ?
— Heu, non, chef. Vous êtes sur la zone de la troisième compagnie.
Le BOI est stationné à l'exact opposé du camp !
— Aaah ? Tu es sûr ?
— Oui chef. J'y ai amené mon commandant d'unité cet après-midi.
La jeune femme lui grommela un merci avant de faire rugir son
moteur.
— Demi-tour, et c'est reparti, lança-t-elle en soupirant sous l'oeil
atterré de sa comparse.
La nuit promettait d'être longue...
À la fin de leur périple vers deux heures du matin, Emma se dirigea
vers le bungalow du chef de corps encore éclairé. Elle savait qu'il
veillait systématiquement jusqu'à la fin des tirs de nuit, attendant le
compte-rendu de ses cinq compagnies. Elle n'hésita pas à toquer, le
trouvant installé à son bureau, une simple table pliante sur laquelle
était posé un ordinateur portable quasiment enseveli sous les cartes
du camp et les différents courriers à traiter. Dans un coin il y avait
aussi un roman policier. On comprenait vite que lorsque son chef de
secrétariat n'était pas là pour assurer un minimum de tri, l'homme se
laissait déborder par la paperasse. C'était le seul défaut qu'elle lui
connaissait ; un je-m'en-foutisme viscéral pour la chose
administrative.
Elle lui exposa rapidement la proposition faite par le capitaine
qu'elles venaient de ravitailler.
— Alors comme ça vous souhaitez nous quitter pour voir du pays ?
— En effet mon colonel. J'aimerais profiter du poste de secrétaire en
compagnie de combat que le capitaine Gredon vient de me présenter,
pour parfaire mes connaissances opérationnelles.
— Allons allons adjudant, je sais bien que c'est pour aller bronzer
sur les plages de Tahiti ! lui lança son chef de corps, taquin. Mais
nous entrons en phase de calme. Le régiment va se vider pour
quelques mois avec tous ces départs en OPEX. Par conséquent, je
vous donne mon accord pour aller chasser le requin sous les
tropiques.
— Je vous remercie mon colonel, je vous promets que l'ancien
commando que vous êtes sera fier de sa gratte-papier attitrée !
— Vous parlez déjà de commando adjudant ? Il me semblait que la
fonction occupée était une place de secrétaire en unité élémentaire ?
— C'est bien cela, mais si ce poste nécessite d'accompagner la
compagnie sur le terrain, je suis volontaire aussi ! Je n'ai jamais eu
l'occasion de participer à un séjour à l'étranger. Ça me permettra de
mieux appréhender les différents aspects administratifs et d'être plus
efficace.
— C'est bon adjudant, vous avez bien vendu votre beefsteak ! fit-il
en riant. Je ferai monter un obscur gratte-papier à votre place le
temps de votre absence !
*****
Chapitre 2
Deux semaines plus tard...
— La vache, ce que c'est long, soupira l'adjudant Grégory Dutilleux
assis à la droite d'Emma. J'ai l'impression de perdre mon temps
coincé dans cet avion, y a vraiment rien à faire ! En plus il fait froid
avec la clim ! Et la bouffe est pas terrible.
— Oh la barbe ! Lis donc, tu mettras ton temps à profit
intelligemment au lieu de me souffler ton humeur exécrable à
l'oreille ! lui répondit Emma excédée par l'énième récrimination de
son voisin.
Éberlué par le mouvement d'humeur de sa collègue habituellement si
polie, Dutilleux en resta coi, bouche ouverte et cerveau en fuite. Un
gloussement féminin fusa de sa gauche, alors qu'un ricanement venant
de plus loin retentit vers sa droite. Le capitaine Stéphane Gredon
validait la remarque cinglante. Tel un gamin grondé par ses parents,
Dutilleux se rencogna dans son siège en croisant les bras, n'imaginant
pas qu'en boudant il rendait service à tout son entourage.
Emma fut assaillie par la honte, sa propre réflexion acide lui laissant
le coeur au bord des lèvres. L'agressivité la mettait très mal à l'aise.
Elle mit sa réaction sur le compte de l'exaspération et la promiscuité
imposée par l'habitacle. Jamais elle ne se serait permis d'être aussi
désagréable en temps normal, à moins qu'on ne l'ait directement prise
à partie. Généralement, elle se contentait d'opposer un silence
réprobateur qui la protégeait d'un débordement malvenu.
Bridée par une éducation bourgeoise vieille France, elle avait appris
plus jeune à dissimuler ses émotions sous un vernis de retenue
passant pour du mépris. Son recrutement dans le corps des sousofficiers avait été vécu comme une forme de déchéance par son père,
ancien officier, son émancipation comme une véritable trahison par
sa mère.
En partie à cause des relations tendues avec ses parents, elle n'avait
jamais pu se défaire de son attitude réservée. Son maintien très droit
pour compenser son mètre soixante-cinq, les lunettes dont elle
refusait de se séparer qui accentuaient son air sérieux et sa blondeur
naturelle renforçaient l'image de femme glaciale. Une légende
urbaine persistante propagée par des dragueurs éconduits, voulait
qu'un seul regard lancé par son regard bleu pâle vous givre la nuque
et cryogénise vos parties. Ceux qui la connaissaient ne pouvaient
s'empêcher de penser qu'au lieu de cryogéniser les endroits
stratégiques, elle était plus apte à les ébouillanter par maladresse en
renversant son café.
Son C.V. sentimental était donc logiquement moins brillant que sa
carrière. À trente-et-un ans, il se résumait à deux échecs qui
l'avaient rendue méfiante. Emma en était sortie broyée, toujours aussi
inexpérimentée et bien décidée à finir vieille fille mangée par ses
chats.
Elle déglutit avec peine et fit mine de se replonger dans son livre, le
temps de calmer son agitation. Elle parvint à surmonter sa gêne en
discutant avec sa voisine de gauche prénommée Alix. Partis en tant
que précurseurs pour préparer l'arrivée du gros de la compagnie
quelques jours plus tard, le groupe était constitué des quatre
militaires. Elle-même, le capitaine Gredon commandant la troupe,
Dutilleux au poste d'adjudant d'unité chargé de l'organisation de la
vie sur place ainsi que sa voisine le sergent mécanicien Alix Pareau.
C'était leur premier voyage professionnel à toutes les deux, et il
mêlait l'excitation à l'appréhension d'un nouvel environnement de
travail.
Ravis de pouvoir se dégourdir les jambes en débarquant enfin sur le
tarmac de l'aéroport de Papeete, les voyageurs furent saisis par la
chaleur étouffante dès l'ouverture des portes de l'avion. Les pulls
furent retirés et les premiers boutons de chemise sautèrent dans un
mouvement synchronisé.
Ils furent accueillis d'un Ia ora na collectif de l'équipe qu'ils
venaient relever, et d'un collier de fleurs fraîches de tiaré en cadeau
de bienvenue. Emma s'étonna du jeune âge de son homologue, un
sergent de presque dix ans son cadet, et s'interrogea sur la teneur
réelle de son poste. Ça n'avait pas l'air d'être une fonction exigeante.
L'ambiance était détendue. La jeune femme nota avec amusement que
les gestes paraissaient ralentis par rapport à ceux des nouveaux
venus. Leurs prédécesseurs avaient apparemment pris un rythme de
vie plus nonchalant qu'en métropole.
Quand ils purent enfin intégrer leur logement, Emma soupira de bienêtre en se laissant tomber sur le matelas de son petit lit. Un énorme
bong résonna dans la pièce lorsque son crâne vint tester d'un peu
trop prêt la solidité du bois de la tête de lit.
À peine deux heures de présence à Tahiti. Joli score. Mais
Aïeuuuu ! grinça-t-elle pour elle-même en se massant la tête.
— Adjudant, tout va bien ? s'exclama sa colocataire, le sergent
Pareau.
— Je sens ma matière grise couler par les oreilles. Mais ça va merci
sergent, grogna-t-elle étourdie par le choc.
Elle se redressa avec peine pour se rendre dans la salle de bain
séparant son espace nuit de celui de sa collègue. La pièce était
équipée d'une petite armoire métallique, des conventionnels doublelavabos et d'une douche, mais la jeune femme eut la surprise d'y
trouver en plus un petit réfrigérateur.
Portant ses doigts à son crâne, elle sentit poindre une bosse
conséquente sans qu'aucune trace de sang ne suinte de la blessure.
— Super nuit en perspective, maugréa-t-elle sentant une migraine
carabinée la gagner.
Alix pénétra à son tour dans l'espace commun et sourit timidement à
sa supérieure. Dans la chambre derrière elle, le déballage de ses
affaires ressemblait au passage apocalyptique d'une tempête
tropicale.
La jeune femme lui rendit son sourire et la rassura de nouveau sur
son état.
— Si vous ressentez des vertiges ou des nausées, dites-le moi, j'ai
passé mon brevet de secouriste. Et pour l'instant je n'ai aucun mort à
déplorer suite à mes soins !
— Non, c'est bon, merci sergent. On va dire que j'ai l'habitude.
Finissez de vous installer tranquillement, je vais réparer les dégats et
prendre une douche.
— Oh ? OK, fit sa colocataire dubitative, avant de tourner les talons
et de retourner à son désordre organisé.
Emma posa sa trousse de toilette ainsi qu'une trousse de premiers
secours sur la tablette de son lavabo. Se passant de la crème d'arnica
à travers les cheveux, elle ne prêta pas attention à l'odeur entêtante
de la pommade. Elle lui devenait trop familière ces derniers temps.
Puis elle ramena sa longue chevelure blonde en un chignon
rapidement exécuté pour éviter de laisser la crème au contact de son
oreiller, et se déshabilla avant de se glisser dans la douche.
*****
Chapitre 3
Le travail débutait bien plus tôt qu'en métropole en raison d'une
chaleur intense et moite. Dès 6 heures du matin, l'équipe s'affairait
pour organiser l'arrivée prochaine de la compagnie. Les consignes
furent rapidement passées, leurs prédécesseurs prenant l'avion deux
jours après leur propre arrivée.
Emma constata avec soulagement la facilité avec laquelle elle
assimilait ses nouvelles fonctions. Ses interlocuteurs au sein du
régiment se montraient conciliants et lui indiquèrent patiemment les
tâches à réaliser. Les caractères se révélaient par la même occasion,
les affinités aussi. La douceur de vivre ambiante et le rythme plus
cool aidant, la jeune femme commença à se décontracter.
N'étant
pas
réellement
assujetties
à
des
relations
supérieure/subordonnée, Alix et elle avaient rapidement sympathisé.
Et si les échanges avec l'adjudant d'unité se réduisaient au strict
minimum, son entente avec le capitaine Gredon du même âge qu'elle,
donna un ton joyeux à leur collaboration.
Le reste de la compagnie rejoignit Tahiti la semaine suivante. Deux
sections d'une vingtaine d'hommes et de femmes sortirent en même
temps que les autres passagers des couloirs de l'aéroport. Malgré les
tenues civiles revêtues pour voyager, leurs sacs en tissu camouflé
trahissaient leur appartenance à l'armée de terre française. Tous
accusèrent le coup en sortant dans l'air tropical étouffant. La fatigue
pouvait se lire sur les visages.
Au fil des jours, chacun prit ses marques, découvrant un
environnement inédit dans un cadre enchanteur. Une certaine
indolence prédominait dans l'enceinte de la caserne, et sans
outrepasser les règles de disciplines, les nouveaux venus évaluèrent
vite leur liberté d'action par rapport aux habitudes locales.
Comparant inévitablement leur statut de compagnie dite "tournante"
avec le personnel "permanent" affecté sur place pour deux années, ils
déchantèrent en prenant connaissance des services de garde et des
restrictions horaires imposés. Ils n'étaient pas là pour se tourner les
pouces, bien que les week-ends sans activité programmée leur soient
laissés libres. Beaucoup se voyaient déjà explorer les différentes
îles du Pacifique, rêvant de Bora-Bora et de ses plages de sable
blanc. Mais le commandement y mit le holà immédiatement en
interdisant de dépasser la distance équivalent à celle de l'île de
Moorea, proche petite soeur de Tahiti.
Un soir après son service, la jeune femme se rendit au foyer pour y
acheter une carte d'abonnement internet. Elle venait de recevoir un
message sur sa boîte mail professionnelle, mais préféra utiliser les
lignes civiles pour répondre à son amie Amélia qui venait de lui
apprendre sa rupture d'avec son fiancé Marc.
Un brouhaha du diable sortait du lieu de convivialité, conséquence
d'un rassemblement autour de l'unique télévision qui retransmettait un
match de football se déroulant en métropole. Amusée par l'ambiance
joyeuse qui régnait, elle parvint jusqu'à Alix accoudée au comptoir
en train de siroter un soda frais.
— C'est terrible, même ici le foot me poursuit ! se plaignit cette
dernière en levant les yeux au ciel.
— Vous n'appréciez pas ce sport, ou votre petit-ami l'apprécie trop,
lui ?
— J'en soupe tous les week-ends à cause de sa passion, j'espérais
bien me sevrer ici, mais c'est raté ! Je crois bien que je vais les
quitter, son foot et lui. Ils forment un si beau couple, ce serait
dommage de rompre leur relation !
— Ma foi, j'avoue bien aimer regarder un match de rugby de mon
côté, et j'ai appris que le chef de corps d'ici avait monté une équipe
militaire. Cela vous dirait d'aller les voir jouer samedi prochain ? Ils
vont disputer la finale de l'île.
— Ouah, vous êtes bien renseignée ! C'est d'accord, je préfère les
rugbymans de toute façon, y a plus de viande à mâter sur eux !
plaisanta le sergent, faisant légèrement rosir la jeune adjudant.
Après avoir salué sa compagne, Emma pénétra dans la salle internet
attenante au foyer où une dizaine de postes informatiques attendait le
premier client de la soirée. Les onze heures de décalage avec la
France métropolitaine ne permirent pas à la jeune femme de saisir
toutes les subtilités de l'histoire malheureuse d'Amélia. Dans son
message, cette dernière semblait se débattre avec une histoire de
maître-chien et de cordon d'alimentation de PC qu'elle voulait
utiliser pour se pendre. Aussi se contenta-t-elle de lui retourner une
longue réponse de soutien. Elle rédigea un autre mail à leur amie
commune, Sandrine kervellec pour obtenir davantage d'explications.
Enfin, elle entama une discussion instantanée avec Claire, à qui elle
envoya une photo de plage paradisiaque extraite de son appareil
photo. En retour, celle-ci qui avait rejoint le désert Tchadien
quelques jours auparavant, lui fit parvenir une photo mêlant machette
et lunettes rafistolées au sparadrap. Message reçu cinq sur cinq !
Elle éclata de rire, seule devant son écran.
Le soir de la finale du championnat local de rugby, une grande partie
du régiment s'agitait déjà dans les gradins de l'antique stade de Tahiti
lorsque les deux jeunes femmes se glissèrent parmi les spectateurs.
Elles firent un petit signe aux quelques visages qu'elles reconnurent,
et s'installèrent aux côtés de leur commandant d'unité déjà bien
échauffé par l'ambiance électrique malgré une chaleur caniculaire.
Lorsque les joueurs entrèrent en courant sur la pelouse défraîchie, ce
fut l'hystérie collective. La technique un peu décousue et
l'approximation de certaines passes n'entamèrent pas l'enthousiasme
du public. L'équipe du régiment fut finalement déclarée vainqueur
sans surprise mais dans la bonne humeur générale.
Emma s'était amusée de ses propres réactions lors du match,
trépignant durant les phases de suspense, hurlant pendant les horsjeux, et applaudissant à tout rompre à chaque essai marqué par l'une
des deux équipes, surprenant un petit groupe de militaires assis
quelques rangées plus haut. Le regard de l'un d'entre eux n'avait cessé
de revenir sur cette blondinette hystérique qui avait fait voler ses
lunettes à travers la foule en se redressant comme un diable miniature
sur son strapontin.
En la voyant plonger droit devant elle à la poursuite de ses carreaux,
il n'avait pu empêcher un rire de fuser, sous l'oeil étonné de ses
camarades, mais s'était senti terriblement frustré de n'avoir pu la
contempler de face. Le peu entrevu s'avérait charmant quoi qu'un peu
trop caricatural de la blonde évaporée pour retenir son attention au
delà de cette soirée.
Gagnée par l'ambiance fiévreuse, Alix s'était montrée aussi
enthousiaste que sa collègue. Assister à un match directement dans
les tribunes étaient une première pour l'une comme pour l'autre, et
sans se concerter, elles espérèrent renouveler l'expérience. Le retour
vers leur quartier se passa dans l'exaltation. Elles commentèrent le
jeu avec animation, en compagnie de leur supérieur.
Mais dès le lundi suivant, un quotidien plus monotone s'installa,
simplement entrecoupé de phases de repos qu'Emma mit à profit pour
découvrir l'île. Après avoir pris la mesure de son poste, elle
profitait de son temps libre pour explorer les quelques distractions
offertes aux alentours du régiment. Cela se réduisit vite à un saut
quotidien à l'hypermarché du coin, où elle soignait son léger mal du
pays en arpentant les allées familières.
Bien que plus jeune, Alix avait remarqué le malaise d'Emma en
société. Aussi se piqua-t-elle de l'aider à sortir de sa coquille,
bénéficiant en retour de son expérience professionnelle. Elle finit par
l'entraîner dans des périples inattendus qui leur coûtèrent plusieurs
paires de tongs et un bronzage écrevisse du plus bel effet.
Durant les semaines suivantes, la préparation physique de la
compagnie s'intensifia pour aborder le stage d'aguerrissement prévu
sur le planning. Quelques petites sorties sur le terrain furent aussi
organisées afin que les hommes se familiarisent avec l'environnement
exotique. Les séances de bivouac plus ou moins improvisées et les
attaques virulentes de moustiques les mirent peu à peu dans
l'ambiance.
Une fois ses travaux administratifs quotidiens rendus, Emma prépara
activement la mission de ses hommes, en prenant contact avec la
bureaucratie polynésienne. L'inscription de tout son personnel auprès
de la sécurité sociale locale acheva de la rendre chèvre. Mais quand
les dernières formalités furent réglées, elle put consacrer un peu plus
de temps à Alix qui croulait sous les menus travaux. L'adjudant
d'unité disparaissait pendant des heures et laissait le sergent se
débrouiller avec les problèmes de vie courante de la troupe. Entre
visiter les plages tahitiennes et s'intéresser aux activités de ses
soldats, il avait fait son choix.
Agacée par son attitude irresponsable, Emma le harponna un matin.
Mais la nature je-m'en-foutiste et égoïste de l'homme le rendait hors
de contrôle. Aussi la jeune femme commença-t-elle à l'écarter
progressivement de la chaîne de décision, sans en parler au
commandant d'unité. Lorsque l'adjudant "Lemaire-la-polaire"
refaisait surface, il arrivait que sa ténacité vienne à bout de certaines
situations inconfortables. Afin d'éviter de se faire mal voir par son
chef, Dutilleux rentra piteusement dans le rang. À moins que ses
coups de soleil ne furent trop insupportables pour rester à lézarder
sans rien faire...
Ayant enfin pu soulager le sergent Pareau et moins accaparée par la
routine de ses tâches administratives, Emma finit par proposer au
capitaine Gredon d'être son chauffeur pour effectuer des petites
liaisons à travers Tahiti.
C'est ainsi qu'ils prirent la route dès 4 heures le lundi suivant pour
accompagner la troupe à la pointe opposée de l'île.
*****
Chapitre 4
— Hé, Mika, mate-moi tous ces bibelots précieux qui nous arrivent !
Un simple grognement approuva la remarque lancée par le
responsable du centre d'entraînement de Taravao. Mickaël Ollier
finissait de plier le cordage des zodiacs avant de laisser dériver ses
yeux sur les deux groupes qu'il allait encadrer alternativement
pendant les deux prochaines semaines.
Les militaires métropolitains des compagnies tournantes ne
présentaient en général qu'un faible intérêt pour lui. Ils arrivaient
toujours le premier jour en mode braillard, mi-excités mi-inquiets.
Au cours des trois jours suivants, le fin observateur qu'il était se
faisait une idée précise de chaque caractère, et s'en servait pour
appuyer là où ça faisait mal. Il jugeait toujours le mental plus
important que les capacités physiques. Sans volonté, un homme
n'allait pas à bout du stage. Combien de sosies de Stallone s'étaient
écroulés en pleurnichant devant la difficulté d'un obstacle ? Il ne
comptait plus. Devant lui se tenait donc une bande de gros bras à qui
il allait se faire le plaisir d'enseigner les lois de l'océan.
Il y avait quelques personnels féminins dans le lot. Cela avait peu
d'importance. Les minaudeuses l'amusaient rarement plus de deux
secondes, les Rambo en jupon l'impressionnaient encore moins. Pour
résumer sa pensée, les femmes n'avaient pas leur place dans une
unité combattante, mais il fallait faire avec et sans distinction.
Intégré comme un élément moteur au sein de l'équipe exclusivement
masculine du centre d'aguerrissement outre-mer communément
surnommé C.A.O.M.E, l'adjudant Ollier avait plus de mal quand il
s'agissait de côtoyer des collègues féminins. Lors des rares sorties
qu'il s'accordait en boîte de nuit, son physique de grand gaillard
musclé lui assurait un succès certain auprès des femmes. Mais en
dehors de relations fugaces, il ne savait pas tenir naturellement une
conversation avec elles et ne comptait aucune amie dans son
entourage.
Toujours célibataire à trente-quatre ans, il ne montrait aucune
compétence dans le domaine sentimental. Son éternelle plaisanterie
lorsqu'il faisait l'objet de boutades de ses camarades, était de
répondre qu'il finirait forcément vieux garçon bouffé par ses chiens.
Selon ses critères, calqués sur ceux de son père prématurément
vieilli par son veuvage, une femme se devait d'être sportive,
naturelle, mais aussi sensuelle, douce, discrète, accomplie et surtout
entièrement dévouée à son couple. Bref, aussi silencieusement
parfaite qu'une real-doll en silicone...
Pas du tout comme cette blonde en treillis affublée de hublots de
vieille fille qui descendait d'une Saxo blanche un appareil photo
autour du cou. Elle était accompagnée d'un capitaine qui dépliait
avec difficulté son mètre quatre vingt dix de la boîte à sardines.
L'allure de la jeune femme lui parut familière. Quand elle claqua sa
portière en y coinçant le béret qu'elle tenait à la main, il ne put
s'empêcher de pouffer. Surtout lorsqu'elle s'escrima à tirer dessus au
lieu de rouvrir la voiture. Non mais quelle caricature de blonde ! La
mémoire lui revint instantanément. Mais bien-sûr, la folle des
gradins ! Tout à coup, l'intérêt pour cette session de deux semaines
se raviva et il croisa les bras en prenant un air goguenard.
Les nouveaux venus se dirigèrent directement vers les futurs
stagiaires. La femme marchait d'un pas assuré, survolant son
environnement, lui y compris, comme si il n'existait pas. Cette
indifférence fouetta son orgueil masculin.
— Pour qui elle se prend celle-là ? glissa-t-il à son voisin.
Et sans attendre la réponse, il s'approcha des deux sections et
rejoignit le capitaine et sa conductrice pour se présenter.
— Mes respects mon capitaine, adjudant Ollier, moniteur du stage
nautique au sein du C.A.O.M.E. de la 1ère compagnie.
Se tournant vers la blonde qui continuait à l'ignorer ostensiblement, il
lui jeta, agacé, après avoir constaté qu'elle arborait le même grade
que lui :
— Toi, tu peux rejoindre les autres maintenant. Tu auras autre chose
à faire que jouer les paparazzi pendant le stage.
Emma opéra un retour brutal à la réalité en percevant le ton
méprisant employé par l'homme qui venait de les aborder. Elle
planta son regard glacé bien visible derrière ses austères lunettes,
dans celui du crétin arrogant qui la toisait en la dépassant de...
Ouuuuh, beaucoup de centimètres !
— Pas besoin de me dire ce que j'ai à faire, je n'ai plus 5 ans, et je
ne participe pas au stage. Je fais partie de l'équipe de
commandement. Sinon, t'es qui toi déjà ? répliqua-t-elle en terminant
d'un "ducon" silencieusement mimé par ses jolies lèvres.
Tétanisé par les étonnantes nuances de bleu du regard qui le
maintenait captif, Mickaël perdit le fil de ses pensées. Putain, mais
c'est quoi ça ?
De près, la blondinette était loin d'être vilaine, sa première
impression lors du match ne l'avait pas trompé. Très très loin d'être
moche même. Meeeeerde !
Un corps féminin fait pour un homme appréciant les formes
voluptueuses, une jolie bouche aux lèvres naturellement très rouges,
un petit nez parsemé de tâches de rousseur. Et des yeux d'un bleu
fascinant qui pour l'heure semblaient attendre de le voir pendu au mât
des couleurs. Par les couilles. Pour les oeillades énamourées, il
allait devoir repasser.
Son coeur se mit à tressauter de manière désordonnée, sa bouche
s'assécha d'un coup. Il eut l'impression que les plombs avaient sauté
quelque part. Ah oui, tiens. Dans ma tête. Incapable de répliquer
vertement, il émit un pathétique "désolé", sentant la brûlure de la
honte gagner sa nuque sans vraiment savoir pourquoi.
L'adjudant-chef Vagh, jusque là silencieux, vint enfin à son secours
en lui flanquant une grande claque dans le dos, signalant par ce biais
qu'il prenait la relève. La discussion s'anima immédiatement au
contact du volubile capitaine Gredon.
Déstabilisée par l'attitude hostile de cette montagne de muscles qui
avait tenté de l'écraser de son dédain, Emma prit congé et tourna les
talons pour commencer à mitrailler de son objectif la troupe qui
attendait les ordres de leurs instructeurs. Se faire agresser alors
qu'elle était plongée dans sa contemplation du paysage l'avait
presque rendue malade. La jeune femme avait dissimulé son
sentiment d'humiliation sous une réponse aigre. Heureusement, il
s'était montré trop stupide pour avoir le répondant suffisant. Tant
mieux ! Elle l'agonit d'injures, refusant de reposer un jour les yeux
sur ce médiocre Monsieur muscles. Espèce de cerveau de poulpe.
Crétin arrogant. Va donc pourrir dans un pot de créatine !
Si elle avait conscience de ses lacunes en matière de communication
avec autrui, elle oubliait régulièrement que sa réserve renvoyait une
image insensible aux autres. Son sens de la répartie la rendait plus
facile à attaquer, les querelleurs oubliant facilement la personne
derrière le verbe acéré. N'ayant jamais connu d'autres schémas
relationnels en dehors des rares amitiés qu'elle avait nouées, elle
faisait avec. Mais si elle ne laissait rien transparaître, les multiples
petits épisodes désagréables du quotidien la blessaient aussi
sûrement qu'un bon coup de cuter sur les doigts. Chaque nouvelle
entaille renforçait la nécessité de bétonner sa carapace.
Continuant à prendre des photos des deux groupes qui attendaient les
ordres en discutant avec excitation, elle rumina la scène récente en
ravalant des larmes de frustration. Cet imbécile lui avait fait mal en
la considérant comme quantité négligeable.
Constatant que son appareil était presque déchargé, elle finit par
s'écarter pour regarder les moniteurs commandos prendre en main les
stagiaires.
— Sections, gaaaarde à vous ! Repos. Bienvenue en Enfer les gars !
*****
Chapitre 5
Le régiment paraissait plus calme sans la compagnie tournante qui
suait sang et eau dans la jungle depuis déjà une semaine. Le traintrain avait repris ses droits, entrecoupé de courtes visites auprès des
stagiaires. Emma organisa sa vie autour de ces sorties qu'elle
attendait avec impatience, bien que quelques mésaventures
pimentèrent ce quotidien bien réglé.
Deux jours auparavant, le sauvetage d'un margouillat avait fait rire
ses voisins réunis autour de la pauvre petite bête. Le lézard aux yeux
attendrissants était tombé dans une bassine d'eau savonneuse et avait
eu droit à un nettoyage minutieux. Les gestes délicats avaient fait
l'objet de gentilles moqueries.
— Ben alors adjudant, vous ne lui faites pas de bouche-à-bouche ?
— Oooh on peut tenter le massage cardiaque ?
— Il n'y a même pas de quoi vous faire un sac-à-main avec ce truc !
Hausser les épaules avec un sourire était le meilleur moyen de
signifier sa désapprobation sans passer pour une psychorigide
agressive. Elle ne s'en était pas privé, et commençait à avoir les
épaules engourdies.
Si ce n'était pas la faune, c'était le matériel qui se mettait à dérailler.
Il fut même l'acteur principal d'un épisode qui anima les
conversations durant quelques jours.
S'il y avait un objet utile dans les chambres, c'était bien le
ventilateur. Les bureaux étaient climatisés, surtout pour éviter
d'abimer les ordinateurs. Mais les chambres ne bénéficiaient pas d'un
tel luxe, se contentant de vieilles machines bruyantes ayant connu des
jours meilleurs. Leur utilisation quotidienne contribuait à leur usure
plus rapide. Le sien lâcha le lundi soir, sans crier gare.
Forte des conseils d'Alix qui pouvait réparer un moteur de char avec
une épingle à cheveux, Emma se lança dans le désossage minutieux
de la bête et repéra assez rapidement le coeur du problème. Un fil de
cuivre entortillé on-ne-sait-comment s'était cassé. La chaleur du petit
moteur avait fini par faire fondre sa gaine en plastique et un magma
informe s'était solidifié autour, une fois refroidi.
Armée d'un canif et animée d'une envie d'en découvre, la jeune
femme se mit à gratter le surplus de plastique adhérant au moteur.
Satisfaite du résultat, elle vrilla de nouveau les deux fils de cuivre
ensemble et remonta l'engin. Lorsque le ventilateur fut branché, il
démarra au quart de tour.
Aussitôt, un grand claquement fit sauter l'électricité dans tout le
bâtiment et une épaisse fumée aux relents de plastique brûlé envahit
la pièce. Des petites flammes commencèrent à faire grésiller le
cordon d'alimentation et gagnèrent rapidement le mur. La jeune
femme sauta sur le fil et tira avant que le feu n'ait atteint la prise
électrique, se brûlant le bout des doigts au passage.
Des cris de mécontentement commencèrent à s'élever des chambres
voisines alors qu'Emma tentait d'évacuer la fumée de la sienne. Elle
ouvrit la porte en grand, et manqua se prendre un coup sur la tête
lorsqu'un commandant vint cogner à sa porte.
— Ça va Lemaire ? Y a le feu chez vous ?
— Heu oui, non, plus maintenant. Mon ventilateur vient de rendre
l'âme. Je suis désolée, c'est de ma faute.
— Vous l'avez débranché au moins ? jeta-t-il d'un air circonspect.
— Mes doigts s'en souviennent encore fit-elle en grimaçant.
— Restez là, je vais essayer de remettre les plombs.
La lumière revint quelques minutes plus tard sous les acclamations
générales.
Tous les habitants du faré réunis sous la tonnelle en bois
commentaient déjà la dangerosité des installations électriques à
cause de l'humidité ambiante de l'île. Pour s'excuser du désagrément
causé aux quinze autres locataires, Emma les convia le lendemain
soir à un poulet/coco fait maison qu'elle décida de cuisiner dans la
buanderie où se trouvait une antique gazinière.
Profitant des courses qu'elle se résigna à effectuer le mardi en fin
d'après-midi, elle racheta un ventilateur qu'elle fit couvrir par la plus
longue garantie possible. La soirée fut un succès, le plat englouti et
les assiettes vidées en un rien de temps. Les repas étaient l'occasion
d'échanger et de rire en toute décontraction, permettant aux plus
réservés d'entre eux d'être intégrés dans un environnement chaleureux
et réconfortant loin de leurs proches.
— Adjudant, si j'en crois mon estomac, vous êtes bonne à marier !
— Merci, mon lieutenant. sourit la jeune femme.
Puis elle ajouta avec un humour plus piquant :
— Mais si j'en crois votre manière de me conter fleurette, je pense
que ce n'est pas encore votre cas.
L'ensemble des convives se moqua bruyamment du jeune officier.
Bel et bien marié et tout juste père d'un garçon, il avait poursuivi les
habitants avec les photos du nourrisson. L'homme s'esclaffa à son
tour.
Avant de se coucher, Emma brancha son nouveau ventilateur. La bête
lui parut si perfectionnée que pour éviter une mauvaise manipulation,
elle s'en tint au bouton marche/arrêt. Elle scotcha simplement le
mode d'emploi sur le pied de l'engin, en prévision de l'utilisation
qu'en ferait l'occupant suivant.
Les journées marquées par le rythme des activités dévolues à la
compagnie continuèrent de filer à un rythme soutenu. Une manoeuvre
dans les îles Marquises venait de leur être attribuée, aussi dût-elle
organiser le départ. Emma était très excitée par cette mission et le
rôle qu'elle allait y tenir.
— Adjudant, on a besoin d'un conducteur supplémentaire pour un
véhicule tout terrain. Et en raison de votre grade de sous-officier
supérieur, le chef du BOI propose que vous endossiez la
responsabilité du pool de chauffeurs désignés pour assurer les
liaisons entre les différentes zones d'exercice.
— Une P4, vous voulez me faire conduire une P4 ? Cooool. Je n'en
ai jamais conduit mais ça ne doit pas être si compliqué. Si ?
Devant l'oeil torve de son commandant d'unité, Emma se reprit. Elle
voulait lui prouver son utilité. Le trip "plante verte d'Etat-major"
n'était pas fait pour elle, mais l'étiquette "soldat de seconde zone"
avait une colle ultra-forte. Aussi entreprit-elle de le convaincre en
s'entraînant sous les directives d'Alix sur l'aire d'installation des
ateliers de mécanique.
Afin de parfaire sa formation accélérée, elle accompagna
régulièrement le capitaine avec la peugeot tout terrain lors de ses
visites au C.A.O.M.E. Les sections peinaient sérieusement face à la
fatigue des épreuves quotidiennes.
Moniteurs comme stagiaires portaient en permanence un maquillage
camouflé qui masquait leurs traits. Si elle arrivait à reconnaître le
personnel de sa compagnie, elle ne parvint jamais à identifier les
cadres du centre.
L'absence d'hygiène et la fatigue accumulées commençait à peser
sérieusement sur le moral des participants. Quand elle venait les
voir, elle s'équipait de sa petite trousse de secours pour parer aux
bobos les plus anodins. Le centre médical étant éloigné des zones
d'exercice, son aide et son matériel n'avaient rien d'anecdotiques.
Il lui était arrivé plus d'une fois de glisser en douce une barre de pâte
de fruit ou un sachet de fruits secs dans les mains d'un soldat éreinté.
Cela ne résolvait pas tous les problèmes, mais ça créait un îlot de
plaisir sucré au milieu de la jungle. Généralement, les friandises
finissaient partagées entre plusieurs camarades.
Peu dupes de son manège, les instructeurs commando restèrent
étonnamment silencieux sur la question. Devant l'absence de
réaction, elle finit par les soupçonner d'en profiter pour encore mieux
jauger les personnalités et la cohésion des groupes. Au centre
nautique, elle eut souvent l'impression d'être observée. Un frisson
parcourrait régulièrement son échine. Mais dès qu'elle pivotait pour
surprendre un regard insistant sur son cou, elle ne trouvait que des
visages grimés qui ne paraissaient pas la fixer plus longtemps que la
normale.
Les deux sections alternèrent un passage au bord de l'océan et au sein
de la jungle pendant les deux semaines qui suivirent. Lorsque l'une
avait fini sa session dans l'un des centres, elle était immédiatement
remplacée par le second groupe.
Les activités consistaient essentiellement en des épreuves sportives
faites de parcours d'obstacles sur terre ou dans l'eau et de marches à
travers les montagnes. Elles étaient la source de nombreuses
blessures, mais aussi de grandes satisfactions une fois accomplies.
Le parcours le plus compliqué requérait la mobilisation totale des
capacités individuelles.
Le soldat qui ne se donnait pas à fond courrait inévitablement au
fiasco. Le mental d'acier apportait le carburant indispensable à la
puissance, à la force et à la rapidité. S'arrêter et être incapable
d'aller au bout était alors synonyme d'échec. Un refus d'obstacle
entraînait l'invalidation de la formation.
Le principe d'exemplarité chevillé au coeur astreignit le capitaine
Gredon et l'adjudant Lemaire à participer en franchissant sans chrono
les mêmes épreuves que leur troupe. Être suspendue à plus de 15
mètres du sol sur un câble d'acier ne fit ni chaud ni froid à la jeune
femme. En revanche, elle eut quelques secondes d'hésitation avant de
se jeter sur une liane de corde qui la balança jusqu'au filet tendu de
l'autre côté d'un petit cours d'eau qui coulait en contre-bas.
Au centre nautique, un homme observa attentivement les efforts de
Lemaire et apprécia son absence de manières. Elle se lançait sur les
obstacles sans rechigner ou crâner bêtement, et prit juste un quart de
seconde de réflexion avant d'attaquer une des épreuves les plus
désagréables et claustrophobe.
Sous ses grands airs de secrétaire snob un brin perverse, elle se
montrait d'une simplicité déconcertante. Ses rapports avec les autres
l'étonnèrent encore plus.
Mickaël se surprenait à attendre les venues d'Emma avec une
impatience peu commune. Sans aucun doute possible, elle lui avait
fait une grosse impression à travers le peu de mots échangés le
premier jour. Cette attirance lui paraissait incompréhensible, mais il
ne tenta pas de lutter contre, elle lui faisait passer le temps et la
sensation était loin d'être désagréable.
Il fut le premier à remarquer ses petites distributions et s'en amusa.
Tenté de la prendre en flagrant délit et de lui rendre la monnaie de sa
pièce en l'humiliant publiquement, il comprit vite l'intérêt qu'il
pourrait en tirer en tant qu'évaluateur.
Sans le savoir, sans même s'en douter en était-il certain, elle lui
permettait ainsi qu'à ses collègues, d'avoir une idée plus précise de
l'attitude des militaires lorsqu'ils étaient placés en situation de stress
et de fatigue aigus. Certains se révélaient comme des meneurs
d'hommes, d'autres s'installaient dans le rôle de second, maintenant
la troupe dans un bon état d'esprit sans avoir besoin de se mettre en
avant par des coups d'éclat. Quelques-uns encore se montrèrent
égoïstes face aux difficultés.
Nul ne fut mieux en mesure d'apprendre à se connaître au cours de
ces quelques jours qu'après avoir affronté certaines situations
extrêmes.
Le comportement individuel faisait partie des critères entrant en
compte pour la note finale et l'obtention du brevet d'aguerrissement.
Cette aide inattendue guida les instructeurs au moment de juger les
qualités humaines de chaque stagiaire.
Un matin, lors d'une épreuve d'accrobranche, alors qu'elle venait de
se faire une entorse à la cheville en chutant d'une hauteur de plusieurs
mètres, un caporal féminin lui glissa sur le ton de la plaisanterie,
pendant qu'Emma bandait rapidement sa blessure :
— Dire qu'il y en a qui paie pour faire ça !
— Que voulez-vous caporal, on est toujours tenté par ce qui ne
constitue pas une contrainte.
— Si on me contraignait d'épouser Clive Owen, vous savez, King
Arthur, pas sûr que je dorme dans la baignoire quand même ! gloussa
cette dernière, entrainant l'adjudant avec elle.
Le dernier jour, la remise des insignes à des soldats exténués mais
heureux d'être venus à bout de cet entraînement, vint naturellement
sanctionner les efforts entrepris.
Mickaël tergiversa longtemps avant d'aller parler avec l'adjudant
Lemaire qui l'ignorait avec toujours autant de sérieux. Il finit par
comprendre qu'elle ne l'avait tout simplement pas distingué parmi les
autres moniteurs.
Titillé par ce manque d'intérêt, il décida de sortir de sa réserve et de
l'aborder directement, espérant profiter de l'apéritif marquant la fin
du stage pour se rapprocher d'elle. Mais quand il trouva le courage
de se lancer enfin, il vit plusieurs hommes s'avancer vers elle et lui
donner une franche accolade qui la laissa déroutée puis ravie.
Désormais entourée et inaccessible, Emma reçut les remerciements
de la troupe, alors qu'il se détournait de la scène, dépité.
Il était écrit qu'il n'aurait jamais sa chance avec elle. Autant se
concentrer sur la mission qui l'attendait avec sa compagnie dans les
îles Marquises.
*****
Chapitre 6
Trois semaines plus tard.
— J'en peux plus, il faut que je prenne l'air !
— Il pleut trop fort sergent. Même en entrouvrant la porte, l'eau
rentre dans la zone vie.
Emma jeta un coup d'oeil légèrement inquiet vers Alix qui semblait
se liquéfier sur place.
— Cette chaleur va me rendre dingue ! Et on n'est pas encore parti !
— En s'éloignant de Papeete, je suis sûre que le temps va
s'améliorer, surtout en plein océan. Tenez. Prenez un peu d'eau pour
éviter de vous déshydrater.
Le haut-parleur du batral battant pavillon chilien annonça, en
espagnol, le départ imminent.
Les militaires français embarqués pour cette mission de coopération
continuèrent à ranger leurs affaires dans les minuscules
emplacements prévus à la tête de leurs couchettes superposées. Très
peu comprenait l'espagnol, aussi, tenter de le décrypter à travers le
grésillement d'une machine découragea les plus motivés. Ses propres
connaissances lui permettaient tout au plus de demander l'heure et où
trouver à boire et à manger. Parmi ses collègues, elle était une des
seules à pouvoir le faire, en dehors du lieutenant Lat, l'un de leurs
chefs de section.
Plus d'une heure après le départ de Tahiti, Emma se décida enfin à
sortir prendre l'air frais du large. Il ne pleuvait plus depuis
longtemps et l'immensité de l'océan Pacifique s'étendait tout autour
d'eux. C'était magnifique. Écrasant aussi. Elle eut encore plus
conscience de sa vulnérabilité.
Accoudée au bastingage, elle profitait des embruns portés par le vent
lorsque des collègues féminins vinrent la rejoindre. Le roulis
régulier commença à la mettre un peu mal à l'aise, et elle se maintint
plus fermement à la barre métallique en discutant avec ses
camarades.
Non loin d'elles, la section de permanents venus de la 1ère
compagnie de Taravao s'était installée à la proue du navire, tendant
des hamacs entre les poutres métalliques, uniquement protégés par
l'avancée du pont supérieur. Les gars n'étaient pas des débutants et
connaissaient pertinemment la chaleur étouffante qui les attendait en
cabine. Beaucoup d'entre eux avaient été recrutés localement. Aussi
ne fut-elle pas surprise d'entendre résonner des chants typiques
accompagnés de l'éternel ukulélé. La mélopée entraînante associée à
la sérénité de l'eau procurait un sentiment de paix étonnant.
Au début clairement séparés, les groupes finirent par lier
connaissance, et bientôt les rires fusèrent de chaque bord. Quelques
soldats chiliens se mêlèrent aux français, chacun essayant de
s'exprimer dans la langue de l'autre. De grands gestes et des images
directement piochées dans les portables aidèrent à fluidifier la
communication. Le lieutenant Lat maîtrisant l'espagnol à la perfection
devint bientôt le dictionnaire vivant de l'ensemble des troupes. Une
ambiance chaleureuse et détendue régnait désormais sur le bâtiment.
Trois cadres de Taravao se présentèrent à son petit groupe. Emma
avait enjambé la barrière de métal pour s'y asseoir, l'estomac coincé
contre la rampe supérieure qui l'empêchait ainsi de basculer en
avant.
Le contexte et le paysage lui permettait de se sentir libre, elle
trouvait cela exaltant.
Un des hommes vint s'installer à ses côtés et entama la conversation
d'un ton léger. Sa voix était agréable, basse et un peu éraillée, douce
musique qui berça un peu plus la jeune femme et la troubla
légèrement. Elle se tourna vers lui et apprécia encore plus sa
présence. Oooooh le joli garçon !!! Sa réaction digne d'une dinde
trépanée la mortifia. Depuis quand un grand machin brun à
pectoraux développés me met en émoi ?
— Salut, je peux squatter à côté de toi ?
— Bien sûr. C'est plus agréable ici, il fait plus frais grâce à l'ombre
du pont supérieur, se surprit-elle à lui répondre vivement.
Non mais t'as qu'à lui dire : reste ici et épouse-moi tant que t'y es !
Blondasse ! se morigéna-t-elle. Marquant une courte pause, elle
reprit avec un débit moins rapide.
— Tu fais partie des permanents ?
— Oui, et toi des tournants, affirma-t-il.
— En effet. C'est amusant, tu as une pointe d'accent du Sud de la
France. Ça fait longtemps que tu es en Polynésie ?
— En fait, j'ai été affecté cet été. Ça fait presque six mois. Et je
viens de Montauban, lui confirma-t-il d'un sourire lumineux.
L'homme était vraiment très beau, et d'une simplicité agréable. Il
n'essaya pas de jouer les séducteurs, et paraissait simplement
rechercher une personne avec qui lier connaissance. Leur discussion
coula naturellement sur leur parcours professionnel et leur région
d'origine. De nombreux points communs les amusèrent, et ils
poursuivirent avec plaisir leurs échanges, jusqu'à l'heure du repas.
L'adjudant lui paraissait familier, mais elle était incapable de se
souvenir des circonstances dans lesquelles ils s'étaient croisés.
Mickaël ne s'en remettait pas. Elle participait aussi à l'opération
Squales.
Dès qu'il l'avait reconnue, il avait embarqué avec lui des camarades
qui trépignaient à l'idée de s'approcher de la grappe de personnel
féminin discutant tranquillement près du bord. Il s'était glissé au culot
à proximité de la blonde qui l'avait marqué au fer rouge quelques
semaines auparavant. Le souvenir cuisant qu'elle avait imprimé dans
ses pensées s'était montré terriblement persistant. Il ne s'en était
toujours pas remis. La retrouver en de pareilles circonstances était
une véritable aubaine. Même s'il ne savait pas trop comment s'y
prendre pour lui faire remarquer son intérêt. Aussi fonça-t-il vers
elle avec la délicatesse d'un bouquetin affublé de patins à roulettes,
dont les freins auraient lâché en dévalant une montagne.
Habitué aux contacts éphémères avec le beau sexe, Mickaël était un
macho indécrottable rétif à toute idée de relation avec une collègue.
Fréquenter une nana plus armée que lui ? Jamais ! Il avait pourtant
été très surpris par sa réaction physique lors de leur échange initial
au centre nautique, puis au cours de ses visites alors qu'il s'était
pourtant tenu à bonne distance. Le fait qu'elle soit elle aussi militaire
aurait dû le rebuter d'office, d'autant qu'elle ne correspondait pas aux
critères drastiques qu'il s'était arbitrairement imposé pour trouver la
femme idéale.
Pourtant bien décidé cette fois à l'aborder directement, il n'hésita pas
à enjamber à son tour le bastingage. Elle lui jeta un rapide coup
d'oeil, sourcillant en se demandant où elle l'avait déjà rencontré,
mais à son sourire avenant il comprit qu'elle ignorait qui il était. Ça
le déçut. En revanche, il vit avec plaisir son joli visage quitter son
air perplexe et s'adoucir en le dévisageant. Ses étranges yeux bleu
clair gagnèrent en chaleur dès qu'ils entamèrent la conversation.
C'était une jeune femme douce et naturelle qui s'avérait d'un
commerce agréable, en plus d'être ravissante à regarder. Il fut surpris
d'être autant à l'aise alors qu'elle l'avait battu froid pendant si
longtemps.
Rapidement la conversation prit un tour plus intime. Après l'échange
de quelques confidences racontées sur le ton de la plaisanterie, ils
goûtèrent en silence au calme de la traversée. Elle sentait bon, son
parfum lui parvenait par vagues successives et ne lui laissait aucun
répit. Et lorsque reprenant leur discussion, elle s'anima sur un sujet
la passionnant, elle dégagea une sensualité plus prégnante qui devint
presque insupportable pour l'homme terriblement en manque qu'il
était. Il se sentit happé par son contact au point de pencher
inconsciemment son corps vers elle. Son bas-ventre lui rappela
douloureusement l'effet dévastateur qu'elle avait involontairement
déclenché sur sa libido. Il se sentit durcir de manière inattendue mais
ne put s'empêcher de prolonger leur discussion jusqu'à l'heure du
dîner.
Invités à rejoindre le carré sous-officiers du navire, les cadres de
chaque compagnie s'installèrent dans la petite pièce pour y déguster
un repas copieux. À la fin de celui-ci, les chiliens proposèrent aux
français de poursuivre la soirée par un karaoké. Moyennement
enthousiastes à la perspective de chanter en espagnol, certains
déclinèrent, mais la plupart, intrigués et enclins à partager un moment
de cohésion internationale ne se firent pas prier. Il suffit de quelques
minutes pour qu'une ambiance festive s'installe dans l'espace confiné.
Mickaël la dévorait désormais littéralement des yeux sans aucune
gêne. Son cœur faisait de régulières embardées lorsqu'elle lui
décochait un sourire timide quand leurs regards se croisaient. Elle
s'amusait sans complexe et commençait à devenir l'un des points de
mire de beaucoup trop d'hommes à son goût.
Les rires redoublèrent lorsque les sud-américains accrochèrent une
boule à facettes au plafond, transformant le très officiel carré des
sous-officiers en annexe minuscule de boîte de nuit. Les tentatives
chantantes des plus téméraires furent copieusement applaudies et
sifflées. Un véritable triomphe qui aurait bien valu l'habituel France,
one point de l'Eurovision.
*****
Chapitre 7
Au petit matin...
Il y avait peu d'intimité sur le bateau et les hommes se comportaient
comme des barbares dès le réveil. Plus discrètes et souhaitant
vivement quitter les dortoirs communs, les militaires féminins
s'empressèrent de faire leur toilette avant de se rendre au carré pour
y petit-déjeuner. En attendant l'ouverture de la salle, une file s'était
créée. Les cadres de Taravao étaient déjà sur le pied de guerre et
saluèrent les nouvelles venues avec entrain.
Emma posa machinalement les yeux sur le grand brun musclé (Hum
oui, très musclé et très grand) avec qui elle avait pris tant de plaisir
à discuter la veille. Il portait un galon d'adjudant et devisait
tranquillement avec un supérieur. Elle fut prise d'un frisson et fut
comme assommée par un uppercut. Ses pulsations cardiaques
s'emballèrent, son souffle se coupa, son esprit se vida et sa vision
s'ajusta sur l'homme comme le ferait un zoom d'appareil photo. Tout
son environnement disparut. Il devint le centre de son entière
attention. Lorsqu'elle le vit froncer les sourcils d'un air concentré, sa
moue sérieuse lui rappela un souvenir très désagréable.
Mais c'est l'autre imbécile du centre nautique ! Omondieukilébo !
Le coup de foudre le plus bizarre qu'elle ait jamais vécu. Le tout
premier d'ailleurs ! C'est un miracle, je ne suis pas frigide et sans
cœur ! Enfin, pas frigide, ça reste à démontrer...
La soudaineté et l'incongruité de la découverte la laissèrent pantoise,
mais les vives réactions de son corps la trahirent. Elle eut
l'impression de s'enflammer. Le sang battait à ses tempes alors que
l'air gonflait de nouveau ses poumons.
Il jeta un œil vers elle et prit son regard étincelant en pleine face.
Quoi, qu'est-ce que j'ai fait ? S'interrogea-t-il, mal à l'aise et
soupçonneux. Se pourrait-il qu'un pote un peu lourd lui ait parlé de
mon intérêt ?
Il nageait en pleine confusion et lui lança un sourire incertain qui fit
piquer un fard monumental à la jeune femme.
Oh merde, on m'a balancé c'est sûr ! Et elle est morte de honte !
gémit-il intérieurement en rompant le contact visuel pour éviter de se
ridiculiser complètement.
Bon, il ne paraît pas intéressé et n'a pas remarqué mon trouble,
constata Emma avec une pointe de dépit, le regardant reprendre sa
discussion comme si de rien n'était. Aucun regard supplémentaire ne
fut échangé au cours de la collation et lorsqu'elle rejoignit sa place
fétiche sur le bastingage, Emma eut la surprise d'y trouver un
occupant déjà installé. Marquant un temps d'arrêt pour adopter une
attitude plus décontractée, elle s'avança vers la haute silhouette dont
le regard semblait perdu vers l'horizon.
— Salut. Cette place est réservée ? fit-elle, mutine en désignant le
reste de la bordure métallique.
— Elle est toute à toi, répondit-il après une légère hésitation.
Sa proximité le mettait au supplice bien plus qu'il ne s'y attendait.
Après une nuit exécrable causée par les pics de désir qui s'étaient
emparé de lui à intervalles réguliers, il n'avait pas les idées très
claires et se faisait l'effet d'une bouteille de soda trop agitée sur le
point d'exploser. Son regard intense si particulier paraissait le
sonder jusqu'aux tréfonds de l'âme, déclenchant chez lui une nouvelle
vague de chaleur.
Il lui sembla mal à l'aise, aussi décida-t-elle d'être honnête.
— Pardon. Je te fixe parce que je viens de me souvenir du début du
stage nautique, expliqua-t-elle avec un franc sourire.
— Ah OK. (Aaaah merde !) Nos relations se sont considérablement
améliorées depuis, non ? lança-t-il avec un sourire incertain.
Enjambant à son tour la barrière pour s'y asseoir, elle hocha la tête
en guise de réponse et se tint à ses côtés, silencieuse, offrant son
visage aux embruns matinaux.
Le reste de la troupe à la recherche de fraîcheur et d'ombre se
déversa sur le pont pour poursuivre un voyage un peu plus monotone
que la veille. Personne ne parut enclin à interrompre leur tête-à-tête,
aussi leurs échanges finirent par retrouver leur spontanéité. Et
parfois sans avoir besoin de parler, ils savourèrent simplement la
complicité qui naissait entre eux.
La matinée s'étirait paresseusement lorsqu'un cri de surprise et des
rires ravis déchirèrent la tranquillité de la croisière. Le navire
traversait un ban de poissons volants qui virevoltaient tout autour du
bâtiment à la surface de l'eau.
Emma fut estomaquée par la grâce de l'instant et se sentit touchée
devant le spectacle scintillant que leur offrait la nature. Son masque
de froideur abandonné sur les rives de Tahiti, elle n'était plus qu'un
gigantesque noeud d'émotions. Un besoin presque douloureux de
contempler la scène en étant réfugiée dans des bras aimants
l'étreignit. La présence rassurante et chaleureuse de l'homme qui se
tenait près d'elle lui procura un immense réconfort. Partager cette
scène avec lui la ravissait.
V'là autre chose ! Glaçon est en train de fondre, je confirme,
Glaçon est en panne de fréon !
Sa peau se couvrit de chair de poule au moment où leurs avant-bras
se touchèrent. La sensation était délicieuse, et son corps réagit
franchement pour la première fois au contact d'un homme. Son pouls
accéléra sa course, et une drôle de langueur la gagna. Elle eut
presque la sensation de se transformer en flaque. Amélia avec ses
références cinématographiques pourries l'aurait traitée de « Blob ».
Mickaël se retint tant bien que mal de passer son bras sur ses épaules
pour la tenir contre lui. Le cliché du couple amoureux regardant la
mer le fit grimacer.
Depuis quand j'ai des rêves de gonzesse moi ?
Le rapprochement presque imperceptible de leurs corps se remarqua.
Il allait bien au delà d'un simple contact innocent entre collègues.
Emma s'en aperçut lorsque plusieurs militaires vinrent claquer le dos
de son voisin avec un sourire entendu. Il était peut-être temps pour
eux de se séparer et de rejoindre leurs équipes respectives sous
peine de voir rapidement courir les rumeurs les plus graveleuses.
Elle ne voulait pas lui porter préjudice ; il s'était montré gentil avec
elle, mais semblait ne lui porter qu'un intérêt amical. Il ne lui servait
à rien d'entretenir ses propres frissons sensuels alors qu'il n'avait fait
aucune allusion lui permettant d'espérer. Elle finit par se décider à
tenter le sevrage brutal.
Se retirant à regret de son perchoir, elle lui expliqua son besoin de
se dégourdir les jambes et d'aller se reposer. Montant vers le pont
supérieur, Emma rejoignit un groupe qui prenait le soleil. Il continua
à envahir ses pensées, tant et si bien qu'elle renonça à combattre son
attirance et s'y abandonna pour le reste de la traversée comme une
douce parenthèse.
De ses courts cheveux bruns en bataille à son visage carré et
masculin traversé par des yeux verts à la lueur canaille jusqu'à ce
corps viril et athlétique, l'adjudant Ollier rassemblait les
caractéristiques physiques les plus attirantes qu'elle ait jamais vues
chez un homme. Son petit côté ours mal léché, sans vilain jeu de
mot, songea-t-elle en rougissant, qu'elle avait testé au cours de leur
premier contact, cachait difficilement un esprit vif et honnête, brut de
décoffrage qui la séduisait tout autant. Mais en dehors d'un
surprenant feeling, son attitude était restée sobre et sans ambiguïté, il
n'avait pas tenté de la retenir.
Elle se borna donc à lui faire un petit signe à l'heure des repas.
Dépité, Mickaël effectua plusieurs tours du bâtiment dans la journée.
Mais Emma restait introuvable en dehors de leurs retrouvailles au
carré sous-officiers où ils déjeunaient à des tables différentes. Il
hésita sur la manière de retrouver la complicité de leurs échanges
alors qu'elle semblait désormais fuir sa compagnie. Pris d'un sérieux
doute sur sa capacité à interpréter l'attitude d'autrui, il se remit
sévèrement en question.
J'ai peut-être été trop direct. Ou pas assez ? C'est clair, je ne sais
pas parler aux femmes. Je l'ai saoulée, c'est sûr. Et si je la
draguais franchement ? Non. Mauvais plan. Elle risque de fuir en
hurlant. Mais merde, ce que ça peut être compliqué ! Je préfère
encore nager au milieu des requins tiens !
Le soir, elle s'éclipsa tout aussi rapidement après le dîner, ce qui le
déçut encore plus. Regagnant ses propres quartiers, grognant de
vagues réponses aux camarades qui essayaient de le faire sortir de sa
mauvaise humeur, il finit par s'installer dans son hamac, mais eut du
mal à trouver le sommeil.
Il passa la nuit à lui faire tenir le rôle principal dans des rêves
érotiques qui le laissèrent encore plus excité et terriblement frustré.
*****
Chapitre 8
Comme à leur habitude dès le réveil, les filles s’empressèrent de
quitter les cabines collectives devenues irrespirables. L’atmosphère
lourde et poisseuse empestait l’air et transformait l’espace confiné
en cloaque où seuls les hommes appréciaient de se vautrer.
Premières arrivées devant le carré des sous-officiers fermé pour
l'heure, elles devisèrent gaiement et accueillirent les cadres de la
compagnie permanente avec bonne humeur.
Mickaël se glissa immédiatement derrière Emma pour éviter qu’un
autre ne le fasse avant lui. La veille avant de se coucher, l’alcool
avait libéré la parole chez certains d’entre eux. Plusieurs de ses
camarades avaient débattu des qualités physiques de leurs
homologues féminins, et à son goût, un peu trop de suffrages s’étaient
portés sur la jeune femme. Il était hors de question que l’un d’entre
eux ne la touche. Il estimait avoir l’antériorité et par conséquent la
priorité sur l’usage qu’il aurait pu faire de ce corps tout en courbes
douces. L’idée de la jeter sur son épaule pour la ramener dans sa
tanière de célibataire à leur retour le titillait sérieusement. Restait à
obtenir le consentement de la principale intéressée. Un éclair de
lucidité lui remit les idées en place. Se conduire comme un primate
ne devait rien avoir de séduisant.
Emma s’était contenté d’un rapide salut aux nouveaux venus et d’un
sourire timide en direction de l’homme qui la troublait de plus en
plus. Elle retourna à sa conversation, tentant d’ignorer ses hormones
sautillantes.
Ça commence bien. Il va bientôt me falloir un pacemaker pour
résister à sa présence. J’ai 13 ans et je suis une ado chaudasse, ça
c’est dit…
La salle tardait à être ouverte, alors que la file commençait à
s’allonger dans le couloir étroit du bateau. Le brouhaha des
discussions devint assourdissant et la tension monta d’un cran. Un
léger mouvement de foule porta les gens les uns contre les autres,
dans l’espoir inconscient de faire accélérer la préparation du petitdéjeuner.
Mickaël ne put faire autrement que se presser contre le corps
frémissant de la jolie blonde. Il perçut sa crispation, et attendit
qu’elle proteste contre les libertés qu’il prenait. Elle n’en fit rien.
La jeune femme perdit pied, coeur et raison, en sentant le corps
musclé de l’homme lui communiquer sa chaleur. Cela débuta par une
lente brûlure qui picota sa nuque et descendit jusqu’à son intimité,
traçant un sillage explosif le long de sa colonne. Une intense langueur
saisit ses membres. Elle eut l’impression de devenir malléable au
contact du soldat qui ne semblait lui-même pas prêt à rompre leur
rapprochement indécent. Son cœur se mit à battre plus fort. Les
pulsations se répercutèrent jusqu’entre ses cuisses qu’elle serra
instinctivement.
Affolée, elle tenta de se dégager sans brusquerie pour ne pas alerter
les autres, mais se faisant, elle se frotta un peu plus contre Mickaël
qui suspendit sa respiration.
Elle va m’en coller une !
Emma manqua en perdre ses lunettes et cessa immédiatement tout
mouvement. Une masse dure gonflait contre ses fesses jusqu’à son
dos et continuait à grossir à mesure que les secondes s’écoulaient.
Elle retint in extremis un gémissement, les yeux écarquillés de
surprise. Je doit ressembler à un lapin pris dans les phares d'une
voiture qui veut qu'elle lui passe sur le corps !
La jeune femme ne fut plus en mesure d'ignorer l’humidité qui
trempait ses sous-vêtements et se laissa aller contre le corps excité.
Pour la première fois, un désir ravageur la tortura délicieusement
auquel elle s’abandonna dans un état second.
L’homme résista à l’envie de s’enfoncer un peu plus dans la chair
accueillante, mais pas au plaisir de faire courir ses doigts sur son
bras en une caresse sensuelle. Elle porta sa propre main à sa
rencontre et mêla leurs doigts avec discrétion. Il n’en croyait pas sa
chance et prolongea la sensation jusqu’à ce que son corps lui indique
le point de non retour. Grommelant des excuses à ses voisins, il fit
demi-tour et se précipita dans les toilettes en bout de couloir où il
s’enferma écarlate. Déboutonnant en urgence son pantalon de treillis
il libéra son sexe raidi de désir avant de l’empoigner fermement pour
lui faire subir deux allers-retours dans sa paume. Son râle étouffé
accompagna sa jouissance. Il plaqua son front contre la fraîcheur du
petit miroir au dessus du lavabo et rit silencieusement.
Ça pour une surprise ! Elle ne m'a pas jeté. Mieux, elle veut bien
de moi finalement ?
Il n'eut pas l'occasion de lui poser la question qui lui brûlait les
lèvres. Moins d’une heure plus tard, son équipe débarquait sur l’île
de Nuku Hiva.
*****
Chapitre 9
— Cómo quiere que se baje los vehículos mientras que el punto de
desembarco es demasiado estrecho ?
— Le point de débarquement n'est pas trop étroit, c'est votre
commandant qui ne veut pas s'en approcher !
— Madre de dios, pero estos franceses son limitados !
— Hé oh, premier maître ! Je suis peut-être borné, pero hablo
español tambien !
Non loin du lieutenant Lat en pleine discussion houleuse avec
l'homme chargé de guider les conducteurs, Emma et ses collègues
commençaient à trépigner.
Les troupes à pied avaient rejoint le sol de la plus grande île des
Marquises Nuku Hiva en zodiac une heure avant, alors que les
chauffeurs se préparaient à la manœuvre délicate du déchargement
des camions et des véhicules tout terrain.
Les marins chiliens s'affairaient désormais sur le pont, visiblement
tendus.
Un sergent-chef s'approcha de l'adjudant Lemaire et lui chuchota :
— Adjudant, vous croyez qu'on va pouvoir débarquer ?
— Honnêtement, j'en doute, chef. En tout cas, pas ici. J'ai cru
comprendre que le batral allait faire le tour pour rejoindre le port de
Taiohae. Je suppose que le débarquement tactique prévu initialement
est tombé à l'eau.
— Ils ont donné un horaire ?
— Non. Mais il ne faut pas compter arriver avant la fin de matinée.
— Faudrait pas que ça dure trop longtemps. On a tous hâte que la
mission débute vraiment !
Ainsi qu'elle l'avait soupçonné, le navire s'engageait désormais vers
le large pour accomplir le tour de l'île et rejoindre le village
principal. D'énormes bateaux de croisière croisaient non loin,
déchargeant leurs flots de touristes par navettes ultra rapides. Ces
monstres des mers les firent se sentir minuscules sur leur coquille de
guerre.
Ils parvinrent à descendre en milieu d'après-midi, au milieu d'une
foule de curieux venue assister au spectacle d'un débarquement
militaire. Pour la discrétion, on avait vu mieux. Le retour sur la terre
ferme étourdit légèrement les soldats. Les effets du mal de terre leur
donnèrent l'impression que leurs estomacs se rebellaient contre le
changement de sol, et ce, après une cuite monumentale.
Le bourg de Taiohae était véritablement enclavé. Bordé par l'océan
Pacifique, il était enfermé entre des montagnes impressionnantes dont
la cime se perdait dans les nuages. Emma prit à peine le temps
d'apprécier le paysage avant de lancer les ordres de départ vers leur
point de ralliement situé dans un gymnase sur les hauteurs du village.
Le capitaine Gredon rejoignit ses conducteurs en fin d'après-midi et
débriefa avec elle le déroulé du débarquement. Les chauffeurs
s'étaient naturellement placés sous les ordres d'une Emma paniquée.
Son impassibilité extérieure, ses consignes claires et efficaces eurent
cependant vite fait de calmer leurs interrogations.
Une fois les camions vidés et garés, l'adjudant se présenta à l'équipe
chargée de la logistique, dont elle allait devenir un des nombreux
maillons durant la manœuvre. Après avoir distribué les consignes à
sa troupe, elle sortit ses propres affaires du véhicule pour s'installer
à son tour avec les autres cadres. À l'issue d'une réunion de calage
qui permit de déterminer le rôle de chacun et la teneur de la mission
commençant le lendemain, tout le groupe se retrouva autour d'un
véritable festin en plein air.
Un rire tonitruant accueillit les convives. Un immense caporal-chef
au teint sombre et aux traits exotiques leur agita une brochette de
barbecue piquée d'une saucisse sous le nez.
— Bienvenue, bienvenue à la table des marquisiens ! Régalez-vous,
c'est quand même vachement mieux que ce que peuvent faire les
taïpouets !
— Taïpouets ? chuchota un sergent assis près d'Emma.
— Les tahitiens. répondit l'adjudant-chef qui se tenait à côté, prenant
le ton docte d'une encyclopédie 2.0 made in Wiki. La Polynésie
française est un immense territoire regroupant îles et atolls. Et autant
de tribus différentes. Les marquisiens n'ont pas subi le métissage
asiatique de ces dernières décennies. De plus ils sont largement plus
costauds, accueillants et moins abîmés par l'américanisation de leur
société. C'est un peuple fier, solide et loyal. Brel ne s'y était pas
trompé.
— Jacques Brel ?
— Lui-même. Il est enterré ici.
Le sergent se releva d'un bond, soulevant ses pieds comme s'il venait
de marcher sur le cadavre du chanteur à textes.
— Mais non, banane ! T'as quoi dans le crâne ? Ici aux Marquises,
sur l'île de Hiva Oa, avec une stèle et tout !
L'hilarité du caporal-chef tonna dans la vallée.
— Ils ont des idées bizarres quand même, nos jeunes cadres ! Allez
sergent, prenez donc une bière, ça ira mieux !
L'ambiance joyeuse du groupe ne faiblit pas au fil des jours. Emma
se sentit intégrée et acceptée immédiatement. Ses pairs la traitaient
comme l'un des leurs, la chambrant quand elle gaffait à table,
acceptant son commandement lors des phases de travail. Elle prit sa
mission à cœur, coordonnant les mouvements des véhicules qui
sillonnaient le territoire pour ravitailler en vivre frais, en matériel ou
en soutien technique les troupes combattantes installées sur le versant
opposé de l'île.
Elle-même se chargea de conduire quotidiennement les autorités vers
les différentes zones d'exercice, prenant au passage quelques leçons
de conduite en mode tout-terrain, tirant ainsi des larmes de
soulagement à ses passagers.
Le paysage de ces terres encore sauvages la fascinait terriblement et
lui coupait le souffle. La respiration des hommes assis à ses côtés se
crispait aussi pour des raisons assez différentes. Un peu comme dans
un manège où la nacelle négocie des virages et des descentes à une
vitesse vertigineuse, elle lançait sa P4 sur les chemins de terre rouge
avec la même aisance qu'une participante du rallye des Gazelles,
longeant les ravins en reproduisant avec application les sensations
délivrées par des montagnes russes.
Mais elle finit par s'interroger en constatant qu'à chaque arrivée,
quelque commandant ou colonel bondissait hors du véhicule comme
un chat coincé dans un panier à linge. Quand elle en surprit un à
genoux derrière un buisson pour embrasser le plancher des vaches,
elle saisit le message. Et garda le pied sur l'accélérateur tout le reste
du séjour !
Seule l'estomac d'Alix supportait bien les voyages chaotiques, aussi
l'accompagna-t-elle régulièrement, lors de petits dépannages.
Suivant les lieux où elle était chargée d'acheminer ses passagers, son
chemin croisa des groupes de militaires qui patrouillaient en pleine
nature. Elle remarqua même des guetteurs grimés d'un maquillage aux
couleurs du camouflage et dissimulés sous des couvertures de
feuillage. Mais si ses trajets l'amenaient régulièrement à proximité de
la zone où était stationnée la compagnie de Mickaël, elle ne le vit
pas de toute la semaine.
Ses pensées dérivaient bien trop souvent vers lui. Ce matin-là, quand
il lui avait montré sans fard l'ampleur de son désir, elle s'était cru
perdue. Il l'avait abandonnée, la laissant flageolante et le cerveau en
guimauve. Son attitude ne l'avait pas vexée. Elle était juste blonde et
un poil maladroite, pas une pintade innocente. Il avait fuit avant
d'exploser. Elle trouvait simplement dommage de n'avoir pu se
rapprocher ouvertement de lui avant son départ.
Un intense sentiment de frustration la tourmentait, particulièrement le
soir, allongée sur son lit de camp. Son besoin charnel de le revoir
devint plus puissant au fil des nuits. Sa sensualité éveillée ne
souffrait plus d'être laissée insatisfaite. Quelque chose lui disait que
la banquise était en train de fondre définitivement.
*****
Chapitre 10
Le dernier jour de manœuvre arriva si vite qu'elle eut l'impression
d'avoir laissé filer le temps sans s'en apercevoir. Emma contempla
l'immense bâtiment qui abritait le gymnase cerné de palmiers et
entouré de sommets plus vertigineux les uns que les autres. Cela
faisait l'effet d'une oasis de verdure et de civilisation au centre d'un
ancien cratère de volcan vieux de deux millions d'années.
Elle fut secouée de ses rêveries par la clameur d'un public en transe
en train d'encourager les sportifs qui se démenaient à l'intérieur de la
salle communautaire. Les militaires ayant assisté à l'exercice
Squales étaient arrivés plus tôt dans la matinée et avaient été sommés
de participer à des challenges sportifs amicaux, organisés pour
marquer la réussite finale des manoeuvres.
Enfin, l'occasion de retrouver Mickaël. Il lui plaisait, elle assumait
pleinement son attirance, aussi décida-t-elle pour la première fois de
sa vie de provoquer le destin en allant à sa rencontre. Elle ne s'était
jamais sentie aussi aventureuse qu'après avoir été incendiée par
Amélia à qui elle avait un jour appris la durée de son abstinence.
Cinq longues années sans être touchée, caressée, aimée jusqu'à
l'extase. Ah non erreur, ce dernier point n'avait jamais existé.
Émue à l'idée de le croiser, elle prépara un petit discours qu'elle se
répéta mentalement. Il fallait dévoiler son intérêt (première
difficulté) sans paraître y attacher trop d'importance en cas de rejet
(encore plus difficile) ! En gros, l'aborder et lui proposer avec
légèreté de se revoir au cours d'une sortie à leur retour sur Tahiti.
Portée par une audace qu'elle ne se connaissait pas, elle se mit
frénétiquement à sa recherche, dévisageant chaque militaire, scrutant
chaque groupe, observant les équipes de hand-ball qui se
dépensaient sur le terrain. Il n'y a avait aucune trace de l'adjudant
Ollier. Poussée dans ses retranchements par cette absence qui
commençait à l'inquiéter, elle interrogea un de ses collègues
rencontré sur le batral à propos de l'emploi du temps de la 1ère
compagnie.
— Tu ne les verras pas tous ici, c'est sûr ! Un petit détachement
participe à une cérémonie sur la plage de Taiohae. Ils sont sûrement
déjà là-bas pour se mettre en tenue.
— Ah mince... OK, merci, fit-elle, déconfite.
Le besoin de digérer sa déception la fit s'éloigner du gymnase devenu
soudain trop exigu et bruyant. Elle s'appuya sur une des barrières
délimitant un terrain de football situé plus bas où évoluaient d'autres
équipes militaires.
Elle avait appris plus tôt qu'ils ne feraient pas le voyage retour sur le
même bateau, et en avait conçu une petite amertume teintée de
panique. Il lui restait peu de temps pour établir un contact quel qu'il
soit, et elle avait de plus en plus l'impression que le destin lui mettait
des bâtons dans les roues.
Hé oh, Destin, regarde ailleurs pendant que j'essaie d'avoir une
vie amoureuse, ça m'arrangerait, merci !
Bing !
Le coup qu'elle reçut dans l'épaule la fit grimacer, et la sortit
brutalement de ses pensées. Emma balaya du regard les joueurs en
contre-bas pour identifier le coupable, celui-là même qui allait
manger le ballon de foot qu'elle venait de ramasser pour le lui réexpédier en plein visage.
Il veut quoi le grand machin qui agite le bras ?
Ajustant sa vision éblouie par le soleil, elle poussa un petit
couinement d'émotion en reconnaissant son agresseur. Elle n'avait
pas prêté attention à la file indienne descendue du gymnase et
longeant le terrain de sport à proximité des footballeurs.
Quand Mickaël fut sûr d'avoir été remarqué, il lui fit un clin d'oeil
entendu. Puis il rejoignit ses camarades qui continuaient leur route
vers la plage.
Affolée à l'idée de l'avoir manqué, elle prit à peine conscience de se
faire copieusement siffler avant de libérer le ballon dans lequel elle
avait imprimé ses empreintes. Peu à peu, les joueurs se mirent à
siffler de manière différente, ne laissant aucun doute sur leurs
intentions. Deux petites semaines de privation sexuelle était la limite
à ne pas dépasser chez certains d'entre eux. Alix surgit à ses côtés en
râlant contre les mâles en rut.
— Venez sergent, autant aller voir la cérémonie au village. Ici, il y
en a qui sont mûrs pour nous arracher nos petites culottes avec les
dents !
La jeune subordonnée jeta un regard stupéfait vers sa supérieure
avant de s'esclaffer. La très pudique adjudant Lemaire parlait de
dessous en dentelle sans piquer un fard ? Mazette, la révolution des
jarretelles est en marche !
Elles descendirent rapidement vers le bord de l'eau où de nombreux
militaires s'étaient joints au public pour assister à la cérémonie.
Évoquant les soldats locaux tombés au combat au cours de la
Seconde Guerre Mondiale, la solennité de la prise d'armes alliée à la
douceur de vivre des Marquises donnèrent un caractère unique à la
commémoration, entre simplicité et émotion.
Après la dislocation du dispositif, l'adjudant Ollier jeta un coup
d'oeil circulaire, et l'ayant repérée parmi les badauds, alla
directement à sa rencontre en la saluant d'un regard brillant, ce qui
n'échappa pas au sergent.
Alix s'éclipsa en prétextant devoir intercepter un camarade qui
discutait un peu plus loin.
— Alors, cette manœuvre ?
— Super, j'ai adoré ! répondit Emma avec plus d'excitation qu'elle
ne souhaitait laisser transparaître. Bon c'est vrai désormais je
connais le petit surnom de chaque caillou sur chaque piste, vu le
nombre de fois où je les ai arpentées !
— Il me semblait bien t'avoir vue lutter contre le volant de ta P4 ! la
taquina Mickaël. Et finalement, qui a gagné ?
— Hum... commença Emma en faisant mine de se concentrer
intensément, je dirais que les adversaires ont fini par trouver un
compromis.
— Une mission sans conduire ?
— Nan ! Une autre P4 !
Il éclata d'un rire franc qui fit accélérer le débit sanguin de la jeune
femme.
— J'aime t'entendre rire ! lança-t-elle spontanément.
Sa réflexion stoppa net l'hilarité de l'homme qui la fixa soudain d'un
air brûlant.
Ouuuh fait chaud ou c'est moi ?
— Heu... je... heu... enfin je voulais, si tu es d'accord... comment
dire ? Bref... bafouilla-t-elle, perdant son assurance peu à peu en
remontant ses lunettes sur son nez avec nervosité.
Mickaël sentit une immense bouffée de tendresse le saisir et tritura le
bout de papier qu'il avait préparé à son intention. Sa poupée blonde
tentait vainement de lui dire quelque chose, des mots qu'il espérait
entendre depuis des jours, voire des semaines. Allez, un petit effort
ma belle, tu y es presque, dis-les moi !
Emma respira plus calmement, reprenant le contrôle de son corps et
de ses idées. Son désir était limpide, au point de lui faire sa demande
au comble de l'agitation intérieure. cela se traduisit par le gel de
toutes ses émotions en surface.
— J'aimerais bien qu'on se prévoit une sortie à notre retour. En amis.
Ou plus. Enfin... si tu es d'accord.
Désarçonné par le ton glacial de sa proposition pourtant ouvertement
aguicheuse, il resta silencieux. C'est alors qu'il remarqua le léger
tremblement d'une de ses mains qu'elle ne parvenait pas à masquer. Il
la saisit et y glissa le papier où était inscrit son numéro de portable.
— J'en ai très envie, Emma. J'avais prévu de tenter ma chance pour
être honnête. Appelle-moi dès que tu le souhaites.
En réponse, il reçut un sourire si lumineux qu'il ne résista pas au
plaisir de toucher sa peau en lui caressant furtivement la joue et la
nuque d'un geste d'une tendresse infinie. Ça lui parut si naturel qu'il
n'en réalisa pas immédiatement la signification. Il tenait déjà à elle,
et voulait vraiment mieux la connaître.
Un de ses amis les rejoignit à cet instant, se raclant la gorge pour
signaler sa présence.
— Salut, Emma. Heu, Micka, on se rassemble près du port, le
capitaine veut nous faire embarquer le plus rapidement possible. Une
nouvelle mission vient de tomber pour la compagnie.
Mickaël lui emboîta le pas, avant de se retourner vers Emma et de lui
lancer avec un sourire navré :
— Appelle-moi, Em, je serai toujours joignable !
*****
Chapitre 11
À leur retour des îles Marquises, Emma n'attendit pas avant
d'appeler Mickaël. Elle estimait stupide de devoir se conformer à
des règles en matière amoureuse. Son inexpérience la gardait de
certains calculs un peu pathétiques. Aussi s'en affranchit-elle sans
complexe. Tergiverser et faire languir l'autre pour coller à des
diktats politiquement corrects ne correspondait pas à sa conception
du plaisir partagé. Lui-même la voulait autant qu'elle le désirait, et
ne s'en cachait pas plus.
Leurs longues conversations téléphoniques renforcèrent chaque jour
un peu plus l'attirance qu'ils éprouvaient et firent monter un peu plus
la tension entre eux.
— J'ai envie de te voir Em. Je ne pensais pas que ce serait aussi
soudain, mais rien qu'au souvenir de l'épisode sur le bateau, je
deviens fou !
— J'ai beaucoup pensé à toi Mickaël. Pendant la manœuvre, c'était
terrible. livra-t-elle, les joues en feu, en jetant un rapide coup d'oeil
aux alentours pour vérifier que des témoins inopportuns n'assistaient
pas à son embrasement.
— C'est pénible de devoir attendre. Notre mission n'en finit pas ! On
devrait boucler ça dans quelques jours, mais la semaine me paraît
interminable. J'imagine ta peau sous mes doigts, ton parfum, ton
corps collé contre le mien... Aaaargh !
— Attention de ne pas brûler les étapes. le taquina-t-elle. Ne
devrait-on pas sortir au restaurant, aller danser, se promener sur la
plage et ne parler de sexe qu'au troisième rendez-vous ?
— Hé oh, on est jeune et en bonne santé ! Tant que la machine
fonctionne, faut s'en servir. Et à l'idée des choses que j'ai envie de te
faire...
— Ooooh. Ça va trop loin, le coupa-t-elle. Je ne suis pas prête à
entendre ça avant ma deuxième tasse de café !
— Et moi je suis en train de passer pour un con avec ma trique au
beau milieu de la jungle !
Parfois, leurs échanges se contentaient de sujets plus consensuels et
moins bouillants. À chaque fois, ils en apprenaient plus l'un sur
l'autre, leur faisant simplement regretter de ne pas vivre ces
conversations côte-à-côte, comme sur le batral. Elle avait hâte de le
revoir, mais leurs emplois du temps respectifs différèrent leur
rencontre au delà de Noël.
Les deux sections de tournants ne réalisèrent que très tard la
proximité des fêtes de fin d'année. De nombreux permanents
s'apprêtaient à rentrer en métropole retrouver les familles laissées
sur place, et un sentiment d'abandon étreignit peu à peu les restants.
Ils seraient les seuls résidents du régiment durant une grosse semaine
pendant laquelle ils monteraient aussi la garde. La perspective d'être
loin de leurs proches durant cette période acheva de faire baisser le
moral.
Préoccupé par l'état d'esprit moins enthousiaste de sa troupe, le
capitaine Gredon entreprit de les occuper en organisant des activités
moins conventionnelles. Avec le concours de son équipe de
commandement, il mit en place des excursions et monta des séances
d'entraînements en se servant des sports typiques de Tahiti ;
navigation sur les pirogues locales les Va'a, plongée dans les fonds
transparents et randonnées à travers l'île. Ça renforça la cohésion et
créa une meilleure ambiance dans les rangs.
Cet aspect humain et attentif au bien-être de son personnel poussa
plusieurs militaires à aller voir Emma, afin qu'elle recueille leurs
cotisations et choisisse un cadeau de la part de tous les autres.
Touchée par leur confiance, elle se mit en quête du présent idéal
pour un célibataire endurci au cœur tendre. L'ayant entendu pester
contre celui qu'il avait brisé au cours d'une sortie terrain, elle se
rabattit sur un lecteur MP3. Alix se chargea de le sonder sur ses
goûts musicaux avec une conception de la discrétion toute
personnelle. Aussi put-elle compléter le cadeau en téléchargeant
directement les différents morceaux qu'il aimait écouter.
Restait désormais la manière la plus amusante de le lui offrir et d'en
faire profiter tout le monde lors de la découverte. Elles firent le plein
de viennoiseries et de boissons qu'elles prévirent d'installer au petit
matin après leur expédition nocturne.
— Certes vous êtes plus fine, sergent, mais si on se fait prendre, je
préfère assumer le gros de la responsabilité, c'est le cas de le dire !
Et c'est moi l'chef d'abord !
— Si on nous surprend, nous tomberons toutes les deux, donc autant
que ce soit moi qui grimpe ! À votre grand âge, faudrait pas attraper
un tour de reins !
— Insolente petite chose ! Je vous apprendrai le respect moi ! Hors
de question, et je dirai que je vous ordonné de le faire. De toute
façon, à 2 heures du matin, je doute qu'on ait de la visite.
Deux ombres se glissèrent dans le secrétariat de la compagnie,
sursautant au moindre bruit suspect. Emma se hissa à travers la
trappe séparant le local du bureau du commandant d'unité.
— Han flûte, mes fesses ne passent pas !
— Quelle surprise !
— Sergent, il suffit, veuillez respecter les vieux, ils paieront votre
retraite !
— Heu adjudant, sauf votre respect, ça me fait quand même bizarre
de m'adresser à vos fesses...
Se trémoussant pour se dégager, Emma parvint de l'autre côté avec le
short quasiment aux genoux. Moins un point pour ma dignité.
Le sergent pris d'un fou-rire monumental tenta vainement d'étouffer
ses couinements pendant qu'Emma suspendait des guirlandes et des
boules en verre filé trouvées à l'hypermarché du coin. Puis elle posa
un petit paquet enrubanné bien en évidence sur le fauteuil, et scotcha
sur l'écran de son ordinateur portable une lettre anonyme fabriquée
avec des mots découpés dans divers magazines.
« Mon cher petit Stéphane,
je sais que certains te sollicitent pour le T.A. en fin d'année comme
cadeau,
Mais c'est moi, le Père Noël !!!
Donc je reprends mon business.
Réveillonne bien...
Et joyeux moi-même ! »
Un flash puis un deuxième vinrent immortaliser la scène, avant que le
commando à nattes blondes ne se faufile de nouveau par le passe-plat
séparant les deux pièces.
— Forfait accompli ! gloussa l'ombre en sautant de l'autre côté.
— Et si on nous demande, on niera avoir eu connaissance des
agissements des terroristes de la guirlande !
— Cela va sans dire !
Les deux jeunes femmes regagnèrent leur chambre en ricanant comme
des adolescentes.
— Adjudaaaaant ! Qu'est-ce que c'est que ce truc ? Vous n'auriez pas
quelque chose à me dire ?
Le capitaine Gredon, la tête et le bras passés par la trappe, agita la
lettre anonyme du bout des doigts.
Cachant son sourire alors que des témoins présents dans le
secrétariat se regardaient entre eux, interloqués, Emma se composa
un visage sérieux et fixa son supérieur comme s'il tenait une
chaussette sale.
— Plaît-il ?
— Bien sûr, vous n'êtes pas au courant d'une infiltration dans nos
locaux cette nuit ? fit-il d'un ton doucereux.
— Je ne vois pas de quoi vous parlez, mon capitaine. Et comment
aurais-je pu me glisser par une ouverture aussi étroite ? Soyons
sérieux. On vous a sûrement emprunté vos clés pour commettre
cette... plaisanterie de mauvais goût, dit-elle en reniflant d'un air
hautain, semant le doute dans l'esprit de son supérieur.
— Mouais, vous ne perdez rien pour attendre, je sais que derrière
cette image innocente se cache une Mata Hari ! Je saurai un jour, je
saurai ! répondit-il en se tournant pour saisir le paquet encore
emballé.
— Et ça, c'est de la poudre de perlimpinpin ? Oooooh mince alors !
Un cri de surprise accompagna la découverte du lecteur de musique.
— Adjudaaaaant ! Cette fois je suis certain que c'est vous ! Avec le
sergent Pareau !
— Et le reste de la section commandement mon capitaine !
fanfaronna triomphal l'adjudant Dutilleux, gonflant les pectoraux.
— En fait, toute la compagnie est responsable ! tempéra Emma.
Le capitaine surgit par la porte principale, avec le petit matériel
électronique en main, les yeux pétillants de malice, en agitant un
doigt sous le nez de sa subordonnée.
— Vous êtes une sacrée comédienne !
— Et pour clore la représentation, nous vous convions à un en-cas,
finit le sergent en poussant gentiment le commandant d'unité vers le
préau où attendait la troupe devant une grande table dressée pleine
de victuailles.
— Sacrée équipe que vous avez là mon capitaine ! lança un nouveau
venu inattendu.
— Mes respects, mon colonel. Oui la meilleure, sans aucun doute !
confirma Gredon, surpris de tomber nez à nez avec le colonel
Durville, chef de corps du régiment TDM.
Il était de tradition de convier les autorités d'un régiment aux
événements de ce type, aussi quelques jours auparavant, l'adjudant
Lemaire s'était rendue au PC pour lancer officiellement l'invitation.
Le colonel avait accepté d'y faire un saut avant d'attraper son avion
pour rentrer en métropole.
Il ne se fit pas prier pour lancer les festivités.
— Bien, bien, bien. Il n'y a plus qu'une chose à dire ; la main dessus !
*****
Chapitre 12
— Oui je le reconnais. Cette robe est jolie. Dans le genre Marilyn
porno...
— Ne soyez pas si casse-pied ! Elle est sublime et vous êtes canon
dedans !
— Merci, sergent, vous êtes la bonté incarnée. A propos. Respirer
là-dedans, c'est en option ?
— Pfiouuu, on peut vous trouver un col-roulé si vous préférez !
Allez, c'est la fête ! Et puis regardez ma jupe, ça c'est de l'indécent !
fit Alix en tournant sur elle-même pour faire admirer le mouchoir qui
lui servait de top et le bout de tissu ras-la-conscience qui faisait
fonction de jupe.
Emma la trouva ravissante et vraiment très sexy. Peut-être trop dans
un contexte professionnel, mais la fraîcheur de la jeune femme
atténuait le côté sulfureux de la tenue. Elle détailla son propre reflet
renvoyé par l'unique miroir placé à côté de la cabine d'essayage.
Le tombé de la robe était suffisamment fluide pour se balancer sur
ses genoux lorsqu'elle bougeait. La tenue laissait son dos nu et offert,
et ne souffrait pas du port d'un soutien-gorge. Sans s'appeler Mae
West, elle était loin d'être dépourvue mais sa poitrine plutôt
généreuse arrivait tout de même à se maintenir haut perché malgré les
lois de la gravité. Un bon point pour la coupe.
Elle était plus ennuyée par la mise en évidence d'un complexe de
taille. Un fessier charnu moulé comme une seconde peau par le tissu,
sans espoir de passer inaperçu. Mais plus elle évoluait dans la robe
noire aux fils d'or, mieux elle se sentait. C'était effectivement la
quintessence de la féminité. Casser l'ensemble en portant des tongs
avait un petit côté transgressif qui ne lui déplaisait pas, et après tout,
c'était un peu l'uniforme local !
Et exceptionnellement, elle allait se passer de son dernier rempart ;
sa paire de lunettes. Myope dernier degré, elle risquait de faire la
conversation à un arbre, mais elle voulait se défaire de son image
sérieuse pour la soirée.
— Bon, d'accord, je la prends, céda-t-elle sous les applaudissements
satisfaits de sa collègue et le soulagement de la vendeuse.
— J'en connais un qui va tomber raide !
— Je ne vois pas de qui vous parlez.
— Pas partageuse, hein ? En même temps, je vous comprends.
Mâchoire carrée, lèvres sensuelles, yeux verts perçants et corps de
chippendale... j'en donne deux mille !
— Hum. Deux mille euros, ce n'est pas cher payé pour un spécimen
de cette qualité, répondit Emma, se prenant au jeu.
— Pas deux mille euros. Deux mille chameaux !
— Oh, à ce prix-là, j'espère qu'il fait la vaisselle ! plaisanta-t-elle.
Elle songea à la réaction de Mickaël.
Allait-il la trouver à son goût, ou trop vulgaire ?
N'ayant pu se rendre à Arue avant le premier de l'an, il l'avait
conviée au bal organisé par sa compagnie à l'autre bout de l'île.
D'autres personnes du régiment y ayant été invitées, un véhicule de
transport en commun avait été affrété pour l'occasion.
Le voyage vers Taravao lui parut interminable. Elle était sur des
charbons ardents, pendant que les autres passagers du mini-bus
s'égayaient en discutant de manière animée ou en braillant le dernier
tube qui passait sur les ondes.
Mickaël était le premier homme qu'elle fréquentait à lui plaire autant.
Bien qu'il fut trop tôt pour parler d'amour, elle s'était sentie
foudroyée en le dévisageant, ce qui ne lui était encore jamais arrivé.
L'attirance était palpable, réelle et réciproque. Il n'y avait plus
d'ambiguïté à ce propos. Et bien que certains aspects de son état de
célibataire endurci un peu macho l'aient déconcertée, notamment sa
vision des femmes au sein de l'Institution dont il ne s'était pas caché,
elle avait envie de foncer sans crainte du qu'en dira-t-on.
Dans le véhicule, les bouteilles circulaient déjà, et elle accepta sans
rechigner la canette neuve d'un cocktail de fruits et de rhum local très
prisé. La boisson s'insinua dans son corps et lui fit l'effet de la lave
coulant à flanc de montagne. L'alcool lui échauffa les sens et elle se
détendit en prenant enfin part aux conversations des autres militaires
féminins.
Lorsqu'ils arrivèrent au gigantesque faré ouvert en bois où la
compagnie avait organisé le bal, Emma et ses camarades furent
enchantés par la profusion de fleurs et de couleurs utilisées pour la
décoration. Pour la peine, ils se seraient tous vraiment cru en
vacances au Paradis, et non en mission !
Les nouveaux venus furent accueillis comme des rois par leurs
homologues permanents, ravis de côtoyer des personnes qui leur
faisaient un peu passer le mal du pays en racontant les dernières
nouvelles de la métropole. Les premiers verres circulèrent, les rires
fusèrent de plus belle, et la musique résonna plus fort dans la
brûlante nuit polynésienne.
Mickaël était en train de plaisanter avec quelques potes lorsqu'il la
remarqua. Elle était stupéfiante de sex-appeal. Il pensa "au feu !" et
n'eut qu'une idée en tête ; trouver une cargaison de préservatifs et se
rouler dans le stupre avec elle.
Ses amis finirent par le chambrer quand ils notèrent son intérêt
ininterrompu pour la blonde pulpeuse qui cherchait visiblement
quelqu'un, sondant les lieux de la fête en survolant du regard la foule
de danseurs qui se trémoussaient au son d'un air joyeux de ukulélé.
Sans ses lunettes, elle ne devait pas reconnaître grand monde. Ses
copines s'étaient attablées et profitaient du buffet en devisant avec
agitation. L'alcool coulait à flot. Les filles n'étaient pas les dernières
à lever le coude. Cela le surprenait toujours.
Une de ses camarades venait de lui tendre un deuxième verre qu'elle
avait de nouveau accepté. Il les avait compté, faisant semblant de
s'intéresser à la logorrhée d'un vieux major contant ses campagnes. Il
surveillait d'un oeil son changement d'attitude. La chaleur de l'île
jouait aussi facilement sur les nerfs que sur la soif, au risque de lui
laisser faire des conneries une fois trop imbibée.
Il était hors de question qu'un autre se permette de l'approcher de
trop près. Mais il fallait sonner la charge avant qu'elle ne sombre
dans un coma éthylique ! Il interrompit son collègue lancé dans un
délire guerrier, pour se diriger vers le petit groupe qui riait et
aguichait ostensiblement les célibataires de sa compagnie. Ça
commençait à jouer des coudes autour de leur table.
Elle se tenait un peu en retrait, debout appuyée contre un tabouret de
bar, souriante et légèrement pensive. Il se glissa derrière elle, posant
les mains sur l'assise pour se pencher et approcher ses lèvres à
hauteur de son oreille. Lui murmurant un bonsoir d'une voix rendue
un peu rauque par l'émotion, il vit ses épaules se figer, alors qu'elle
tournait légèrement la tête sans le regarder franchement.
— Bonsoir, Mickaël.
— Tu m'as reconnu, c'est plutôt flatteur.
— Ton approche est caractéristique ; directement indirecte.
— Tu es saoule, Emma, rit-il en comprenant malgré tout l'idée
qu'elle souhaitait transmettre.
Il s'aperçut qu'elle se laissait aller vers lui, son dos se détendait et
penchait à sa rencontre. Irrésistiblement aimanté par cette nuque qui
le captivait de son parfum délicat, il darda sa langue vers le cou et la
fit courir sur quelques centimètres. Elle frissonna en gémissant,
attirant l'attention de quelques convives à proximité.
— Une crampe ! expliqua-t-elle pour justifier sa réaction, en
montrant le pied qu'elle s'était empressé de dénuder.
Il se mit à rire doucement et n'hésita pas à faire de nouveau courir sa
bouche contre cette peau soyeuse pour sentir la chair de poule de sa
proie. Beaucoup de militaires étaient venus en famille ou en couple,
et ils n'étaient pas en service. C'était une belle soirée, aussi ne
s'appesantit-il pas sur les inévitables ragots que leur comportement
allait engendrer. Ils n'étaient que des humains après tout, mus par une
attraction animale extrêmement puissante.
— Danse avec moi, souffla-t-il à son oreille avant de contourner le
tabouret et de se planter devant elle en tendant une main.
Elle n'hésita pas un instant et l'agrippa comme si son équilibre en
dépendait. C'était peut-être le cas après tout ! Elle le lui confirma en
se scotchant à lui pour éviter de s'écrouler sur la piste. Il était
partagé entre désir, tendresse et hilarité. Mais ses déhanchés mirent
vite ses sens au supplice. Totalement désinhibée, elle ondulait
lascivement, consciente de ne pas donner l'image de l'innocence
incarnée. Elle s'en fichait, sa réputation lui pesait depuis trop
longtemps, il était temps de se dévergonder. Elle lui chuchota
coquine :
— Tu bouges comme si tu faisais l'amour.
— Qu...quoi ?
— Tu es sexy quand tu danses, c'est très érotique.
— Oh merde, Emma, on ne va pas tenir longtemps comme ça !
grommela-t-il excité et un peu nerveux par la tournure très concrète
que prenaient les évènements. Il n'attendait que ça depuis des
semaines, et au pied du mur, semblait se dégonfler. À moins que ce
ne fut son état d'ébriété manifeste qui lui donna des scrupules.
— J'ai envie de toi. Saute-moi là tout de suite !
— Waouh, c'est officiel, tu es bourrée !
— Arrêêêête. Je suis encore consciente de mes actes.
— Tu saisis peut-être moins la portée de tes mots.
— Non, je sais ce que je dis et je le pense vraiment, ce sont juste
mes barrières morales qui tombent.
— Viens avec moi, on va te passer un peu d'eau sur la nuque pour te
rafraîchir les idées.
L'entrainant vers les toilettes sous les regards goguenards de certains
militaires, il résista à l'envie de la prendre n'importe comment une
fois arrivés sur place. Elle geint de bien-être quand il lui passa une
serviette en papier imbibée d'eau froide sur les épaules et le cou.
Cette marque d'abandon attisa un peu plus la brûlure qui menaçait de
consumer ses reins. Il suspendit son geste, contenant à grand peine
ses pulsions.
Prenant enfin conscience de l'homme tétanisé derrière elle, esclave
de son regard par le biais du miroir qui leur permettait de se fixer,
elle réalisa à travers les vapeurs alcoolisées qu'elle s'apprêtait à lui
sauter dessus. Elle recula jusqu'à coller leurs deux corps, et sentit
l'érection d'importance qu'il n'arrivait plus à dissimuler. Ce pouvoir
évident sur le désir d'un homme aussi torride, fouetta son propre
appétit.
Ils se réfugièrent à l'extérieur, à couvert des arbres contre un
bâtiment en pierre éloigné des réverbères. Il se laissa guider, lui
laissant la décision d'aller plus loin. Devant son étrange apathie,
Emma s'interrogea rapidement sur la conduite à suivre. Son coeur
tambourinait, ses jambes étaient mal assurées, mais forte d'une
confiance en soi temporairement acquise, elle se fit toujours plus
audacieuse.
L'amenant jusqu'à elle en tenant les bords de sa chemise, elle toucha
ses lèvres de sa langue. Sa bouche était chaude, fondante comme une
friandise. Il ne put s'empêcher de capturer le petit bout de muqueuse
qui tentait de s'insinuer à la rencontre de la sienne. Elle gémit de
volupté, et soudain la tempête se déchaîna.
Il avait envie de la dévorer toute crue, rendu complètement accro par
son contact. Dominé par son désir, Mickaël la coinça contre le mur et
continua à l'embrasser, butinant ses lèvres à la découverte de sa
saveur. Il captura tendrement sa nuque d'une main tout en posant
l'autre contre la surface rugueuse, empêchant la tête de la jeune
femme d'être en contact brutal avec le bâtiment. Profitant d'un court
répit pour reprendre leur souffle, l'homme faufila une main entre eux
pour s'aventurer sous la robe. La faisant remonter de ses hanches à
ses fesses, il les attrapa pour la rapprocher de lui et presser son
corps tout contre son entrejambe tendue.
— Je te veux. En moi. Maintenant. souffla-t-elle directe, ce qui le
laissa sans voix.
Il n'était pas doué pour les mots, mais les siens le rendaient brûlant.
Il déboutonna son jean et lui attrapa la main pour la guider sous son
boxer, afin qu'elle emprisonne de sa paume chaude sa hampe gonflée.
La jeune femme passa le pouce sur le prépuce pour le repousser et
découvrir la douceur du gland sur lequel perlait déjà une goutte de
liquide séminal.
Bien qu'elle lui brûlât les entrailles, sa décision fut prise quasi
instantanément. Il la voulait entière et consciente, aussi s'exclut-il
d'aller jusqu'au bout, tout en s'étonnant de souhaiter que le moment où
ils feraient enfin l'amour soit parfait, et non un coup rapide contre un
mur.
En attendant, il lui intima presque suppliant de continuer à le torturer
délicieusement. Elle s'exécuta avec application, attentive aux
réactions de son amant pour mieux lui plaire. Il reprit ses lèvres
d'assaut, en profita pour porter ses propres doigts jusqu'à sa fente, la
découvrant merveilleusement humide. Elle hoqueta sous la caresse et
ne se reconnut pas quand elle lui murmura d'une voix éraillée :
— Prends-moi.
Mickaël respira un grand coup et lui murmura en alternant les
baisers :
— Non, pas comme ça. Je veux qu'on en profite plus longtemps. Je
veux te faire hurler de plaisir et recommencer autant de fois que tu le
voudras. Tu mérites mieux que d'être prise dans le noir vite fait.
— Petit allumeur, gloussa-t-elle. Mais attends... on peut se donner du
plaisir quand même. Non ? J'en ai tellement envie ! répondit-elle sur
un ton encore plus coquin.
— Oui ! Mon Dieu oui, on peut se faire du bien mutuellement !
Son sourire mutin acheva de le faire plonger. Rendu fou par son
besoin d'être en elle tout en s'interdisant de le faire, il la hissa afin
qu'elle soit à la hauteur idéale pour que leurs sexes se touchent. La
maintenant contre lui d'une main sous les fesses alors qu'elle avait
passé ses jambes autour de ses hanches, il guida son membre de son
autre main à l'orée de sa chatte trempée. Laissant la fine culotte bien
en place pour empêcher l'accès à son intimité, il imprima une légère
poussée en simulacre de pénétration.
— Oh c'est trop bon, gémit-elle alors qu'il grognait de satisfaction.
Après des jours à fantasmer sur elle et à se masturber avec ardeur en
songeant à ses seins, à sa croupe voluptueuse à ses yeux fascinants et
à la douceur de sa voix quand elle se détendait, elle s'offrait enfin à
lui. Oui, rien n'interdisait de s'offrir un aperçu d'une relation aboutie
en satisfaisant ses instincts.
Mais le besoin de la posséder fut soudain trop puissant pour qu'il
parvienne à garder le contrôle de ses mouvements. Il se mit à
accentuer ses frottements à grands coups de bassin. Son souffle se fit
hiératique au fur et à mesure que le plaisir remontait de son pénis
jusqu'au cerveau.
Elle n'imaginait pas qu'il fut possible de vivre une telle expérience
charnelle. La douleur de son dos râpé par le mur malgré la main qu'il
avait posée de nouveau entre la surface et elle, n'était rien en
comparaison des sensations stupéfiantes que ce va-et-vient lui
infligeait. L'idée de partager ce moment intense avec lui la mettait
dans tous ses états. Il agissait sur elle comme une drogue. Le coup de
foudre qu'elle avait ressenti sur le bateau ne s'était pas démenti. Il lui
donnait envie de fondre, de fusionner complètement.
Un fourmillement étrange et délicieux se diffusa dans son bas-ventre.
Soudain et sans qu'elle n'ait pu anticiper les effets, elle sentit des
spasmes contracter son vagin, lui ouvrant enfin la voie vers la
délivrance.
— Mick... Mickaël, ne t'arrête pas !
Il gronda en retour, mais ralentit tout de même la cadence, électrisé
par les petits cris de jouissance et les légères pulsations de plaisir
qu'il percevait à travers la barrière de dentelles de sa tendre
partenaire. Cessant de bouger totalement, il sentit sa sève quitter ses
testicules et remonter avec une vigueur phénoménale. Il attrapa
rapidement sa queue pour la diriger vers le sol, enfouissant son
visage dans le cou moelleux qui se tendait vers lui.
— Oui... Oh oui, je viens ! Oooooh ! gémit-il longuement, parvenant
à l'orgasme à son tour.
Après quelques minutes, Emma se dégagea avec douceur de l'étreinte
de son amant qui la reposa à terre, incapable de raisonner après le
feu d'artifice qu'elle venait de vivre. Elle essaya de se recomposer
un aspect un peu plus présentable.
Stupéfait par la force de son extase, Mickaël était lui-même en
déroute. Il n'y avait pas de retour en arrière possible, il s'estimait
prêt à entamer une véritable liaison avec elle. Cela aurait dû lui
paraître absurde voire ridicule de s'emballer pour si peu. Après tout,
ce n'était pas la première femme qu'il touchait. Mais une certitude
grandissait en lui sans qu'il n'ait envie de la réfréner ; le peu qu'elle
voudrait bien lui accorder, il le prendrait.
— Reste avec moi cette nuit, la pria-t-il.
— Ce... ce ne serait pas raisonnable. estima-t-elle, dégrisant presque
d'un coup.
Étrangement, ce fut à son tour de reculer l'échéance. Peut-être
effrayée par la rapidité de leur relation, ou son intensité.
— Pourquoi ? C'est le week-end, tu ne bosses pas demain et je
pourrai te ramener en voiture en fin d'après-midi si tu veux. Et tu
auras enfin un peu récupéré...
— Je ne peux pas. Je... je n'ai rien pris pour me changer, réponditelle en se pinçant mentalement d'avoir trouvé un prétexte aussi crétin.
Prenant une grande inspiration, elle continua en voyant l'homme
s'assombrir.
— Mais si tu veux bien, on peut passer une journée à Papeete le
week-end prochain.
Son beau visage aux traits masculins retrouva sa gaieté et la lueur de
convoitise qui brilla dans ses yeux fut sans équivoque.
— Ok. Une journée de balade en ville. Avec une nuit complète petitdej compris à l'hôtel, et plus si affinités. Ensemble évidemment.
répliqua-t-il d'un ton qui n'admettait pas la contradiction.
Et voilà ma fille, tu te jettes dans le grand bain sans ta bouée
canard cette fois. Remarque, il y a quand même pire dans la vie !
— Je suis d'accord.
*****
Chapitre 13
La semaine lui parut s'étirer durant des siècles. Le retour vers le
régiment n'était qu'un souvenir vague empreint d'euphorie. Le réveil
avait été légèrement moins agréable. Ayant traîné une gueule de bois
tout le week-end, elle se promit d'être plus raisonnable à l'avenir.
La seule activité rompant avec un quotidien ronronnant fut une séance
de tir Balplast organisée au profit de la compagnie. La jeune femme
se rendit vite à l'évidence ; son famas tirait dans les coins et refusait
systématiquement d'atteindre sa cible d'origine. Face à ses
performances désastreuses, elle rouspéta pour la forme contre son
fusil qui ne méritait qu'une réforme en bonne et due forme ; saleté de
flingue !
Alix, fine mouche, à qui n'avait pas échappé son long intermède avec
l'adjudant Ollier le soir du bal, s'était gardée de tout commentaire
jusqu'à présent. Mais le vendredi midi avant de finir son service, elle
l'interrogea l'air de rien avec la subtilité d'un mammouth à peine
décongelé qui découvre le vingt-et-unième siècle.
À la posture plus raide d'Emma et surtout à l'étincelle de ses yeux qui
fit descendre la température de plusieurs degrés, le sergent comprit
que sa supérieure était saisie d'une vive émotion. Intuitive, elle avait
rapidement pris la mesure du caractère de l'adjudant Lemaire. Ce que
les autres prenaient pour du mépris ou de l'indifférence était en
réalité l'expression surprenante d'un intense chamboulement intérieur.
Emma givrait, littéralement, ce qui lui évitait de laisser ses
sentiments transparaître. Il s'agissait d'un réflexe de défense instinctif
chez une femme toute en retenue. De fait, le sourire doux qui éclaira
son visage se passa d'explication. Alix comprit immédiatement le
message et sourit à son tour.
— Oh. Alors je vous souhaite un excellent week-end à tous les deux !
Emma s'était assise sur un petit banc dans le parc jouxtant le
régiment. A l'ombre du feuillage, la chaleur était supportable. Son
corps s'était habitué aux températures tropicales de la Polynésie. Sa
peau dorée, la fleur de frangipanier accrochée à son oreille, son
attitude plus nonchalante et sa tenue simple en tongs et short en jean
la faisait désormais passer pour une résidente de l'île. Elle profitait
du chant des oiseaux et de la douceur de vivre du coin lorsqu'une
petite Honda se gara à proximité.
Mickaël avait adopté le même code vestimentaire, son tee-shirt blanc
mettant simplement en valeur une musculature bien développée et
bronzée qui faisait ressortir le tatouage tribal qu'il s'était récemment
fait faire sur les deux biceps. Il était à tomber avec ses cheveux
courts en bataille, mais à en croire sa gaucherie lorsqu'il la rejoignit,
elle se demanda s'il était réellement conscient de son physique à cet
instant.
Pris d'un accès de timidité, il la salua d'une bise appuyée sur la joue.
En voyant son air étonné et son tendre sourire, il n'hésita pas plus
longtemps et la prit dans ses bras pour lui voler un véritable baiser,
enlacés sous les yeux des autres militaires qui passaient à proximité.
Le trajet en voiture jusqu'à Papeete fut rapide. La circulation dense
des pick-up rutilants et autres Posche Cayenne ne bloquait pas trop le
trafic en ce début d'après-midi. Après s'être garés près du port, ils
cheminèrent à travers la ville, profitant de la compagnie de l'autre.
En plus des quelques discussions qu'ils avaient eu sur le bateau, ces
échanges libérés des contraintes professionnelles confirmèrent leur
inclination mutuelle.
Il la trouva toujours plus craquante, elle apprécia particulièrement
son humour un peu bougon et son côté solide très rassurant. Leurs
mains se frôlaient régulièrement, jusqu'à ce que n'y tenant plus, elle
attrape la sienne pour ne plus la lâcher. Il porta à plusieurs reprises
ses doigts à ses lèvres pour en baiser le bout, signe évident d'une
tendresse qui se faisait plus présente au fur et à mesure de leur
balade.
Le couple naissant visita le marché couvert, qu'il apprécièrent de
parcourir à deux, sous un regard neuf. Les parfums du marché aux
fleurs émerveillaient toujours puissamment Emma qui rêvait devant
cette profusion de couleurs et de senteurs exotiques. Puis ils allèrent
d'une boutique de perles à l'autre, s'amusant à la vue de souvenirs et
bibelots en bois ou nacre typiques, de paréos et de produits locaux,
se repaissant de l'ambiance fourmillante et joyeuse du lieu.
Plus la journée passait, plus Mickaël affermissait son opinion. Emma
était sans aucun doute la première femme dont il était en train de
tomber amoureux. Il commençait juste à se familiariser avec toutes
les sensations qui l'assaillaient à son contact.
Ils dînèrent sur les quais, où plusieurs roulottes étaient installées. Le
chow mein était délicieux, la soirée était jusqu'à présent parfaite en
tout point.
Emporté par son enthousiasme, Mickaël trépignait à l'idée de passer
à la vitesse supérieure. Il se voyait presque lui passer la bague au
doigt après lui avoir fait follement l'amour. Et pourquoi pas acheter
un avion super-sonique tant que j'y suis ?
Un petit groupe de collègues de la compagnie tournante s'approcha
de leur table au moment où ils se levaient pour partir. Emma les
accueillit avec un franc sourire et leur présenta Mickaël, comme elle
l'aurait fait d'un simple camarade militaire. Il grimaça légèrement en
prenant conscience qu'elle s'était éloignée de lui.
Quand il constata que le capitaine Gredon prenait beaucoup de
libertés avec sa compagne, surtout pour un supérieur, il grinça
franchement des dents. Lorsque l'officier lui passa une main dans le
dos pour lui faire la bise avant de rejoindre la table de ses
camarades, il faillit s'étouffer.
Le trajet jusqu'à l'hôtel du cercle-mess de l'île se déroula dans un
silence lourd. L'homme ruminait encore la scène. L'apparente
décontraction d'Emma face aux gestes trop familiers de son
commandant d'unité lui avait laissé un goût amer, son attitude
détachée en le présentant sans chaleur l'avait blessé.
Il la fit pénétrer dans la chambre qu'il avait réservée, et commença a
arpenter la pièce d'un air farouche et avec des mouvements assez
brusques. La jeune femme déglutit avec un peu de difficulté. Il était
en train de lui communiquer son stress, ainsi elle fit à peine attention
à l'agréable décors qui l'entourait. Des voilages avaient été tendus
autour d'un lit immense en bois clair, créant une alcôve sensuelle. Le
rotor du ventilateur tournait au ralenti et les couleurs blanche et sable
des draps et du linge de toilette apportaient une touche nostalgique et
un peu coloniale à l'ensemble.
Préoccupé par le discours qu'il avait préparé et l'épisode ambigü du
restaurant, il la délaissa sans s'en rendre compte, la laissant se
démener avec ses angoisses. Emma devint de plus en plus nerveuse.
Leur première expérience était due à un coup de pouce fortement
alcoolisé. À jeun, elle était paralysée par sa gaucherie, et la
mauvaise humeur inattendue de l'homme commençait à l'inquiéter.
Plutôt que d'apprivoiser peu à peu la jeune femme, il s'emballa
soudain et décida d'en finir avec ce qui le tourmentait. Autant se jeter
à l'eau, pour aller de l'avant. il ne pouvait en être autrement. Il était
amoureux d'elle, elle craquait visiblement pour lui, l'option échec
était inenvisageable. Inconscient des signes de détresse évidents
qu'elle émettait et intimidé par une situation qu'il ne maîtrisait pas, il
se lança avec une pointe de brusquerie.
— Il va falloir que tu t'organises. On n'a pas d'autre choix, on se voit
jusqu'à mon départ pour Mururoa.
Surprise, la jeune femme le regarda faire les cents pas au milieu de
la pièce.
— Je te demande pardon ? Répondit-elle, interloquée.
— Je pars dans moins d'un mois en mission, je te l'ai dit pendant le
dîner. À mon retour, toi tu seras déjà rentrée en France. Il est hors de
question qu'on perde notre temps.
— Tu veux dire qu'on perd notre temps ensemble ?
Sa fébrilité augmenta en flèche. Il était à cet instant dans l'incapacité
de saisir la maladresse de ses mots, et le ton péremptoire employé.
Pour lui, face à une situation difficile, il fallait foncer dans le tas
pour en démêler les noeuds. Cet état esprit guerrier inapproprié le fit
s'enferrer un peu plus. Il sentit la conversation lui échapper et ses
intentions mal comprises sans pouvoir arrêter le processus.
— Mais non, évidemment que non ! On n'a pas beaucoup de temps, je
veux te voir, c'est tout. Mais toi, on dirait que tu n'en as pas envie.
affirma-t-il mal à l'aise, ce qui lui fit hausser le ton de manière
perceptible.
— Mais Mickaël, je ne suis pas en vacances ici. Ton emploi du
temps n'est pas une variable d'ajustement pour le mien !
— Je ne te comprends pas ! Tu ne veux pas qu'on se fréquente ? J'en
étais sûr. Il y a quoi entre vous deux, avec ton capitaine ? enchaîna-til, sentant la peur glacer ses tripes.
— Tu es dingue ? Je travaille avec lui, il est génial, très humain, il
n'y a rien de plus avec lui ! Et de toutes façons, je ne peux pas me
libérer aussi facilement que je le souhaiterais, reprit-elle plus
conciliante. Je ne peux pas laisser tomber la compagnie si elle est
désignée pour une mission y compris pendant un week-end. Mes
administrés ont besoin de moi.
— C'est bien le problème avec les femmes qui consacrent tout leur
temps à leur carrière. Tu préfères te focaliser sur ton boulot plutôt
que sur nous. Et permets-moi de douter des intentions de ce type. S'il
pouvait te mettre dans son lit, il le ferait sans hésiter. grommela
Mickaël, aveuglé par la peur, les réflexes machistes de vieux garçon
et la jalousie inédite qu'il ressentait. Il voyait ses espoirs s'éloigner
au fur et à mesure qu'il ouvrait la bouche.
L'indignation la gagna progressivement en se sentant rabaissée. Ça
aiguisa ses défenses. Emma-la-polaire refit surface.
— Tu salis ma relation professionnelle par pure bêtise ! Et sache que
je n'attends pas après le bon-vouloir d'un homme pour exister et
payer mes factures. gronda-t-elle. Si tu veux absolument une femme
qui se consacre à ton bien-être égoïste et exclusif, achète-la !
Stupéfait, Mickaël sentit la colère l'envahir à son tour. Il n'y avait pas
de malentendu, elle ne voulait pas s'impliquer, peut-être pour garder
l'officier sous le coude après tout ! Non, elle n'était pas comme ça.
Mais c'était loin de lui suffire à lui, et il n'était pas un second choix,
merde ! Il se demanda si elle ne l'avait pas manoeuvré depuis le
début, estomaqué par le revirement de la jeune femme et la rapidité
avec laquelle le ton de la conversation s'était dégradé. Persuadé
avoir déposé ses intentions à ses pieds sans ambiguïté, il ne
comprenait pas qu'en lui ayant avoué son besoin viscéral de la voir,
elle le rejette sans scrupule. L'idée lui était intolérable. Il se savait
frustre, macho, maladroit, mais se pensait profondément honnête.
Imaginer qu'elle ne l'ait pas été avec lui l'anéantissait.
— Tu t'es bien fichu de moi en fait ! Ça m'apprendra à essayer de me
rapprocher d'une gonzesse. Toutes les mêmes !
— Tu ne cherches pas à comprendre les "gonzesses", appuya-t-elle.
Tu me balances tes ordres et tes soupçons dégueulasses comme tu le
ferais avec tes soldats, en espérant trouver une femme au foyer
malléable et surtout que tu puisses tenir enfermée !
— Ce n'est pas ce que je recherche ! Enfin plus maintenant. Non, je
n'ai jamais voulu de ça en fait... Putain mais c'est n'importe quoi cette
discussion ! gémit-il désespéré.
— On est d'accord là-dessus. reprit-elle plus calmement. J'ai
rarement assisté à une dispute aussi bête fondée sur de tels
malentendus ! Tu vois, j'attendais de toi de la douceur, et une vraie
apothéose sexuelle, le début d'une jolie histoire. Je croyais que
c'était ce que tu voulais aussi. Mais tu m'as tellement refroidi que je
cherche où sont cachés les mouffles et les après-ski ! Enfin, là, j'ai
surtout besoin d'une bonne douche. On en rediscutera quand nous
serons moins énervés.
Et sans lui laisser la possibilité de répliquer, elle tourna les talons et
s'engouffra dans la salle de bain.
Aussi vite qu'elle l'avait étreinte, la colère reflua. Il s'était planté
lamentablement et en prit conscience en se repassant la discussion
depuis le début. Il ne croyait même pas aux critiques qu'il avait
émises. Son indifférence de façade l'avait juste écorché à vif. Du
coup, ses mots avaient dépassé ses pensées.
Adossé à la porte de la pièce le séparant de la femme qui faisait
battre son coeur, il soupira de dépit et décida de mettre son égo de
côté pour réparer son erreur.
*****
Chapitre 14
Lorsqu'elle l'entendit entrer sans y être invité, elle tenta vaguement
de dissimuler sa nudité derrière ses mains. Puis elle renonça, bravant
ses complexes en excluant toute faiblesse, et mit un poing sur sa
hanche en le fixant d'un oeil assassin. Elle ne se trouvait pas dans les
meilleures dispositions à son égard.
Le "non, sors, j'ai besoin d'être seule" prononcé d'un ton las lui fit
l'effet d'une douche froide. Pourtant il ne bougea pas, se contentant de
la dévorer des yeux.
Mickaël sentit son égo vaciller. Il se sentait prisonnier de la
sensualité innée qu'elle dégageait. Il convoitait sa personnalité fine et
forte, et son corps créé pour l'amour. Emma lui était devenue
précieuse trop rapidement pour la laisser s'échapper. Il s'invectiva
de n'avoir su exprimer clairement ses sentiments et d'avoir émis des
doutes sur ce qui n'était rien d'autre qu'une excellente entente entre
deux collaborateurs. Empêtré dans ses certitudes qui relevaient de
fantasmes maladroits, il n'avait pas su gérer la manière dont sa
compagne avait interprété ses paroles.
Guidé par son instinct qui lui souffla de faire un effort pour qu'elle se
sente moins vulnérable, il décida de retirer son tee-shirt, faisant
involontairement rouler ses biceps, puis détacha les boutons retenant
son jean. Elle se figea, laissant l'eau et le savon ruisseler sur son
visage et courir le long de son corps, frémissant d'anticipation.
Quand la buée envahit la cabine de douche, au point de rendre les
parois de verre opaques, il ne put empêcher un sourire de
soulagement étirer ses lèvres, en voyant une petite main essuyer
frénétiquement le verre pour le mater en train de finir de se
déshabiller.
Ses muscles étaient parfaitement sculptés, sans excès mais
suffisamment développés pour donner un sentiment de force. Le haut
de son torse était en partie recouvert d'une discrète toison sombre qui
descendait en formant une ligne fine, comme pour désigner le point
culminant de cette invraisemblable virilité. Elle put aussi constater
que les cicatrices de ses années d'expérience professionnelle qui
barraient ses bras et son ventre ne faisaient qu'augmenter la
masculinité de ce corps magnifique. Elle déglutit et eut l'impression
que son cerveau émettait un "plop" en passant en mode "chaudasse
affamée". Flûte !
Elle adopta une attitude moins défensive. Au delà du désir fou qu'il
ressentait pour elle, il réalisa que leur nudité n'était pas seulement
physique, mais aussi un moyen de se montrer honnête et sans fard.
— Excuse-moi ma douce, je suis un vrai débutant en amour. Et je me
suis enflammé de manière ridicule concernant ton chef. Enseignemoi, montre-moi comment m'y prendre. Je veux que notre histoire
parte sur des bases saines et équilibrées.
— Ce sont des idées et des craintes qui sont profondément ancrées
en toi, je le sens. Elle sont probablement dues à ton éducation. Tu
chercheras toujours à travers la femme que tu fréquentes une
compagne docile. Il m'est impossible de lutter contre ça. Contre
quelque chose que je ne suis pas. Que ce soit pour une nuit, une
semaine ou une vie, je ne serai jamais celle-ci. Et je n'en ai aucune
envie.
Il commença à paniquer. Elle avait laissé le soufflet de la colère
retomber, pour faire place à un recul effrayant. Il n'était pas sûr de se
laisser de nouveau approcher pour revivre l'expérience avec une
autre. Elle avait déjà réussi de petits miracles sur lui dont elle n'avait
même pas conscience. Il s'était ouvert aux sentiments, avait retiré ses
oeillères concernant la place des femmes dans l'armée.
— Je t'en prie, Emma, gémit-il en appuyant ses mains et son front
contre la vitre de la douche. Laisse-moi une chance d'apprendre et de
me faire pardonner.
Malgré la mauvaise humeur qui la quittait, elle ne voulait pas
s'incliner face à ses hormones. Pourtant, sa mise à nu spirituelle
jouait en sa faveur. Il n'était pas totalement borné. Oh et puis zut, il
sera toujours temps de bouder plus tard décida-t-elle, avant de
profiter sans vergogne du spectacle que lui offrait cet homme
sublime. Elle céda à son impulsion, alors qu'il attendait sa réponse
avec inquiétude.
— Viens, fit-elle simplement.
Il ouvrit la porte de la douche et entra dans la petite cabine. L'homme
retint son souffle quand elle posa une main sur son épaule et en suivit
le contour à l'aide de ses doigts. Il y avait de la timidité dans ce geste
tendre. Il fut saisi d'un intense besoin de la posséder coeur et âme.
Mais il se contenta d'attraper la bouteille de gel douche et d'en faire
couler une noisette entre les seins de la jeune femme, qu'il s'appliqua
à faire mousser en redoublant de caresses envers les globes
moelleux. Leurs pointes érigées et les soupirs de plaisir qu'elle
laissait échapper accentuèrent son avidité de la faire sienne. Il en
profita pour se savonner rapidement et se rincer avant de faire de
nouveau courir ses mains sur la peau satinée.
Fixant sa bouche avec envie, il pressa son pouce sur sa lèvre
inférieure pour qu'elle s'ouvre et permette à sa langue de rejoindre la
sienne. Mais avant qu'il n'ait eu le temps de se pencher vers ce fruit
mûr si tentant, elle happa son doigt et le fit tourner avec sa langue,
l'aspirant et le rejetant dans un mouvement de va-et-vient troublant,
qui fit tressauter son sexe. Que de promesses délicieuses contenues
dans ce geste !
Il lui arracha presque son pouce et le remplaça par sa propre langue
qui la fouilla, aspirant ses gémissements et la pénétrant avec autant
de vigueur qu'il avait envie de le faire avec sa queue. Ses mains
parcoururent les courbes douces, se repaissant de la douceur de sa
peau. Il s'enflamma en la sentant réagir sous le passage de ses doigts
dans sa fente, alors que ses propres jambes fléchissaient en réaction
aux caresses qu'elle effectuait sur sa verge tendue.
Mickaël plia devant sa compagne. Il lui saisit une jambe pour la
poser sur son épaule et fit courir sa langue sur le lisse et précieux
abricot qu'elle cachait. La jeune femme s'affola un court instant.
Personne ne l'avait jamais touchée de cette manière, c'était troublant
et délicieux. Il accéléra la danse de sa langue au gré des mouvements
de bassin qu'elle effectuait sans s'en rendre vraiment compte.
Son corps dessiné pour la passion le rendait dingue, son besoin de
trouver refuge dans ses replis secrets se fit impérieux. Se relevant
d'un coup, il reprit ses lèvres d'assaut pour lui signifier la force de
son envie. C'était un prélude exaltant. Leurs corps étaient faits pour
s'imbriquer, se compléter et s'aimer.
A son tour Emma se laissa glisser à genoux, conservant le contact de
ses lèvres avec la peau de son amant, alternant baisers et légères
morsures sur son torse puis ses abdominaux sculptés, jusqu'à
atteindre le centre de son désir qui se cabrait sans équivoque contre
son ventre. Malgré son âge, son manque d'expérience fouettait son
orgueil. Elle redoutait que cela ne soit source de moquerie facile,
alors qu'il était trop épris pour se formaliser d'une hypothétique
maladresse. Son envie de le goûter s'accrut.
Autant y aller à l'instinct. Sans y mettre les dents ! Mmmm, J'en ai
l'eau à la bouche.
L'expression prenait toute sa saveur, et lui parut singulièrement
appropriée lorsqu'elle sentit ses papilles s'affoler à l'idée d'entrer en
contact avec sa chair la plus intime. Approchant sa langue, elle lui
lécha le bout du sexe qui se gorgea un peu plus de sang sous
l'effleurement et se tendit plus fort vers ses lèvres. D'une main, elle
attrapa délicatement les bourses pour en appréhender la taille et le
poids, alors qu'elle continuait à lubrifier la queue de son amant en
parcourant toute sa longueur. Il geint, se retenant de forcer le barrage
d'un coup de reins trop impatient.
Elle le prit d'un coup dans sa bouche, soulageant son gland de sa
langue, aspirant les gouttes de semence qui perlaient déjà. Elle en fit
plusieurs fois le tour en traçant un exquis sillage de feu avant de
butiner plus loin. Sans le lâcher, elle leva les yeux vers son visage
pour constater l'effet que ses caresses avait sur l'homme. Il poussa un
grondement de contentement en la voyant s'enhardir et lui jeter des
regards brûlants, et la laissa aller et venir le long de son membre
vibrant d'un plaisir démultiplié.
Après quelques instants de pure volupté, il recula à regret, se
retenant d'exploser dans sa gorge, et la hissa de nouveau à sa hauteur
pour laper les seins qui devenaient plus sensibles à mesure qu'il
titillait leur bout érigé. Il adorait l'entendre ronronner à chaque coup
de langue, la satisfaction de sa partenaire primait sur le reste. Il
souhaitait tout lui donner, avec l'espoir incertain de l'accrocher à lui
suffisamment pour qu'elle laisse une chance à leur histoire naissante.
Ils sortirent de la cabine sans prendre la peine de se sécher.
La soulevant dans ses bras comme un objet précieux, il la porta
jusqu'au lit où il l'étendit avant de se placer entre ses cuisses,
prolongeant leur étreinte en la dévorant de baisers, ne s'interrompant
que pour attraper dans la table de chevet un préservatif mis à
disposition par l'hôtel, et l'enfiler rapidement. Il lui releva une jambe
pour mieux se caler contre la moiteur de son intimité et pressa son
sexe contre elle pour torturer le petit bourgeon de chair en le
massant.
Emma était divinement charnelle, il ne put se retenir plus longtemps
et plongea en elle d'un coup plus brutal que prévu. Elle hoqueta
alors qu'il soupirait d'aise. L'invasion était trop importante pour son
corps si peu habitué, mais elle se mordit les lèvres en attendant que
la douleur ne s'estompe. Il comprit immédiatement que quelque chose
clochait.
— Je suis allé trop vite, mon amour ?
— Han... je... je n'ai pas l'habitude. grimaça-t-elle comme excuse.
— Mon Dieu ! Tu es vierge ? hurla-t-il presque horrifié en
redressant.
Elle lui jeta un regard honteux et mesura son manque de pratique.
Une courte succession de très piètres amants ne pouvait s'apparenter
à une véritable maîtrise de la sexualité.
— Noooon. Mais ça fait longtemps que je n'ai pas... pratiqué, fit-elle
mortifiée.
— Merde ! Emma ! Tu aurais dû me le dire, je t'aurais mieux
préparée, je me suis conduit comme une brute !
— Tais-toi, s'il te plaît, Mickaël. Et continue ce que tu as commencé,
s'enhardit-elle en commençant à onduler sous lui.
Il n'eut pas besoin de plus d'encouragements et se montra plus doux,
lui imprimant des mouvements lents et amples pour mieux s'enfoncer.
Le rythme se fit plus soutenu à mesure qu'il coulissait avec plus de
fluidité. Le plaisir augmenta de nouveau pour atteindre des sommets
presque douloureux en attendant la délivrance.
Elle participait plus activement, se libérant peu à peu de son
gaucherie pour se laisser guider par son instinct. Faisant courir ses
mains sur le dos musclé de son amant, elle les descendit jusqu'à ses
fesses pour l'amener plus fort en elle.
Il jouait avec ses petits cris comme d'une partition pour mieux la
sentir, alternant les petits coups secs et rapides et les profondes
pénétrations. L'homme adorait sa façon de venir à sa rencontre, son
abandon et sa confiance. Chaque souffle, chaque étreinte, chaque
caresse le rapprochaient d'un sentiment de fusion absolue. Au delà du
plaisir, la connexion s'établissait jusqu'à ses plus infimes particules.
L'homme des cavernes devenait un mystique fleur-bleue !
Il ne manquerait plus que ça !
Un soupir plus prononcé et la crispation des doigts fins dans la chair
de ses fesses lui apprirent qu'elle allait accéder à l'extase. Il se
releva sur ses avant-bras pour mieux la contempler alors qu'elle
s'empourprait en cédant à la vague. Elle se sentit sur le point de tout
lâcher, ses craintes, ses inhibitions, ses déceptions. Quand elle finit
par se laisser aller, il arrêta de bouger et la dévisagea avec une
intensité qui lui fit presque peur.
Un gémissement involontaire mit fin à l'instant, et fourrant son visage
dans le cou de la jeune femme, il l'enserra plus étroitement en
reprenant ses coups de reins langoureux. Il ne fut pas long à parvenir
à son tour à l'orgasme qu'il exprima en une longue plainte rauque. Sa
jouissance semblait infinie, jusqu'à ce qu'il roule sur le dos,
l'entraînant avec lui et qu'elle se retrouve allongée sur son corps
musclé. Il refusait de la lâcher et continua à se repaître de son
parfum, caché dans la chevelure de son amante.
Reprenant peu à peu pied avec la réalité, Emma intriguée par le
silence qui s'éternisait, tenta de se dégager de sa prison confortable
pour le regarder. Il la libéra en maugréant. Ce qu'elle vit la
bouleversa.
Il la fixait, l'air hagard, éperdu. À travers son troublant regard vert, il
parut vouloir se déclarer, tergiverser, réessayer, hésiter de nouveau
avant d'enfin lancer avec une voix éraillée par l'émotion :
— Je veux faire partie de ta vie au delà d'une seule nuit et du p'tit dej
compris. Je ne te demande pas de te prononcer immédiatement, juste
d'y réfléchir.
— Laisse-nous un peu de temps, Mickaël. J'aimerais qu'on profite du
moment présent et qu'on continue à se découvrir sans précipitation.
On se connaît peu même si on s'entend bien en général. On verra ce
que l'avenir nous réserve.
— Em, on dirait que tu ne veux pas t'impliquer.
— Qu'est-ce qui te fait dire un truc pareil ?
— Tout à l'heure, quand tu m'as présenté à ton équipe. J'ai eu
l'impression d'être juste un pote pour toi, pas ton mec. Tu avais honte
de moi ?
— Heuuu... c'est gênant ça comme question. Quand je t'ai parlé de
mes échecs amoureux, j'ai peut-être oublié de te dire un truc...
— Si tu m'affirmes que tu es gay, tu vas me vexer. Comment ? Je n'ai
pas réussi à te faire changer de bord ?
— Pfffff, tu es bête, gloussa-t-elle. Non, je n'ai jamais eu de relation
suffisament longue pour considérer mon partenaire comme "mon
mec". On m'a mené en bateau, j'ai été humiliée, mais je n'ai jamais
été véritablement en couple. Et dans le contexte pro, ça ne fait pas
très sérieux de s'afficher main dans la main avec un collègue.
N'oublie pas que je suis ici en séjour pour le boulot. Même si ce
n'est pas le Liban...
— Mouais. Je comprends. Mais pendant le week-end, tu es libre de
faire ce que tu veux. Tu n'as pas de compte à rendre si cela
n'influence pas négativement le service.
— Tu veux que je me colle à toi en permanence ?
— Mmm je ne dirais pas non. Mais plus simplement, que tu sois toimême Emma, ma tendre Emma, charnelle et maladroite, piquante et
douce. J'ai vraiment envie de profiter de ta présence au maximum.
— Oooh, c'est ce que je sens contre ma hanche ! Prêt pour un second
service "bôgoss" ?
— Remonte par ici pour vérifier !
Il sentait intimement qu'il lui serait impossible d'en rester à une
simple passade. Emma avait éveillé son coeur, désormais il en
désirait plus.
*****
Chapitre 15
Emma refusait de laisser tomber Alix et insista pour qu'elles
continuent leurs sorties entre filles. Le sergent se montra ferme. Elle
avait appris le délai imparti aux deux amants, et déclina
systématiquement les propositions de sorties arguant avoir déjà
prévu autre chose. Elle encouragea sa colocataire à profiter au
maximum de sa relation avant le départ de Mickaël pour Mururoa.
Le couple organisa ses moments libres de manière à ce que l'un ou
l'autre puisse rejoindre facilement leur lieu de rencontre. On faisait
rapidement le tour de l'île et des loisirs que le territoire offrait, aussi
se contentèrent-ils le plus souvent de louer une chambre pour le
week-end dans un des nombreux hôtels du coin et de faire de petites
excursions aux alentours.
Le militaire, fin nageur grâce à sa formation lui apprit les rudiments
de la plongée sous-marine. Il n'y avait aucune obligation de détenir
un équipement perfectionné. Il suffisait de plonger le visage dans
l'océan avec une simple paire de lunettes de piscine pour profiter des
merveilles dont recelait le lagon.
Ils parlèrent beaucoup et naturellement, livrant leurs espoirs, leurs
doutes, sans véritablement aborder la question du devenir de leur
relation. Le faire leur rappelait le départ imminent, comme si en
discuter risquait d'assombrir leurs derniers jours ensemble.
À mesure que les sentiments se développaient, une intimité qu'ils
n'avaient jamais vécue auparavant se dessina et renforça leur
complicité. La découverte se faisait en douceur.
L'ultime week-end qu'ils passèrent ensemble ne fit que confirmer
l'évidence. Ils s'organisèrent une petite randonnée dans l'intérieur des
terres, découvrant ainsi un côté plus sauvage et authentique de Tahiti,
en suivant le sentier jusqu'aux trois cascades mythiques de
Fararumai.
Les parfums devenaient enivrants au fil de leur progression, les
contrastes se firent plus marqués, comme si la lumière qui filtrait à
travers la forêt tropicale effectuait un focus sur toutes les surfaces où
elles posaient les yeux. Ils en vinrent à chuchoter pour ne pas
troubler la quiétude environnante. L'air était supportable à cette
heure-là, et les touristes encore en train de dormir. Ils cheminèrent
près d'une demi-heure avant de parvenir à flanc de falaise, d'où se
jetait une eau cristalline. L'endroit était paradisiaque et appelait à la
détente.
Emma se trouvait trop près du bord. Il eut à peine le temps de
l'avertir avant qu'un pas malencontreux sur une roche humide ne la
fasse glisser dans l'eau fraîche drainée par la cascade. Elle ne
poussa pas un cri lors de sa chute, aussi en déduisit-il qu'elle avait
une certaine expérience en matière de chute.
Telle une naïade sortie des eaux, elle ressurgit immédiatement en
s'esclaffant, les lunettes posées en serre-tête sur le crâne, sa chemise
blanche moulant ses seins délicieux, déjà prête à concourir pour le
championnat annuel des tee-shirts mouillés.
Waaaah, Tex Avery, sors de ce corps !
Son corps réagit immédiatement à cette vision sexy. Son pénis gonfla
dans son boxer, ce qu'elle ne manqua pas de remarquer elle aussi, à
sa grande confusion. L'homme lui tendit une main secourable qu'elle
refusa d'une moue taquine, commençant à nager tranquillement dans
le bassin. Elle s'arrêta un instant pour se dévêtir, jeter short et
chemise sur la rive, puis reprit ses circonvolutions dans l'eau.
Il avait tellement envie de jouer avec la pointe des seins qui se
dessinait à travers le maillot de bain, que sa queue en devenait
douloureuse. N'y tenant plus, il s'assit sur un rocher posé au bord de
la piscine naturelle, et commença à se caresser à travers le tissu,
l'admirant en train de faire la planche lascivement. Elle lui jeta des
coups d'oeil de plus en plus appuyés, alors qu'il descendait sa
braguette d'un air de défi et se défaisait à son tour de ses propres
habits.
La jeune femme se redressa complètement, l'eau lui arrivant à peine à
la taille, et l'observa ouvertement quand il saisit son sexe à pleine
main et débuta un lent mouvement de va-et-vient. Ce mâle torride
mettait le feu à toutes ses terminaisons nerveuses. Elle approcha tel
un requin vers sa proie. Cette dernière se laissa attraper sans
rechigner par les lèvres douces qui remplacèrent sa propre main.
Emma savait instinctivement comment bouger sur sa hampe pour lui
procurer le maximum de plaisir. Il aimait plus que tout sa manière de
butiner autour de son gland avant de l'engloutir plus profondément.
— Ooooh, Emma, ma douce, j'adore ce que tu me fais. Viens, on va
s'allonger sur l'herbe, on sera mieux.
— Non reste ainsi et laisse-toi faire. Tu es à ma merci assis sur ton
rocher. Donne-moi un préservatif, s'il-te-plaît.
Il lui tendit le petit sachet qu'il gardait précieusement dans une poche
de son short posé à proximité et l'observa en train de déchirer
délicatement l'emballage. Il cru manquer plusieurs battements quand
elle pinça délicatement le réservoir de la capote entre ses lèvres, et
s'avança de nouveau vers sa verge.
L'homme poussa un grognement de pur bonheur en sentant les lèvres
dérouler doucement le latex sur son membre affolé. Satisfaite de son
oeuvre, elle lui lança un sourire taquin, véritablement invitation à la
luxure. La vision de cette créature sensuelle le dominant malgré sa
position l'excita tant qu'il attendit sans bouger qu'elle se hisse jusqu'à
lui. Ruisselante et infiniment excitante, elle vint se coller à lui. Il
apprécia la différence de température entre leurs deux corps. Cela
exacerbait les sensations.
Emma se pressa contre son torse bouillant pour l'embrasser tout en
insinuant une main vers le bas pour écarter la culotte de son bikini et
guider le pénis dressé entre ses chairs humides. La rencontre de leurs
bas-ventres les électrisa une fois de plus. D'abord décidée à adopter
un rythme léger, elle sentit son envie de lui se faire plus pressante.
Ses rotations se firent plus vigoureuses.
Mickaël adorait sa chevauchée affamée, mais crut impossible de se
retenir plus longtemps. Il captura son regard en attrapant sa nuque
qu'il maintint d'une poigne ferme, l'obligeant à le fixer alors qu'il
allait à sa rencontre de plus en plus fermement, soudant leurs deux
bassins dans une cadence folle qui les entraînait vers des sommets de
plaisir. Il cherchait à lire toutes les émotions qu'elle laissait
transparaître pour s'en repaître et les ajuster à ses propres
sensations.
L'union de leurs corps devenait de plus en plus chaotique, érotique et
violente. Les pulsions s'affranchissaient des dernières craintes d'être
découverts par des promeneurs. Les peaux se rencontraient dans une
danse sauvage, mêlant sueur, grondements bestiaux et intense
satisfaction. Il s'agrippait désormais à ses hanches pour s'enfoncer
avec toujours plus de férocité, sentant sa sève monter, prête à
exploser dans le fourreau fabuleux de sa compagne.
Elle laissa échapper un long gémissement, se laissant assaillir par
son conquérant dont le désir devenait incontrôlable. Il martelait son
sexe de coups plus brefs et rapides, guidé par les encouragements
qu'elle lui lançait en haletant. Quand sa queue se retrouva enserrée
par les folles contractions de son orgasme, il libéra alors sa propre
jouissance.
Emma s'écroula sur lui, vaincue, entourant sa taille de ses bras pour
profiter encore un peu des battements de son coeur qui cognait contre
son oreille. Il accomplit alors son propre petit rituel amoureux, en la
hissant un peu plus haut pour enfouir son visage contre le cou gracile
afin d'en humer le parfum plus intense. Il était devenu accro à l'odeur
de sa peau lors du bal de Taravao et depuis, l'idée d'y trouver refuge
après l'amour exacerbait systématiquement ses sens, comme un
réflexe de Pavlov.
Leur retour le long d'un sentier assez étroit fut interrompu par de
nombreux intermèdes sensuels qu'ils s'empressèrent de satisfaire à
l'abri des regards.
Ils furent presque pris de court lorsque l'inévitable instant de la
séparation arriva le dimanche soir.
Mickaël la raccompagna jusqu'aux portes du régiment, avant de
rejoindre son détachement à Taravao. Ils se tenaient face à face dans
le petit parc attenant à la caserne, un peu sonnés par la fin de cette
parenthèse sentimentale qu'ils n'avaient pas réussi à anticiper.
L'homme tentait de convaincre sa compagne du bien-fondé de la
poursuite d'une relation à distance.
— Je t'en prie Mickaël, ne me fais aucune promesse. Je tiens à toi.
Énormément.
Ses sentiments glissèrent dans un murmure en le voyant se renfrogner.
Il refusait de céder.
— Un an et demi, c'est long, continua-t-elle en se blottissant contre
lui.
Il soupira d'exaspération tout en l'enfermant dans ses bras.
— Et si j'ai quand même envie de t'en faire Em, tu vas te boucher les
oreilles en chantonnant la-la-la ? J'ai l'impression que tu n'as
confiance ni en moi ni en nous.
— Ce... ce n'est pas vraiment ça... Enfin si. Mais non. Tu connais tout
de mon expérience amoureuse. L'abstinence, cela ne m'effraie pas.
J'ai déjà vécu de longues périodes ainsi, je peux continuer. Quoique
depuis que l'on se fréquente, je sois perpétuellement excitée à l'idée
de toucher ta peau ! avoua-t-elle en lui donnant un petit coup de
langue affectueux dans le cou. Mais il me paraît impossible de te
demander d'être fidèle et de m'attendre aussi longtemps.
— Je ne suis pas d'accord ma douce. À trente-quatre ans, j'ai passé
l'âge de sauter tout ce qui bouge simplement parce que je bande !
Pardon ma princesse, c'est vulgaire, lui susurra-t-il en suçant le lobe
qui était à portée de sa langue.
Elle tressaillit et s'abandonna un peu plus.
— Oui, d'ailleurs, j'en ai les oreilles qui saignent ! le taquina-t-elle.
— Tout ça pour te dire que je suis enfin amoureux, et en plus de la
femme idéalement faite pour moi. J'ai peut-être juste un muscle à la
place du cerveau, mais je mesure tout ce que j'ai à perdre en te
laissant partir. De toute façon, j'aurai des permissions à prendre et je
rentrerai en France. Chez toi si tu veux bien. Ça nous donnera un
avant-goût de la vie à deux. Et pour finir, cette situation n'a rien
d'extraordinaire. Je ne serai pas le seul célibataire géographique du
régiment. Donc...
— Donc ?
— Tu dois croire en nous.
— Même si notre histoire te ruine en billets d'avion ?
— Surtout si elle me ruine ! Je m'accrocherai à toi comme une moule
à son rocher ! Je serai ton gigolo à usage exclusif. rit-il doucement.
Mon Dieu... Tu me manques déjà, lui chuchota-t-il en regagnant son
refuge favori au creux de son cou tout en resserrant son étreinte.
— Toi aussi. répondit-elle, le front posé contre son torse, inspirant
profondément son parfum viril pour en imprimer le souvenir dans sa
mémoire.
Après un dernier baiser au goût de larmes et d'espoir prononcé, elle
finit par s'extraire du rempart rassurant de ses bras et le quitta sans
se retourner.
*****
Épilogue
Un an et demi plus tard.
Messagerie Outlook d'Emma Lemaire.
Ding ! Vous avez un nouveau message en attente de Mickaël Ollier.
"Emma,
j'ai une nouvelle importante à t'apprendre,
je ne sais pas comment te l'annoncer,
mes retours en France nous ont habitué à des instants fabuleux,
je ne veux pas te faire souffrir mais je dois t'avertir de ce que tu
vas inévitablement subir prochainement.
Il faut que tu sois forte.
J'ARRIVE !
J'ai reçu mon ordre de mutation.
J'intègre le centre d'entraînement de l'infanterie proche de ton
régiment.
Tu as deux mois pour t'y préparer !
PS : et tu m'épouses (ceci n'est pas négociable, d'façon, tu n'as pas
le choix)
Signé : ton Néandertalien qui t'aime plus que tout."
Messagerie Outlook de Mickaël Ollier.
Ding ! Vous venez de recevoir une réponse à votre message.
"Mon amour,
je t'attends avec impatience.
J'ai juste prévu d'acheter une tente pour t'envoyer dans le jardin
quand tu feras un peu trop ton macho.
Je t'aime.
À propos, "avec plaisir" pour ton PS. Comment ça ce n'était pas
une question ? ^_^
Signé : ta blonde"
LEXIQUE DU PETIT MILITAIRE ILLUSTRE
QUI AIME BIEN LES ABREVIATIONS
BATRAL : bâtiment de transport léger, navire de fabrication
française, présent notamment sur les eaux polynésiennes françaises.
Remplit des missions d'assistance, de coopération et de surveillance.
B.M.L. : Bureau Maintenance Logistique. Service gérant les services
techniques et notamment les ateliers de mécanique.
B.O.I. : Bureau Opération Instruction. Service budgétisant et
organisant la vie opérationnelle (manoeuvres, sorties sur le terrain,
missions, opérations extérieures) d’un régiment. Chargé aussi de
dispenser l’instruction militaire spécifique ou générale.
C.A.O.M.E : centre d'aguerrissement Outre-mer, où se déroulent les
stages commando proposés aux Antilles ou en Polynésie française.
Célibat géographique : statut du militaire en couple, affecté dans une
garnison ne lui permettant pas de d'habiter au quotidien avec sa
tendre moitié.
Chef de corps : Officier supérieur commandant un organisme
militaire composé de plusieurs compagnies. Equivalent d'un chef
d'entreprise d'un millier d'employés.
Compagnie : unité élémentaire constituées de plusieurs sections et
commandée par un commandant d'unité (logique non ?). Un régiment
est constitué de plusieurs compagnies, soit spécialisées dans le
combat, soit regroupant des services (comme le BOI, la DRH, le
BML, la restauration etc...)
Faré : habitation polynésienne, désigne aussi un abri ouvert sur les
côtés
Ia ora na : Bonjour, salut
T.A. : tableau d'avancement annuel qui paraît en décembre et annonce
les noms du personnel passant au grade supérieur au cours de l'année
suivante.
Va'a : pirogue extra lourde polynésienne
Recette du poulet/coco pour quatre personnes :
4 filets de blanc de poulet
2 ognons
1 boîte de 200 ML de lait de noix de coco
une pincée de piment de Cayenne
sel, poivre
Faire revenir les blanc de poulet coupés en dés dans une poêle avec
un filet d'huile d'olive (pas la bouteille complète, merci),
réserver le poulet dans une assiette et faire revenir les ognons coupés
en dés, en lamelles, en ce que vous voulez (pour ne pas chialer en les
coupant, solution : utiliser un masque de plongé) réserver avec le
poulet (oui, il commence à y avoir du monde dans le plat).
verser le lait de coco dans la poêle toujours sur un feu doux pour le
mélanger avec les sucs de la viande,
ajouter le piment (si la poêle prend feu, c'est qu'il y en a trop),
laisser réduire,
ajouter de nouveau le poulet dans la poêle pour finir de le cuire,
saler et poivrer.
À servir bien chaud accompagné de riz.
Raccourci des grades de l’armée de terre du plus élevé à l’homme de
la troupe :
Chez les officiers :
Général
Colonel
Lieutenant-colonel
Commandant
Capitaine
Lieutenant
Aspirant
Chez les sous-officiers :
Major
Adjudant-chef
Adjudant
Sergent-chef
Sergent
Chez les militaires du rang :
Caporal-chef
Caporal
Soldat de première classe
Soldat
REMERCIEMENTS
À ma famille qui me soutient sans faiblir,
aux amies qui m'ont offert leur aide précieuse dès le début,
à ces hommes qui m'ont inspiré,
vous faites des héros magnifiques.
À Angela en bonne voie pour la sanctification avec sa patience
d'ange,
aux lectrices et lecteurs qui me suivent tome après tome,
tout simplement merci.
QUELQUES MOTS AVANT DE PARTIR
Merci pour votre achat, nous espérons qu'il vous a donné entière
satisfaction.
Par le biais de cette démarche en donnant une chance à ce texte, vous
êtes un soutien primordial pour les auteurs auto-édités.
Retrouvez-moi en direct sur ma page facebook : Juliette Di Cen et
ses lecteurs
https://www.facebook.com/pages/Juliette-Di-Cen-et-seslecteurs/344178979021770?notif_t=page_name_change