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Rita Mestokosho
Née de la pluie
et de la terre
Rita Mestokosho remercie Yvette Mollen de l’Institut Tshakapesh
pour ses traductions vers l’innu-aimun.
Née de la pluie et de la terre est le soixante-deuxième ouvrage
publié par les Éditions Bruno Doucey.
Rita Mestokosho
Née de la pluie
et de la terre
Photographies de Patricia Lefebvre
Préface de J. M. G. Le Clézio
Postface de Murielle Szac
Éditions Bruno Doucey
www.editions-brunodoucey.com
© Éditions Bruno Doucey, 2014
isbn : 978-2-36229-071-8
Éditions Bruno Doucey
Préface
La poésie de Rita s’adresse à nous tous
Rita Mestokosho est l’héritière d’une longue lignée d’hommes et de
femmes qui ont apprivoisé et humanisé depuis des millénaires la forêt
subarctique, des sources de la rivière Mingan et de la rivière Romaine
jusqu’à la rive du Saint-Laurent. Absolument tout ce qu’elle dit et écrit,
tout ce qu’elle ressent et rêve, vient de ce pays âpre et difficile, de cette
nature parfois hostile (près du lac Saint-Jean en hiver la température
descend parfois jusqu’à cinquante degrés sous zéro) mais toujours
belle.
Pour elle, comme pour la plupart des Amérindiens – ceux que l’on
surnomme au Québec des autochtones, c’est-à-dire littéralement ceux
qui appartiennent à la terre – la nature n’est pas un décor, ni un bien
immeuble que l’on peut vendre et exploiter. L’être humain – l’Innu est
simplement un homme – est indissociablement lié à la terre, à chaque
instant de sa vie. La forêt, les lacs et les rivières, les animaux qui les
habitent, et les pierres, les sources, le vent et les nuages sont nos parents,
nos alliés, même lorsqu’ils nous tuent. Cette foi, seule la poésie peut
l’exprimer, car elle est libre et elle s’unit au rythme de la vie.
L’œuvre de Rita nous fait penser aux grands anciens de la poésie
universelle, William Blake, Thoreau, Rimbaud et Cendrars, ou René
Char. Mais elle est surtout la parole du monde amérindien, tragiquement meurtri par la Conquête, dépossédé de sa liberté, confronté aux
plaies des sociétés devenues minoritaires sur leur propre terre, l’alcoolisme, le suicide, la perte d’identité. La poésie de Rita est traversée par
une présence, celle de sa grand-mère, qui lui a donné toutes ses certitudes, et lui a transmis l’amour inconditionnel de son pays natal.
7  préface
Elle est pleine de cette puissance féminine qui imprègne les peuples
anciens. Haïdas du nord-ouest du Canada, ou Aïnous du nord du Japon
– la voix des chamanes, la voix des conteuses. Quelque chose de calme
et d’incorruptible qui s’ouvre sur l’avenir. C’est une parole qui ne revendique pas, qui n’exige pas. Grâce à cet amour et à ce partage, la poésie
de Rita s’adresse à nous tous, où que nous soyons dans le monde, quelles
que soient nos origines et notre histoire.
La voix de Rita nous touche au cœur, parce qu’elle est elle-même,
sans afféterie, naturelle, limpide. Par sa bouche parlent les êtres vivant
au monde en même temps que nous, à qui nous devons le respect, le
saumon de la rivière, l’ours de la forêt, les pierres lisses des torrents. Il
y a une douleur sourde, comme un bruit de vent, une rumeur d’eau qui
coule. L’appel de l’horizon, le rappel des grands espaces que parcouraient naguère les nomades, pour chasser et récolter les plantes sauvages.
Et l’éclat fugitif de la vie, la paix et l’espoir, le souvenir de l’enfant qu’elle
fut, qu’elle n’a jamais cessé d’être, qui rit toute seule dans un champ de
neige, comme si elle était la maîtresse du temps.
Merci à toi, Rita, de nous donner de ta vie.
J. M. G. Le Clézio
8
 née de la pluie et de la terre
I
Femme du matin rouge
Je prendrai la mer sur un bateau rempli de rêves colorés
Je nagerai dans la rivière rouge des ancêtres
Je suis née femme d’un père chasseur
Et d’une mère qui souffle sur les nuages.
*
Mon voyage commence avec toi
Dans ma valise il y a mon cœur
Rempli d’espoir et juste l’essentiel.
*
Mon cœur révolutionne l’amour
Des quatre couleurs !
La paix des quatre vents.
Nos regards perdus dans la montagne sacrée
Le passé n’est pas le passé
C’est le temps que nous mettons à grandir
Les yeux fermés
C’est l’amour que l’on donne à tous les jours
Ton enfant est le mien
Je ne me pose pas de questions quand je te vois
Tu es la mère qui navigues sur une rivière de grande tendresse
Tu es la sœur de mes frères
Quand tu touches encore le sapinage
C’est comme remuer le temps
Tu parfumes toute la maison du souvenir
La grande maison du nomade
Il est au nord il t’attend
J’étais là pour y respirer
Je suis là pour y respirer
Je serai là pour y respirer.
*
J’ai recouvert le ciel d’un rouge
Flamboyant pour que tu voies
Tout l’amour qui m’habite.
*
Nous sommes nées
Cœur de femme rouge
Nos visages cuivrés par le soleil des ancêtres
Nos mains liées par le savoir
Il y a des matins
Où le silence captive toute la place de notre vie
Et là on a besoin d’entendre
Un son une musique le vent On a besoin d’écouter l’autre
Soi-même…
L’hiver est un moment de réflexion
Où notre corps habite nos pensées.
Moi je garde le silence pour mieux entendre la vie.
12
13
*
 née de la pluie et de la terre
i
Minuashu Assi
Beauté de la nature
Eka ma ishi nui nipin
Peshish tshikaui assi uitapimishki
Eka ma ishi nui tshituten
Kassinu tshekuan e inniuimakak anite etain.
Ne me dis pas que tu veux mourir
Quand la terre ta mère te nourrit
Ne me dis pas que tu veux partir
Quand autour de toi respire la vie.
Tshipetuau a tshimish shipu ka tshitepuatikua
Miam ne tshimiku ka utshikaua etenitakuak
Tshinatutuau a tshishtesh nutin tshitaimikua
Peta ma tshinenekatenitamun ka-tshitikua.
N’entends-tu pas ta sœur la rivière qui t’appelle ?
Elle coule comme le sang dans tes veines
N’écoutes-tu pas ton frère le vent qui te parle ?
Il te dit : Confie-moi un peu de ta peine.
Tshitshitapin a mani uashkut
Tshukum tipishkau-pishimu tshuashtenikua
Nete itapi Tshishe-Manitu etat
Utinamu tshekuannu iakuikuat.
Ne regardes-tu pas parfois dans le ciel
Ta grand-mère la lune qui éclaire ta souffrance ?
Lève ton regard vers le Grand Esprit éternel
Il t’accueille avec un souffle d’espérance.
Shena tshitei
Tshika uapaten assi tshe uitshikun
Tuta tshipuamuna tshetshi inniuimakaki
Tshika uapaten tshitinniun e minuashit.
Permets à ton cœur de s’ouvrir
Tu verras que la lune t’aidera
Permets à tes rêves de s’épanouir
Tu verras que ta vie changera…
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 née de la pluie et de la terre
i
Innu
Innu
Tshimakupishun nete tshiat ne eishimakuak assi !
Tshipeikuinniun nete tshimitunenitshikan
Muku ne etenitakushin mak eshinniuin,
Nimateniten miatatiman ka ishinniuin.
Nika ui ashkain ka ishpitenitakuak ishkuteu !
Imprégné jusque dans ta chair
Par cette odeur unique des bois
Tu vis seul dans tes pensées
Mais par ta façon d’être et d’agir
Je sens que tu regrettes ta façon de vivre.
Muku tshin ashkai anite tshiteit,
Tshetshi tshimitunenitshikan minuenimut
Ne ishkuteu tshika ui anu shutshishimakan
Tshetshi shutshiteieshkuakaniht anitshenat
Eshku ka inniuht
Ne tshekuan nekatamakuin, eukuan
Tshetshi shatshitain assi,
Nika shatshitain nuash ishpish uitapamaku assi,
Muku apu nita tshika ut uni-tshissitutaman
Ka tshishkutamut tshetshi matinueian
Ne tshitaimun ka tapuemakak.
Dois-je rallumer le feu sacré ?
Mais toi rallume mon cœur
Pour que mon esprit se porte mieux
Ce feu doit revivre plus fort
Pour réchauffer tous ceux qui vivent encore.
Ton message est celui de protéger la terre
Je la protégerai aussi longtemps
Que je vivrai avec elle
Mais je n’oublierai pas d’apprendre
Et de faire partager aux autres
Ton message si divin…
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21
 née de la pluie et de la terre
i
Uapikun
Uapikun
Kashpan e uatsheuakanitutuakaniti auen miam uapikun
etenitakuak
Akua tshika ui tutakanu peshish uteit takuan.
Papeiku takuana tshe ui nanatu-tshissenitamaku .
Neme tshe mitimeiaku , tshe mishkamaku tshekuan,
Aiashku tshika nishtuapamakanu ne uapikun.
Animaki meshkanau
Natuenitamu tshetshi uitshiku tshuitsheuakan
Mamu tshika mishkenau tapuetamun.
L’amitié est une fleur si fragile
Lorsqu’on ne sait pas la tenir en son cœur.
Chaque pétale contient un mystère
Qu’il nous appartient de découvrir seul.
Durant tout ce cheminement de découverte en découverte
Tu apprendras à te connaître à travers cette fleur.
Mais lorsque le chemin de la découverte se fera plus ardu, tends
La fleur à l’autre et, à deux, vous trouverez le chemin
de la vérité.
Ne tshitinniun miam assi eshinakuak
Mitshetina uapikuna nete etain
Kie kassinu minuashua etatiki
Muku tshin tshinishtuapaten tan tshe tutaman.
Ta vie est un immense jardin
Et tu as devant toi beaucoup de fleurs
Et toutes sont plus belles les unes que les autres
Mais toi seul connais le temps pour prendre soin d’elles.
Mishkamani neme uapikun uiashtet
Akua tuta kie nanitam shutshishta nete ut ka tshimuannua
Kie tshetshi minat pishimua
Minuenimunnu, innishunnu
Ne uapikun nanitam tshika uitshiku nete tshitinniunit.
Si tu trouves la fleur magique
Alors garde-la précieusement
En n’oubliant pas de l’arroser de pluie d’amour
Et de lui donner du soleil rempli de paix et de sagesse
Car cette fleur embellira ta vie entière.
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 née de la pluie et de la terre
i
Tempête d’amour
Sur la surface de la mer en détresse
L’amour est un éternel recommencement
L’amour est l’intarissable jeunesse
Qui nourrit l’esprit des gens.
Toile tissée par la solitude
Voile formée par les pleurs en granite
D’une femme en quête de plénitude
Devant un soleil qui tourne en orbite.
Qu’en est-il de la douce chaleur ?
Jetée au fond de l’abîme
Attisant la flamme du cœur
Ranime-toi passion sublime.
Ô petite lumière si chère à mon cœur
Dans l’infinité du temps
Je découvre le prix du bonheur
À travers l’immensité des sentiments.
27
i
Nitautshita Shatshitun
Cultive l’amour
Nitautshita shatshitun mauat uin ukashinatun
Tshipataitsheu an ukashinatun
Tshe pakuneiat ne ua minuatikushin
Kie tshuieshimikun ua minuatikushin.
Cultive l’amour et non la haine
La haine est comme une épine malsaine
Qui transperce ton besoin d’aimer
Et fausse ton besoin d’être aimé.
Tshepishkaki tshimitunenitshikannu ukashinatun
Apu minu-nenemakak tshitei
Eka uni-tshissituta ukashinatun namaieu tshuitsheuakan
Eka uni-tshissituta shatshitun an uatsheuakanishtak.
Lorsque la haine piétine ton esprit
Avec les rythmes de ton cœur meurtri
N’oublie pas que la haine est ton ennemie
N’oublie pas que l’amour est ton ami.
Tshitashuapamikun shatshitun peshish tshiteit
Tshui pikunikun ne uin ukashinatun
Apishish muku shenamu tshishtukannu
Tshika uapatamuan eshpish nitautshitat shatshitun tshekuannu.
L’amour attend à la porte de ton cœur
Tandis que la haine s’infiltre avec rancœur
Laisse seulement une petite ouverture
Tu verras que l’amour sème et dure.
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 née de la pluie et de la terre
i
Innu utinniun
La vie d’un Innu
Nete innu utinniunit
Nishinnua umeshkanama tshe uapatak.
Dans la vie d’un Innu
Il y a deux chemins se défilant devant lui.
Ushkat nete utshipannu innua nikan ka pimuteniti,
Animan ne meshkanau kanapue nekatenitamun
Mak minuenitamun takuana mamu.
Ekuannu tshe pimutet ui inniuti ute assit.
Le premier est tracé
Par des pas d’hommes qui ont passé avant lui,
Ce chemin est lourd car il est profond en peines et en joies aussi.
Il prendra ce chemin pour évoluer dans l’environnement où il vit.
Ne kutak meshkanau apu nukuak.
Uashtenitamakan-meshkanau ishinakuan.
Tshika tshi natamu Mishtapeua ushutshiunnu apashtauati.
Tapitina e nishiki meshkanaua ute inniunit mak nete e
papamishkaiaku peuamuiakui Minu-Manituat etaht.
L’autre chemin est invisible.
Il est tracé par la lumière de la vie.
Il peut y accéder par la force de son Mishtapeu*.
Ces deux chemins sont reliés quelque part dans le monde
où nous vivons
Et dans le monde des esprits où nous voyageons par nos rêves.
Tapitikaui e nishiki meshkanaua innu tshika mishkatishu…
Quand les deux chemins se rejoindront, à ce moment-là,
L’Innu se retrouvera lui-même.
* M ishtapeu : pour les Indiens innus, chacun renferme en soi le Mishtapeu ou Mistapéo,
littéralement le « grand homme » (de mista, grand, et napéo, homme), âme dont le seul langage
est le rêve, et qui converse librement avec le monde des esprits. (NdÉ)
32
 née de la pluie et de la terre
33
i
Tshishe-Manitu !
Faites que mon cœur étincelle de joie
Quand il entend votre nom.
Faites que mes yeux puissent regarder
La seule vérité que vous êtes.
Faites que mes oreilles n’écoutent que la parole de Dieu.
Faites que toute ma vie soit à vous pour que je puisse
Grandir en beauté au fond de mon être
Ainsi que je puisse répandre la parole de Dieu
Qui est la seule vérité existant sur cette terre.
Faites surtout que je n’égare jamais la grandeur de votre amour
Dans les tourments de la vie ; mais que je la partage
Avec tous ceux ou celles qui m’entourent.
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 née de la pluie et de la terre
Tshishe-Manitu, Grand Esprit
Tshishe-Manitu, Grand Esprit
Veille sur mes pensées
Qu’elles soient légères et belles
J’aime à penser que tu es là
Tout près de moi
Pour me chuchoter les mots
Qui glisseront sur mes lèvres
Mon cœur de mère a besoin de s’endormir
Juste le temps de me reposer un peu
Toi qui vis dans les grandes lumières
Et qui sais me retrouver
Quand j’en ai vraiment besoin
Je traverserai la rivière quand elle sera là
Merci de veiller sur ma route
Et tous ses petits sentiers de rêves que j’aime visiter
Dans les soirs de grand silence
Merci pour l’amitié simple qui est présente
Merci pour l’amour en moi
Et qui m’aide à rester clairvoyante pour mon prochain
Merci pour le petit enfant qui me sourit
Merci pour toute la vie autour de moi
Merci merci merci et je t’aime…
37
i
Nukum
Nukum (grand-mère)
Nete kataku pet nukushitak, miam Uapikuniss eshinuk
Nasht apu ut tshekuannu tshi pikunikut ne ishkueu
Iapit utassi kie utinniun katshi mishkutshipannit
Tshetshi ait ishinakuannit nasht eka tshekuan ka ashtepanit.
M’apparaissant au loin comme la fleur de la fragilité
Rien ne pouvait ébranler l’esprit de cette femme
Bien que son univers et sa vie aient basculé
Pour un monde nouveau où la magie se fane.
Uiau apatannipan nete assit tekuannit tshishikunu
Mak kassinu tshekuannu tiatinaki
Ne ishkueu eka nikan ka tshissenitakushua, minushishipan
Ka nishtuapamakanit anite umitunenitshikanit.
Au fil des saisons, son corps fondait dans la nature
Pour donner vie à toutes les choses qu’elle touchait
Cette femme si mystérieuse était la plus belle créature
Qu’on pouvait découvrir par la pensée.
Miam pishimu piatshishimuti
Ashuapatamupan tshishikunu tshe takuannit
Tshetshi natat uitshimakana
Nete etaniti Minu-Manitua, tshikanuenimikunan nanitam.
Comme un coucher de soleil à l’horizon
Elle attendait patiemment que vienne le jour
Où elle pourrait enfin rejoindre son compagnon
Dans le monde des esprits, nous guettant toujours.
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 née de la pluie et de la terre
i
Nukum, femme des bois
Nimushum (grand-père)
Avec ton beau visage capturé par le temps
Mille secrets de femme s’y cachent
Mille raisons de vouloir t’adonner à la tâche
Dans ce monde visible et transparent.
La vie surgit comme dans un rêve
Un vieil homme danse autour d’un feu
Ce feu s’anime comme la sève
Qui monte et s’enlace jusqu’aux cieux.
Ton corps capturé par la fatigue et l’effort
Ne fléchit point devant la dure réalité
Car ta parole vaut des milliers d’années
Si je comprends que tu n’as pas tort.
Avec son sourire argenté, mon grand-père
Me fait signe qu’il est maintenant heureux
Comment te rejoindre avec tout ce mystère
Qui se faufile comme un serpent venimeux.
Ta vie est parsemée de petites routes
D’enfants qui pleurent, d’enfants qui rient
De gens qui meurent, de gens qui sourient
Mais ton cœur n’abrite aucun doute.
Tu me tends une dernière fois les deux bras
Et du haut de la plus haute montagne
Pour te suivre, je me jetterais jusqu’en bas
Car tu m’attends avec ta douce compagne.
Dernière lignée remplie de richesses
Partage avec moi tes innombrables vertus
Afin que tes enfants perdus
Rêvent de leur dignité et de leur sagesse.
Grand-père, suis-je toujours ta petite-fille
Celle qui te suivait dans tes promenades ?
Nimushum, suis-je toujours ta petite-fille
Celle qui t’écoutait chanter tes ballades ?
Lorsque je me sens infiniment seule
Mes larmes inondent mes joies d’enfant
Mais, comme une fleur, tu me cueilles
Tu me consoles avec tes histoires d’antan.
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 née de la pluie et de la terre
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i
II
Tshimunipan enniuian
Née de la pluie
Tshemuak mak anite ut assit nitinniuti
Nasht eka tshekuan mamitunenitamikuian nitishinniuti
Tshipipiteun mak anite ut e pitshitepanit, eukuan eshinakushin
Tanite tshe itutaikun an ne eka tshekuan miamitunenitamikuin ?
Je suis née de la pluie et de la terre
J’ai grandi dans l’insouciance de mon enfance
Tu es fait de cendres et de poussières
Où te mènera donc ton inconscience ?
Ka inniuian mananuipan kie puamuna takuanipani
Tshitimatshenitakuan ne kassinu tshitinniun, apu nukuaki
Anutshish nitashteieshkushin
Eshku eka natitan nete tshepaukuin.
Je suis née de larmes et de rêves
Toute ta triste vie n’est qu’illusion
Maintenant je fais une longue trêve
Avant de te rejoindre dans ta prison.
Ka inniuian miam nekamunanuti minutakuanupan
Teueikan ka utamuakanitaka petakushipan
Utinamu nenu eka ka petakuannit
Tshishishamu nenu ka mashkutinnit.
Je suis née de sons et de musique
Avec le rythme du tambour ancestral
Qui capture tout silence cynique
Et réchauffe ce froid théâtral.
Ka inniuian anite uashkut mitshetipanat utshekatakuat
Nitinniunnit tipishkau anite nanikutini uashtenimuat
Nitinniun miam amu-kashiuasht ishpakuan
Apu nita tshika ut muku atshakushian.
Je suis née plein d’étoiles dans mon ciel
Elles illuminent ma vie qui parfois se fait sombre
Elles donnent à ma vie un goût de miel
Plus jamais, je ne serai qu’une ombre.
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49
 née de la pluie et de la terre
 ii
Ka auassiuian
Ma jeunesse
Nishashashtuteti pemuteian nete kunit nitassit
Nasht eka tshissenitaman tshe itutemakak nimeshkanam
Eshpish makunikuian tiakat
Apu tut nakanikuian ua inniuian.
J’ai marché pieds nus sur la neige de mon pays
Sans savoir où mes pas allaient me guider
Même le froid mordant collé à mes pieds
Ne pouvait arrêter mon besoin de survie.
Nitauassiun mak nishutshishiun shenamupanat
Nimeshkanaminu.
Miam uashtenitamakannu sheshkaiki nete tepishkanit.
Apu tut uitsheuakanitutakuian ne tshekuan eka ka petakuak.
Kie ashuapatamupan tshetshi uitapamak ne ka peikussit.
Ma jeunesse et mon courage ouvraient mon chemin
Comme le ferait une lumière dans la nuit
Le silence ne se faisant point copain
Et la solitude attendant que je la désennuie.
Nipakushenimati Tshishe-Manitu
Tshetshi uashtenitamut
Tshetshi takushinian nete shiakashtuet pishimu
Mak nete ka nipakueian tshetshi nanitam nikanuteian.
Nui tshisseniteti tshekuan uet taian ute assit.
52
 née de la pluie et de la terre
J’ai prié le Grand Esprit pour m’éclairer
Afin d’arriver à l’autre bout de l’horizon
Et dans ma soif de vouloir toujours avancer
Je voulais connaître la véritable raison.
53
 ii
J’imagine
Murmure de l’âme
Que vivre dans une communauté
C’est apprendre jour après jour
Quelle est ma véritable identité
Dans l’espoir d’un meilleur jour.
Mon ami me murmure de tendres mots silencieux
Je l’entends à peine me dire qu’il est malheureux
Ce murmure qui vient d’ailleurs, qui vient de l’intérieur
Est comme le souffle, le respir qui alimente notre cœur.
Vivre dans cet univers construit
Pour les enfants de mes enfants
Étouffant leurs pleurs dans la nuit
Espérant apaiser leurs tourments.
Mon ami est à la dérive dans un monde amer
Comme un enfant n’ayant plus de mère
Amer d’avoir trop aimé, d’avoir trop donné
Où va-t-il trouver la force pour continuer ?
Ma réserve, mon ghetto, mon chez-moi
Peu importe le nom que je te donne
Tu enfouis une partie de moi
Tu caches une partie de ma personne.
Mon ami vit dans un arc-en-ciel rempli d’idées
Au bout de cet arc-en-ciel vit sa destinée
C’est une petite lumière parmi toutes ces étoiles
Elle brille à travers ses yeux sans voile.
J’imagine peut-être un peu trop
Ce que pourrait être la vie future
J’imagine pourtant mon passé plus beau
Mais la vie file à toute allure.
56
 née de la pluie et de la terre
57
 ii
Tshekuan ma Nukum ?
Pourquoi, Nukum ?
Tshekuan ma eka nasht tshekuan uitamuin
Ka ishinakuak tshetshi petaman ?
Tshipa ishpanipan peiku aimun ma uin
Tshetshi nishtutatan.
Pourquoi ne m’as-tu rien dit
Quand j’avais besoin d’entendre ?
Un seul mot aurait suffi
Pour que je puisse te comprendre.
Anumat nete ka auassiuian
Tshitipatshimushtuti tipatshimuna mitshetuau ;
Eku anutshish meshishtian
Apu tshissenimak auen nipa tapuetuau.
Pourtant quand j’étais petite
Tu me racontais des histoires ;
Maintenant que j’ai grandi
J’ignore en qui je dois croire.
Mishta-kataku nete tshitinniunit
Nete tshipuamunit, ka tshissitutamin tshekuan
Nasht apu tshi aimitan
Nasht apu tshi utitinitan.
Car tu vis tellement éloignée
Avec tes rêves, tes souvenirs,
Que je n’arrive pas à te parler ;
Que je n’arrive pas à te saisir.
Tsheku-tshishiku kau tshe mishkatan ?
Eka tshi uapamitaini ute assit
Tanite nishatshitun tshe nitautshitaian
Tshetshi atamishkuak nukum ka minuenitakushit.
Vais-je te retrouver un jour ?
Si ce n’est pas sur cette terre
Où vais-je cultiver mon amour
Pour l’offrir à ma douce grand-mère ?
60
61
 née de la pluie et de la terre
 ii
Sous un feu de rocher
À Mathieu et Damien Mestokosho
J’ai appris à lire entre les arbres
À compter les cailloux dans le ruisseau
À donner un nom à tous les métaux
Tel que le quartz ou le marbre.
J’ai appris à nager avec le saumon
À le suivre dans les grandes rivières
À monter le courant de peine et de misère
Sans me plaindre et sans sermon.
J’ai appris à prendre le visage de chaque saison
À goûter la douceur d’un printemps sur mes joues
À savourer la chaleur d’un été sur mon cou
À grandir dans l’attente d’un automne coloré et long.
Mais c’est uniquement sous un feu de rocher
À l’abri d’un hiver froid et solitaire
Que j’ai entendu les battements de la terre
Et c’est là que j’ai appris à écouter.
63
 ii
Kaiashineu-tipatshimusht apu makupishut
Poète en liberté
Nitshituteti tshetshi nishtuapataman inniun
Ukusseiau-miush nutaui nuiushuan
Upuamuna nikaui nimitunenitshikanit
Ekue shakassinepeti nissishikua.
Je suis parti à la conquête de la vie
Avec le bagage de mon père sur le dos
Les rêves de ma mère dans l’esprit
Alors mes yeux se sont remplis d’eau.
Nimati katshi pataiman
Ishpish eka tapuetaman nikan tapuetamun
Katshi ma mitshetupipuna, eshku ninatuapamitishun
Muku tshiam kaiashineu-tipatshimusht eka ka makupishut au nin.
J’ai pleuré parce que j’avais tort
De ne pas croire en la seule vérité
Après des années, je me cherche encore
Mais je ne suis qu’un poète en liberté.
Nin nitshisseniten tshekuan ma uet maian
Minuenitamun amisse anite takuan ashit nekatenitamun
Iapit nitutakun tshetshi nikamuian
Eukuan an niakatuenimikuian.
La nature de mes larmes vit en moi
La joie s’entremêlant à la tristesse
Elle fait même chanter la petite voix
Qui rassure le poète dans son ivresse.
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65
 née de la pluie et de la terre
 ii
J’ai rêvé du paradis
Dans le monde du paradis
C’est l’hiver tout est blanc
Les saisons vivent ensemble
Et les êtres de lumière
Sont habillés de couleurs.
Je suis arrivée là-bas
En plein rassemblement
La voix invisible m’a parlé
J’ai demandé où j’étais
Tu es au paradis, m’a-t-elle dit.
Je me suis étendue sur la neige
Le froid n’existe pas
Le temps n’existe pas
J’ai senti seulement un bien-être
Que je ne peux pas expliquer.
Le paradis vit sur la montagne
Qui touche les nuages
J’ai vu l’arbre sacré
J’ai vu les saisons qui parlent ensemble
L’arbre sacré est tellement haut.
66
 née de la pluie et de la terre
Le bois dont est fait l’arbre sacré
Est sculpté comme le bois de plage
Qui a passé du temps avec la mer
J’ai monté tout en haut
Invitée par le Grand-Père ours.
Il y avait deux petits ours tout là-haut
Ils regardent notre vie à tous
Ils parlent ensemble et veillent sur nous
Ils parlent notre langue
Ils m’ont dit qu’ils viendraient nous voir.
Lorsque la voix invisible m’a parlé
Sa parole était claire
J’ai un chemin sur terre
Je suis reconnaissante pour la vie
J’ai un rêve dans mes mains
Ce voyage au bout du paradis
Est le début de mon voyage sur terre
Mon Mishtapeu* brille tous les jours
Je l’entends vibrer avec vous
Tshishe-Manitu tshinashkumitin…
La voix invisible m’a suivie pendant mon séjour
Le temps d’un rêve le temps d’un soupir
Je lui ai dit : Je suis bien ici
Je veux rester là couchée sur la neige du paradis
Il m’a dit : Retourne chez toi.
Le monde des Esprits travaille fort
Ils sont ensemble et parlent
Leurs visages sont dorés un peu cuivrés
Je ne pouvais pas les approcher
Et je n’avais pas à les approcher.
J’ai vu les petits êtres aussi
Gardés dans un sac en cuir
Il y avait une petite île
Où vivent mes ancêtres
C’est à eux que sont confiés les petits êtres.
* Voir note page 33. 68
 née de la pluie et de la terre
69
 ii
III
Ka nakatuenitak assinu
Gardien de la Terre
Tapitin nimitunenitshikan anite pessish tekuak assi,
Nimatenimau atamit uiat, anite ut uapataman inniun
Niminukuti tshetshi pimishkauk atamit nipit
Tshetshi matenitamuak utei
Uetamitinnit, at miam nepaiani.
Ma pensée est intimement liée à la Terre,
De ses entrailles, j’ai goûté à la vie
Elle m’a plongée dans les eaux profondes
De son sein maternel pour que je sente
Les battements de son cœur, même lorsque je dors.
Anite nipuamunit, nikaui assi
Nipapamaunuku nete kueshtetshe.
Nitshimau Tshishe-Manitu
eukuan mitshitshu pepamaunit.
Nipeten aimun essiuemakak :
À travers mes rêves, ma mère
La Terre m’emmène dans l’autre monde.
Je voyage avec le Grand Esprit éternel
Sur le dos de l’aigle.
J’entends une voix qui me dit :
Tshin an uetshipanin anite kamikushiht
Ekute tshe utshikaut tshimiku tshetshi kamakupishit auen.
Minu-kanuenitak niteinu,
Shash apu ui nenemakak, uitshii!…
« Tu es de la race rouge ;
Par ton sang coulera le prix de la liberté.
Garde mon cœur intact,
Il respire à peine, sauve-moi… »
Nete utaipanit eka tshekuan ka petakuanua
Nimishketi kau ka minuataman e ushinaman ka auassiuian
Nete utaipanit ka neshtuapaueian
Kie nitinniun tshipa tshi piputepanipan
Eka pekupanianakue.
Dans le puits inépuisable de mon silence
J’ai retrouvé le sourire de mon enfance
Un puits dans lequel je m’étais noyée
Où toute ma vie serait partie en fumée
Si je ne m’étais réveillée.
Ekue takushipan tshishiku kau uiapataman uashtenimakan
Ne uashtenimakan nuishamuku tshetshi kashinamatishuian
Kie iat issishuenanuti apu tshinuat minuatamun
Nikashineti anite nimitunenitshikan ne ka kashteuat
Nete utat ka utshipanit, tshetshi ashtaian kau uashtenimakan.
Et puis vint un jour où je vis la lumière
Une lumière qui m’a invitée à me pardonner
Et même si l’on dit que le bonheur est éphémère
J’ai effacé de mon esprit le corridor sombre
De mon passé, pour faire place à la lumière.
74
75
 née de la pluie et de la terre
 iii
Eshku mitshena meshkanaua anite tshe ui pimuteian
Eshku eka utitaiman neme pakatakan-meshkanau
Tshishe-Manitu ka tshissinuatshitat, peikussu tshutauinu.
Anutshish eshakumitshishikua eshpish inniuian
Nitaiamituashun pitama.
J’ai encore beaucoup de corridors à parcourir
Avant d’atteindre le petit sentier de terre
Tracé par le créateur, notre unique père.
Aujourd’hui, chaque jour de ma vie
Commence par la prière.
76
77
 née de la pluie et de la terre
 iii
Plume d’aigle
Je frôle la douceur d’une plume d’aigle
Pour me rappeler d’où je viens
Je suis partie de très loin
Pour arriver jusqu’à moi
J’avais pourtant très peur
J’entends encore mon souffle court
Qui courait dans tous les sens de la vie.
La première plume que j’ai reçue
Venait du peuple des grands arbres
À peine je l’ai gardée pour moi
Je l’ai offerte à mon grand frère
Pour qu’il se souvienne du lien à la terre
Pour qu’il respecte le lien à l’eau sacrée
Qu’il n’oublie pas son histoire parlée.
Deux plumes d’aigle du même peuple
L’Oiseau-Tonnerre qui les a laissé tomber
Volait dans un grand cercle doré
Je les ai trouvées sur le bord d’une rivière
En marchant pieds nus sur les rochers
L’air humide m’a tout simplement guidée
Jusqu’à la douceur d’une plume d’aigle…
79
 iii
Danse du soleil
Aide-moi dans cette souffrance
Là où mes pieds n’ont plus le sentiment de danser
Ils frôlent la poussière des ancêtres
Qui s’évapore dans l’air de la Terre
Je t’ai rencontré, mon frère sioux lakota
J’ai chanté avec toi en innu
Pour que tu guérisses ton peuple.
Sundance
Nous irons danser dans la vallée des Sauges
En souvenir de toutes les prières chantées
En gardant en mémoire les yeux de mon fils
Ma fille sera à mes côtés comme toujours
J’écouterai le silence des larmes
Coulant sur le visage des danseurs du soleil…
J’ai voyagé avec la peur du guerrier
La bravoure d’un danseur du soleil
De ne plus voir tes yeux de guérisseur
Les yeux plissés de douleur
Quand tu marches décidé
Le regard levé vers l’arbre sacré.
82
 née de la pluie et de la terre
83
 iii
Un peuple sans terre
Quand la lune sera pleine
Et que le soleil sera rouge
On verra alors sur la plaine
Un homme faisant brûler de la sauge.
Sa peine sera immense comme la mer
Car il aura vu la terre disparaître sous ses pieds
Les hommes-machines l’auront dévoré les premiers
Pour en faire une nouvelle cité.
Là où l’entraide et le respect n’existent pas
Tu piétineras mon enfant, mais tu le fais déjà
Ta soif d’ambition et de grandeur nous tuera
Mais malgré tout cela, mon esprit survivra.
Tant que le soleil brillera au-dessus de nous
Et que les rivières seront débordantes d’énergie
Tu entendras nos rires les plus fous
Qui te poursuivront dans ton rêve maudit.
N’enlève pas à la Terre son dernier souffle
Permets à notre mère de respirer
Et de voir ses enfants courir à bout de souffle
Dans la nature qui est ma protégée.
85
 iii
La porte de mon univers
J’ai franchi la porte qui a détruit mon univers
Mais point de gens ne m’ont vu le faire
Car j’étais comme l’eau de la rivière
Qui gèle en hiver.
J’ai volé vers les terres éternelles de mes ancêtres
Et j’étais devenue l’enfant prodigue
Mon corps est ici mais mon esprit est là-bas
Loin, très loin dans les terres de mes ancêtres
Je leur parle les yeux ouverts, tout s’évanouit
J’ouvre les yeux pour mieux apprendre à voler
Vers tous mes frères qui ont besoin de moi et de mon aide
Ma vie va vers l’avant
Mais j’aimerais rien qu’une minute
Qu’elle se dirige vers l’arrière.
Si un jour je devais mourir
J’aimerais mourir de la vraie manière innue
M’exposer devant le soleil qui est mon ami
Et qui m’aveugle le jour
M’exposer devant la nature qui est ma maison
Ma richesse et ma raison de vivre
Si je dois apprendre à vivre comme un Blanc
À me vêtir comme lui
À faire comme lui certaines choses
Qui vont m’être utiles dans la vie
J’aimerais mourir au moins remplie de souffrances
Comme une vraie Innue.
87
 iii
Parler de toi, Nukum
Mishta-katak u nipeten e uinikuin
Kassinu etatiki shipua nasht ute petakuana
Tshetshi uitapimishkau mashten peikuau
Nete minashkuat tipatshimuat aueshishat
Eshpish ishpitenimatau kassinu etashiht
Tshuitsheukuat nete metimeuat pakatakannu.
Fier de ses origines et perpétuant la tradition
Pour nous, Nikaui
Tu as la force d’un vol d’outardes au printemps
Tu as la grâce d’un lever du soleil en été
Tu as la beauté d’un arc-en-ciel après la pluie
Tu es la fraîcheur du souffle d’un enfant
Tu es la lumière qui passe au travers des nuages
Tu as tout donné pour que nous soyons une famille.
Parler de toi, Nukum
C’est honorer le vent qui t’a vue naître
C’est remercier toutes les saisons qui t’ont aimée
C’est rêver doucement aux petits fruits sauvages
Que tu as cueillis avec respect et sagesse
C’est sentir la mer salée qui a parfumé ton visage
C’est prier dans le silence des bois avec foi
C’est caresser le tapis de sapin de demain
C’est écouter mon cœur pour mieux te retrouver
C’est toucher tous les moments grands ou petits
Que nous avons partagés.
Tu sais, Nikaui (mère)
Même les rivières murmurent ton nom jusqu’à nous
Même les arbres s’habillent en cet hiver si doux
Même le soleil brille avec espoir dans le ciel
Même l’aigle royal s’envole vers ta beauté
Même le feu sacré s’illumine dans la toundra
Même les aurores boréales dansent pour toi
Même moi, je veux te dire que je t’aime, Nikaui
Et je continuerai à marcher comme un vrai Innu.
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 née de la pluie et de la terre
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 iii
Uitshinan Nimushum
Aide-nous, grand-père
Uitshinan nimushum
Ninan au tshitauassimat
Uitshinan Nimushum
Ninan au tshussimat
Uitshinan nimushum
Nakatuenita niteinana
Uitshinan Nimushum
Nakatuenita nitinniunnana
Nakatuenita nitassinan
Aide-nous, grand-père
Nous sommes tes enfants
Aide-nous, grand-père
Nous sommes tes petits-enfants
Aide-nous, grand-père
Protège nos cœurs
Aide-nous, grand-père
Protège nos vies
Aide-nous, grand-père
Protège notre territoire
92
93
 née de la pluie et de la terre
 iii
Tshiuetin, vent du Nord
Tshui tipatshimututatin apishish
Tshekuan ne assi nete nutshimit
Teuat anite auehishat e inniuht
Miam tshikanishat etenitakushiht
Moi je vous parle du Nord
À la manière des pas des ancêtres
Silencieux et respectueux
Des pas qui touchent les saisons
Des pas qui gravissent les montagnes
Des pas qui connaissent le silence
Car je connais le Nord pour l’avoir écouté
Dans des grands moments de froid
Dans des instants uniques d’été
J’entends le saumon qui monte les rivières
J’écoute toujours les chants des arbres
Et le ciel appelle toujours les étoiles.
Le Grand Aigle royal qui touche le ciel
Vas-tu les mettre en pâturage
Ou tout simplement les ignorer
Est-ce que tu vois mes pas
Marchant sur la Terre notre mère de tous les jours
Tu ne marches pas dans le vide
Il y a une terre qui te porte
Et les quatre directions t’entourent
Alors regarde le Nord comme ton dernier souffle
Garde-le pour demain
Tu en auras besoin.
Moi je vous parle du vrai Nord
Toi qui ne vois pas le Nord
Toi qui vis dans un rêve matériel
Ton regard ne va pas loin
Regarde au-delà de tes ambitions.
Dis-moi où va aller le vieux caribou
Mon grand-père l’ours
Et mes grands-frères les loups
Dis-moi aussi où vont nager le castor et les poissons
94
 née de la pluie et de la terre
95
 iii
Le capteur de rêves
Autour du cercle de la vie
Se tissent des milliers de rêves
Avec la présence du Grand Esprit
La main du respect se dresse
Il y a nous dans l’univers
Il y a la pierre de la connaissance
Il y a le poème de l’innocence
Il y a notre mère la Terre
Lorsque tu tisses avec amour
Chacun de tes rêves
C’est que tu croies en la vie
Alors tu captes l’essentiel.
Parfum de la terre
Viens marcher avec le printemps
Sens le vent sur tes joues
Sois libre de tes mouvements
Prends le temps de vivre
Car demain ne t’appartient pas.
N’oublie pas ta promesse
D’aller retrouver la paix
Dans une forêt
Dans une maison en bois
Retrouve le battement de ton cœur.
Nous partirons les yeux fermés
Le cœur enveloppé
Du parfum de la terre
L’automne Uashtessiu
Qui nous dira
Viens viens mon ami mon frère
Oui je t’attends
Depuis cet instant
Où ton souffle a touché mon âme
Oui je t’attends mon frère
Alors nous partirons tous deux.
J’ai vu la montagne dans sa splendeur
J’ai entendu la rivière dans son désir
Quel plaisir et quel bonheur
D’être dans les bras de la Terre.
98
 née de la pluie et de la terre
99
 iii
Et lui ce grand mystère
Que je découvre dans son absence
Chercher la vérité au creux de ses mains
Je respire l’air qu’il habite.
Je crois aussi en la force du destin
Je crois aussi en la confiance de demain
La patience d’attendre en admirant l’eau des chutes
En priant pour mon prochain.
Voir son regard s’évanouir dans le mien
Pendant qu’il ferme les yeux sur mon corps
Pour mieux goûter à l’instant
J’entends son cœur battre.
Je deviens l’hiver pour me reposer
Je deviens le printemps pour rêver
Je deviens l’été pour briller.
J’aime son silence
J’aime sa voix
J’aime son reflet
J’aime l’invisible que je ne peux toucher
Mais que je sens avec force en moi.
Et je suis une femme d’automne
Née dans un univers qui est aussi le tien.
Les arbres sont témoins de mon amour
Les rochers entendent encore aujourd’hui
L’écho de ma grande tendresse
Sur le ciel qui nous enveloppe.
Mon cœur est fait de branches de sapin
Entremêlées à toutes les saisons du monde.
Je dors pour mieux tapisser tes rêves
Et celui du chasseur en quête d’une terre
Où il pourra alimenter son envie d’être libre
De marcher en admirant les courbes des rivières
De nourrir sa faim et d’assouvir sa soif.
100
 née de la pluie et de la terre
101
 iii
Écrire pour ne pas oublier…
La langue française n’est pas celle de ma mère. Mais le destin l’a mise sur
ma route, et nous nous sommes apprivoisées. Nous nous sommes tellement apprivoisées que j’ai choisi de l’adopter. Ce ne fut pas un choix
difficile car elle vit dans mes pensées quand le partage se fait sentir. Dans
mon cœur, et dans mon âme vit une langue intime, proche de la terre,
l’innu-aimun. Et, au moment même où je vous parle, mon cœur bat, mon
âme sourit.
Écrire en français pour ne pas oublier ma différence, une différence
que je partage avec vous à travers la poésie. Je suis Innue, et Innu veut
dire être humain. Nous sommes à peu près quinze mille Innus dispersés dans onze communautés, deux au Labrador qui sont anglophones
de langue seconde, neuf au Québec qui sont francophones de langue
seconde.
Nous vivons entre deux mondes, le moderne et le traditionnel. L’équilibre entre les deux n’est pas facile car notre terre traditionnelle est
toujours menacée par la destruction des grosses compagnies forestières,
des barrages hydroélectriques et des mines. Notre vie et notre survie
sont attachées à celles des rivières, des forêts et des lacs. Écrire dans
une langue, la langue française, est aussi une nécessité. Celle de pouvoir
diffuser à un vaste auditoire nos préoccupations dans une langue
poétique. Faire parler la Terre à travers la poésie de l’homme pour faire
renaître une conscience qui a déjà existé, je le vois comme une mission
d’écrire en français. C’est aussi un besoin comme l’instinct de survie que
nous possédons tous.
Je remercie le Créateur de m’avoir fait connaître cette langue française, et je remercie la Terre notre mère de m’avoir offert l’innu-aimun,
ma langue maternelle. La relation entre les deux est spéciale.
J’ai appris à parler le français à quatre ans à l’école primaire. J’ai décou-
104
 née de la pluie et de la terre
vert des mots d’un autre monde et d’une autre culture. J’ai été fascinée de
pouvoir exprimer ma pensée à d’autres personnes.
L’écriture restera toujours ancrée en moi, comme une île dans une
mer, comme le saumon dans la rivière et comme le caribou dans la
toundra. Vivre avec l’écriture, c’est prendre le temps de respirer les mots
qui s’échappent de mon cœur.
Rita Mestokosho
105
 iii
Postface
Sur les traces de Patricia Lefebvre
Non pas un œil, mais un regard. Non pas un appareil, mais un collecteur. Non pas des images capturées, mais des émotions restituées.
Avant de vous photographier, Patricia Lefebvre commence par vous
aimer. Inlassable exploratrice de l’humain, de ses fragilités intimes, de
ses beautés intérieures, Patricia révèle par ses photos ce que chacun
pourrait voir s’il prenait le temps de regarder. Le matériel lui importe
peu : même avec un sténopé, simple boîte noire en carton, elle peut
capter les fragrances de ce qu’elle hume autour d’elle, de ce qu’elle
déniche en nous, profondément.
Tout a vraiment commencé pour elle en terre innue au début des
années 1990. Elle s’installe pour de longues semaines dans cette poignée de villages où moins de quinze mille Innus se battent pour vivre
selon leur culture et leurs traditions. Chez ces Indiens sédentarisés
de force par les Blancs, souvent arrachés à leur forêt avant d’être renvoyés chez eux sans formation ni avenir, Patricia va dénicher le visible
et l’invisible. Le mal-vivre, un mode de vie perturbé, mais aussi la force
d’un combat collectif pour garder souveraineté et identité, marier
tradition et modernité. Loin du folklore passéiste, Patricia Lefebvre
donne à voir et comprendre tout un peuple. Elle dresse un portrait
contemporain de cette communauté à travers les gestes de la vie quotidienne, partagée pendant six mois, dans les réserves et dans le bois.
Mingan, Maliotenam, Uashat, Natashquan, Matimekosh… ces noms
claquent comme des drapeaux au vent du Grand Nord québécois. Sur
place, Patricia rencontre Rita Mestokosho. C’est un peu de cette terre
et de ce ciel qu’elle rapporte, saupoudrant d’étoiles le blanc et le noir
de ses photos.
106
 née de la pluie et de la terre
De retour en France, sa récolte de photos décroche le prix Révélation au Festival Terres d’images, de Biarritz, en 2000. Les années
passent, Patricia pose toujours son regard sous la surface des choses.
Des familles maliennes de sans-papiers dans un squat de Nanterre, en
passant par les vacances avec des familles du quart-monde de Roubaix, la mémoire effacée de Juifs assassinés par la milice, les paysages
baignés de lumière de Jean Dieuzaide, un simple morceau de ciel, ou
bien sûr le peuple innu, Patricia ne cherche pas juste une image, mais
une image juste.
Murielle Szac
L’exposition de Patricia Lefebvre s’intitule « Le Temps des Innus ».
Elle est constituée de 35 photographies en noir et blanc,
format 40 × 50 cm, et de plusieurs textes d’accompagnement.
Renseignements : http://patricialefebvre.fr
107  postface
Table
Préface
7
La poésie de Rita s’adresse à nous tous
par J. M. G. Le Clézio
I
Femme du matin rouge *
12
Beauté de la nature
17
21
Innu
Uapikun25
27
Tempête d’amour Cultive l’amour
29
La vie d’un Innu
33
Tshishe-Manitu !
36
Tshishe-Manitu, Grand Esprit *
37
Nukum (grand-mère)
41
Nukum, femme des bois
42
Nimushum (grand-père)
43
II
Née de la pluie
49
Ma jeunesse
53
J’imagine56
Murmure de l’âme
57
Pourquoi, Nukum ?
Sous un feu de rocher
Poète en liberté
J’ai rêvé du paradis *
61
63
65
66
III
Gardien de la Terre
Plume d’aigle *
Danse du soleil *
Sundance *
Un peuple sans terre
La porte de mon univers
Parler de toi, Nukum *
Aide-nous, grand-père *
Tshiuetin, vent du Nord *
Le capteur de rêves *
Parfum de la terre *
75
79
82
83
85
87
90
93
94
98
99
Écrire pour ne pas oublier…
par Rita Mestokosho
104
Postface
106
Sur les traces de Patricia Lefebvre
par Murielle Szac
Du même auteur
Eshi Uapataman Nukum – Comment je perçois la vie, grand-mère,
éditions Piekuakami, Québec, 1995. Réédition en version trilingue
innu-aimun, anglais et français, préface de J. M. G. Le Clézio,
éditions Beijbom Books, Göteborg, 2009.
Uashtessiu – Lumière d’automne, avec Jean Désy, éditions Mémoire
d’encrier, Montréal, 2010.
Références bibliographiques
La préface de J. M. G. Le Clézio, ainsi que la plupart des poèmes
de cet ouvrage, ont été tirés du livre Eshi Uapataman Nukum – Comment
je perçois la vie, grand-mère, publié en Suède, en 2009, par les éditions
Beijbom Books.
Les poèmes dont les titres sont suivis d’un astérisque sont inédits,
exception faite des textes suivants, qui ont été initialement publiés
dans des anthologies :
« Tshiuetin, vent du Nord » et « Aide-nous, grand-père »,
in Les Bruits du monde, anthologie établie par Laure Morali et
Rodney Saint-Éloi, éditions Mémoire d’encrier, 2012.
« J’ai rêvé du paradis », in Il fait un temps de poèmes, anthologie établie
par Yvon Le Men, éditions Filigranes, 2013.
« Le capteur de rêves », in Anthologie de la poésie amerindienne, Bacchanales
nº 42, Maison de la poésie Rhône-Alpes, septembre 2008.
« Parfum de la terre », in Les Voix du poème, anthologie établie par
Bruno Doucey et Christian Poslaniec, Éditions Bruno Doucey, 2013.
Cet ouvrage
a été achevé d’imprimer
en juillet 2014
pour le compte de Bruno Doucey
poète, éditeur de poètes
sur les presses de
La Source d’Or
Conception graphique
Dans les villes, Strasbourg
/// Dépôt légal : septembre 2014
Numéro d’imprimeur : 17182
/// Imprimé en France
Cet ouvrage est imprimé – pour l’intérieur – sur papier offset
« Munken Pure crème » 120 g, provenant de la gestion durable des forêts,
produit par des papetiers dont les usines ont obtenu
les certifications environnementales iso 14001 et e.m.a.s.