Transcript Him (lui)
Him (lui) 2001 Cire, cheveux humains, vêtements, résine polyester 101 x 41 x 53 cm Maurizio Cattelan est un artiste italien né à Padoue en 1960. Il vit et travaille à New York. Ses œuvres, souvent provocatrices, mêlent un humour noir à une réflexion sur la mort, la place de l’être humain dans le monde et la société où il vit, la manipulation religieuse ou politique, les grandes catastrophes humaines du Xxème siècle. Il est aujourd'hui l'un des artistes contemporains les plus collectionnés. Il n'a jamais fait d'école d'arts, c'est un autodidacte. Au tournant des années 70, Padoue, tranquille cité catholique, se transforme en haut lieu de la culture subversive. L’agitation donne alors naissance à de multiples groupes contestataires dont les fameuses Brigades rouges. L' Italie sombre lentement dans les années de plomb. Issu d'un milieu populaire, il débute par toutes sortes de petits boulots, mais sans succès. Au début des années 1980 il se met à fabriquer des petits meubles en bois, qu'il tente de vendre, ce qui lui permet d'entrer en contact avec des personnalités du design comme Ettore Sottsass. Cette action lui permet de faire une petite percée dans le milieu du design et de l'art contemporain. Il décide alors de trouver sa place et de faire parler de lui par la provocation et les détournements, ou par la surprise: il plante des oliviers dans la cour d'institutions, présente une autruche empaillée avec la tête enterrée dans le sol, se balade déguisé en figurine avec une tête géante de Picasso... «J’aimerais bien être assez bon pour penser à faire quelque chose de provocateur et pouvoir le faire. J’aimerais avoir une télécommande sur laquelle appuyer pour réaliser des œuvres de ce genre sur commande. Mais ça ne marche pas comme ça. J'aime l’idée des œuvres qui te prennent et te donnent un coup de poing dans le ventre. Je n’ai jamais rien fait de plus provocateur ni de plus impitoyable que ce que je vois tous les jours autour de moi. Au regard de l’actualité, mes œuvres ne sont pas cyniques. Elles sont seulement assez fortes pour réveiller le public."». Maurizio Catellan " Le titre…il nous fait voir l’œuvre d’une certaine façon ; si le tableau avait été nommé autrement, dans bien des cas nous aurions été sensibles à d’autres détails, d’autres organisations. Introduction, donc, mais pas seulement, c’est quelque chose qui demeure... pendant tout le temps que nous considérons l’œuvre, le titre nous surveille. " Michel Butor, Les mots dans la peinture. Histoire des arts Comme beaucoup d'artistes contemporains, c'est l'attitude de Cattelan qui décrit le mieux son œuvre, plutôt que le type de médium qu'il utilise. D'un esprit moqueur, il pratique le paradoxe, la provocation, l'humour et l'ironie. Il s'inspire de grand artistes comme Picasso et Warhol pour la culture du starsystème et l'utilisation des médias. Cattelan cherche en permanence à tourner en dérision l'art, en particulier le monde de l'art contemporain. Il en critique la production artistique et le milieu des artistes. C'est là tout le paradoxe de Cattelan, car il aime se faire passer pour un artiste en marge du marché de l'Art, alors qu'il en est en fait un acteur majeur, par exemple en tant que commissaire de la biennale de Berlin. Il n'a pas d'atelier, juste un téléphone. Il ne fabrique jamais ses pièces et utilise parfois des acteurs pour ses performances. Son humour est une manière de ne pas se désolidariser de son temps, surtout si c’est pour le critiquer. On peut parler qualifier son travail de burlesque. En effet, le burlesque produit toujours un effet de proximité. Il expérimente le réel par contact immédiat avec les choses, les êtres et les lieux. Cattelan crée des œuvres mémorables qui font toujours scandale et donnent lieu à toutes sortes d'interprétations, jusqu'à mettre en cause la religion et le sacré, comme La Nona Ora, sculpture qui représente une effigie, en cire et grandeur nature, du défunt pape Jean Paul II terrassé par une météorite. Sélection d'œuvres • 1999 : • La Neuvième heure (La Nona Ora), créée en 1999, une effigie, en cire et grandeur nature, du pape Jean Paul II terrassé et cloué au sol par une météorite, vendue par Christie's en 2004 pour 3 millions de US$. • 2001 : • Hollywood, des lettres blanches géantes identiques à celles d'Hollywood sont plantées sur une colline dominant la décharge publique de Palerme, la plus importante de Sicile. Dans le cadre de la biennale de Venise, il affrète un avion et fait admirer sa réalisation par la jet-set de l'art contemporain, déclarant: «L'art doit être en compétition avec la télévision. Si on n'utilise pas la même stratégie, on n'aura jamais de succès.» • Him, représentant un petit Adolf Hitler agenouillé comme s'il priait. Description de l'œuvre Depuis le 15 novembre dernier, le Centre d’art contemporain du château Ujazdowski à Varsovie propose Amen, une rétrospective de l’artiste italien Maurizio Cattelan. Parmi les œuvres exposées, Him suscite la controverse. Rue Prozna, au cœur de l’ancien ghetto juif de Varsovie, une barrière en bois trouée nous invite à la curiosité. Derrière, le visiteur peut entrevoir un écolier tout de gris vêtu, agenouillé à même le sol, les mains jointes en train de prier. Ce petit être inoffensif est en réalité une représentation de cire du dictateur Hitler, sous les traits d’un enfant, accompagnée de l’inscription : « Tout criminel était une fois un enfant doux, innocent et sans défense ». La statue est uniquement visible de dos, et seules les personnes avisées peuvent découvrir l'installation qui passe inaperçue de la plupart des passants. On ne peut l'observer qu'à travers un trou dans la porte d'entrée d'un immeuble d'habitation désaffecté. L'œuvre est une installation: la sculpture est faite pour être installée dans un lieu, et ce lieu fait partie de l'œuvre. Him est une œuvre ambiguë, elle joue sur l’effet de surprise: le spectateur commence d’abord par découvrir la sculpture de loin, et de dos; celle-ci reproduit un enfant à genoux en train de prier. Mais au fur et à mesure que le spectateur en fait le tour, il s’aperçoit que l’enfant porte en réalité le visage du dictateur. L’effet de surprise est double : choc de se retrouver face à ce visage symbolisant le Mal ; incompréhension de voir l’un des symboles du mal (à notre époque) en train de prier- et cet effet de surprise est encore renforcé par les moyens plastiques mis en œuvre ici : sculpture en cire hyperréaliste, qui reproduit avec une grand exactitude la peau humaine, les cheveux, les sourcils etc. Même si les proportions de la sculpture font penser à une figure enfantine, il faut bien voir que c'est le seul élément «innocent» de cette œuvre. Le vêtement est celui d'un adulte d'une certaine catégorie sociale. Le costume gris accompagné d'une cravate noire et de chaussures noires fait penser à un personnage de la bourgeoisie, ou du moins à un notable. L'opposition entre la vision de l'œuvre de dos et de face est renforcée par tout les éléments du monde adulte qui viennent perturber l'idée première que pouvait se faire le spectateur. Rappel historique: Un an après l'invasion de la Pologne le 1er septembre 1939, l'occupant allemand avait créé le quartier du ghetto juif d'à peine 3 kilomètres carrés, où furent enfermés près de 500 000 Juifs. Ses habitants ont été quasiment tous anéantis par la faim et les maladies, ou déportés dans des camps de la mort. Le quartier a été rasé par les nazis en 1943 après l'insurrection du ghetto. Analyse de l'oeuvre " Ce travail juxtapose le vulnérable, l’apparence d’innocence d’un corps de garçon avec la face de l’adulte Adolf Hitler, qui est perçu comme une des plus mauvaises personnes du 20ème siècle pour sa responsabilité pour la mort de 6millions de juifs dans l’holocauste et pour la mort de millions d’autres dans la seconde guerre mondiale ". Avec cette œuvre, M. Cattelan semble mettre le spectateur en garde contre toutes les idéologies susceptibles d’asservir l’être humain (ici, la politique et le religieux sont mêlés pour montrer que, lorsqu’ils sont instrumentalisés, ils peuvent devenir des outils de propagande). Pour Maurizio Cattelan, il n’y a pas de sujet tabou. Il représente le Fürher en train de prier à genoux, une “humanisation” qui déclenche forcément un tollé. Hitler est représenté d’une façon très réaliste et naturelle, il ne le diabolise pas, c’est cela qui choque le spectateur. Il s’agit de Hitler enfant... C’est la figure du mal qui est en chacun de nous. L’enfant symbolise aussi la transmission. Et ses traces d’enfance réveillent l’enfant qui sommeille en nous. C’est une œuvre étrange, une autre façon de voir le théoricien du nazisme que nous propose Maurizio Cattelan. Nous le voyons comme un homme car Hitler était avant tout un homme avant de devenir le monstre que tout le monde connait. De plus le fait de l’agenouiller le rend moins impressionnant, c’est nous qui sommes dans une position dominante, c’est nous qui pourrions à notre tour l’écraser et lui faire payer ses abominations… L’horreur n’est pas dans l’image d’Hitler mais dans les sentiments ressentis par le spectateur lorsqu'il découvre le visage représenté. La sympathie provoquée par la vue d'un jeune garçon en prière s’efface devant la stupeur et l’effroi. Cattelan nous rappelle de manière un peu violente que le bien peut côtoyer de manière très proche le mal, et qu’il n’est pas toujours aisé de les distinguer. Ainsi Him peut se présenter comme une métaphore de notre difficulté à faire la part des choses, et de notre difficulté à nous méfier des apparences, ici trompeuses. Avec Him, Maurizio Cattelan s’affranchit également du "politiquement correct". L’artiste bouscule les consciences afin qu’elles n’oublient pas, car il y a bien l’obligation d’un devoir de mémoire qui est pointé du doigt ici par l’artiste; l’oubli étant bien pire que le souvenir. Cattelan s’empare d’une icône, celle d’un symbole suprême du mal moderne pour la convertir en celle d’un homme ordinaire se livrant à une prière. Et, c’est précisément ce déroutement qui confère à l’installation un sentiment de tristesse et de pessimisme sans retirer au personnage sa cruauté. Le spectateur est mal à l'aise devant cette œuvre, avec le sentiment qu'il « ne devrait pas la regarder ».Cette scène, où le personnage est en train d’effectuer une prière comme pour réclamer le divin pardon, place le spectateur dans une position de voyeurisme puisque que la foi relève de l’intime. Maurizio Cattelan met en scène une des plus grande figure du pouvoir. Mais c’est également le côté diabolique du pouvoir qu’il veut mettre en avant en nous présentant un personnage à l’allure séduisante. " Le mal peut-il devenir bien, ne serait-ce qu’un instant ? Hitler a-t-il connu la bonté pendant sa vie, et si oui, peut-on considérer cette lointaine hypothèse comme un motif de rédemption ? Si Hitler suscite la haine, pouvonsnous haïr cet inoffensif petit homme à genou que nous présente l’artiste ? ". Quant au titre de l’œuvre, il est à la fois péjoratif et démonstratif de la monstruosité du personnage. Him, lui, est donné pour désigner l’innommable. Him, c’est celui que l’on exclut de soi, celui que l’on rejette. En même temps, le titre cherche ici à culpabiliser le personnage; c’est bien lui et non pas un autre qui est responsable du génocide, du massacre de la seconde guerre mondiale. Mais ce titre interroge aussi l’autre, le spectateur. C’est LUI, HIM, donc fatalement ce n’est pas nous. Nous ne sommes donc responsables de rien dans tout cela. Ce Lui s’adresse aussi à nous implicitement. Cette œuvre nous renvoie à nous-même, à notre propre comportement en nous rappelant que bien et mal peuvent se côtoyer de très près comme en chacun de nous, mais à des degrés différents. John Heartfield (1891- 1968) Adolf, "le surhomme", ingurgite de l'or et debite des balivernes. épreuve à la gélatine argentique 35,4 x 24,6 cm; image: 33 x 24,1 cm Réalisé avant le 28 aout 1932, tiré avant 1942. Mots-clés : Hyperréalisme. Rétrospective. Installation. Participation active du spectateur (qui doit déambuler dans l’espace pour appréhender l'œuvre). Pouvoir subversif de l'œuvre d’art. L'hyperréalisme est un courant artistique formé aux États-Unis à la fin des années 1960 et officiellement consacré en 1968. Il fait rapidement école en Europe, notamment en France. C'est un réalisme quasiment photographique. Il s'inspire des œuvres d'Edward Hopper et du Pop Art. L'hyperréalisme est une reproduction pure et simple, sans intention, sans signification, du réel. Comme dans le Pop Art, l’artiste est exclu du processus créatif. La peinture figurative a pour objet la réalité extérieure. L’ hyperréalisme prend pour objet non cette réalité, mais la photographie de cette réalité. Représentation d’une représentation. Nous regardons en effet les photographies comme la réalité. On ne dit pas "Je vois une photographie du mont Saint-Michel", on dit : "tiens ! le mont Saint-Michel !" Ce qui est "vu à la télé" est, sans aucun doute la réalité. Nous avons oublié que ce sont des images. La peinture nous reconduit alors à ce qu’était la photographie avant cette confusion. Elle dit de l’image que c’est une image. Contrairement à l’apparence, l’hyperréalisme n’est pas un réalisme. Du réel, il ne retient que la peau, ce qui est en surface : son image.