Le Figaro - Disasolar

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mercredi 14 août 2013 LE FIGARO
L’ÉTÉ DU FIGARO
LES CHAMPIONS DU MADE IN FRANCE
24 ENTREPRISES
Salamandre (Gard) est la seule grotte européenne de grandes dimensions à être éclairée intégralement au solaire. DinaSolar, qui équipe déjà des bus et un TER de la SNCF, propose des produits adaptés aux besoins du client.
DR
DisaSolar, la haute couture du panneau solaire
À Limoges, cette jeune PME high-tech issue de l’industrie de la porcelaine imprime
des panneaux fins et souples comme du papier, prêts à équiper les smartphones.
FABRICE NODÉ-LANGLOIS
Fnodelanglois
ENVOYÉ SPÉCIAL À LIMOGES
ÉNERGIE «Pour vous, un panneau solaire, c’est moche, lourd et
encombrant, bourré de composants
chimiques et chinois. Pour nous,
c’est sur mesure, coloré et semitransparent, léger et souple. Et
français. » La plaquette publicitaire résume parfaitement le défi que
relève DisaSolar, toute jeune PME
de Limoges.
À l’heure où le secteur du photovoltaïque souffre en Europe face à
la déferlante des panneaux chinois
et aux changements des politiques
de soutien public, où les entreprises, y compris allemandes, déposent leur bilan les unes après les
autres, le petit DisaSolar voit l’avenir en grand. En misant sur des
produits innovants.
Comme souvent dans l’histoire
des entreprises, la PME est née
d’une rencontre. En l’espèce, de
retrouvailles, à l’occasion d’un dîner. Nous sommes en 2008. Stéphane Poughon, entrepreneur aux
vies multiples, biologiste diplômé
de HEC, ancien skipper professionnel, vainqueur d’une transat
en 1983, est sur le point de vendre
son entreprise de yachts destinés
au marché chinois. Il s’intéresse au
photovoltaïque alors en plein essor, un secteur «inéluctablement à
forte croissance ». Il retrouve un
ami, Christophe Renard, qui vient
de racheter une entreprise limougeaude, Disa (lire encadré). La PME
est spécialisée dans l’impression de
supports publicitaires et de marquage technique, comme les éti-
150
emplois
pourraient être créés à terme
par DisaSolar à Limoges
si dix lignes de production
de panneaux solaires
sont construites.
quettes « non fumeur » des trains.
«Et si l’on collait des panneaux solaires sur des trains?», lancent les
deux amis, au cours de leur dîner.
Et l’aventure commence. Stéphane Poughon va créer une filiale
de Disa spécialisée dans le photovoltaïque. Il vise directement les
panneaux de troisième génération,
encore dans les limbes. La première - 80% du marché actuel - est fabriquée à base de silicium ; la
deuxième, en «couches minces»,
autorise une certaine flexibilité ; la
troisième, dite organique, est dérivée du carbone. Dans les locaux de
DisaSolar, bâtiment industriel
anonyme d’une zone d’activité de
la rive sud de la Vienne à Limoges,
Stéphane Poughon montre des
échantillons. Les panneaux, de
cinq ou dix centimètres de côté,
sont aussi minces qu’une feuille de
papier. Ils sont transparents ou colorés. Cette technologie d’avantgarde permet d’appliquer les cellules photovoltaïques sur toutes
sortes de surfaces : véhicules, téléphones portables, sac à dos,,
vêtements. « Nous visons lee
sur-mesure », explique le
président de la société, ett
« un marché mondial ».
Parmi les multiples débouchés, la PME envisage
d’intégrer ses panneaux
sur des tenues de camouflage, dans le cadre d’un
contrat de recherche signé avec la DGA (Direction
générale de l’armement).
Secret
DE FABRICATION
Jet d’encre
nanométrique
Les panneaux solaires
de troisième
génération de DisaSolar sont fabriqués
avec la technique
de l’impression par jet
d’encre. Trois couches
de composés
sont injectées,
épaisse chacune
de 150 nanomètres
(millionièmes
de millimètre).
Pour imprimer
un «panneau»
de 5 centimètres
de côté, mince
comme du papier,
18 secondes
suffisent.
qui attendent les futurs panneaux
souples et ultralégers, « made in
Limousin».
« DisaSolar représente beaucoup
d’espoir dans des domaines d’excellence de la région, l’imprimerie et la
céramique », souligne Jean-Paul
Denanot, le président du conseil
régional. De fait, outre le hasard
des retrouvailless
Un vivier
de compétences locales
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entre Stéphane Poughon et le repreneur de « la Disa », l’implantation à Limoges se justifie par un vivier de compétences locales. Si la
porcelaine fait désormais vivre
moins d’un millier de personnes
sur place, elle a engendré un pôle
d’excellence dans les céramiques
de haute technologie. La fabrication des panneaux ultrafins à base
de carbone bénéficie des technolog
gies
dérivées de la décoration
de la porcelaine et de la céramique du XXIe siècle.
DisaSolar
collabore
ainsi avec une kyrielle de partenaires
locaux dont Ceradrop,
fabricant
d’imprimantes
pour l’électronique imprimée.
Ou encore avec le
Centre de transfert de technologies
céramiques
(CTTC) qui héberge
les essais réalisés sur
des panneaux.
C’est dans les locaux de
cette association que Jennifer Aflalo, 25 ans, ingénieur
chimiste, et Charline Arrivé,
28 ans, docteur en sciences des
matériaux, impriment, à l’abri
d’une boîte à gants hermétique, divers échantillons de panneaux
souples. Les deux femmes sont à
l’image des 25 employés de DisaSolar, jeunes, enthousiastes et bar-
Limoges
Made in France
dées de diplômes. La technique de
l’électronique imprimée par jet
d’encre nécessite de longues mises
au point, mais elle offrira des avantages compétitifs : des panneaux
moins chers et capables de capter
même la lumière diffuse.
La start-up doit à présent passer
à la production industrielle. Un investissement de 16 millions d’euros
est nécessaire pour construire une
unité pilote capable de produire
25 000 mètres carrés de modules
photovoltaïques par an. Le tour de
table, auquel participe Oséo, reste
à boucler. «Fan» du projet, le président du Limousin est prêt à faire
entrer la région au capital. Il compte bien que, dans une poignée
d’années, la première usine de
France de panneaux solaires de
troisième génération aura créé à
Limoges 150 emplois. ■
VENDREDI :
Buffet Crampon fabrique
à Mantes-la-Ville
les clarinettes des virtuoses
■
« La Disa », de la porcelaine
au photovoltaïque imprimé
La PME en est encore au stade de la
recherche et développement. En
attendant l’industrialisation de ses
panneaux « haute couture », Stéphane Poughon distribue des panneaux de deuxième génération,
produits, ceux-là, à l’étranger, en
Chine ou aux États-Unis, mais
adaptés aux besoins du client par
DisaSolar. Ils équipent déjà des bus
à Poitiers et un TER de la SNCF.
Leur puissance, bien que faible,
permet d’alimenter la climatisation à l’arrêt. Plus besoin de laisser
tourner le moteur Diesel du car.
Grâce à ce marché, DisaSolar s’est
constitué un portefeuille de clients
«La Disa», tout le monde
ou presque connaît à Limoges.
L’entreprise a démarré
il y a plus d’un siècle, en fabricant
des décalcomanies pour décorer
la porcelaine. Cette industrie
historique fait désormais vivre
moins d’un millier de salariés
dans la capitale du Limousin.
Disa a su évoluer en imprimant
des supports publicitaires
en PVC ou en carton pour
les grandes marques (SFR,
McDonald’s, Playmobil) et
des «marquages techniques»
apposés sur les avions, les trains
ou les motos. Le dérivé de
ces techniques est utilisé pour
imprimer les panneaux solaires
souples de sa filiale Disa Solar.
Le groupe Disa (150 salariés
et 45 millions d’euros de chiffre
d’affaires) en est actionnaire
pour moitié, à parité avec
le fondateur de la start-up,
F. N.-L
Stéphane Poughon.
Stéphane Poughon : « Il faut être capable de prendre des risques »
Stéphane Poughon, 56 ans, est
PDG et cofondateur de DisaSolar.
LE FIGARO. - Faut-il être fou
pour continuer à produire
en France ?
Stéphane POUGHON. - Non, pas
fou, mais il faut avoir beaucoup
d’énergie et être capable de prendre des risques. Prendre des risques, c’est la vie normale. Quand
on apprend à marcher, on tombe.
Bientôt, on apprendra à
marcher aux enfants
avec des déambulateurs.
On tire aussi des leçons
de ses échecs, et ceci
n’est pas valorisé en
France.
Stéphane Poughon,
PDG et cofondateur
de DisaSolar. DR
Pourquoi jugez-vous important
de défendre le made in France ?
Nous avons la chance de vivre
dans un pays extraordinaire. Ce
qui m’attriste, c’est de voir que les
jeunes veulent le quitter. Il faut
tout faire pour qu’ils aient envie
de rester et pour attirer les jeunes
d’autres pays. Pour cela, il faut redynamiser l’industrie en France.
Mais attention, on ne pourra pas
tout produire chez nous. Il ne faut
pas que le pays se ferme sur luimême, la France doit rester un
pays ouvert sur l’Europe et le
monde.
Quels sont les atouts industriels
de la France ?
Ses infrastructures. Et la qualité de
ses créatifs scientifiques.
Et ses handicaps ?
D’abord le manque de finance-
ments. Il n’y a pas de capital-risque en France. Il y a une lenteur
liée au poids de l’administration.
Un exemple. Pour répondre à
l’appel d’offres d’un client au Canada, j’ai dû créer une filiale làbas. J’ai créé une société en trois
jours, le week-end de Pâques pardessus le marché. En France, c’est
tout simplement impossible. On
ne s’est pas rendu compte dans
notre pays que le monde s’accélère, que tout va plus vite.
Que faut-il faire pour
réindustrialiser la France ?
Remettre de la flexibilité partout.
Avoir le droit d’embaucher et de
licencier. Bien sûr, il faut un coût
du travail compétitif. Et puis travailler. Nous ne sommes pas plus
intelligents que les autres, donc
pour y arriver, il faut travailler
autant qu’eux, pas 35 heures par
semaine avec huit semaines de
vacances.
Qu’attendez-vous du
gouvernement pour favoriser le
« made in France » ?
Je suis pour qu’on supprime le
principe de précaution de la
Constitution, c’est une négation
de la vie. Et il faut que les Français
parlent l’anglais aussi bien que le
français. La connaissance est sur
Internet, elle est en anglais. La
mauvaise maîtrise de l’anglais est
un handicap incroyable dans la
bataille économique. Le surmonter serait déjà changer la France.
En dehors de votre secteur,
qu’est-ce qui caractérise le mieux
le « made in France ».
Le luxe. Je le dis sans ironie ni
amertume, c’est un fait. ■
Propos recueillis par F. N.-L.
Je suis
pour
qu’on
supprime
le principe de
précaution
de la
Constitution,
c’est une
négation
de la vie
STÉPHANE POUGHON