lettre de jean gay-vernon - Archives départementales
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Transcript lettre de jean gay-vernon - Archives départementales
1792-1794
CONCEPTION & REALISATION : SOPHIE SICOT
©Archives départementales de la Haute-Vienne, 2011
LETTRE DE JEAN GAY-VERNON
Arch. Dép Haute-Vienne - L 1161
RETRANSCRIPTION
Paris, 20 germinal, an 2 de la République française.
Frères et amis,
Voilà le quatrième jour que je suis à Paris
et je puis vous assurer que j’ay passé avec mon frère
la plus grande partie de ce temps à courir du comité
de salut public à la commission des subsistances.
Enfin, hier soir à minuit, le président de la
commission nous dit qu’elle venait de prendre un
arrêté portant nomination d’un agent investi de tous
les pouvoirs pour faire mettre à exécution la
réquisition sur la Charente.
C’est aujourd’huy jour de décadi; nous ne
pourrons peut-être pas obtenir l’expédition de
l’arrêté et voir l’agent qui sera nommé. Mais demain
pour le plus tard nous serons expédiés et aprèsdemain je partiray pour Angoulême.
Frères et amis, l’affaire des subsistances
était la seule que j’eus à Paris; je m’en suis
exclusivement occupé. Paris est bien approvisionné
en bled; les autres denrées y sont très rares. Plusieurs
départemens réclament des secours, mais le comité
et la commission sont tranquilles sur l’objet des
subsistances de la République.
La Convention, dans ce moment-cy, n’est
pas occupée d’objets bien intéressans. Les grandes
affaires se traitent dans les comités de salut public et de
sûreté générale. Je me trouve souvent avec des
membres de ces comités. Ils ont une grande énergie; ils
veulent absolument l’extinction de l’aristocratie, mais ils
voyent avec peine que des patriotes qui ont servi la
Révolution se trouvent persécuté. Quand il s’en
trouvera de ce nombre, ils obtiendront justice. On
continue aux Jacobins à faire le scrutin épuratoire. A
une des dernières séances, Dufourny, un des membres
qui avait toujours parû le plus ardant révolutionnaire,
fut exclus de la société et la nuit suivante, il fut mis par
ordre du comité de sureté générale en état d’arrestation.
On croit que demain Simon, député à la Convention,
sera mis en jugement au tribunal révolutionnaire; il est
déjà jugé dans l’opinion publique. On assûre que dans
ce moment cy, les armées se disposent à frapper de
grands coups, et que dans le mois floréal ne se passera
pas sans qu’on n’en soit venu aux mains. J’ay vû icy
plusieurs de nos compatriotes et de nos frères:
Audouin, Renard, Aubreton, Bandy. Ils prennent le plus
grand intérêt à la chose publique et à la société des
Jacobins de Limoges. Je vous salue, frères et amis.
Jean Gay-Vernon, membre de la Société
populaire de Limoges
L’AUTEUR : JEAN GAY-VERNON
On sait peu de choses sur l’auteur de cette lettre. A l’origine, curé de La
Porcherie, il devient vicaire épiscopal. Elu membre du Conseil général de
la Haute-Vienne, il en prend la présidence.
Si son patronyme est connu c’est plus pour son frère, curé de
Compreignac puis évêque constitutionnel, Léonard Honoré Gay de
Vernon dit Gay-Vernon (1748-1822), élu député à l’Assemblée nationale
législative en 1791 puis à la Convention nationale en 1792 siégeant parmi
les Montagnards (proche des sans-culottes, les plus ardents
révolutionnaires).
Jean est cependant un membre actif de la Société populaire de Limoges,
très proche de son frère, comme le prouve les actes de délibérations du
club. Les Archives départementales de la Haute-Vienne conservent
d’autres lettres de sa correspondance relatant ses missions et les
événements parisiens pendant l’an II au club des Jacobins de Limoges.
SOMMAIRE
La naissance de la République française
L’an II
Le calendrier révolutionnaire
Les institutions révolutionnaires
Les sociétés populaires
SOMMAIRE SUITE
Le problème des subsistances
La Terreur
Les suspects
LE CALENDRIER REVOLUTIONNAIRE
La lettre de Jean Gay-Vernon est datée du 20 Germinal an II dans le calendrier
révolutionnaire ce qui correspond au 9 avril 1794.
En effet, depuis le décret du 5 octobre 1793, a été créé un nouveau calendrier qui
débute le 22 septembre 1792, date de la proclamation de la République, complété
par le décret du 4 frimaire an II (24 novembre 1793):
Article VII : « l’Année est divisée en douze mois égaux, de trente jours chacun,
après les douze mois suivent cinq jours pour compléter l’année ordinaire. Ces cinq
jours n’appartiennent à aucun mois ».
-Automne : vendémiaire, brumaire, frimaire
-Hiver : nivose, pluviose, ventose
-Printemps : germinal, floréal, prairial
-Eté : messidor, thermidor, fructidor
-Et les 5 derniers jours les Sansculottides.
Article VIII: « chaque mois est divisé en trois parties égales, de dix jours chacune
qui sont appelées décades;
les noms des jours de décade sont primdi ou primidi, duodi, tridi, quartidi,
quintidi, sextidi, septidi, octidi, nonidi et décadi.»
Musée Carnavalet, Paris.
Avril 1792 : l’Assemblée déclare la guerre à
l’empire d’Autriche-Hongrie dont le but est de :
- libérer les peuples européens opprimés par les
monarchies,
-pousser le roi Louis XVI à se trahir.
Rapidement le Nord et l’Est de la
France sont envahis par les Autrichiens et leurs
alliés les Prussiens.
La Patrie est déclarée « en danger » et
un appel aux volontaires lancé mais le roi s’y
oppose, dévoilant son espoir de voir les Français
perdre et de retrouver ses pleins pouvoirs.
LA NAISSANCE DE LA
REPUBLIQUE
Le 10 août 1792 : les Sans-culottes révoltés
prennent d’assaut le Palais des Tuileries; le roi et
sa famille se réfugient à l’Assemblée mais les
députés décident leur emprisonnement : c’est la
fin de la monarchie.
Le 22 septembre 1792 : l’Assemblée des
députés, appelée CONVENTION, élue au
suffrage universel masculin, proclame la
RÉPUBLIQUE, deux jours après une première
victoire militaire française à Valmy. Mais la
République est toujours menacée.
Décret de l’Assemblée nationale, le 11 juillet 1792
LE CONTEXTE DE LA LETTRE DE GAY-VERNON : l’an II
L’an II (septembre 1793-septembre 1794) voit :
-le renforcement des lois du maximum
-le renforcement de la loi contre les suspects.
La question cruciale des subsistances, mentionnée dans
la lettre de Jean Gay-Vernon, amplifie la Terreur.
Cependant le succès des armées révolutionnaires contre
les ennemis intérieurs (région de Lyon, Vendée) et
extérieurs (l’échec de l’invasion des Piémontais, armées
espagnoles repoussées dans le Roussillon, victoire de
Fleurus le 26 juin 1794 dans le Nord-Est) poussent
certains députés, surnommés les Indulgents comme
Danton, à réclamer l’arrêt de la Terreur.
A la tête du Comité de Salut public, partisan de la
Terreur, Robespierre les fait arrêter et guillotiner entre
mars et avril 1794, comme l’indique la lettre de Jean
Gay-Vernon (Dufourny et Simond).
UNE ECONOMIE DE GUERRE : les lois du maximum
Face aux crises de subsistances dans de nombreux départements et aux
spéculateurs, la Convention vote :
Le 26 juillet 1793 : un décret contre les
accapareurs des denrées et marchandises de
première nécessité, étendu à d’autres
produits comme les combustibles.
Le 29 septembre 1793 : une nouvelle loi
pour fixer des maxima pour les prix des
denrées de première nécessité, des amendes
et une liste des suspects.
Le 22 février 1794 : un troisième décret
fixant le maximum du prix des transports du
lieu de fabrique et des bénéfices des
marchands. Les contrevenants s’exposent à
une répression plus sévère encore comme
l’emprisonnement voire la peine de mort
par la guillotine.
UNE SOCIETE DE GUERRE : les lois contre les suspects
La première loi des suspects est votée le 17
septembre 1793 afin d’arrêter les ennemis
de la République ou susceptibles de l’être
comme:
- les nobles et les émigrés,
- les fonctionnaires destitués,
- les officiers suspects de trahison,
- les accapareurs.
Cette loi est renforcée par la loi du 22
prairial an II (10 juin 1794) Les
arrestations sont confiées aux comités de
surveillance.
Article 4 - Le Tribunal révolutionnaire est institué
pour punir les ennemis du peuple.
Article 7 - La peine portée contre les délits dont la
connaissance appartient au gouvernement
révolutionnaire, est la mort. (…)
C’est la période de la Grande Terreur.
Article 1. Immédiatement après la publication
du présent décret, tous les gens suspects
qui se trouvent dans le territoire de la
République, et qui sont encore en liberté,
seront mis en état d’arrestation.
Article 2. Sont réputés suspects:
1. Ceux qui, soit par leur conduite, soit par
leurs relations, soit par leurs propos ou
leurs écrits, se sont montrés partisans de la
tyrannie ou du fédéralisme, et ennemis de
la liberté (…)
3. Ceux à qui il a été refusé des certificats de
civisme (…)
4. Les fonctionnaires suspendus ou destitués
de leurs fonctions par la Convention
nationale ou par ses représentants.
5. Les nobles, les maris, les femmes, pères,
mères, fils ou filles, frères ou sœurs, qui
n’ont pas constamment manifesté leur
attachement à la Révolution.
6. Ceux qui ont émigré du 1er juillet 1789 au 8
avril 1792, bien qu’ils soient rentrés en
France.
Décret voté par la Convention, le 17 septembre 1793
LES SOCIETES POPULAIRES
Appelés clubs, sociétés populaires ou
patriotiques, ces associations se sont
développés depuis 1789. Les plus connus
sont les clubs des Jacobins ou des Feuillants
aux tendances politiques bien marquées.
La Société populaire de Limoges est une
filiale du Club des Jacobins de Paris ou
Société des amis de la Liberté et de l’Egalité,
comme environ 5000 autres en province,
formant un véritable réseau permettant de
relayer les décisions prises dans la capitale,
au moment où la Terreur est prônée par
Robespierre, maître du Club depuis la fin
1792.
Ils débattent des thèmes de société,
commentent l’actualité et discutent des
projets de loi. En ce sens, ils participent à
la formation politique des citoyens.
Les sociétés, comme celle de Limoges,
-imposent le calendrier révolutionnaire,
-encouragent donc les enrôlements de
volontaires pour la guerre
-surveillent l’exécution des lois,
-traquent les suspects.
AUDOUIN François-Xavier (1765-1837): né à Limoges, homme d’Eglise, il est un des
fondateurs du club des Jacobins de Limoges en juin 1790. Après avoir prêté serment à la
Constitution civile du Clergé, il part à Paris. Il est un des meneurs de la journée du 10 août 1792. Il
devient secrétaire général au ministère de la guerre où il mène l’épuration des états-majors et cadres
de l’armée en utilisant les rapports des agents missionnés et des sociétés populaires. Cependant, il
est arrêté après la chute des Indulgents, le 21 floréal an II (10 mai 1794). Emprisonné, il est
amnistié le 4 brumaire an IV (26 octobre 1795).
Débat politique au club des Jacobins, gravure colorisée du XVIII° siècle, BNF, Paris
DUFOURNY de VILLIERS (Louis-Pierre) 1738-1796
Il est connu pour avoir rédigé un
Cahier du Quatrième Ordre pour
dénoncer l’exclusion des plus
pauvres de la vie politique, fondé et
dirigé le Club des droits de
l’Homme et du Citoyen et avoir été
un membre actif du Club des
Jacobins.
Il est cependant arrêté sur ordre de
Robespierre par le Comité de
sûreté générale pour ne pas avoir
suivi les accusations portées contre
Danton qui est lui guillotiné le 5
avril 1794.
Il fut finalement libéré et mourut
en juin 1796.
SIMOND Philibert (1755-1794)
Né en Haute-Savoie en 1755, il devient vicaire puis membre du Club des
Jacobins. Il se fait remarquer en critiquant de façon virulente les autorités
strasbourgeoises.
Elu député à la Convention nationale en 1792, il fait partie du groupe des
Montagnards (proches des sans-culottes) et participe activement à la chute
des Girondins (modérés).
Cependant, en prononçant des discours pour modérer les excès de la
Terreur sous Robespierre (sollicité la libération de plusieurs personnes
suspectes et pour avoir dit qu’il ne voulait pas participer à des comités de la
Convention car il n’aimait pas le sang), il est suspecté par des membres du
Club des Jacobins et arrêté sur ordre du Comité de Salut public.
Enfermé à la prison du Luxembourg, il est alors accusé d’avoir projeté un
complot afin de s’emparer des clefs de cette prison pour libérer des
suspects, d’égorger les membres du Comité de Salut Public, de libérer le
petit Capet (Louis XVII) pour proclamer la royauté et la régence de
Danton!
Il est guillotiné le 22 germinal an II (14 avril 1794) avec 24 autres condamnés.
LES INSTITUTIONS : le gouvernement révolutionnaire
Pressions
Nomme
CLUB DES
JACOBINS
LA CONVENTION
COMITE DE
SALUT PUBLIC
COMITE DE
SURETE
GENERALE
LES
SANS
CULOTTES
TRIBUNAL
REVOLUTIONNAIRE
REPRESENTANTS
EN
MISSION
Livrent les suspects
SOCIETES
POPULAIRES
LE COMITE DE SURETE GENERALE
C’est une police politique qui fonctionne en lien avec le Tribunal
révolutionnaire.
Il est chargé d’appliquer les lois et de trouver les suspects.
C’est le principal organe de répression aux pouvoirs étendus et relayés par
les comités locaux de surveillance qui font des rapports hebdomadaires et
dont il a la direction.
LE TRIBUNAL REVOLUTIONNAIRE
Ce tribunal, créé en mars 1793, est chargé de juger les « ennemis de la
République », c’est-à-dire tous les suspects qui sont dénoncés par les
comités révolutionnaires.
Le Comité de Salut public et le Comité de Sûreté générale proposent les
jurés à la Convention qui les nomme. Il y a un accusateur public dont le
plus célèbre est Fouquier-Tinville.
La procédure devient expéditive à partir de la loi du 22 prairial an II:
« L’accusé sera interrogé à l’audience et en public: la formalité de
l’interrogatoire secret qui précède est supprimée comme superflue (…) S’il
existe des preuves (…), il ne sera point entendu de témoins. »
LE COMITE DE SALUT PUBLIC
Peinture de l’école française du XVIII° siècle
Créé en avril 1793, il est composé de 9 puis 12 membres élus par la
Convention et dirigé par Maximilien de Robespierre.
fonderrévolutionnaire
et consolider
parmi
nous àlala
Cet organe« duPour
gouvernement
devait être
subordonné
démocratie,
faut terminer
la guerre
de c’est-à-dire
la liberté contre
la
Convention
et ilconcentrer
le pouvoir
exécutif,
former un
gouvernement
provisoire
afinétouffer
de prendrelesdesennemis
décisions rapides,
sensées
tyrannie (…).
Il faut
intérieurs
et
faire
triompherdela République
et la Révolution.
extérieurs
la République
ou périr avec elle. Dans cette
Cependant,
finit
par l’emporter
surpar
la Convention
députésdu
ne
situation, ilon
conduit
le peuple
la raison etdont
les les
ennemis
font
alors par
qu’enregistrer
peuple
la terreur.ses décisions par peur d’être suspectés.
OrganismeIndulgence
de coordination
répression s’écrient
sous la Terreur,
il pratique
pourdelesla royalistes
certaines
gens
cette
(…).politique
Non. »jusqu’en juillet 1794 (date de l’arrestation de Robespierre)
suspendant l’application de la Constitution, toutes les libertés et droits de
l’Homme pour éliminer tous ceux qui sont soupçonnés être des « ennemis
Extraits du Discours de Maximilien de Robespierre
dedevant
la Nation
».
la Convention
Dans
la lettre
de Jean Gay-Vernon, on lit l’épuration qui est faite, dans les
le 5 février
1794
sociétés populaires comme au Club des Jacobins, d’hommes qualifiés
pourtant d’ardents révolutionnaires mais aussi, à la Convention, de
députés qui s’opposent à Robespierre, en particulier ceux qui veulent
l’arrêt de la Terreur comme les partisans de Danton.
Maximilien de Robespierre (1758-1794), musée Carnavalet, Paris