Les théories de la sécularisation

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Transcript Les théories de la sécularisation

Sociologie des religions
Les théories de la sécularisation
Un arrière-plan de l’approche sociologique
Cours BA, UNIL/UNIGE, semestre de printemps 2011
Enseignant : Laurent Amiotte-Suchet
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Les théories de la sécularisation
La sécularisation, un processus lié à la modernité
« … le christianisme, qui fut la matrice sociale, politique, culturelle de
l’Occident, est, dans l’espace même où il développa sa puissance
civilisatrice, de plus en plus refoulé sur les marges de la vie sociale ; il
est l’affaire privée d’individus de plus en plus réduits en nombre ; il ne
modèle plus en profondeur les comportements et les consciences »
(Hervieu-Léger, 1986, p. 7).
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Les théories de la sécularisation
Religion et modernité, une tension constitutive
A la fin du XIX° et au début du XX° siècle, la religion est associée à la
société traditionnelle vouée à disparaître avec l’avènement des sociétés
modernes
(révolutions,
démocratisation).
--> A. Comte (théorie des trois états), K. Marx (religion = opium du
peuple), E. Durkheim (reflux nécessaire de la religion dans les sociétés
industrielles).
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Les théories de la sécularisation
Conséquence de la modernité au début du XX°
--> Rationalisation scientifique et technique d’un monde vidé de ses
cosmologies
sacrés
(désenchentement
du
monde).
--> Affirmation de l’autonomie de l’individu (qui devient sujet politique
devant
-->
-->
s’inventer).
Spécialisation
Le
reflux
de
des
la
institutions
religion
constitue
(donc
alors
de
un
la
religion)
indicateur
de
modernisation.
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4
Les théories de la sécularisation
La rationalisation occidentale
--> Chez Max Weber, la religion n’est plus une victime passive de la
modernité
mais
une
actrice
à
part
entière
du
processus.
--> Importance du l’éthicisation (passage de la technique magique à
l’organisation
d’une
éthique
de
vie
religieuse).
--> Centralité de la Réforme protestante : rationalisation du rapport au
monde
à
partir
5
de
principes
religieux.
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Les théories de la sécularisation
Le constat de la « perte religieuse »
--> 1930-1960 : Chute de la pratique dominicale et des vocations
sacerdotales
dans
les
pays
européens.
--> Volonté des Eglises de mesurer et d’analyser le phénomène.
--> Analyses sociologiques en terme de « crépuscule de la civilisation
paroissiale » (G. Le Bras) et de privatisation comme conséquence des
révolutions
et
des
lois
laïques
(la
modernité
est
diabolisée).
--> Les premières analysent sociologiques sont alors menées par des
hommes
d’Eglise.
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Les théories de la sécularisation
Le tournant des années 60-70 : crise de la modernité
-->
Précarisation
-->
-->
des
sociétés
Premier
Critique
de
la
«
post-indistrielles
choc
consommation
comme
».
pétrolier.
fin
en
soi.
--> Stabilisation des populations immigrées dans les pays européens
(mosaïques
culturelles).
--> Sentiment d’une nécessité de repenser le regard porté sur les
religions en perte de vitesse.
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Les théories de la sécularisation
Les 4 « contre-exemples » et le sentiment de « retour »
Quatre dimensions vont remettre en cause le paradigme de la perte
dans
les
années
70-80
:
--> Les religions séculières (ex. du communisme stalinien et son culte
du
-->
chef
Les
=
religions
religions
populaires
l’intellectualisation
(besoin
du
de
de
Concile
substitution).
«ritualité»
Vatican
au-delà
II
de
).
--> Rôle politique de la religion (théologies de la libération en Amérique
latine,
révolution
iranienne,
réélection
de
R.
Reagan
aux
USA).
--> Les NMR (Nouveaux mouvements religieux) d’inspiration orientale
qui
touchent
prioritairement
les
classes
moyennes
éduquées
européennes issues de la contre-culture.
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Les théories de la sécularisation
Le tournant paradigmatique
Entre les milieux des années 60 et le début des années 80, les historiens
et les sociologues prennent conscience d’un changement radical. C’est
ce
qu’Olivier
Tschannen
Deux
appelle
la
«
idées
phase
paradigmatique
s’imposent
».
:
--> Le paradigme de la perte doit être repensé à l’aune des mutations
sociétales
qui
affectent
l’Occident
dans
son
ensemble.
--> La privatisation de la religion (liée à l’idée de reflux) ne suffit plus
comme indice de sécularisation.
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Les théories de la sécularisation
Le tournant paradigmatique
Entre le milieu des années 60 et la fin des années 70, la jeune
génération issue de la sociologie pastorale s’émancipe de ses pères (et
de la tutelle des Eglises établies) en imposant le paradigme de la
sécularisation
à
partir
de
:
--> La thèse de l’éthique protestante comme exemple partagé (cad l’idée selon
laquelle le protestantisme a pleinement porté l’avènement de l’individu moderne).
--> L’énigme américaine comme défit à la notion de « déchristianisation » dans le
monde
moderne
(modernité
ne
rime
pas
avec
reflux
de
la
religion).
--> La constitution d’un champ de recherche autour du réseau de la SISR et de la
revue Social Compass (« tradition de citation »).
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Les théories de la sécularisation
Les théoriciens de la sécularisation
Principaux
-
porteurs
Thomas
-
Luckmann
Peter
(The
Berger
-
Bryan
Wilson
-
Richard
Fenn
-
David
Martin
du
Invisible
(The
(Religion
(Toward
(General
paradigme
Sacred
in
a
Religion,
Theory
of
of
1967
[1963])
Canopy,
Secular
Theory
:
1967)
Society,
Secularization,
Secularization,
1966)
1978)
1978)
- Karel Dobbelaere (Trend Report. Secularization : A Multi Dimensional Concept,
1981)
Idées
partagées
1.
Le
processus
2.
Ce
processus
de
sécularisation
n’implique
11
pas
la
a
:
des
disparition
racines
de
religieuses.
la
religion.
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Les théories de la sécularisation
Les théoriciens de la sécularisation
La sécularisation est donc pensée comme une conséquence des transformations
sociétales
(rationalisation,
différenciation)
:
--> « sécularisation » = processus de perte de contrôle des Églises sur la socialisation des
nouvelles générations au profit de l’État et de l’éducation laïcs (Etats et écoles se substituent
aux
Eglises).
--> Le processus de sécularisation est associé au déclin de la pratique religieuse, au changement
d’éthique, à la différenciation et à la privatisation qui marginalise la religion, qui rejette la
religion
comme
système
de
signification
total.
--> « le processus par lequel des secteurs de la société et de la culture sont dégagés de la
domination
des
institutions
12
et
des
symboles
religieux
»
(Berger,
1967,
p.
107).
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Les théories de la sécularisation
Les théoriciens de la sécularisation
Bryan WILSON
--> Le changement se joue d’abord et avant tout au niveau de la « différenciation
structurelle
du
système
social
»
(1976,
p.
40).
--> La religion perd de son « importance sociale » mais demeure une ressource
essentielle pour les individus confrontés à la froideur technique de la société.
--> Wilson voit essentiellement la sécularisation comme une « différenciation
structurelle du système social » (Wilson, 1976a, p. 40). Le prêtre/pasteur est de
plus en plus cantonné dans son rôle et d’autres spécialistes s’occupent de
l’éducation, de la morale, de la justice, de la connaissance, de l’assistance sociale,
de
la
maladie,
etc.
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(perte
de
monopole
de
la
religion).
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Les théories de la sécularisation
Les théoriciens de la sécularisation
Bryan WILSON
--> Ce qui compte, c’est le déclin de la « communauté » comme forme collective au profit du
développement de formes de rationalité instrumentales fondées sur la technologisation (le
développement
de
la
raison
reste
secondaire).
--> « La laïcisation [mondanisation] et le début de rationalisation qui se sont produites dans le
christianisme [sont] entièrement consonnante[s] avec l’influence régulièrement croissante de la
science et de la technologie [rationalisation] dans les cultures occidentales en général, et avec la
manière dont la société elle-même a été systématiquement réorganisée [différenciation] »
(Wilson,
1982,
p.
81).
--> Les sectes protestantes et NMR sont directement liés à la sécularisation car ces collectifs
offrent des réponses « communautaires » que les religions établies n’offrent plus (sa typologie
des
sectes
protestantes
se
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construit
d’ailleurs
autour
du
type
rapport
au
monde).
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Les théories de la sécularisation
Les théoriciens de la sécularisation
David MARTIN
Martin refuse la dimension universelle du processus de sécularisation et se
concentre
sur
la
Il
-->
notion
de
«
veut
Les
pays
de
«
pluralisation
distinguer
monopole
catholique
»
».
:
(France,
Italie,
Espagne)
La transition passe par les Lumières et l’affrontement avec une religion jugé autoritaire et pré-existants qu’il
faut
-->
renverser.
Les
Il
y
pays
a
de
alors
«
une
rivalité
pluralisme
entre
catholicisme
protestant
»
et
sécularisation.
(Angleterre,
USA)
La transition est portée par le calvinisme et la religion n’est pas perçue comme dangereuse. Il n’y a pas de
conflit politico-religieux, les sphères sont clairement distinctes. La religion se dilue dans la société civile.
-->
Les
pays
de
«
duopole
»
ou
«
mixtes
»
(Allemagne,
Suisse)
Les religions établies sont en concurrence et luttent l’une contre l’autre. Les deux camps doivent néanmoins
faire des concessions. Un consensus émerge dans une structure fédéraliste et la religion ne devient pas un
problème
politique.
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Les théories de la sécularisation
Les théoriciens de la sécularisation
Karel DOBBELAERE
Karel Dobbelaere est (avec B. Wilson) le principal artisan de la SISR.
En 1981, il synthétise les apports des différents auteurs et insiste sur le
caractère
multidimensionnel
du
concept
de
sécularisation
:
-->
La
-->
Le
-->
La
laïcisation
ou
changement
participation
sécularisation
religieux
religieuse
(niveau
(niveau
(niveau
sociétal)
institutionnel)
individuel)
Pour Dobbelaere, ces trois niveaux ne sont pas systématiquement
associés, il faut donc contextualiser les analyses (D. Martin) et clarifier
la notion de « sécularisation » (niveau sociétal, B. Wilson).
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Les théories de la sécularisation
Les théoriciens de la sécularisation
Karel DOBBELAERE
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Les théories de la sécularisation
Les théoriciens de la sécularisation
Trois notions centrales (O. Tschannen)
--> Différenciation = la vie sociale se différencie en sphères distinctes (religieuse et non religieuse). Cela
implique autonomisation (Berger et Wilson), privatisation (Luckmann), généralisation des références
religieuse hors de la sphère religieuse (Weber, Parsons, Luckmann), pluralisation des visions du monde au
sein même de la sphère religieuse avec des logiques de concurrence (Berger) et déclin de la pratique et de
l’appartenance.
--> Rationalisation = les critères rationnels s’imposent dans la sphère non religieuse qui va
s’instrumentaliser et nié l’existence du sacré. Ceci va se passer au niveau intellectuel mais aussi au niveau
de l’organisation sociale, politique, etc. Cela implique : scientisation, sociologisation qui définit l’ordre social
de manière rationnelle (Wilson), effondrement de la vision du monde car les systèmes perdent en
pertinence et en plausibilité culturelle du fait même de la concurrence (Berger, Luckmann, Wilson).
--> Mondanisation = la sphère religieuse se tourne vers les intérêts propres de la sphère non religieuse,
elle va remplacer une éthique tournée vers l’au-delà par une éthique de plus en plus mondaine (Weber). La
religiosité
s’impose
comme
ressource
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de
sens
et
outil
d’accomplissement
personnel.
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Les théories de la sécularisation
Des sociologies « nationales »
Malgré l’effort de synthèse de K. Dobbelaere en 1981, les analyses des transformations du
paysage religieux demeureront empruntes des contextes d’élaboration dans lesquelles elles se
construisent
:
--> Pays « latins » (contexte de monopole catholique) : L’accent est mis sur l’opposition
Etat/religion de laquelle découlent des analyses en terme de différenciation et d’exclusion.
L’autonomisation de l’individu, comme caractéristique de la modernité, s’est joué sur le pan
politique (logique d’émancipation). Sécularisation et laïcisation sont régulièrement associées
pour décrire le processus par lequel s’est jouée la désinstitutionalisation de la religion comme
système
englobant.
--> Pays protestants : L’accent est mis sur la prise de distance des individus avec le dogme et
les logiques de réappropriation/requalification des énoncés. L’autonomie de l’individu, comme
caractéristique de la modernité, s’est jouée sur le plan religieux (logique d’individualisation).
Les analyses insistent donc sur la sécularisation comme processus de privatisation et
d’individualisation des rapports à la religion (passage de l’appartenance héritée à l’appartenance
choisie).
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Les théories de la sécularisation
L’individualisation du croire
Les European Values Studies (1981, 1990) remplacent les mesures de l’appartenance et de la
pratique
Elles
basée
sur
vont
les
mettre
registres
en
de
évidence
paroisse.
:
--> Diminution croissante de l’appartenance religieuse catholique et protestante dans tous les
pays
-->
européens.
Montée
de
l’athéisme.
--> Croissance des pratiques religieuses des populations issues de l’immigration désormais
installées
(pluralisation
religieuse).
--> Désolidarisation des énoncés de croyance et bricolage (pluralisation du croire).
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Les théories de la sécularisation
Sécularisation = modernisation
Les
théories
de
la
sécularisation
évoquent
irréversible
un
processus
:
- Les fondamentalismes ne sont que des résistances temporaires
- Le succès des spiritualités d’inspiration orientale s’inscrit dans
la logique de l’individualisation du croire.
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Les théories de la sécularisation
Le tournant des années 90
Dans
-
les années 90, trois
La
L’apparition
phénomènes
construction
du
problème
d’un
social
prennent de l’ampleur :
islam
des
européen
«
sectes
»
- La déferlante pentecôtiste-charismatique en Amérique latine, Afrique
Subsaharienne, Chine et Corée qui se fait aussi missionnaire de l’Europe
sécularisée.
On parle de « retour du religieux » et d’« exception européenne »
(Davie) et même de « déseculariation du monde » (Berger).
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Les théories de la sécularisation
Le tournant des années 90
Les enquêtes valeurs européennes (vague 1999) mettent en évidence les effets
non linéaire d’une diminution de la religion. Il y a toujours « sortie de la religion »
(Gauchet)
sur
le
plan
d’une
appartenance
assumée
mais
les
logiques
d’individualisation favorisent le développement et la revendication d’une religiosité
personnelle.
Il devient nécessaire de distinguer les sans religion croyants des sans religion non
croyants car se déclarer sans religion ne signifie pas un désintérêt pour le spirituel.
Ceux qui s’identifient « religieux » sont moins croyants qu’avant mais ceux qui
s’identifient sans religion sont moins athées qu’avant. Les croyants se sécularisent
quand les non croyants se spiritualisent (Willaime, 2006).
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Les théories de la sécularisation
Le tournant des années 90
Les
travaux
mettent
également
en
évidence
:
- un ressaisissement interne chez les jeunes chrétiens (les chrétiens
engagés se perçoivent de plus en plus comme une minorité et ont
tendance
à
renforcer
la
radicalité
de
leurs
positions).
- Un recours aux registres chrétiens dans les moments de crise (ex. des
travaux de Grace Davie sur les manifestations autour du décès de Lady
Diana en Angleterre qui mettent en évidence le développement du
« believing without belonging »).
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Les théories de la sécularisation
Les figures religieuses de la modernité
En
1999,
Danièle
recompositions
Hervieu-Léger
du
associent
trois
croire
figures
en
en
tension
pour
modernité
penser
les
:
- Le pratiquant : caractère d’obligation, pratique régulière, ordinaire, obligatoire et normée par
l’institution, logique communautaire et territorialisée, lien maintenu entre croyance et appartenance.
- Le pèlerin : pratique volontaire, autonome, modulable, individuelle, mobile et exceptionnelle. Le fidèle se
veut en recherche, en quête individuelle de l’expérience d’un religieux « authentique ». Il opère un travail
de construction biographique pour mettre en sens ses expériences subjectives avec l’appui d’une
communauté dans laquelle il se reconnaît et qui le guide dans son propre cheminement et ses propres
expériences.
- Le converti : attachement au choix individuel, logique de rupture, discours radicalement critique vis-à-vis
de ses affiliations antérieures (nouveau rapport au monde) et recherche l’intensité spirituelle par un
investissement souvent exclusif au sein d’une communauté croyante qu’il a choisie. Il se pense comme un
chercheur spirituel qui, au prix d’une longue errance, a enfin fait une découverte qui a transformé sa vie. Il
estime avoir redécouvert la tradition à laquelle il se rattache au prix d’une réappropriation personnelle et
intensive.
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Les théories de la sécularisation
La sécularisation de la modernité
Pour Jean-Paul Willaime, les années 90 marquent le tournant décisif d’une
modernité
dès
lors
désenchantée
:
« Dans notre terminologie, si la modernité, c’est le mouvement porté par les certitudes modernistes, c’està-dire une modernité conquérante ayant démythologisé les traditions au nom du futur, l’ultramodernité,
c’est le mouvement plus les incertitudes de la modernité désenchantée, c’est-à-dire une modernité aboutie
ayant démythologisé aussi bien les traditions que les utopies. C’est précisément cette évolution de la
certitude moderniste à l’incertitude ultramoderne qui apparaît caractéristique de l’état présent de la
modernité. L’ultramodernité, c’est toujours la modernité, mais la modernité désenchantée, problématisée,
autorelativisée. Une modernité qui subit le contrecoup de la réflexivité systématique qu’elle a enclenchée en
se
démythologisant
elle-même
»
(Willaime
JP,
2005,
Sociologie
du
protestantisme,
p.
112).
Le retour du religieux est donc une conséquence directe de l’hypersécularisation
de
la
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modernité.
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